Malek Bennabi est mort un 31 octobre (1973), comme l’islamologue français Louis Massignon (1962). Dans l’histoire coloniale algérienne, cet homme a été à l’origine de beaucoup de décisions destinées à contrarier la marche des Algériens vers la liberté et, plus tard, à infiltrer la révolution algérienne pour la faire échouer. C’est dans cet esprit que son nom est cité avec celui de Jacques Soustelle, Gouverneur d’Algérie, dans la « Plateforme de la Soummam ».
Louis Massignon a joué le même rôle dans l’histoire coloniale du Maroc où il a été l’inspirateur du « Dahir berbère » en 1930, et un ami et conseiller du maréchal Lyautey, Résident général du Maroc sous le protectorat.
Les deux hommes ont réussi à faire avec un adolescent marocain, Mohammed Abdeljalil, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire avec deux jeunes Algériens, Bennabi et Hamouda Ben Sai: les convertir au christianisme.Massignon s’est attaché sa vie durant à rechercher les cas de musulmans ayant apostasié ou s’étant convertis au christianisme : al-Hallaj, al-Ouazzani, Abdeljalil, Naroun et d’autres. Aucun sujet ne l’a intéressé plus que celui-là.
Il parle dans un de ses écrits de « l’apostasie momentanée de Cheikh San’ân , au Caucase, qui se fit chrétien pour vivre auprès de sa Béatrice », ainsi que de « Hermine, princesse d’Antioche, convertie au Christ par amour pour Tancrède, blessé et mourant » (« A propos d’un tableau de Poussin » (1947) in « Opera Minora », T.1. )Jean-Mohammed Abdeljalil (1904-1979) est un jeune marocain qui, après des études à l’école Charles de Foucauld tenue par des Français à Rabat, est envoyé en 1925 en France par le maréchal Lyautey pour poursuivre des études à la Sorbonne.
Il se convertit au catholicisme en 1928 et dira plus tard : « Alors que je n’étais pas décidé à devenir chrétien, Dieu s’est servi de moi par quelqu’un de très grand. Il suffit que je vous le nomme : le maréchal Lyautey. Je le connaissais très bien.
En effet, il avait l’habitude chaque année de venir dans chaque classe des lycées du Maroc… Souvent il m’invitait à dîner le soir chez lui… » (P. Assouline, « Les nouveaux convertis », Ed. A.Michel, Paris 1982).
On peut lire dans un livre-hommage qui lui a été consacré (« J.M. Abdeljalil, témoin du Coran et de l’Evangile », Ed. du Cerf, Paris 2004 ») la confirmation de ce fait : « Il avait fait connaissance de Massignon, alors professeur au Collège de France, qui avait beaucoup d’influence sur lui. Massignon a d’ailleurs été son parrain. Sa conversion a été foudroyante ».
Dans un article autobiographique (« Témoin d’un tard venu à l’Eglise ») publié en 1967 dans les « Cahiers de vie franciscaine », ordre auquel il a appartenu depuis sa conversion jusqu’à sa mort, Jean Mohammed Abdeljalil écrit : « Une des plus grandes grâces de ma vie fut et demeure celle d’avoir pu rencontrer, écouter, interroger, fréquenter, aimer des personnalités exceptionnelles. Deux au moins d’entre elles étaient des génies : Louis Massignon et Pierre Teilhard de Chardin.
Un des plus grands hommes de la France du XX° siècle, le maréchal Lyautey, m’a considéré et traité comme un véritable ami, malgré la différence d’âge ; et cela absolument sans rien d’équivoque, sans rien de ce que d’aucuns disent avoir remarqué dans ses rapports avec les jeunes éphèbes ». Il appelait Massignon « Mon merveilleux parrain ».
Le Pape Paul VI lui a écrit une lettre en 1938 pour l’assurer qu’il s’intéressait à ce qu’il faisait. En 1966, il a été reçu en audience privée par le Pape. Il a passé les quinze dernières années de sa vie dans d’atroces souffrances dues à un cancer de la langue qui l’avait condamné au silence.
Dans un texte de 1952, Massignon fait état de ce que pensent de lui deux personnalités algériennes : Hamouda Ben Saï et Cheikh Bachir al-Ibrahimi : « Le chef des Ulémas réformistes d’Algérie a considéré dans « Al-Bassaïr » que j’avais mis vingt-cinq ans à me construire une espèce de « masque », que j’étais le pire agent de la cinquième colonne et que c’était évidemment la cinquième colonne colonialiste qui opérait à travers mon masque de mystique « L’Occident devant l’Orient : primauté d’une solution culturelle » 1952, Opera Minora , T. 1).
Plus profondément, l’objection m’a été faite, d’une manière qui m’a fait beaucoup de peine, par un autre musulman algérien, M. Mohamed Ben Saï de Batna, ancien président des étudiants nationalistes nord-africains de Paris, un homme qui réfléchit. Il mène une vie très retirée, mais c’est une des têtes de l’opposition à la francisation en Algérie. Un jour où il était malade à Paris (où je lui avais fait préparer un diplôme d’études supérieures à la Sorbonne), il m’écrivit ceci : « Je ne me pardonne pas de vous avoir aimé, parce que vous m’avez désarmé. Vous avez été pire que ceux qui ont brûlé nos maisons, qui ont violé nos filles ou enfumé nos vieillards. Vous m’avez désarmé pendant plusieurs années de ma vie en me laissant croire qu’il y avait une possibilité de réconciliation et d’entente entre un Français qui est chrétien et un Arabe qui est musulman ».
