LA CRISE

by admin

‎ « En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que toutes ces choses ‎n’arrivent… Ce seront des jours d’une détresse telle qu’il n’y en a jamais eu de pareille » ‎‎(Jésus).‎

Une crise, c’est le moment de vérité où les montages préfabriqués s’écroulent, où les ‎équilibres précaires rompent, où les identités escamotées fondent et où les fausses idées ‎apparaissent dans leur nudité.

Par ses manifestations brutales et sa fulgurance, la crise qui a éclaté en 1988 a révélé que le ‎mal était profond et qu’il allait bien au-delà des dysfonctionnements économiques et ‎politiques diagnostiqués dans un premier temps. Comme une bombe à retardement sans ‎minuterie, elle a éclaté inopinément.‎

ELLE AURAIT PU ECLATER UN PEU PLUS TOT OU UN PEU PLUS TARD, MAIS ELLE ETAIT ‎VOUEE A ECLATER. LA MATIERE EXPLOSIVE ETAIT LA DEPUIS LONGTEMPS ET ‎N’ATTENDAIT QUE LA FIXATION DU DETONATEUR POUR LIBERER SON ENERGIE ‎DESTRUCTRICE. ‎
N’importe quel pays peut se trouver à tout moment de sa vie confronté à une crise. Les ‎crises font partie du menu quotidien des nations les plus évoluées. Elles peuvent être ‎conjoncturelles ou cycliques, et sanctionnent en général des déséquilibres surgis dans les ‎rapports de forces politiques ou la distribution des richesses. Les problèmes de croissance, ‎de chômage, d’inflation et d’exclusion sociale en sont souvent la cause, mais elles restent ‎dans les limites du gérable. Ce genre de crise ne remet pas en cause le cadre institutionnel, ‎la langue, la religion ou l’être historique national, mais pose des problèmes objectifs.

IL Y A PAR CONTRE DES CRISES, COMME CELLE QUE NOUS AVONS CONNUE, QUI POSENT ‎CES PROBLEMES EN MEME TEMPS QUE D’AUTRES, PLUS VITAUX, CEUX DE L’IDENTITE. ‎CELLES-LA SONT LES PLUS GRAVES QUI PUISSENT SURVENIR DANS LA VIE D’UN PEUPLE ‎CAR ELLES TOUCHENT A SA COHESION ET A SA RAISON D’ETRE.‎
La crise ouverte en 1988 a frappé l’Algérie dans ses fondements, dans ses définitions de ‎base, dans sa cohésion.

QUAND DANS UN PAYS TOUT SE MET A SAUTER, QUAND LA RELIGION, LA LANGUE, ‎L’UNITE NATIONALE, LES INSTITUTIONS ET L’ECOLE SE RETROUVENT AU CENTRE DE ‎CONTESTATIONS, QUAND ON EN VIENT A S’ENTRETUER PAR CENTAINES DE MILLIERS, CE ‎N’EST PLUS DE « CRISE » QU’IL CONVIENT DE PARLER, MAIS DE TENTATION SUICIDAIRE ‎COLLECTIVE.

SI DANS UN PAYS LE PREMIER VOTE LIBRE PEUT METTRE A TERRE LES INSTITUTIONS, OU ‎QUE LE PREMIER VENU PEUT ENFIEVRER LA NATION AU MOYEN D’UN HAUT-PARLEUR A ‎PARTIR D’UNE MOSQUEE, C’EST QUE CE PAYS N’A AUCUNE REALITE. ‎

C’ETAIT UNE ERREUR DE CROIRE QU’AVOIR UN TERRITOIRE EN COMMUN, UNE SEULE ‎RELIGION, DES ORIGINES ETHNIQUES UNIQUES, UNE MEME LANGUE ET D’IMPORTANTS ‎ATOUTS ECONOMIQUES SUFFISAIT POUR ELEVER L’EDIFICE COMPLEXE QU’EST UNE ‎NATION OU UN ETAT. ‎

CES FACTEURS SONT NECESSAIRES MAIS INSUFFISANTS. IL FAUT ENCORE UN « PRINCIPE ‎ACTIF », UNE « DECHARGE DE VOLONTE », UNE DYNAMIQUE D’ENTRAINEMENT, UNE ‎VISION A LONG TERME, UN DISCOURS SINCERE, REALISTE ET RATIONNEL, TOUTES ‎CHOSES QUE LES ALGERIENS N’ONT PAS EUES.

A la libération de Paris en 1944, de Gaulle rencontre le président de la République française ‎en titre, Albert Lebrun. En le quittant, il a cette pensée chargée de commisération : « Au ‎fond, comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef, qu’il y eût un ‎État ». ‎

A COMBIEN DE CHEFS D’ETAT ALGERIENS S’APPLIQUERAIT UNE TELLE FORMULE ? N’EST-‎ELLE PAS PAR AILLEURS APPLICABLE AU PEUPLE, PRINCIPALE COMPOSANTE DE L’ETAT ? ‎CONCLUSION : A FAUX ETAT ET A FAUX PEUPLE, FAUX CHEF D’ETAT. ‎
Cela faisait longtemps que la thèse de la crise « économique » ne convainquait plus grand ‎monde. Voilà que celle de la crise « politique » tombait à son tour. LA NATION VENAIT DE ‎COMPRENDRE QUE SI LE BUT AVAIT SEMBLE LE MEME, LIQUIDER LE « SYSTEME », LES ‎DIVERGENCES SUR LA SUITE ETAIENT ABSOLUMENT INCONCILIABLES.

L’idéal de vie projeté n’est pas le même, les rêves ne sont pas peuplés de mêmes symboles, ‎et les intérêts ne sont pas communs. Il n’y avait rien d’anormal à cela a priori, sinon que de ‎part et d’autre on ne cherchait pas des solutions globales mais des solutions particulières, ‎qu’on ne préconisait pas des solutions au profit de tous, mais des solutions au détriment ‎d’autrui.

PARCE QU’ELLE A ETE MAL FAITE, L’ALGERIE COURAIT LE RISQUE DE NE PLUS ETRE. TOUT ‎S’EST AVERE FRAIS, RECENT, FRAGILE, ET IL N’Y AVAIT RIEN DE SOLIDE A QUOI ‎S’ACCROCHER. LES MORCEAUX MAL COLLES JADIS, ASSEMBLES A LA VA-VITE POUR ‎FAIRE ILLUSION, SE SONT MIS A SE SEPARER, A SE DETACHER LES UNS DES AUTRES ‎PARCE QU’AU LIEU DE GAVER L’ « UNITE NATIONALE » DE SENS, ON S’ETAIT CONTENTE ‎DE LA FARCIR DE BONIMENT.

Le frottement continu entre plusieurs conceptions du monde, entre plusieurs cultures, entre ‎plusieurs écoles, devait produire fatalement le feu. Le mélange des genres n’attendait que ‎l’allumette : ce furent le multipartisme et la liberté d’expression On pouvait rester hébété et ‎transis par le froid métallique de ces vérités mais, comme le dit un proverbe français, ‎‎« Comme on fait son lit on se couche ». Chez nous on dit « On ne cache pas le soleil avec un ‎tamis ».‎

La crise a mis à nu le monde politique né de la Constitution de 1989, un monde faux, ‎trafiqué, hanté par les figures du mauvais passé. Le rebouteux, le marabout, le démagogue ‎d’antan, réapparurent sous de nouveaux vêtements et infestèrent le paysage, alléchés par la ‎perspective supposée facile de prendre le pouvoir.

EN REALITE, IL NE S’AGISSAIT QUE DU REMPLACEMENT D’UN MAL PAR UN AUTRE, D’UNE ‎IGNORANCE PAR UNE AUTRE, ET DE L’IRRATIONALITE PAR LE CHARLATANISME.

UNE SOCIETE NE SE FAIT PAS A PARTIR DE L’ESPRIT TRIBAL, REGIONALISTE OU ‎MARABOUTIQUE, D’EXCLUSIONS RECIPROQUES, DE CONTRADICTIONS ET ‎D’INTOLERANCE. POUR QU’ELLE SOIT, IL FAUT QUE CES PROPENSIONS, QUE CES ‎MENTALITES, QUE CES AFFILIATIONS, QUE CES ARCHAÏSMES, SOIENT DISSOUS, MOULUS, ‎LEURS CENDRES DISPERSEES ET LEUR SOUVENIR EFFACE DES MEMOIRES.

La médecine a pu dire que le corps humain est « une nation biologique ». L’image peut être ‎inversée et la société comparée au merveilleux organisme humain résultant du ‎fonctionnement simultané et synchronisé de milliards de cellules travaillant au même but : ‎son maintien en vie et dans les meilleures conditions le plus longtemps possible. ‎
Mais la différence entre l’organisme et la société est que le premier est doté à la naissance ‎de moyens immunitaires et de défense, alors que la seconde doit les élaborer un à un et les ‎acquérir au cas par cas.

Des dysfonctionnements peuvent apparaître dans les vraies sociétés, des maladies comme le ‎chômage et la criminalité se déclarer, des crises politiques survenir, mais l’organisme ‎parvient à les résorber, à les corriger. Dans les non-sociétés, il y a les dysfonctionnements, ‎les maladies, la criminalité et les crises de tout genre, MAIS IL N’Y A PAS L’ORGANISME.‎

Nous ne devions avoir le droit de nous préoccuper de nos différences qu’après avoir assuré ‎le domaine de nos convergences, de nos ressemblances, de nos intérêts communs. Les ‎hommes diffèrent par leurs programmes génétiques mêmes, mais le génie de la société, de ‎l’éducation, des lois, est de réussir à gérer ces différences, à les amener de l’état de conflit ‎potentiel à l’état de coopération effective. Le proverbe selon lequel « Qui se ressemble ‎s’assemble » est souvent utilisé et compris dans le mauvais sens : blâmer les mauvais ‎garnements ou les gens infréquentables. Il est mathématiquement vrai, et de cette vérité on ‎peut inférer ceci : « Qui ne se ressemble pas se disperse ».‎

Nous en sommes actuellement à apprendre à occuper l’espace public, à nous connaître, à ‎mesurer nos désaccords conséquents à notre formation dans des écoles de pensée ‎différentes. Ce par quoi nous sommes passés est comparable à ce qui se passe, s’il existait, ‎dans un atelier de fabrication des sociétés. L’Algérie est en train de se faire dans le sang et ‎les larmes, comme les nations qui ont réussi à se faire avant elle. ‎

Un jour le sentiment s’imposera à chacun que nous sommes condamnés à nous accepter ‎mutuellement, à remplacer les « casus belli » qui nous opposent par des « modus vivendi » ‎durables. Nous nous entraînons à devenir un État, nous nous préparons à nous muer en ‎société, nous négocions les termes de l’acte associatif qui deviendra demain notre ‎Constitution où seront consignées en lettres de sang les règles de jeu à appliquer, les lois à ‎respecter, les garde-fous à ne pas heurter, les droits et obligations de chacun dans la ‎collectivité. Or tout cela a un prix, se facture et se paye cash.‎

A l’image des êtres vivants, les nations naissent dans la douleur, croissent au milieu des ‎périls et n’arrivent à maturité qu’après beaucoup d’essais, d’erreurs et d’enseignements ‎retenus mais, à leur différence, elles sont capables d’infléchir le cours naturel des choses, ‎l’accélérant ou le ralentissant en fonction du degré de maîtrise de leurs destinées.

Même lorsqu’elles sont arrivées à un haut niveau de réalisation, elles restent encore ‎exposées à des influences susceptibles de modifier leur état d’esprit, à des bouleversements ‎pouvant entraîner des ruptures dans leurs équilibres, ou à une espèce de doute cyclique qui ‎semble devoir s’emparer d’elles même quand tout semble aller pour le mieux.

EN TOUT CAS, AUCUNE NATION N’EST JAMAIS FAITE POUR DE BON, ET TOUTES ‎DEMEURENT SOUMISES AUX LOIS DU CHANGEMENT QUI LES SOMMENT ‎PERIODIQUEMENT DE S’ADAPTER AUX NOUVELLES CONDITIONS DE VIE APPARUES, OU ‎DE VEGETER DANS LES ANCIENNES JUSQU’A NE PLUS MERITER CE TITRE.‎

Dans l’univers biologique où l’humain n’est qu’une variété, il semble que toute espèce ‎vivante, que toute structure de vie ne soit au monde ou ne s’y maintienne que pour assumer ‎un rôle, remplir une fonction. Lorsque cette fonction cesse ou qu’elle est déviée, lorsque la ‎structure de vie n’a plus de but ou qu’elle en est détournée, c’est la décrépitude. Il en va de ‎même pour les hommes qui ont besoin de savoir pourquoi ils sont en vie, de se projeter dans ‎le temps. Ils n’agissent ou ne se mettent en marche que lorsqu’il se réalise entre eux l’unité ‎subjective (de l’esprit) qui, seule, leur permet de fonctionner collectivement, d’exécuter les ‎mouvements d’ensemble que leur survie ou leur évolution commande.

Cette unité subjective, c’est le triomphe dans le psychisme de chacun du sens collectif sur le ‎sens individuel, de l’intérêt général sur l’intérêt particulier, de ce qui rassemble sur ce qui ‎différencie. Elle se nourrit d’une sorte d’énergie que, selon la préférence, on nomme foi, ‎motivation, « drive » ou idéologie. C’est cette énergie, ce carburant qui donne le « réflexe ‎de but », le « purpose » dont on parle en biologie. Et s’il arrive que ce réflexe de but perde ‎de sa vigueur, que la tension sociale se relâche, que le sens collectif se dissolve, c’est que la ‎motivation n’avait été conçue que pour une étape déterminée, l’Indépendance par exemple. ‎

L’Algérie actuelle est le produit d’une résistance séculaire à l’assujettissement et d’un ‎farouche acharnement à vivre dans la liberté, la dignité, l’équité et l’authenticité. Le capital ‎moral des Algériens a survécu aux vicissitudes de l’Histoire et à leurs propres turpitudes. Ils y ‎ont trouvé la force nécessaire quand il a fallu résister et s’opposer, et les prétextes au repli ‎et au désengagement de l’œuvre commune quand il a fallu se neutraliser mutuellement à la ‎suite d’une déception ou d’une perte de confiance.

C’EST EN S’INSPIRANT DE CES VALEURS ET DE CES ASPIRATIONS QU’ON POURRA ‎PARACHEVER LA CONSTRUCTION DE LA NATION ALGERIENNE, LAQUELLE N’EST PAS ‎ENCORE, QUOIQU’IL EN SEMBLE, UN ACQUIS DERRIERE NOUS, MAIS TOUJOURS UN ‎PROJET DEVANT NOUS QU’IL VA FALLOIR MENER A SON TERME.

Les crises portent conseil. La violente tempête qui a soufflé sur l’Algérie a laissé entrevoir ‎aux Algériens les malheurs qui résulteraient de la perte de leur unité nationale, de ‎l’effondrement de leur cadre institutionnel, de la prise du pouvoir par la force et de ‎l’installation du chaos. ‎
En dépit de la vague de violence qui les a touchés dans leur chair, de leur appauvrissement, ‎des compressions de personnel dans les entreprises, des humiliations subies à l’extérieur, ils ‎ont résisté et n’ont pas cédé devant le chantage du terrorisme.

Ces périls ont opéré en eux une métanoïa. Ils ont compris que le populisme et le ‎charlatanisme ne mènent nulle part, ils souhaitent devenir une nation solide, une société ‎régie par le droit, une économie efficiente et un État fort, juste et respecté dans le monde. ‎Leur instinct de survie les pousse vers l’avant et les rapproche les uns des autres.

Vivant sans en avoir vraiment conscience jusqu’à la crise dans un pays immense, aux climats ‎divers et aux paysages féeriques, aimant le soleil et le bleu unique de leur ciel, ouverts sur le ‎monde par tempérament et ayant l’habitude du contact avec l’étranger, ils se demandent ce ‎qui leur est arrivé.‎

La grande affaire demeure de savoir comment les synchroniser, comment emmener 36 ‎millions de particules à une organisation moléculaire et organique, comment réaliser leur ‎synthèse psychique afin de les rendre semblables du dedans pour qu’ils deviennent ‎semblables du dehors, compatibles entre eux, aptes à vivre et à mourir pour de mêmes ‎motifs.

LA SOCIETE N’EST PAS LE SIMPLE REGROUPEMENT D’ETRES HUMAINS SUR UNE ‎ETENDUE DE TERRE, C’EST LE REGNE DES VALEURS SOCIALES, DES LOIS ET DES ‎INSTITUTIONS. ‎

C’est un écosystème où les grandes fonctions (production, distribution, justice, éducation, ‎sécurité…) sont assurées à travers des échanges réguliers de biens, de services et d’idées, et ‎des équilibres stables qui rendent la vie et le bien-être possibles.

La plus haute marque d’une société est son aptitude à paraître acceptable par chaque ‎nouvelle génération qui, en arrivant, ne commence pas par demander la renégociation des ‎termes initiaux du contrat. Elle est comme une compagnie d’assurance à qui l’on s’adresse ‎pour être habilité à conduire son véhicule. Les clauses sont générales, impersonnelles et ‎conçues pour convenir au plus grand nombre. On signe, on paye et on s’en va confiant, sans ‎même lire les détails du contrat d’adhésion.

C’EST EN IMBRIQUANT LES SORTS PARTICULIERS LES UNS DANS LES AUTRES QUE LES ‎ALGERIENS CESSERONT DE VIVRE LES UNS A COTE DES AUTRES ET DEVIENDRONT UNE ‎SOCIETE COHERENTE. LA FINALITE EST DE RASSEMBLER LES PIECES DETACHEES QUE ‎NOUS AVONS ETE PAR LE PASSE, DE LES CONNECTER ENTRE ELLES POUR QU’ELLES SE ‎METTENT A PRODUIRE LE DEVELOPPEMENT, DE TELLE SORTE QUE LES INDIVIDUS NE ‎TRAVAILLENT PLUS CONTRE LE GROUPE, QUE LE PARTICULIER S’INSERE DANS LE ‎GENERAL, ET QUE LE TOTAL DES PERSONNES DONNE LA COMMUNAUTE HARMONIEUSE.‎

‎« Le Soir d’Algérie » du 17 juin 2012‎

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