LA FUITE EN AVANT

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‎ « En un temps d’ignorance, on n’a aucun doute même lorsqu’on fait les plus grands maux. ‎En un temps de lumière, on tremble encore lorsqu’on fait les plus grands biens » ‎‎(Montesquieu)‎

La Révolution du 1er Novembre 1954 est sans conteste la plus grande opération collective, la ‎plus formidable action commune jamais entreprise par tous les Algériens à la fois et sur ‎toute l’étendue de leur territoire. C’est en la faisant que le peuple algérien s’est fait, et c’est ‎pourquoi elle constitue aujourd’hui sa plus haute référence.

Initiée par une poignée d’hommes enracinés dans leur peuple et connaissant sa nature, ‎c’est-à-dire son attachement farouche à la liberté, son sens de la dignité, son extrême ‎sensibilité à l’injustice et sa foi capable de déplacer les montagnes, la lutte armée devait ‎rapidement devenir un irrépressible phénomène d’émancipation collective, politique, ‎économique et culturelle.

Ce phénomène n’a pas germé miraculeusement en une nuit, il a nécessité plusieurs ‎décennies de préparation psychologique, d’éveil culturel et d’éducation politique animés par ‎trois grandes figures nationales : Abdelhamid Ben Badis, Ferhat Abbas et Messali Hadj. ‎

Le but politique fut atteint au prix d’immenses sacrifices : l’Indépendance.‎
Celle-ci intervenait par chance à une époque où le pétrole venait d’être découvert (1956), où ‎les recettes de structuration politique, économique et sociale relevaient du domaine public ‎et où les rapports de force internationaux penchaient en faveur de l’autodétermination des ‎peuples opprimés.

Elle intervenait dans un contexte mondial marqué par la culpabilisation de l’Occident par les ‎crimes coloniaux et deux guerres mondiales, ainsi que par l’apparition d’un discours ‎émancipateur et égalitaire venu de l’Est.

Rassurés de se retrouver en compagnie de dizaines d’autres peuples parlant le même ‎langage, celui de la revendication et de la « lutte contre l’impérialisme », les Algériens ‎se sentirent en famille et furent persuadés que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire en ‎ce monde. Ils se mirent alors à crier plus fort que les autres.

Le concept de « révolution » convenait parfaitement à leur tempérament de feu. Fiers de ‎l’exploit qui leur avait valu l’admiration de leurs contemporains, ils succombèrent vite à ‎la magie du verbe et crurent qu’ils n’avaient qu’à se pencher pour ramasser ce que de ‎vieilles nations avaient mis des siècles à récolter : le développement, la démocratie, la ‎puissance, le prestige international et même la coupe du monde de football.

Pour la première fois depuis leur présence sur la Terre, les Algériens étaient confrontés ‎non plus à un défi, ils venaient d’en relever le plus beau, mais à une mutation : devoir ‎construire un État national, devenir une société, travailler ensemble, s’astreindre au ‎respect de règles nouvelles.

C’était assurément autre chose que de combattre un ennemi. Or, ils n’avaient ‎principalement fait que cela. Après mille et une révoltes, séditions, insurrections et ‎soulèvements, deux choses persistaient à leur manquer : apprendre à entreprendre ‎ensemble et s’arranger pour ne plus être colonisés. ‎

Cette problématique était précisément à l’ordre du jour le 5 Juillet 1962, mais ceux à qui ‎elle se posait, ceux qui se bousculaient pour la prendre en charge n’étaient pas, eux, ‎intellectuellement et moralement préparés.

La première expérience d’édification nationale (1962-1988) devait s’avérer non concluante ‎parce qu’à la différence de la Révolution qui s’était arcboutée sur les ressorts profonds de ‎l’Algérien et ses caractéristiques fondamentales, elle a consisté à implanter sur la terre et ‎dans l’âme algériennes un système de gestion politique et économique qui, non seulement ‎ne cadrait pas avec les données psychologiques du sujet, mais s’inscrivait carrément en faux ‎contre elles.

Le « projet de société » mis en chantier devait échouer parce qu’il a été improvisé à la hâte ‎par des hommes plus pressés de s’emparer de positions politiques et sociales et des « biens ‎vacants », que de se préparer à gérer une mutation dont ils n’avaient aucunement ‎conscience.

Il a échoué parce qu’il n’a pas impliqué l’homme algérien dans l’œuvre de développement ‎projetée. Au contraire, il allait le stériliser par la flatterie et faire de lui un affectataire ‎bénévole et un bénéficiaire passif. Il l’empêchera de posséder en propre, d’acquérir un ‎terrain pour bâtir sa maison, de cultiver librement son lopin de terre, d’entreprendre, de ‎s’exprimer, alors que par définition l’Algérien est un homme libre, ambitieux et retors qui ‎réagit plus sûrement à la motivation qu’à la contrainte.

A vrai dire, ce projet n’avait pas en vue le bonheur des Algériens, mais la réussite de la ‎‎« Révolution socialiste ». Il ne poursuivait pas la construction d’une réalité, la société ‎algérienne, mais celle d’une chimère, le « socialisme spécifique algérien ».‎

L’homme qui était honoré et sublimé dans les discours n’était pas l’Algérien réel, ‎l’homme concret de tous les jours, mais une abstraction, un thème de palabre, un sujet ‎d’inspiration. Le vrai Algérien, lui, était quotidiennement humilié, privé de ses libertés, ‎interdit de sortie à l’étranger, livré aux pénuries et à la « hogra ». Il lui était défendu de ‎devenir la réalité projetée par le discours officiel.

Ne saisissant pas son utilité sociale, son rôle et sa nécessité dans le processus ‎d’édification envisagé, il se résigna à la passivité et à l’assistanat. Il avait compris de tout ‎cela qu’il n’était ni un agent économique libre, ni un contribuable indispensable, ni un ‎électeur souverain. Toute vie associative qui aurait pu contribuer à son éducation lui fut ‎refusée, toute opposition qui aurait pu le préparer à s’organiser politiquement fut ‎prohibée, et toute velléité de différenciation culturelle réprimée.

Pour prévenir tout risque de coalition à terme contre lui, le pouvoir s’évertuait à diviser les ‎citoyens en les dressant les uns contre les autres par un raisonnement de classe qui installait ‎entre eux haine et « hasd », ravivant ainsi les anciens ressentiments et les vieilles querelles ‎régionalistes, et handicapant du même coup la consolidation du sentiment national. ‎

Le pouvoir ne voulait pas que les Algériens deviennent une société de personnes, des ‎entités conscientes d’elles-mêmes et responsables de leur sort commun, mais qu’ils ‎restent un « peuple », une masse docile et soumise aux humeurs des hommes ‎providentiels, des « zaïms » infaillibles et des guides révolutionnaires.‎

Le populisme russe, ainsi que l’a démontré Nicolas Berdiaev dans « Les sources et le sens du ‎communisme russe », a trouvé appui dans le nihilisme traditionnel du peuple russe, alors ‎que le nôtre a coïncidé avec des canevas mentaux de tout temps hostiles aux différences ‎sociales, préférant l’appauvrissement général à l’enrichissement de quelques-uns, ‎réfractaires à toute règle, norme ou autorité, leur opposant la liberté absolue de faire le ‎bien comme le mal, et furieusement entêtés dans le refus de l’argument rationnel quand il ‎n’est pas emballé dans l’émotivité.

Notre nihilisme, notre « khéchinisme », est ce courant souterrain de proverbes, d’habitudes ‎et d’attitudes négatives qui irrigue notre inconscient collectif depuis des millénaires, nous ‎abreuvant d’idées fausses, contraires à l’intérêt commun, et nous dictant des ‎comportements asociaux. Le résultat à long terme en a été les composés d’influences ‎diverses, les mélanges d’idéaux antagoniques que nous sommes aujourd’hui.

Incarné par des hommes croyant à la force et non à la pensée, le populisme spécifique ‎algérien s’est emparé du prisme déformant qu’il a trouvé juché sur notre nez et lui a ajouté ‎sa myopie, son strabisme et ses illusions d’optique. ‎

Un tel projet ne pouvait pas réussir parce qu’il reposait sur un faux postulat selon lequel ‎État est une divinité prodiguant à discrétion bienfaits et châtiments, et le citoyen un ‎simple ventre à nourrir en contrepartie de son silence. ‎

Tel Atlas, l’État voulut porter sur ses épaules toute l’Algérie, construire tous les ‎logements, créer tous les emplois, instruire tous les enfants, transporter tous les ‎voyageurs, soigner gratuitement tout le monde, soutenir les prix à la consommation, ‎renflouer en permanence les caisses des entreprises publiques, et cela en se passant de ‎la productivité du travail des citoyens, des impôts des contribuables et des devises des ‎émigrés. ‎

C’était bien sûr insensé, insoutenable, hors de toute portée, mais l’État algérien, ‎obnubilé par le pétrole et les gaspillages qu’il autorisait, était le dernier à s’en douter. ‎Le pouvoir qui incarnait cet État avait certainement dans sa fuite en avant d’autres ‎mobiles que ceux qu’il proclamait. En effet, beaucoup des individus qui le constituaient ‎profitaient de la situation, disposant à leur guise des produits de la rente. Dans son ‎insouciance et son inconscience, il persistait à vouloir tenir par le verbe démagogique ‎les promesses qu’il ne pouvait à l’évidence concrétiser par l’action.

Il développa un discours mystificateur pour réfréner les impatiences que lui-même suscitait, ‎sans penser aux conséquences futures de cette politique démentielle de gonflement à l’infini ‎d’une demande qu’aucun État ne pouvait satisfaire car se multipliant au rythme de ‎l’accroissement géométrique d’une démographie débridée. Dans l’esprit général il était ‎devenu une image d’Épinal, celle du père de famille laborieux tenu de ramener chaque ‎fin de mois de quoi nourrir une famille nombreuse mais inactive. ‎

La nature et les conventions humaines ont posé des règles pour gagner sa vie, réussir et ‎s’enrichir éventuellement. C’est en général par le travail, l’effort ou après de longues ‎études. Mais le populisme a discrédité l’effort, le mérite et les études, il a prohibé ‎l’épanouissement en décourageant les professions libérales et la libre initiative, il a dissuadé ‎l’effort et l’investissement car il ne voulait pas que les Algériens se constituent ‎progressivement en classes moyennes ascendantes, mais qu’ils restent des ‎‎« masses populaires ».‎

En voulant apparaître sous les traits d’un démiurge omnipotent, l’État populiste avait ‎donc lui-même dressé, préparé et monté de ses propres mains les citoyens contre lui. ‎Élevés pendant des décennies dans l’idée que l’État avait pour fonction naturelle de ‎nourrir et de loger les Algériens qui voulaient bien se donner la peine de naître, ces ‎derniers cessèrent de se reconnaître en lui dès le moment où il leur apparut qu’il avait ‎cessé de remplir ses devoirs « paternels ».‎

Quand il n’eut plus assez de force pour porter à bout de bras la nation improductive, ‎État prodigue, l’État infortuné, l’État affaibli s’affala tel un bœuf le 5 octobre 1988 et ‎fut chargé de tous les maux. On l’accusa de corruption et de mécréance et affûta les ‎couteaux.‎

De larges pans de la population se mirent à rêver à haute voix d’un État idéal, d’un État où la ‎justice et la loi de Dieu régneraient et s’appliqueraient à tous. L’État islamique n’était pas ‎encore défini qu’on savait déjà que c’était en l’occurrence le non-État algérien.

La rue trouva rapidement en son sein des mandataires pour exploiter l’ire populaire et la ‎canaliser vers le projet qui remporta les suffrages en juin 1990 et décembre 1991. Elle ‎conspua les « zaïms » et applaudit à tout rompre les « chouyoukh ». ‎
Influençable, sensible au merveilleux, émotif, encore dans l’enfance de la raison, l’être ‎chlorophyllien se déguisa en homo religiosus avec l’espoir de faire d’une pierre deux ‎coups : resquiller ici-bas et dans l’au-delà.

L’homme est un composé de pulsions naturelles que la société, pour exister et durer, doit ‎conditionner et adapter continuellement. Elle doit les orienter vers des expressions ‎pacifiques (compétition économique, émulation intellectuelle, performances sportives, ‎activité politique, vie associative, créativité artistique…) et non les ignorer ou les ‎contrecarrer par des dispositifs allant à l’encontre de leur légitime épanouissement.

Les révoltes sociales ont toujours eu pour cause le blocage du désir de promotion des ‎citoyens et leur aspiration au mieux-être par des politiques contraignantes se manifestant à ‎travers des mesures d’obstruction et de restriction. L’identité de la politique qui s’inscrit à ‎contre-courant de ces tendances naturelles et légitimes est secondaire : elle sera tôt ou tard ‎combattue et rejetée.‎

Le dirigisme a échoué en Algérie comme dans tous les pays où il est apparu car, en dépit de ‎ses arguments, dont certains sont sensés, il a concentré la décision, gelé les initiatives et les ‎libertés, nié les pulsions naturelles, proscrit l’espoir et le rêve, interdit la possession et le ‎gain mérité. Il est normal que l’homme placé dans de telles conditions improvise sa défense, ‎cherche à s’en sortir par des moyens licites ou illicites, et finisse par se soulever s’il ne ‎trouve aucune issue à son désespoir.

Quand on abolit la propriété privée, on n’a pas aboli l’instinct de possession qui est inhérent ‎à l’homme et nécessaire à sa perpétuation, on a seulement perverti les idées et les relations ‎entre l’État et les citoyens. La propriété publique n’est pas la somme des propriétés ‎individuelles, mais l’abandon du bien collectif et son gaspillage sans que quiconque ne ‎s’estime concerné. ‎

Dans un pays où la notion de « beylik » a négativement marqué les esprits, la propriété ‎publique ne pouvait être perçue que comme la négation des individus réels au profit d’une ‎abstraction désincarnée. C’est ainsi que l’économie publique n’a pas profité aux travailleurs, ‎mais seulement aux rentiers. Quand l’heure de la vérité sonna, on ne trouva derrière cette ‎chimère qu’appauvrissement, sabotage et pots-de-vin. Elle s’est soldée en définitive par ‎l’enrichissement illicite de quelques-uns, des privilèges et des dérogations pour un petit ‎nombre, et le ressentiment et le chômage pour le reste.‎
Nous avons déjà parlé en d’autres occasions des types sociologiques générés par cette ‎politique : le « hittiste », le « trabendiste » et, plus tard, le terroriste et le « harraga ». ‎
Il faut revenir sur les deux premiers pour les regarder de plus près. Le « hittiste », c’est ‎l’image vivante de l’être abandonné à son sort, non rattaché à un ensemble, non impliqué ‎par ce qui se passe autour de lui. Ce n’est pas le chômeur des économies en récession qui ‎court d’une agence d’emploi à une autre ou parcourt chaque matin les annonces des ‎journaux, mais l’être exclu dont on a lié les mains et les idées et qui est convaincu que tout ‎lui est irrémédiablement fermé. Adossé au mur (sens du mot « hittiste ») ou les bras croisés ‎sur le bord du trottoir, il regarde passer les autres et avec eux son temps et sa vie. Né dans ‎un univers où l’initiative personnelle n’existe pas, où elle est mal vue, où tout doit venir ‎d’ « en haut », il est condamné à la panne sèche dès le moment où rien n’en vient.

Or, « en haut », on n’a pas pensé à libérer les gens de l’ancienne relation ombilicale, on a ‎persisté au contraire à leur faire croire que la machine a connu certes quelques ratés, mais ‎qu’elle allait bientôt redémarrer. ‎

Si l’oisiveté est mère de tous les vices, le « hittisme » c’est un cran au-dessus, c’est la ‎vacance totale de l’âme, la démobilisation cérébrale, le regard de haine et de soupçon jeté ‎sur les autres, leurs voitures rutilantes et leurs habits. Un tel être est prêt à toutes les ‎aventures car il croit sincèrement qu’on l’a privé de sa part, que tout le monde s’est servi ‎sauf lui, et qu’il est le dindon de la force. Il fulmine silencieusement contre l’Etat qui ne l’a ‎pas employé et ne le logera pas. Il ne se prépare pas à revenir à la société, mais cherche le ‎moyen de la quitter ou de se venger d’elle.‎

Le « trabendiste » est l’expression de l’ « agent économique » dénaturé, de l’activité ‎souterraine et de l’évasion fiscale. Son dynamisme ne correspond à aucune logique, mais ‎illustre les penchants désordonnés d’une non-société livrée à la débrouille et à la « kfaza ».‎

‎ Le « trabendo » (marché noir des produits importés) est né de la pénurie de l’économie ‎dirigée. C’est le règne de l’esbroufe et de la contrebande, le passage entre les mailles des ‎filets de la douane et du fisc. Néanmoins, c’est grâce à lui que l’économie algérienne tient ‎encore : il pourvoit le marché en tout, occupe des milliers de jeunes et nourrit des centaines ‎de milliers de personnes, mais il reste malsain dans son principe.‎
L’idée que l’Indépendance ouvrirait l’ère de l’abondance a été utilisée très tôt et jusqu’à ‎l’inconséquence par le discours nationaliste. L’État populiste l’a reprise à son compte et ‎s’en est prévalu pour prouver son omnipotence.

Parti d’une inspiration pseudo-humaniste, le populisme devait aboutir à des ravages: ‎exode rural, abandon du travail de la terre, mépris des métiers traditionnels, explosion ‎démographique, gaspillage… Pire encore, il allait déstructurer mentalement l’Algérien ‎en lui faisant croire qu’on pouvait vivre sans travailler, que les études ne servaient à ‎rien, et que le « militantisme » dans le parti unique suffisait pour nourrir son homme. ‎
A la question « Qu’est-ce que vivre ? » un philosophe a répondu : « Vivre c’est se diriger vers ‎quelque chose, c’est cheminer vers un but. Le but n’est pas mon chemin, n’est pas ma vie. ‎C’est quelque chose à quoi je la dévoue. »

Pour que la marche des Algériens eût en 1962 une direction, et leur vie une signification ‎autre que zoologique, il eut fallu leur indiquer un but, leur fournir des raisons et des ‎modalités pour qu’ils vivent les uns avec les autres, les uns des autres, à l’intérieur de ‎valeurs consensuelles et de normes sociales et économiques rationnelles et équitables.

Or, à part celui de devoir ouïe et obéissance à leurs dirigeants, aucun idéal commun, aucune ‎liberté d’entreprendre, aucun rêve collectif ne leur furent offerts à l’Indépendance.‎

Sitôt terminé le combat pour la libération du pays le système politique imposé aux ‎Algériens leur dit : ne bougez pas, ne faites rien et ne dites rien, on s’occupe de tout ; ‎nous savons où nous vous menons et on fera votre bonheur, vous verrez ! ‎

Ils ont écouté leurs dirigeants autoproclamés, patienté pendant trente ans, puis un jour ils ‎prirent conscience que c’était pour rien, qu’on les avait livrés à la précarité et à l’insécurité ‎et contraints à l’immigration n’importe où. Leurs espérances ont accompagné les fausses ‎promesses des dirigeants qui leur avaient fait croire que l’Indépendance leur apporterait ‎tout, automatiquement. Le travail, le logement, la justice et la « kima » dans le monde ‎devaient être leur lot, leur dot.

Le pouvoir les avait déchargés de toute mission et de tout embarras du choix, et exonérés de ‎toute contribution à la réflexion et aux décisions engageant l’avenir. Il les adjurait ‎régulièrement de rester « durs de tête » et « mendiants et orgueilleux », les laissant dans ‎une totale disponibilité mentale et culturelle jusqu’à ce qu’ils deviennent les âmes vacantes ‎que des illuminés sont venus arracher de leurs gonds pour les précipiter dans le reniement ‎du moi national, le rejet de l’Etat et la haine fratricide.

Les Algériens n’étaient assurément pas un peuple à contraindre par la force ou à berner ‎par le boniment. Il n’y a pas plus difficile que lui à gouverner par la trique : les divers ‎occupants et l’Etat populiste l’ont appris à leurs dépens. Il s’est tu devant les abus et a ‎supporté les atteintes à sa liberté et à sa dignité, jusqu’à ce que la mesure soit dépassée. ‎Il a alors retiré sa confiance à ses dirigeants et disposé de son libre-arbitre, fut-ce pour ‎tout démolir. ‎

‎« Le Soir d’Algérie » du 10 juin 2012‎

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