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LA TROUBLANTE FRAGILITE AMERICAINE‎

by admin

En près de deux siècles et demi les institutions américaines n’ont jamais été malmenées par un ‎homme autant qu’elles l’ont été par Donald Trump depuis qu’il a posé ses valises à la Maison blanche ‎au grand étonnement du monde et au grand dam de la moitié de ses compatriotes.

Il n’allait pas tarder ‎à isoler son pays du reste du monde offusqué puis offensé, et à dresser contre lui 83 millions ‎d’Américains honteux d’avoir à subir ses extravagances tout au long de quatre insupportables années.

L’Amérique paraissait puissante par sa Constitution, sa démocratie et ses institutions, mais ce président ‎improbable sorti du monde du spectacle et de l’affairisme comme le Djinn de la lampe d’Aladin, n’a eu ‎de cesse depuis les premières semaines suivant son investiture de les soumettre à rude épreuve, ‎révélant d’inattendues fragilités dans l’édifice institutionnel américain.‎

Quand l’heure du départ arriva enfin, l’intéressé refusa étonnamment de s’y résigner et, après avoir ‎tout tenté sur le plan légal sans succès, ordonna à ses partisans venus le soutenir dans un meeting ‎d’aller faire le siège du Capitole à quelques centaines de mètres de là avec l’objectif d’obliger le ‎pouvoir législatif à ne pas entériner sa défaite électorale actée par les Etats de la fédération et ‎corroborée par le système judiciaire à l’issue des recours intentés par ses équipes. ‎

Il y a eu des actes de vandalisme, des morts, des blessés et des arrestations sous le regard stupéfait de ‎la planète, entraînant une avalanche de démissions autour de lui et obligeant l’institution militaire à ‎contrevenir à la section 2 de l’article II de la Constitution qui affirme que « Le président sera ‎commandant en chef de l’armée et de la marine des États-Unis ». Il ne l’était brusquement plus à ses ‎yeux, ce qui pose un sérieux problème constitutionnel.‎

Ce découplage, ce « court circuitage », s’est publiquement confirmé à travers la réponse faite par le ‎chef d’état-major interarmes à la demande de la présidente de la chambre des Représentants de ‎retirer au Président la latitude d’activer les codes nucléaires, puis clairement assumé dans une ‎déclaration du même haut responsable selon laquelle l’armée n’exécutera pas des ordres liés aux ‎intérêts personnels ou aux fantaisies du Président. Cela ne s’est jamais vu par le passé ou dans un ‎autre pays démocratique, mais est totalement compréhensible dans le cas d’espèce.‎

Venu dans un tintamarre de casseroles aux pieds, cet homme inexplicablement parvenu au sommet ‎de son pays sans avoir emprunté les voies classiques de la politique semble voué à finir ses jours dans ‎le quartier de haute sécurité d’une de ses prisons, probablement ruiné et aliéné.‎

La ville de Washington présente ces jours-ci un visage qu’elle n’avait jamais montré auparavant et vit ‎sur le pied de guerre. Les diverses autorités, les branches sécuritaires, les médias, les réseaux sociaux, ‎les grandes corporations, tout le monde est sur le qui-vive, craignant jusqu’à la dernière minute de son ‎mandat une initiative intempestive de la part de quelqu’un en qui le gros des habitants de la terre ne ‎voit plus qu’un fou capable de n’importe folie.‎

Le Congrès profané s’affaire à faire usage de l’arsenal juridiques à sa portée pour faire face à un cas de ‎figure inconnu, impensé, en la forme d’un président subitement transformé en émeutier en chef, et ‎mise pour la seconde fois en une année sur la procédure d’« empeachment » qui, en réalité, fait plus ‎de peur que de mal. C’est une épée de Damoclès qui n’est tombée depuis 1787 sur aucune tête ‎présidentielle récalcitrante.‎

En effet, aucun président des Etats-Unis n’a été destitué en vertu de cette procédure définie à l’article ‎‎2 de la Constitution afférant aux prérogatives du Président et aux modalités de révocation des ‎détenteurs de certaines fonctions publiques assermentées.‎

Elle a été déclenchée à cinq reprises dans l’histoire des Etats-Unis contre des présidents, mais aucune ‎n’a abouti à sa destitution réelle. Elle a visé deux présidents démocrates (Andrew Johnson en 1883 et ‎Bill Clinton en 1998) et deux présidents républicains (Richard Nixon en 1974 et Donald Trump en janvier ‎‎2019 et janvier 2021). Johnson, Clinton et Trump ont été acquittés par le Sénat des Etats-Unis réuni en ‎juridiction ad hoc, alors que Nixon avait démissionné avant la finalisation de l’acte d’accusation par la ‎chambre des Représentants. ‎

Notons que les deux procédures engagées contre Trump impliquaient Joe Biden à son corps défendant ‎car rien ne réunit les deux hommes. Biden est introverti jusqu’à l’effacement, Trump extraverti jusqu’à ‎l’empiètement sur les autres. Le premier est humble, le second tapageur. Ce qu’ils auront eu en ‎commun, c’est d’avoir été l’un et l’autre les hommes d’un seul mandat. Le premier par choix, le second ‎la mort dans l’âme et après avoir envisagé une deuxième guerre de sécession dont le spectre ne s’est ‎pas encore éloigné.‎

Hier l’acte d’accusation a été voté par la chambre des Représentants et devait être transmis au Sénat à ‎qui il revient d’instruire et de juger l’affaire. Le vote démocrate ne suffira pas pour condamner Trump, ‎il faudra l’appoint de 17 sénateurs républicains pour atteindre le quorum les 2/3 des voix requis pour ‎obtenir la destitution, ce qui est loin d’être acquis. Il y a par ailleurs la question des délais, le mandat de ‎Donald Trump venant à expiration le 20 janvier à midi. ‎

Les Démocrates se sont hâtés de déclencher la procédure pour marquer le coup après l’attaque du ‎Capitole le 6 janvier et tirer la sonnette d’alarme de la conscience américaine. Sachant mieux que ‎personne d’autre les conditions attachées à la mise en branle de la procédure, ils cherchent surtout à ‎empêcher le retour de Donald Trump à l’activité politique en espérant qu’il lui sera fait application de la ‎section 3 de l’article I de la constitution selon lequel « Les condamnations prononcées en cas d’« ‎impeachment » ne pourront excéder la destitution et l’interdiction d’occuper tout poste de confiance ou ‎d’exercer toute fonction honorifique ou rémunérée des États-Unis… » ‎

Ils avaient d’abord souhaité l’acculer à la démission volontaire, puis sollicité le vice-président Mike ‎Pence afin qu’il déclenche la mise en œuvre de l’amendement 25, mais n’ont pas obtenu satisfaction. ‎La procédure semble donc vouée à faire chou blanc encore une fois, mais l’espoir d’exfiltrer Donald ‎Trump de la vie politique reste permis puisque le droit américain prévoit la poursuite devant des ‎juridictions ordinaires du Président une fois devenu simple justiciable pour les faits qui lui ont valu ‎cette procédure. Et ce ne sont pas les chefs d’accusation de toute nature qui manquent, il y en a à la ‎pelle.‎

Il existe notamment dans le dispositif juridique américain un texte dit « Loi sur l’empiètement » stipulant ‎que « quiconque pénètre ou demeure volontairement dans un bâtiment ou une zone sans autorisation légale ‎avec pour intention de déranger le fonctionnement normal des activités du gouvernement ou des fonctions ‎officielles, nuisant à l’ordre public dans ou à proximité de tels bâtiments ou zones restreintes, ou empêche et ‎dérange la conduite des affaires gouvernementales et des fonctions officielles sera puni d’une amende ou d’un ‎emprisonnement de moins de 10 ans, ou des deux ». ‎

Revenons à l’étrange 25e amendement qui a fait son entrée dans la constitution américaine en 1967 et ‎qui accroit la sensation de fragilité du système institutionnel américain puisque, à l’en croire, il suffit ‎d’une simple déclaration signée par les deux-tiers d’une équipe gouvernementale pour que le ‎Président des Etats-Unis soit destitué.‎

Une entente entre un vice-président et un petit nombre de responsables (une dizaine de ministres), ‎un complot aussi facile à fomenter peut donc contrebalancer en toute légalité le poids du corps ‎électoral et mettre le pouvoir entre les mains du vice-président sans autre forme de procès, sans coup ‎férir… De quoi donner des idées aux complotistes et des scenarios de films à Hollywood. ‎

Voici ce que dispose cet article dans sa section 4 : « Si le vice-président, ainsi qu’une majorité des ‎principaux fonctionnaires des départements exécutifs ou de tel autre organisme désigné par une loi ‎promulguée par le Congrès, font parvenir au président du Sénat et au président de la Chambre des ‎représentants une déclaration écrite les avisant que le président est dans l’incapacité d’exercer les ‎pouvoirs et de remplir les devoirs de sa charge, le vice-président assumera immédiatement ces ‎fonctions en qualité de président par intérim ». ‎

Un autre sujet incite à l’interrogation dans l’ambiance de psychose régnant actuellement en ‎Amérique : le péril représenté par des milices armées favorables à Donald Trump. ‎

D’abord ce mot n’a pas la connotation négative qui lui est accolée hors d’Amérique. On le trouve en ‎bonne place dans la Constitution américaine sous le nom de 2e amendement : « Une milice bien ‎organisée étant nécessaire à la sécurité d’un Etat libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de ‎porter des armes ne sera pas transgressé ». Les rédacteurs de cet article n’avaient pas à l’esprit ‎la milice conçue comme renfort aux forces de l’ordre dont il est question dans l’article relatif au ‎Président, commandant en chef des armées, mais la milice formée à l’initiative du peuple. En ‎revanche, c’est ce qu’ont à l’esprit les partisans de Trump.‎

Dans un article intitulé « L’idéal américain » paru dans le quotidien algérien « Le soir ‎d’Algérie » daté du 29 mai 2014 j’écrivais ceci à propos du 2e Amendement : « Il faut savoir que ‎ce dernier n’a pas été inscrit dans la constitution pour répondre au besoin de légitime défense ‎des citoyens américains, mais pour leur donner les moyens de s’opposer à leur gouvernement ‎par les armes dans le cas où celui-ci venait à tomber entre les mains de despotes. C’est cela le ‎sens de cet amendement qui tire sa légitimité du troisième paragraphe de la « Déclaration ‎d’indépendance » (1776) où on lit : « Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour ‎garantir (ces) droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les ‎fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la ‎changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement… Il est de son droit, il est de son ‎devoir de rejeter un tel gouvernement…» C’est pour donner aux citoyens les moyens de mettre ‎en œuvre ce droit, ce devoir, que cet amendement a été proposé et ratifié en 1791… Les ‎révolutionnaires français reprendront à leur compte cette idée puisqu’on la retrouve dans la ‎‎« Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789 »… De ce vieux principe est restée ‎la liberté du port d’arme malgré les massacres qui ponctuent périodiquement la vie américaine ‎et dont le dernier en date, il y a une semaine, a été la fusillade de Santa Barbara ».‎

L’Amérique tient dans les événements auxquels elle fait face l’occasion de refonder son système ‎électoral sur la base des enseignements tirés ou qui restent à tirer des crises qui ont marqué les ‎élections présidentielles de Bush junior à Biden, sinon elle ira vers de nouveaux déboires. Le ‎Trumpisme n’est pas un accident de parcours, Donald Trump s’est trouvé au bon moment et au ‎bon endroit pour porter une aspiration d’essence populiste devenue universelle.

14 Janvier 2021

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