Home ARTICLESLa problématique algérienne2011-2016 ‎4e MANDAT : LA FABLE DE L’OCCASION QUI VAUT MIEUX QUE LE NEUF‎

‎4e MANDAT : LA FABLE DE L’OCCASION QUI VAUT MIEUX QUE LE NEUF‎

by admin

Dans quelques petits mois l’Algérie bouclera ses cinquante-deux ans de pays indépendant.

En survolant les deux mille ans de notre histoire connue, on constate que nous en avons ‎passé une moitié sous domination étrangère et l’autre morcelés en royaumes de type ‎théocratique, provinces ottomanes ou tribus livrées à elles-mêmes.

Et quand on examine nos cinquante-deux ans d’indépendance, c’est pour constater qu’elle se ‎décompose en deux moitiés égales, la première passée sous le joug du parti unique qui s’est ‎terminée dans le sang des journées d’octobre 1988 – suivies d’une décennie de terrorisme ‎dont le bilan se chiffre en centaines de milliers de morts – et la seconde à chercher nos ‎marques dans une FAUSSE DEMOCRATIE QUI S’EST MUEE EN PRESIDENCE A VIE ET ‎VOYOUCRATIE.

Une troisième constatation peut être faite : dans la première moitié de notre histoire d’Etat ‎indépendant, Bouteflika était là, au cœur du pouvoir, et dans la seconde moitié il est ‎toujours là, à la tête du pouvoir depuis quinze ans. Il va peut-être rester à son poste pour ‎cinq, dix ou quinze autres années si Dieu lui prête vie, avec ou sans notre gré, avec ou sans ‎vote, avec ou sans concurrent (comme en 1999).

Ayant surmonté le seul obstacle qui pouvait nous éviter cette perspective pleine ‎d’incertitudes, le « hya », nous pouvons lui dire, reprenant une parole du Prophète : « Ifâl ‎machi’t! » (Fais ce qui te plait !)

Je me rappelle de cette soirée de 1994 où il m’avait accosté à l’hôtel « El-Dazaïr » pour me ‎parler notamment de son refus de l’offre qui lui avait été faite de prendre la direction de ‎l’Etat. A un moment de la discussion il m’avait dit: « Bakri kount n’rabbi-l-kabda âla soulta » ‎‎(avant je tenais au pouvoir ; plus maintenant).‎

C’était la première fois que nous nous parlions. Il m’avait envoyé en 1991 un émissaire pour ‎le rencontrer mais j’avais décliné la proposition. Il m’en a envoyé d’autres en 1999 alors que ‎je menais campagne contre sa candidature, sans plus de succès. Feu Larbi Belkheir tenta en ‎dernière instance de nous faire rencontrer avant l’élection, mais je suis resté sur ma ‎position.

Quand il a été élu, je lui ai envoyé la lettre que j’ai rendue publique la semaine dernière. ‎Reste à expliquer pourquoi je suis entré dans son gouvernement en décembre 1999 : je ‎réserverai peut-être un écrit à ce sujet un jour…

Ayant usé et abusé du pouvoir pendant trois mandats successifs, je pensais qu’il n’oserait pas ‎briguer un quatrième dans l’état où il était et qu’il consacrerait ses ultimes forces à assurer ‎une succession en douceur au pays.

JE SAIS MAINTENANT QU’IL S’EN FOUT ROYALEMENT ET QU’IL NOUS LACHERA ‎VOLONTIERS DANS LE VIDE, SANS PARACHUTE.

On comprend clairement désormais la motivation du 4e mandat : l’homme veut rester au ‎pouvoir jusqu’à son dernier souffle, quitte à rempiler une cinquième ou sixième fois. Il est né ‎dans le pouvoir, ça a été son premier job, il n’a jamais rien fait d’autre, et il y mourra. Une ‎qualité particulière lui a permis cette longue carrière : la ruse, ou le « dribblage » comme ‎aurait dit l’autre. ‎

Sun Tzu que j’ai cité plusieurs fois ces derniers temps a synthétisé l’art militaire en une ‎phrase : « Tout l’art de la guerre est basé sur la duperie. C’est pourquoi lorsque vous êtes ‎capable, feignez l’incapacité ; actif, la passivité. Proche, faites croire que vous êtes loin, et ‎loin que vous êtes proche. Appâtez l’ennemi pour le prendre au piège ; simulez le désordre ‎et frappez-le… » ‎

Notre Prophète a dit quelque chose comme ça mais lui, comme Sun Tzu, visait l’ennemi, pas ‎l’ami, le frère, le coreligionnaire ou le compatriote.

Le président-candidat invalide a inversé les termes de la directive pour la plier aux besoins ‎de l’art politique adapté à son état et, ce faisant, tromper ses ennemis, c’est-à-dire dire ses ‎compatriotes. La formule est devenue : « Tout l’art de la politique est basé sur l’affabulation. ‎C’est pourquoi lorsque vous êtes incapable, feignez la capacité ; passif, l’activité. Loin, faites ‎croire que vous êtes proche… » (le reste sans changement).

C’est pourquoi on sature d’images les Algériens avec des photos qui datent pour faire croire ‎que c’est le même homme qui est à la présidence, et que ses porte-parole se succèdent pour ‎répéter à nous étourdir qu’il a une santé resplendissante, qu’il a la pêche et pète le feu. ‎Nous n’avons rien entendu de sa bouche, et on nous dit qu’il est intarissable. On a vu son ‎regard hébété, et on nous dit que son cerveau est supérieur à tous les nôtres réunis.

Une chose aurait pourtant suffi pour leur éviter tant d’efforts : qu’on le voie marcher, qu’on ‎l’entende parler, qu’un journaliste indépendant lui pose en direct à la télévision des ‎questions, qu’on écoute ses réponses et jugions par nous-mêmes de l’état réel de ses ‎facultés, et non par « berrahin » interposés. ‎

Ceux-là, personne ne les croit car dans leur zèle ils veulent nous persuader que derrière la ‎masse affalée de l’homme qu’on a vu à la télévision se cache… Hulk « al-Âdjib » ! ‎
Ceux-là constituent « ahl-al-kadhb wal-akd ». Ils savent qu’ils mentent, que ce qu’ils disent ‎est faux mais ils le font parce que tel, parce que là est leur intérêt personnel. Si cet intérêt ‎avait été ailleurs, ils auraient menti avec la même force de persuasion pour le compte de ‎cet ailleurs.

Avec eux les lois sont piétinées, le « hya » banni, les moyens de l’Etat mobilisés au profit de ‎leur candidat, et ils demandent aux autres, in fine, de ne pas recourir à l’insulte envers eux. ‎Mais qui, dans les faits, ne cesse d’insulter son monde ? Benyounes et Sellal ont insulté l’un ‎les pères des Algériens, et l’autre une de leurs régions. Ces paroles leur auraient échappé ? ‎Alors que doivent-ils dire quand ils sont entre eux ? Ils méritent pis que pendre.‎
Dans son enthousiasme incontrôlable, Benyounes profère des bourdes à chacune de ses ‎prises de parole. Il a commencé par nous révéler qu’on gouverne avec la tête et pas avec les ‎jambes dans son infinie ignorance qu’un AVC frappe d’abord la tête ; puis nous apprendre ‎sur le ton de la confidence que le cerveau du président fonctionne mieux que les nôtres et, ‎enfin, flétrir ceux qui ne soutiennent pas sa cause d’un vulgaire « inal bou… ». Comment va-‎t-il terminer la campagne ? ‎

J’ai une gentille fable à lui proposer, celle de « L’aveugle et le paralytique » de Jean-Pierre ‎Clarisse de Florian (XVIIIe siècle) que je lui recommande d’aller vite lire pour en extraire la ‎solution-miracle qui nous convaincra de l’opportunité du 4e mandat : associer le cerveau de ‎Bouteflika et ses jambes à lui pour battre le record de Bolt et surclasser Einstein.‎

Sellal, lui, évoque le personnage de « Bahloul et la porte », un texte jadis enseigné dans les ‎écoles primaires algériennes dans les leçons de lecture. Chargé de garder une porte mais ‎devant se déplacer, l’abruti la démonte, la met sur son dos et s’en va ainsi bardé…‎

Pour beaucoup moins que ça, pour avoir voulu, dans une émission télévisée remontant à ‎mars 1990 expliquer la différence entre la notion de « moujtamâa » (société organisée) et ‎un nombre d’individus non-organisés (« ghachi »), j’avais recouru à ce mot populaire ‎existant dans notre langage depuis des siècles et que chaque Algérien utilise plusieurs fois ‎par jour sans que nul ne s’en émeuve.

Je n’avais insulté personne et pourtant on m’a collé cette accusation. Le mot a été accolé à ‎mon nom comme si je l’avais inventé mais, avec le temps, le jugement des gens a évolué. Ils ‎ont compris ce que je voulais dire il y a un quart de siècle…‎

On connait la maladie physique et mentale du candidat-président, mais quelle est la maladie ‎de ses thuriféraires qui, avec des affirmations qu’ils savent fausses, veulent nous faire croire ‎qu’une voiture d’occasion qui ne roule plus vaut mieux qu’un véhicule neuf ? Et dans cinq ‎ans, que nous diront-ils ? Et dans dix ans, qu’inventeront-ils
?‎
Je sais qu’au temps du parti unique une voiture d’occasion valait plus cher qu’une neuve ‎parce qu’on pouvait en acheter une à El-Harrach et, plusieurs années plus tard, la vendre ‎trois ou quatre fois son prix d’achat. L’occasion valait plus cher que la neuve parce que pour ‎mettre la main sur une neuve, il fallait attendre cinq ou dix ans. C’est de cette ère, de cette ‎culture, qu’est née la fable de l’occasion qui vaut mieux que le neuf que les survivants du ‎parti unique veulent nous vendre aujourd’hui.

Cette fable avait du sens au temps du socialisme, mais plus depuis que nous avons ouvert ‎notre « souk », depuis que les voitures neuves peuvent être achetées sans bon, sans piston, ‎sans dessous-de-table, sans attendre la moitié de sa vie, et que les choses sont revenues à ‎l’endroit du moins sur ce chapitre. Aujourd’hui, la voiture neuve devient d’occasion dès ‎qu’elle franchit le seuil du concessionnaire. Or la plaque d’immatriculation du président-‎candidat date de 1962 et son compteur a tourné un nombre incalculable de fois… ‎

Dans leur quête éperdue d’arguments, les affabulateurs du 4e mandat peuvent nous appeler ‎à nous pencher sur la sagesse du dicton français « C’est avec de vieilles marmites qu’on fait ‎de bonnes soupes », nous sommer de reconnaître l’imparable justesse du principe selon ‎lequel « celui qui te devance d’une nuit te devance d’une ruse », ou nous soumettre à ‎l’autorité de quelque curiosité de notre fonds mental, de notre pensée populaire qui leur ‎aurait été soufflée par Boutef qui en connait des cent et des mille : « kach bakhta », ‎‎« tayyabate-al-hammam », etc.

Les plus « cultivés » d’entre eux, après avoir fait d’indécents parallèles avec Roosevelt et ‎Merkel, nous auraient peut-être aussi sorti un argument-massue puisé dans la morale de la ‎fable de Jean de La Fontaine intitulée « Le vieillard et les trois jeunes hommes », laquelle il ‎met en scène un vieillard surpris au labeur par trois bonhommes étonnés devant tant de ‎vaillance.

Apitoyé quand même de voir un vieillard aussi âgé se donner tant de peine à la tâche, l’un ‎d’entre eux lui dit : « Au nom des Dieux, je vous prie, quel fruit de ce labeur pouvez-vous ‎recueillir ? Autant qu’un patriarche, il vous faudrait vieillir. A quoi bon charger votre vie des ‎soins d’un avenir qui n’est pas fait pour vous ? Ne songez désormais qu’à vos erreurs ‎passées… ».

Or, dans la suite de la fable, il arrive que, par d’extraordinaires hasards, les trois jeunes ‎hommes meurent avant le vieillard. Le premier se noya, le deuxième « par un coup imprévu ‎vit ses jours emportés », et le troisième tomba d’un arbre. La fable se termine sur cette ‎phrase succulente : « Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre ce que je viens de ‎raconter ».

Je doute que Sâadani et ses acolytes connaissent cette fable ou aient entendu parler du bon ‎La Fontaine, sinon ils ne seraient pas ce qu’ils sont. Il y aurait quelque humanité ou poésie en ‎eux et surtout un peu du « hya » qui étouffe les Occidentaux. Par contre, les histoires de ‎Djoha, ils les connaissent par coeur et savent où et quand les appliquer, surtout en ce ‎moment où il y a gros à faire en matière de duperie.

NOUS NE SOMMES PAS SEULEMENT UN PEUPLE QUI CROIT, NOUS SOMMES UN PEUPLE ‎QUI CROIT PLUS QU’IL NE RAISONNE.

Nous croyons au « ghaïb » (l’invisible), à la chèvre qui vole, et depuis peu au candidat ‎invalide préférable au candidat neuf.

Mais, de grâce, qu’on ne nous demande pas de voir une chose et de croire en son contraire. ‎Là, défenseurs du 4e mandat, ce n’est pas à un supplément de foi que vous nous appelez. ‎CAR SI LA FOI DEMANDE DE CROIRE A L’INVISIBLE, ELLE N’IMPOSE PAS DE CROIRE A ‎L’INVERSE DE CE QU’ON VOIT… ‎

Boutef n’aurait pas pu imposer le 4e mandat si cette fable n’avait envoûté les ci-devant ‎décideurs, ses soutiens parmi les anciennes et les nouvelles générations, dont ces jeunes de ‎‎20 à 30 ans qui le défendent bec et ongles sur les chaînes de télévision et qu’on verra encore ‎plus nombreux au cours des prochains jours et semaines.

J’ai écrit en 1979 « Le génie des peuples » et « Le khéchinisme » pour tenter d’expliquer ‎pourquoi nous sommes « comme ça », pour chercher à comprendre d’où viennent les ‎représentations mentales et la force de conviction qui poussent par exemple quelqu’un à ‎dire à la télévision qu’il votera pour Bouteflika même mort, ou tel autre à jurer qu’il votera ‎pour lui, même s’il est étalé sur une « louha » (planche sur laquelle on met les morts pour ‎les laver). ‎
D’OU VIENNENT CES PULSIONS QUI PORTENT DES INDIVIDUS APPAREMMENT SAINS ‎D’ESPRIT A DES EXCES PAREILS ? DU FIN FOND DE NOTRE HISTOIRE, DU PLUS PROFOND ‎DE NOTRE MENTALITE IRRATIONNELLE.‎

L’ELECTION «PARA-PRESIDENTIELLE» POUVAIT, A CHANCES EGALES, DEBOUCHER SUR ‎L’UNE DES DEUX POSSIBILITES : INSTALLER L’ALGERIE DANS UNE NOUVELLE ERE OU ‎LAISSER UN HOMME INVALIDE AU POUVOIR AU DETRIMENT DE LA MORALE, DU BON ‎SENS ET DES INTERETS DU PAYS. C’EST CETTE DERNIERE QUI A PREVALU. UNE FOIS DE ‎PLUS LA BALANCE DE NOTRE DESTIN EST EN TRAIN DE PENCHER DU MAUVAIS COTE. PAS ‎PAR L’EFFET DU HASARD, MAIS DE NOTRE ANCESTRAL KHECHINISME.

Boudiaf se posait en 1963 la question « Où va l’Algérie ? » dont il a fait un livre. La réponse, ‎il l’a eue à Annaba quand un enfant de l’indépendance l’a assassiné d’une rafale dans le dos. ‎Aujourd’hui, nous nous posons la même question avec d’autres mots : Que va-t-il arriver à ‎l’Algérie sous le 4e mandat ? JE NE PEUX PAS DEVINER SOUS QUELLE FORME NOUS ‎RECEVRONS LA REPONSE, MAIS JE GARANTIS QU’ELLE SERA MAUVAISE.

Le PPA a explosé à cause de la présidence à vie que Messali réclamait pour son auguste ‎personne. C’est de cette crise qu’est né le groupe des 22. Ils ont tourné le dos au PPA, créé le ‎FLN et tué (au sens freudien seulement) le père abusif qui les maintenait dans le culte de sa ‎personnalité et bloquait l’histoire de notre pays. C’est cette décision, cette prise de ‎conscience, cette rupture qui nous a conduits à l’indépendance. Nous sommes aujourd’hui ‎dans la même situation : la mégalomanie d’un homme bloque à nouveau notre évolution.

SI DES HOMMES COMME FERHAT ABBAS OU BENKHEDDA AVAIENT ETE PLACES A LA ‎TETE DE L’ETAT ALGERIEN NAISSANT, BEAUCOUP DE MALHEURS, ET PAR CONSEQUENT ‎L’IMPASSE ACTUELLE, AURAIENT ETE EPARGNES A NOTRE PAYS. NOUS AURIONS EU UNE ‎EVOLUTION SIMILAIRE A CELLE DE LA TUNISIE, AVEC LE PETROLE EN PLUS. NOUS ‎SERIONS AUJOURD’HUI LA COREE DU SUD OU QUELQUE AUTRE DRAGON ECONOMIQUE.

Ces figures éclairées et saines d’esprit, ces « chabâanin » (rassasiés) auraient fait au moins ‎autant que Bourguiba, leur condisciple, pour le bien de leur peuple. Mais il y avait les ‎‎« djiâanin » (affamés), les assoiffés de pouvoir, ceux qui ont fait le moins et pris le plus à ce ‎malheureux pays.

Dans un livre qui vient de sortir, « Le mal napoléonien », Lionel Jospin dit de Pétain qu’il a ‎incarné le « bonapartisme de la sénescence ». L’expression vaut pour notre président-‎candidat. ‎

Il reste encore un moyen légal d’arrêter la dérive qui se profile dans le sillage du 4e mandat ‎‎: qu’il fasse comme Zéroual : démissionner et annoncer le report de l’élection « para-‎présidentielle ». C’est une prière, une nouvelle « naçiha », mais en aucun cas une ‎inconvenante injonction.

Le soir d’Algérie du 18 mars 2014‎

You may also like

Leave a Comment