Il y a quelques mois encore, nous rêvions de tenir notre deuxième Congrès Ordinaire dans la joie des retrouvailles et le sentiment du devoir accompli, mais voilà que l’intensification de la tragédie qui s’est abattue sur notre pays nous oblige à le tenir dans la tristesse et la sobriété.
Tenir un congrès en de pareilles circonstances s’apparente presque à un exploit tant il est devenu périlleux de voyager loin ou de s’imposer des dépenses supplémentaires en ces temps d’insécurité et de crise économique.
Mais nous ne pouvions, les uns et les autres, retarder cette échéance, car il nous fallait rendre compte de notre gestion, évaluer ensemble le chemin parcouru, rappeler à l’opinion publique nos positions face aux dernières évolutions, et enfin remettre entre les mains de ce Congrès le mandat que le précédent nous avait confié.
Le Secrétaire général vous présentera dans un moment le bilan moral et matériel de notre parti depuis sa fondation. Quant à moi, je voudrais rappeler brièvement les grandes lignes de l’analyse qui sous-tend habituellement nos prises de position.
Parmi les causes majeures qui ont précipité notre pays dans l’état de guerre déclaré qui le caractérise actuellement, le PRA aperçoit, en premier lieu, L’OBSTINATION DES HOMMES ET DES INTERETS QUI ONT TOUJOURS COMPOSE LE POUVOIR ALGERIEN A REFUSER DE TOUTE LEUR ENERGIE QUE L’ALGERIE SE DOTE D’UN ETAT DE DROIT ISSU DE LA VOLONTE DU PLUS GRAND NOMBRE ET QUE DES PRINCIPES DEMOCRATIQUES LE GOUVERNENT DANS LA TRANSPARENCE.
Cette mentalité qui avait ses justifications dans un passé encore proche a empêché que les nouvelles générations, les élites et les forces naturelles qui se font jour dans toute société se sentent concernées par les affaires de leur pays et, plus grave encore, les a incitées à haïr de tout leur être un pouvoir incompétent qui les a trompées, frustrées de toute participation à la définition de leur propre destin et privées de toute perspective d’avenir.
C’EST CETTE OBSTINATION QUI A FAIT QUE NOTRE PAYS N’AIT, APRES TRENTE LONGUES ANNEES, REUSSI A ERIGER AUCUNE INSTITUTION FIABLE, AUCUN SECTEUR ECONOMIQUE VIABLE, AUCUN CONTENU D’ENSEIGNEMENT CAPABLE DE FORGER DES CITOYENS PORTEURS DE CONSCIENCE CIVIQUE ET SOCIALE.
On a vu à l’œuvre cette obstination au cours des dernières années et enregistré ses résultats : des milliers de morts, une fuite généralisée vers l’étranger, la transformation de l’Etat en faction de combat, de premiers appels à l’ingérence étrangère et la répression de partis d’opposition démocratiques et pacifiques comme le PRA.
Ce pouvoir qui rappelait fièrement et ponctuellement à la nation qu’il était le produit de la force est, aujourd’hui, confronté au sous-produit de sa propre mentalité, la violence.
Une violence qu’il est de plus en plus impuissant à vaincre en dépit de ses désirs et de ses moyens.
Il est devenu évident que les torrents de haine qui se sont formés depuis deux ou trois années menacent d’emporter le pouvoir, l’État et la société à la fois, et qu’il faut de profonds changements, d’extraordinaires moyens de persuasion et de véritables prouesses politiques et économiques pour transformer cette dérive tragique en dynamique de construction associant tous les Algériens et toutes les Algériennes afin que NOTRE NATION, TANT EPROUVEE PAR L’HISTOIRE, ENTREPRENNE DE DEVENIR ENFIN UN PAYS NORMALISE, PACIFIQUE, DEVELOPPE ET CIVILISE.
Des milliers d’Algériens innocents sont déjà tombés pour que les survivants soient sommés de prendre conscience du danger qui plane sur eux et sur la patrie. Il faut que cesse l’assassinat des intellectuels, des Journalistes, des agents des forces de l’ordre et autres citoyens. Il faut que cesse également la répression aveugle et sur simple présomption qui nourrit le feu de la violence.
L’heure de l’apaisement doit sonner au plus vite car les familles, les orphelins et les veuves des Algériens à qui on a ôté la vie sont trop nombreux. Une peur panique s’est emparée des autres. Les taches publiques de sauvegarde des personnes et des biens ne peuvent plus être accomplies, la criminalité sévit massivement et ouvertement. Nous ne sommes pas loin de l’anarchie et du chaos final. Et pourquoi tout cela ?
AU LIEU DE RECHERCHER SINCEREMENT ET INTELLIGEMMENT LE MOYEN D’IMPLIQUER LA NATION DANS LE CHOIX DE SOLUTIONS DEFINITIVES, LES HOMMES ET LES INTERETS QUI CONSTITUENT LE POUVOIR ALGERIEN DEPUIS TOUJOURS S’OBSTINENT A LUI IMPOSER DES GOUVERNEMENTS, DES COMITES ET AUTRES COMMISSIONS QUI NE REPRESENTENT RIEN ET NE REGLERONT RIEN.
ILS N’AGISSENT AINSI QUE PARCE QU’IL VOULANT EVITER COUTE QUE COUTE LA MISE EN PLACE D’UNE SCENE POLITIQUE TRANSPARENTE, DE REGLES DE FONCTIONNEMENT CLAIRES ET OPERANTES, ET SURTOUT L’EMERGENCE DE DIRIGEANTS POLITIQUES NOUVEAUX, CREDIBLES ET COMPETENT.
TANT QUE CETTE MENTALITE ET CES RUSES IMPRODUCTIVES CONTINUERONT A PRESIDER A LA DIRECTION DU PAYS, LE FOSSE IRA EN S’ELARGISSANT ENTRE LE POUVOIR ET LE RESTE DE LA NATION.
Et ce ne sont pas les complicités rencontrées auprès de certains partis alléchés par la perspective d’accéder au pouvoir sans avoir à passer par la légitimation populaire, qui fortifieront les structures préfabriquées que le HCE a mises en place depuis deux ans ou qu’il projette de mettre sur pied pour on ne sait combien de temps encore.
S’agissant du dialogue national, le PRA en approuve naturellement le principe mais considère que son objectif ne doit pas être de maintenir en place un pouvoir illégitime ou de l’élargir à des états-majors de partis au terme de négociations occultes, mais d’aboutir à remettre entre les mains des citoyens et des citoyennes la faculté de décider et de choisir entre plusieurs programmes politiques concurrents.
Si transition supplémentaire il doit encore y avoir, car de toute façon L’ALGERIE N’EST JAMAIS SORTIE DU PROVISOIRE ET DU TRANSITOIRE, elle doit être comprise comme l’intervalle de temps séparant l’annonce de la date de reprise du processus électoral, du déroulement effectif des premières élections.
C’est à cette seule condition que le dialogue national pourra avoir un sens et un objet : celui de fixer les modalités d’organisation de la consultation populaire, de définir les critères d’éligibilité des candidats, de mettre au point et de faire adopter les principes intangibles sur lesquels reposera le futur Etat, et enfin d’assurer un traitement égal aux diverses tendances en compétition.
Et quand nous parlons d’élections, il s’agit bien sûr des élections présidentielles, car c’est le seul bout par lequel il soit encore possible de reprendre les choses compte tenu du point où elles en sont.
S’il n’est plus permis de rêver d’une réconciliation nationale qui ramènerait les Algériens à la situation affective, morale, politique et sociale qu’ils connaissaient jadis, il est du moins autorisé de penser que l’on pourra voir leurs différences et leurs divergences reconnues mutuellement, respectées réciproquement, mesurées statistiquement et gérées pacifiquement comme c’est le cas dans les pays civilisés.
Si le dialogue national pouvait aboutir à l’engagement de tenir avant le mois de juin 1994 les élections présidentielles, à confier leur organisation à une structure représentant l’institution présidentielle qui sera bientôt mise en place et les partis politiques, la transition dont il est tant question pourrait alors servir effectivement à quelque chose.
La vie politique reprendrait ainsi normalement et l’accès aux médias porteurs permettrait de sensibiliser les citoyens sur les conséquences de leurs choix et de cultiver en eux le sens de la responsabilité.
Une fois le nouveau président de la République élu de manière incontestée, celui-ci, fort d’une majorité populaire à l’intérieur et de la reconnaissance de tous les pays du monde à l’extérieur, et lié par les engagements auxquels il aura souscrit quand il n’était que candidat, serait particulièrement qualifié pour proposer au pays les nécessaires amendements constitutionnels, ouvrir une véritable concertation avec l’ensemble des forces politiques, prendre les mesures d’apaisement souhaitables et, enfin, préparer avec le Gouvernement d’union nationale dont il se sera entouré, les élections législatives puis communales qui parachèveront la construction du nouvel édifice institutionnel algérien.
Ce Président-là ne sera pas un homme providentiel mais, plus modestement, un homme légitime, tout autant que le président de n’importe quel pays démocratique au monde n’est pas un homme providentiel mais simplement un homme légitime.
En cinq ans, le nouveau président de la République, seul et unique garant de la Constitution, chef suprême des forces armées et premier magistrat du pays, aura toute latitude pour mener à son terme l’édification d’un système institutionnel fondé cette fois non pas sur la détention de la force ou la complice de groupes de pressions en possession quelque « capacité de nuisance », mais sur la légitimité, la crédibilité et la compétence.
Du point de vue du PRA, et nous appelons les médias et l’opinion publique à en être témoins, aucune autre solution, fut-ce un dialogue direct entre le pouvoir actuel et des représentants de l’ex-FIS ou des groupes armés eux-mêmes, ne sera à même de ramener pour de bon la paix et la concorde sur la terre algérienne.
Il ne s’agit plus de chercher à négocier, à partager le pouvoir entre factions hostiles ou à réussir un compromis entre forces et intérêts antagonistes (ce qui ne serait que revenir aux mécanismes et manigances qui sont à l’origine de tous nos drames actuels et persister dans l’erreur de vouloir se substituer à la volonté générale), mais de se décider enfin à suivre le mode d’emploi universel pour construire un État durable.
Il s’agit de normaliser, de se conformer au bon sens, de bâtir sur du solide comme on dit dans le langage courant.
AU DEMEURANT, CE N’EST PAS SEULEMENT UN ETAT DE DROIT QU’IL FAUT CONSTRUIRE MAIS LA SOCIETE ALGERIENNE ELLE- MEME CAR LES VIOLENCES EN COURS, LA SAUVAGERIE AVEC LAQUELLE SONT COMMIS MEURTRES, ASSASSINATS ET AUTRES ACTES DE VENGEANCE, DEMONTRENT QUE QUELQUE CHOSE DE GRAVE, D’EXTREMEMENT GRAVE, A AFFECTE POUR TRES LONGTEMPS LE CONSCIENT ET L’INCONSCIENT DES INDIVIDUS QUI CONSTITUENT NOTRE PEUPLE.
Au-delà du problème du pouvoir, c’est celui de l’homme algérien et des représentations mentales qu’il porte qui est essentiellement en cause.
MAIS POUR REFORMER LE SECOND, IL EST NECESSAIRE DE REUSSIR LA REFORME DU PREMIER AFIN QU’IL PUISSE EFFECTIVEMENT AGIR ET DETERMINER LE COMPORTEMENT GENERAL DE LA COLLECTIVITE. VOILA POURQUOI LE PRA PENSE LE DRAME ALGERIEN EN TERMES DE PROJET DE SOCIETE ET NON DE PARTAGE DU POUVOIR.
Paix pour l’âme de ceux qui sont tombés, Paix pour l’Algérie meurtrie, Paix pour l’Algérie de toujours !
« El-Watan » du 27octobre 1993