La première expérience d’édification du pays s’est étalée de juillet 1962 à février 1989 (adoption d’une Constitution démocratique) et s’était articulée autour du système du parti unique. Elle a débouché, comme on le sait, sur une crise systémique et tragique.
La deuxième a commencé en 1989 sous l’égide de la démocratie et se poursuit à ce jour sans qu’on puisse dire si elle représente un mieux ou un pire par rapport à la première. Ce qui s’est produit entre octobre 1988 et les premières élections pluralistes de juin 1990 (municipales) et de décembre 1991 (législatives) peut être décrit comme un processus de dé-massification du peuple à la suite du « bing bang » d’octobre 88.
On se démassifie en se détachant d’un ensemble compact pour former par accrétion de nouveaux regroupements autour de valeurs, affinités et solidarités elles-mêmes nouvelles.
Ces accrétions ont immédiatement exercé leur force gravitationnelle sur les citoyens, révélant une double division du pays : une division verticale, déjà ancienne, entre le pouvoir et le peuple, et une division horizontale à l’intérieur du peuple lui-même, clivé en courants politiques opposés au pouvoir et entre eux.
Les deux forces gravitationnelles les plus attractives étaient le « mauvais », incarné par ce qui restait comme institutions et mentalité du système du parti unique, et le « pire », représenté par l’islamisme politique.
On a vu ce même phénomène apparaître dans les pays arabes qui se sont démassifiés à l’occasion de leurs révolutions et des premières élections libres organisées. Les sociétés arabes, n’ayant connu que le despotisme et la culture théocratique, ne pouvaient se trouver à l’heure de la démocratisation que forcées au choix entre ces deux modèles.
Devant le spectacle de divisions apparues et des risques qu’ils faisaient courir au pays, on s’est mis en Algérie à maudire le multipartisme et à regretter la stabilité et l’uniformité d’antan. On reprocha à la « démocratie » d’avoir rompu les amarres, et à la liberté d’expression d’avoir libéré tous les démons.
C’est ce qu’on entend et observe actuellement dans les pays arabes touchés par le « printemps ». Etrange renversement où la solution est devenue le problème.
Le mauvais et le pire sont comme des frères jumeaux élevés dans une même culture mais séparés à l’âge adulte par la stratégie à suivre pour réaliser leur vision de la société qu’ils regardent comme un magma d’individus à conduire vers une utopie portant le nom de socialisme, hier, ou d’islamisme, de nos jours. « L’homme providentiel » et le « cheikh » se sont disputés les faveurs populaires en lui proposant, l’un le populisme profane, l’autre le populisme religieux.
Les deux idéologies excluent autant que faire se peut les libertés publiques, la démocratie, la rationalité et le libre arbitre. Pour corseter et tenir la société, l’un a trouvé par le passé le centralisme démocratique, et l’autre aujourd’hui l’État théocratique, les deux systèmes ayant en commun la pensée totalitaire et le monolithisme.
C’est à cette rivalité, à ce bras de fer que se livrent présentement en Égypte les militaires et les islamistes, les uns reconnaissables à leur uniforme, les autres à la marque qu’ils portent sur le front.
Les premiers voient dans les forts taux d’abstention aux élections un refus de l’État islamique, tandis que les seconds se réclament de la légitimité populaire. Ni le « mauvais » n’est mort, ni le « meilleur » n’est apparu. Les deux belligérants étaient au coude à coude dans l’élection présidentielle, reflétant le clivage en deux parts égales de la société égyptienne.
FUIR EN AVANT, c’est foncer tête baissée et ne pas envisager de revenir en arrière même si on a tout raté. On ne sait pas où on va mais on continue d’avancer, de foncer sans lumière, sans vision et sans cap. C’est ce qu’a fait le régime du parti unique en Algérie, persistant dans l’erreur malgré ses échecs dans tous les domaines.
Le « mauvais » est toujours là, masqué, grimé et avec un renfort de moyens qu’il n’a jamais eus. Il a considéré le trou noir dans lequel a sombré son ancien monde et entrepris au fil des ans de le combler avec mille riens.
LES QUELQUES PARTIS ET FIGURES QUI ONT TENTE D’APPORTER DES IDEES CONSTRUCTIVES ONT ETE NOYES DANS LE FLOT DES DIZAINES DE PARTIS SANS IDEES ET SANS PROGRAMME, CREES A SEULE FIN DE BROUILLER LE JEU, ET C’EST AINSI QUE LE BEBE A ETE JETE AVEC L’EAU DU BAIN.
L’ISLAMISME, LUI, EST UNE FUITE EN ARRIERE comme nos ancêtres fuyaient le conquérant étranger, cherchant le salut dans les montagnes et le désert.
Ayant commencé par le « tabligh », le prosélytisme et la militance politique, il s’est transformé en culture sociale. Désarmé ou dissuadé de recourir aux armes, il en a pris d’autres, équipées de silencieux pour ne pas faire de bruit. Il a en effet changé de méthode : il veut prendre la société individu après individu, l’un ramenant l’autre, orchestre sournoisement une campagne de rejet des lois et des règles de vie sociale au profit de la morale individuelle, instruit insidieusement un procès contre l’État national et propose l’exil dans le passé et les chimères.
C’EST LE RECUL « HALAL » DEVANT LE PROGRES « HARAM ».
Parce qu’il n’est pas arrivé à se projeter dans l’avenir, l’islamisme est tombé dans le fétichisme, le culte des symboles et des choses. Faute de pouvoir mettre en avant des pensées et des modèles de vie innovants, il brandit le « costume islamique », la « banque islamique », le « djihad islamique », la « solution islamique », « l’État islamique »…
Le « pire » ayant été jugulé en Algérie au prix de centaines de milliers de vies humaines, il faut faire le point. Cette victoire est-elle définitive ? Sommes-nous sortis de la crise ? Est-elle finie ou n’est-elle qu’endormie comme une bête chloroformée ?
N’y en aura-t-il pas une autre, ayant pour cause autre chose que l’interruption d’un processus électoral ou le manque d’argent ? Sommes-nous sûrs de ne pas être comme ce conducteur qui fait le plein d’essence de sa voiture au moment de prendre la route sans savoir s’il pourra en faire un autre sur son chemin ?
Nous vivons actuellement une période d’accalmie. Ce n’est pas totalement le cessez-le-feu mais la lutte contre le terrorisme est maîtrisée, les forces de l’ordre ont renforcé leurs effectifs, amélioré leur équipement et possèdent une plus grande expérience.
Le terrorisme ne représente plus un risque majeur pour la République, mais l’islamisme politique qui l’a engendré, s’il confirme son recul dans les urnes, est encore actif dans le pays.
Les générations qui ont dirigé le pays depuis l’Indépendance sont, elles, sur le départ. Elles préparent leur « Khotbat al-wadâa » mais les défis qu’elles n’ont pas relevés sont là, connus et chiffrés : 97% de nos devises proviennent de l’exportation des hydrocarbures, une ressource sur laquelle nous ne pourrons pas compter dans les prochaines décennies ; 70% des recettes budgétaires proviennent de la fiscalité pétrolière ; 60% de nos produits alimentaires sont achetés à l’étranger ; le chômage est important et le déficit en logements et en infrastructures sociales énorme…
LA CRISE QUE NOUS AVONS CONNUE N’EST RIEN PAR RAPPORT A CELLE QUI NOUS ATTEND SI NOUS NE PARVENONS PAS DANS LES TOUTES PROCHAINES ANNEES A LEVER CES HYPOTHEQUES.
IL FAUDRA POUR CELA RECONQUERIR LA CONFIANCE DU PEUPLE, LUI OUVRIR LA POSSIBILITE DE PARTICIPER A LA RECONSTRUCTION DU PAYS, CREDIBILISER LES INSTITUTIONS, MORALISER L’ADMINISTRATION, CLARIFIER LA VISION ECONOMIQUE…
LORSQU’UN EDIFICE SE DESAGREGE, ON NE DOIT PAS ESSAYER DE LE RETENIR, DE LE RAFISTOLER, DE LE REPLATRER, ON DOIT AU CONTRAIRE ACHEVER CE QUI EN RESTE POUR RECONSTRUIRE AUTRE CHOSE A LA PLACE. DES GRAVATS DOIVENT SORTIR UNE CONSTRUCTION NEUVE ET UN NOUVEAU PROJET DE VIE.
Les fausses valeurs qui l’ont porté doivent être liquidées et remplacées par de nouvelles. Le cerveau doit être vidangé des anciennes représentations mentales. Nos qualités naturelles doivent être activées et socialisées par le truchement des programmes d’éducation, du discours politique, de l’échange d’opinion, de la création culturelle, et devenir compatibles avec les nécessités d’une vocation nationale.
LES IDEES SE RAPPORTANT A L’ETAT, A L’ISLAM, A L’ECONOMIE ET A LA DEMOCRATIE DOIVENT ETRE REVUES, CORRIGEES ET ACTUALISEES AFIN D’EN FAIRE DES NOTIONS DE PROGRES ET DES CONCEPTS DE RENAISSANCE.
NOUS DEVONS PURGER NOS ESPRITS DU POPULISME ET DE LA CREDULITE CULTIVES EN NOUS PAR L’ANCIEN SYSTEME ET L’ISLAMISME, ET LES REMPLACER PAR LE SENS CRITIQUE, LA LUCIDITE, LE REALISME ET LA COMPETENCE.
IL FAUT NOUS RECONSTRUIRE AVEC DES IDEES NEUVES, CELLES DE NOTRE TEMPS, TOUT EN RESTANT INSPIRES PAR NOS VALEURS SPIRITUELLES ET CULTURELLES.
Nous ne sommes malheureusement pas encore sur cette voie.
DANS NOTRE LOGIQUE OU TOUT EST A L’ENVERS, IL N’EST PAS SURPRENANT QU’A L’OCCASION DU DERNIER RENOUVELLEMENT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE LE TAUX QUI DEVAIT ETRE CELUI DE L’ABSTENTION SOIT DEVENU CELUI DE LA PARTICIPATION, ET QUE LA MINORITE DECIDE POUR LA MAJORITE. Les autorités y ont pourtant vu un grand « sens du civisme des citoyens et l’exercice de la souveraineté par un peuple conscient et responsable ».
Heureusement pour eux, sans quoi ils seraient devenus fous, les Algériens regardent ce qui se passe dans le reste du monde et connaissent en particulier un pays, la France, dont les chaînes de télévision sont captées chez eux et où vivent deux millions d’Algériens de souche ou émigrés.
Ils ont suivi pour bon nombre d’entre eux la campagne pour l’élection présidentielle et celle pour les législatives, assisté à l’alternance au sommet de l’Etat entre la gauche et la droite (en 2012) et suivi de près le processus au terme duquel on devient président d’un grand pays après avoir parcouru un long chemin, sautant les obstacles l’un après l’autre, se soumettant aux questions, aux critiques et au débat avec les autres prétendants.
C’était à qui présenter les meilleures propositions pour réduire la dette publique, relancer la croissance, équilibrer les comptes de la sécurité sociale, définir le régime des retraites, créer des emplois…
S’IL A ETE QUESTION QUELQUES FOIS DE SUJETS RELIGIEUX, CE N’EST PAS PARCE QUE LE CHRISTIANISME S’EST MIS A POSER PROBLEME, MAIS PARCE QUE L’ISLAMISME S’EST INVITE AU DEBAT : BURKA, NIQAB, NOURRITURE HALAL, SEPARATION DES HOMMES ET DES FEMMES, PRIERE SUR LA VOIE PUBLIQUE…
Tout se passait en pleine lumière, la compétence personnelle des postulants était éblouissante, allant au détail infime, aux sujets les plus techniques et aux chiffres les plus précis et tranchant nettement avec le modèle de dirigeant arabe que nous connaissons : incultes, au-dessus des « détails », méprisant les « questions techniques » laissées à leurs subalternes…
C’EST DES PAYS DEMOCRATIQUES ET MODERNES QU’IL FAUT S’INSPIRER, ET NON DE LA « STABILITE » ET DU « NATIONALISME » DES BEN ALI, KADHAFI, MOUBARAK, BACHAR ET AUTRES.
LE MEILLEUR ET LE PIRE SONT INSCRITS DANS LA NATURE HUMAINE, MAIS C’EST LE TYPE D’ENVIRONNEMENT DANS LEQUEL VIT L’INDIVIDU QUI DETERMINE SA PROPENSION A L’UN OU A L’AUTRE. LA OU LA SOCIETE EST BONNE PAR SES LOIS ET SES INSTITUTIONS LES INDIVIDUS TENDENT NATURELLEMENT VERS LE MEILLEUR ; LA OU LES INDIVIDUS NE SONT PAS ORGANISES PAR LEUR ETAT ET SES LOIS EN SOCIETE, ILS SE RETROUVENT LIVRES A EUX-MEMES ET IL EN DECOULE NECESSAIREMENT LE PIRE.
LE MEILLEUR EST ENCORE LOIN, HORS DE PORTEE, ALORS QUE C’EST DANS CETTE DIRECTION QU’IL FAUT REFLECHIR ET AGIR. Il ne se forme pas spontanément mais résulte d’une lente évolution qu’il faut engager le plus vite possible.
LE « MAUVAIS » ETANT A L’ORIGINE DU « PIRE », C’EST SUR LUI QU’IL FAUT AGIR DE TELLE SORTE QUE NOUS PUISSIONS ENTREVOIR LA POSSIBILITE DU MEILLEUR, CETTE PERSPECTIVE SCIEMMENT EXCLUE DE NOTRE HORIZON, CE CHAINON MANQUANT DANS NOTRE VIE, CE STADE D’EVOLUTION INCONNU DE NOUS.
« Le Soir d’Algérie » du 24 juin 2012