« En vérité, une nation n’est jamais faite. La nation est toujours en train de se faire ou de se défaire… Ou elle est en train de gagner des adhésions ou d’en perdre, suivant que son État représente ou non une entreprise vivante à l’époque dont il s’agit » (José Ortega Y Gasset).
Les déclarations du président Macron sur l’Algérie devant un groupe de jeunes en présence d’un journaliste du « Monde » – donc avec la pleine conscience qu’elles seront rapportées – ont eu un effet immédiat sur la relation algéro-française promise à de nouveaux tourments qui auront des conséquences préjudiciables aux intérêts des deux parties dans un contexte international marqué par des mutations géopolitiques qui vont remodeler le monde euro-méditerranéen.
Il était déjà difficile de faire face aux problèmes du présent, dont celui du rapatriement des Algériens refoulés du territoire français, pour réveiller les vieux démons et interroger l’histoire sur l’existence ou l’inexistence de la « nation » algérienne avant la colonisation, d’autant que Zemmour ne rate aucune occasion de dire n’importe quoi sur l’Algérie. Mais lui n’est pas président de la République, et pas encore candidat à la prochaine élection.
La définition basique de la « nation » est l’existence d’un peuple vivant sur un territoire délimité, ayant une ou plusieurs langues, une ou plusieurs religions, une ou plusieurs cultures et un ou plusieurs modes de gouvernement. Il n’en faut pas plus pour adhérer à l’ONU. S’il n’y avait pas une nation algérienne, il n’y aurait pas eu décolonisation et « Guerre d’Algérie », ni blessures incurables et rancœurs inconsolables des deux côtés. Cette question a été agitée pendant la période coloniale sous différents intitulés (Nation en formation, Algérianisme…) pour justifier l’annexion de l’Algérie à la France, mais à quel enjeu répond-elle aujourd’hui ?
La notion d’État-nation est récente dans l’histoire humaine. Avant, tous les peuples appartenaient à une aire de civilisation, ils procèdent de l’une ou de l’autre. Tous les pays sont nés un jour ; aucun n’était là à l’apparition de l’Homme. A la faveur des mutations géologiques, climatiques, biologiques, culturelles et historiques, l’espèce humaine s’est progressivement organisée pour sa survie en familles, hordes, tribus, cités, empires, civilisations puis, à l’ère moderne, en États nationaux. On délimitait les territoires et les idéologies comme font les animaux pour s’assurer d’un espace vital, et les guerres ont longtemps eu pour cause principale la possession de quelques kilomètres carrés ou le prosélytisme religieux ou idéologique.
Peu de peuples savent où ils étaient il y a quelques millénaires, d’où ils viennent avec certitude, ni pourquoi ils sont là plutôt qu’ailleurs. Des pays sont nés de l’émigration, comme les Etats-Unis d’Amérique, de guerres de libération ou d’accords entre les grandes puissances comme beaucoup d’anciennes colonies africaines, de la scission de grands ensembles par suite de mésentente religieuse (Inde-Pakistan, Soudan-Sud-Soudan) ou idéologique (les deux Chine, les deux Allemagnes, les deux Corée, les deux Vietnam, les deux sous-territoires palestiniens…)
Tout le monde a été un jour ou l’autre soit conquérant, spoliateur ou colonisateur, soit barbare, étranger, colonisé, « dhimmi », déporté, apatride, immigré, réfugié, exilé, « harraga », etc, et beaucoup d’hommes en vie ne savent pas sous quelle terre ou dans quelle mer ils finiront leurs jours. On émigre pour fuir la misère, la dictature, le fanatisme religieux, la guerre, la mort, et pourtant c’est à la mort presque certaine que l’on s’achemine quand on emprunte des embarcations de fortune pour parcourir des centaines de lieues en vue de rallier des destinations incertaines.
Les mutations géologiques, climatiques, culturelles et historiques qui ont façonné la planète sont toujours à l’œuvre, et nous assistons de nos jours à la formation d’une nouvelle carte de l’occupation des terres émergées. Des territoires sont menacés de disparition sous l’effet de la montée du niveau des mers et des océans, condamnant leurs peuples à se retrouver sans pays, et des pays fertiles se vident de leur population pour des causes politiques ou religieuses. Que deviendront ces peuples sans terre et ces terres abandonnées par peur de dirigeants tyranniques ou de hordes fanatiques ? Qui accueillera les premiers ? Qui héritera des secondes ? Que deviendront les idéaux de patriotisme, de nationalisme, de civilisation, de tolérance et d’humanisme qui ont bercé la longue marche d’Homo erectus ?
Éric Zemmour qui descend d’une lignée juive berbère assez ancienne pour porter un patronyme spécifiquement berbère (qui signifie « olive ») est lui-même une preuve de l’existence de la nation algérienne sous un nom ou un autre.
Lui qui veut changer les prénoms non conformes à la loi du 11 germinal de l’An XI (1er avril 1803) prise vingt-sept ans avant l’invasion de l’Algérie par la France, est né dans une « enclave islamique » (Seine-Saint-Denis) et a été affublé d’un prénom d’origine scandinave qui ne fait partie ni du calendrier grégorien ni de l’almanach des saints chrétiens ou juifs. Il a fait son apparition dans l’état-civil français pour la première fois en 1947
.
Il ignore que les prénoms musulmans viennent pour la plupart de la Bible et de ses deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, le judaïque et le chrétien. En voici quelques-uns : Adam, Noé (Nouh), Abraham (Ibrahim), Sarah (Sara, épouse d’Abraham), Moïse (Moussa), Ismaël, Isaac (Ishaq), Jacob (Yakoub), Joseph (Youcef), David (Daoud), Salomon (Soleiman), Elyas (Lyes),) Marie (porté par la sœur de Moïse et Aaron (Haroun) et, deux mille ans plus tard, par la mère de Jésus (Aissa)…
Si Napoléon vivait aujourd’hui, il n’aurait pas songé à dresser 15% des Français qui portent un nom arabe ou musulman contre leur État et ses lois. Zemmour appartient à cette catégorie d’étrangers « assimilés » devenus plus français que les Français à l’instar de Bruno Mégret le Grec ou de Jean Messiah le Copte égyptien qui voulaient fermer derrière eux la porte de la France et transformer la politique, « art du possible », en art de déconstruction de la société qui les a accueillis.
José Aboulker, leader de la résistance juive contre le régime de Vichy et l’occupation allemande et député communiste d’Alger a rendu en 1986 un hommage à l’attitude des Algériens devant les malheurs juifs pendant la deuxième guerre mondiale, écrivant : « Les Arabes n’ont pas pris parti dans la guerre. Ce n’était pas leur guerre. Avec les Juifs, ils ont été parfaits. Non seulement ils ont refusé la propagande et les actes anti-juifs auxquels les Allemands et Vichy les poussaient, mais ils n’ont pas cédé à la tentation des bénéfices. Alors que les Pieds-Noirs se disputaient les biens juifs, pas un Arabe n’en achetait. La consigne en fut donnée dans les mosquées : « Les Juifs sont dans le malheur, ils sont nos frères » (Cf. « Les Juifs d’Algérie : 2000 ans d’histoire »).
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