Home ARTICLESLa problématique algérienne1990-1999 POUR SORTIR LE PAYS DE L’IMPASSE

POUR SORTIR LE PAYS DE L’IMPASSE

by admin

I) LA SITUATION

L’Algérie est en guerre contre elle-même. Divisée verticalement (entre pouvoir et population) ethorizontalement (entre islamistes, éradicateurs, réconciliateurs et modérés), elle se rapprochechaque jour davantage du chaos. Les institutionslégales ont disparu.

Aux yeux des citoyens, ce quitient lieu de pouvoir n’est qu’une faction decombat. Occupées par les tâches sécuritaires etleur propre autodéfense, les forces de l’ordrene peuvent plus accomplir normalement leursmissions civiles et publiques, ce qui a laissé lechamp libre à la criminalité ordinaire.

L’économiese délabre et les pressions sociales grandissent.Lachute des prix du pétrole réduit à néant tous lescalculs. La cessation de paiement va devoir êtrereconnue et il s’en suivra l’acceptation d’unepolitique d’ajustement structurel qui jettera à larue des centaines de milliers de nouveaux chômeurs. Le dinar sera nécessairement dévalué.La hausse des prix connaîtra un bond sansprécédent.

Les appels répétés à la communautéinternationale restent sans écho. L’absenced’autorités légitimes pouvant engager valablement et durablement le pays empêche celle-ci des’impliquer sérieusement. L’assassinat des ressortissants étrangers interdira pour longtempstoute velléité extérieure d’investir en Algérie.Certains pays commencent même à rapatrierleurs citoyens.

L’impasse sécuritaire et l’impasse économiquefont ainsi jonction pour rendre la situation désespérée. Les cadres qui le peuvent, fuient le pays.Le doute sur la viabilité de l’Etat et de la nationalgérienne est dans tous les esprits. Que faire?

II) LES STRATEGIES EN PRESENCE

1) Le HCEa fait perdre au pays duses années au cours desquelles leFIS, en même temps qu’il formait toute possibilité parted’expression aux autres partis,laissant ainsi la population sans aucune forme de prise en chargepolitique. A quinze jours de la fin de son mandat,il n’a pas encore assuré sa relève ni permis à unequelconque autre solution de s’impose. Le HCE continue de mettre en avant une stratégie del’attentisme et de paris périlleux sur l’avenirqu’il appelle « nouvelle période de transition » sans se demander à quoi a servi la précédente.Et quandbien même le pouvoir est partagé entre la négociation et la compromission entre les différentesparties, qu’est-ce qui garantit que l’Algérie pourraencore tenir par le provisoire et dans le transitoire?

2) L’ex-FIS a recouru a la lutte armée ouverteaprès qu’il eut été dissous. Certaines de sesrevendications sont légitimes et recevables, maisil ne peut pas les faire aboutir par la violence,comme il ne pourra jamais s’imposer à toute lasociété par la force. Tout au plus pourra-t-il tuerdes milliers de citoyens, saccager l’économie etruinerl’unité nationale. Asupposermême qu’aprèscela il accède au pouvoir, ce sera pour voiraussitôt une autre violence, un autre terrorismeprendra sa place dans les villes et les maquisquand lui aura investi ce qui serait resté de Etatalgérien. L’ex-FIS ne s’exprimant plus que parlesarmes, ses revendications ne sont pas clairement formulées.

3)L’Assemblée constituantequi aurait pourtâche de rédiger une Constitution démocratiqueissue de la volonté populaire nécessiterait deuxélections législatives en quelques mois entrecoupées ou suivies obligatoirement d’une électionprésidentielle. Le pays n’est pas en état de faireface à trois scrutins successifs aux résultatsextrêmement aléatoires. Cette stratégie se solderait par de nouvelles complications au lieu demettre fin à celles qui existaient déjà. Touteélection engageant un grand nombre de candidats au niveau de toutes les circonscriptionsfavoriserait le jeu du radicalisme et du régionalisme, sans dire qu’une Assemblée nationale sanschef de l’Etat pour l’installer et pour nommer lechef du gouvernement ne pourrait rien régler.

4)L’éradication par la force de toute expression islamiste en Algérie est un vœu pour laréalisation duquel tout a été mis en œuvre sansrésultats probants depuis maintenant deux années. La compétence, le dévouement et le sensde l’abnégation des forces de l’ordre dans leurensemble ne sont pas en cause.Cette stratégie,soutenue par des « républicains » hostiles au contenu de cette notion consiste à exercer, parjournaux interposés, des pressions sur l’arméeafin de la convaincre de les installer au pouvoir etd’exécuter la politique d’éradication de toutesrevendications en rapport avec l’islam. Ce n’estpas cette option qui ramènera la paix en Algériecar elle ne propose rien d’autre que d’imposer uneminorité à une majorité hostile et prête à davantage de violence.

III) LES PROPOSITIONS DUPRA

Elles visent à assurer une sortie progressive eten douceur du blocage, à préserver la face à toutle monde, à ne léser les droits de personne, àn’obliger aucune partie au conflit à des concessions inacceptables, à opérer une rupture graduelle et pacifique, sans règlements de comptesvengeurs ni chasse aux sorcières et, enfin etsurtout, à rétablir la nation dans ses prérogativesde détentrice de la souveraineté. Ces propositions consistent à préparer le retour à la stabilitéet à la paix civile parla tenue d’élections présidentielles (en juin 1994), d’élections législatives (endécembre 1994 ou mars 1995) et d’électionscommunales (en juin ou septembre 1995).

1) Pourquoi d’abord les présidentielles ?Parce qu’elles viennent en leur temps (fin du mandat commencé par Chadli et poursuivi par leHCE). Parce qu’il n’est pas possible d’organiserdes élections législatives, sans tenir compte desprécédentes ou de la vacance du pouvoir présidentiel. Parce que c’est le seul moyen gérable derenouer à moyen terme avec le cours normal deschoses. Parce qu’elles offrent à chaque courantla possibilité de retrouver sa place dans l’échiquier politique national. Parce qu’elles responsabilisent le peuple et l’obligent à choisir son destinen toute conscience et connaissance de cause ;parce qu’elles obligeront, par le jeu des reports devoix au second tour les partis politiques à dessolidarités salutaires et obligatoires. Parce qu’elles donnerontà l’Algérie une crédibilité internationale en la dotant d’un représentant légitime etlégal. Parce qu’aucun courant politique ne pourrajustifier sa non-participation au scrutin. Parce queleur résultat sera nécessairement différent decelui que donneraient des élections législativesdans lesquelles les influences locales, tribales, régionales et partisanes primeraient sur les enjeux nationaux. Parce que le pays deviendraitplus homogène en mettant d’un côté les partisansde la légitimité, de la légalité et de la paix, et d’unautre les partisans du désordre et de l’extrémisme. Parce que la valeur intrinsèque des candidats comptera autant que celle des partis qui lesproposeraient.

2) Comment organiser les présidentielles ?Le HCE dépose normalement son mandat devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci se met enrapport avec le Haut conseil de sécurité et conviennent, à titre exceptionnel et dérogatoire, demandater pour une courte période (jusqu’auxélections) une structure à caractère présidentielformée d’un nombre réduit de personnalités émanant de la haute hiérarchie militaire, du corps dela magistrature, du milieu politique ou de lasociété. Les attributions de cette structure intérimaire convergeront toutes vers l’organisationd’élections présidentielles régulières.

Sitôtinvestie, cette instance entre en rapport avec les partis politiqueset les représentants crédibles de l’ex-FIS pour lesconsulter sur la composition d’un gouvernementtransitoire chargé du maintien de l’ordre, del’expédition des affaires courantes et de la préparation du scrutin présidentiel. Un comité de supervision de la préparation des élections peut émaner de cette consultation. Il s’agira principalement d’arrêter la date, les critères d’éligibilité descandidats, les engagements à souscrire par chaque parti politique, le mode de financement,l’accès aux médias publics, etc.

Parmi les conditions il peut être prévu : que lespartis politiques convoquent des congrès extraordinaires à l’effet de proclamer leur acceptationdes engagements souscrits par leur direction(rejet de la violence, Etat républicain, alternanceau pouvoir par les élections, respect des libertéset de l’opposition légale) qu’ils désignent encongrès et publiquement leurs candidats.

Les représentants de l’ex-FIS introduisent auprèsde l’administration une demande d’agrément pour un nouveauparti politique. Le nouveau sigle qui en sortiraprendra à sa charge les revendications qu’ilestime défendables (libération des détenus d’opinion, réduction des peines, amnistie, grâces,etc.). Il s’astreint au respect des engagementsqu’aura déterminés le comité de supervision desélections. Il tient son congrès constitutif, désignepubliquement une direction et un candidat auxélections présidentielles.Les médias publics sontouverts aux débats sur les enjeux à venir, lesconséquences du comportement électoral descitoyens et l’impérieuse nécessité de mettre finà la violence. Des face-à-face télévisés entre lesdifférents candidats sont organisés. Des garanties que les résultats, quels qu’ils soient, neseront pas remis en cause peuvent être demandées. Les partis politiques peuvent passer desalliances et s’entendre sur des stratégies decandidatures communes afin d’éviter une tropgrande dispersion des voies électorales.

IV) CE QUE SERA LENOUVEAU PRESIDENT

Il sera avant tout la cible idéale des partisans dela violence. Il sera le premier homme à la foislégitime et légal qu’aura véritablement choisi lepeuple algérien dans des conditions de librechoix reconnues du monde entier. Il ne sera pasl’homme providentiel mais la première pierre dunouvel édifice institutionnel algérien. Il ne serapas une solution en soi, mais lepremier etmodeste maillon d’une chaîne, la première étaped’un long processus de solutions politiques, économiques, morales, sociales et culturelles quidevront impliquer le pays en entier. Il ne sera pasl’homme du parti qui l’aura proposé, mais celui dela majorité qui se sera formée au deuxième tourpour assurer sa victoire, et de là, celui de tous lesAlgériens. Il ne sera pas l’homme d’une faction,d’un groupe de pression ou d’un extrémismequelconque car le deuxième tour aura empêchéun tel profil de remporter la victoire, mais de lavoie médiane dans laquelle le pays devra puiserles solutions à ses innombrables problèmes. Ilsera l’homme de la transition historique vers l’Etatde droit et la démocratie véritable. Il sera le garantque c’est à l’Etat que devront revenir la charge etla garde de l’Islam, de l’arabité et de l’amazighitéqui fondent la nation algérienne. Il sera l’hommede l’union nationale et du compromis historiquequi assurera à tous les Algériens le droit de vivrelibrement et dignement dans leur pays.

V) CE QUE FERA LENOUVEAU PRESIDENT

Sitôt son élection validée par le Conseil constitutionnel, le nouveau président nomme un nouveau gouvernement sur la base de la cartepolitique qu’auront dessinée les résultats du scrutin. Il consulte les partis politiques consacrés parles élections et recueille leurs doléances.

Il abroge toutes les procédures et structures d’exception etmet fin à l’état d’urgence dès que la situationsécuritaire le permettra. Il reçoit les demandesde grâce, d’élargissement et de réduction despeines et donne satisfaction à toutes celles qui luisembleront de nature à améliorer le rétablissement de la concorde nationale. Il mobilise lanation contre les résurgences éventuelles de laviolence. Il conforte l’armée dans sa vocationnaturelle. Il prendra toutes mesures concourantàapaiser la haine et à panser les blessures de lanation.

Il chargele nouveau gouvernement d’unionnationale, en concertation avec les partis, depréparer les amendements à apporter à la Constitution. Il soumet à la nationpar voie référendaire ces amendements, comme il peut envisagerd’appeler le peuple à s’exprimer sur des questions troublant la sérénité nationale (code de lafamille, place de l’amazigh dans l’enseignement,décentralisation régionale…).

Une fois la Constitution amendée, le gouvernement s’attelle, avecles partis, à la préparation des élections législatives.Dès la proclamation officielle des résultats deces élections, le président nomme un chef degouvernement issu de la majorité parlementaireou de la coalition de partis qui l’aura acquise. Ilinstalle l’Assemblée nationale dans ses prérogatives légiférantes.Le président reste le garant de la Constitution etdu fonctionnement régulier des institutions. L’opposition accomplira sa mission et ses droits àl’intérieur de l’enceinte parlementaire.Le nouveau gouvernement applique le programme pour lequel il aura été élu. Il s’emploie àrelancer l’économie et à préparer les électionscommunales et wilayales.

Au plan international le président et le gouvernement plaident pour un engagement international en faveur de la relance économique en Algérie. Ils ouvrent l’économie nationale à l’investissement direct et à la prise de participations dans lessecteurs attractifs afin d’impulser le plus rapidement possible une dynamique de création d’emplois et de croissance de la production des bienset services, ce qui contribuera à réduire lestensions sociales et politiques dans le pays.

VI) CONCLUSION

La violence qui est en train de donner desAlgériens dans le monde une image particulièrement horrible est indirectement attisée par ceux-là mêmes qui, au pouvoir, tentent d’intéresserl’étranger à venir investir en Algérie. Sans flux decapitaux important vers l’Algérie, le chômage,l’inflation et la crise du logement iront en s’amplifiant jusqu’à dresser toute la population contre lepouvoir. Or, ce dernier est devenu un doubleobstacle à la solution des problèmes algériens.

Ilne peut pas vaincre le terrorisme parce qu’il estillégitime, et il ne peut pas relancer l’économieparce que la violence sévit et n’épargne rien. Unesolution politique impliquant les partis politiques,l’Armée et la population électorale est la seulefaçon de sortir le pays de l’impasse. Chaqueattentat commis affaiblit le pouvoir et renforceses auteurs. L’armée a tort de croire qu’unenouvelle période d’attente, gérée par des gens quise seront cooptés, modifiera le rapport des forcesen sa faveur. Si elle s’engage de nouveau danscette direction et que celle-ci démontre qu’elle nemène à rien, elle s’effondrera et le pays sombrerait définitivement dans le chaos.

Le seul moyende venir à bout de la violence, c’est de lui ôter lesmotivations qui l’animent et qui font qu’elle jouisse d’une assistance populaire indéniable. Il fautdonc s’orienter le plus vite possible vers dessolutions définitives qui mettront du même côtéune majorité de la population électorale, l’armée,les partis politiques et l’opinion internationale.Seule une telle condition sauverait l’Algérie. Etpour l’acquérir, il n’y a que le retour progressif auprocessus électoral.

 « La Nation » du 15 decembre1 993

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