L’appel au dialogue que vient de lancer ànouveau le pouvoir constitue, au vu de l’échec desprécédentes expériences et de la détérioration dela situation sur tous les plans, l’ultime chance devoir la crise algérienne résolue par les Algériensentre eux.Ce nouveau round sera vraisemblablement ledernier. S’il devait échouer, il faudra s’attendreau chaos final et à une internationalisation de lasolution. Aussi, l’opinion nationale veut-elle accrocher ses derniers espoirs, et l’étranger ce quilui reste d’illusions, sur les capacités du pouvoir àrétablir une situation déjà gravement entamée.
Le nouveau dialogue doit donc êtreimpérativement concluant.Il faut absolument qu’il aboutisse à des décisionssusceptibles d’entrer en application dans desdélais raisonnables.Il ne tient qu’au pouvoir et aux partis politiquesde faire de cette nouvelle tentative l’occasion de laconclusion d’un accord sur une issue politique etpacifique à la crise.Rechercher un nouveau répit serait suicidaire,comme il n’est plus besoin de rencontresspectaculaires ou de palabres byzantines. Chaquepartie au dialogue devra afficher publiquement sespositions, proposer des solutions réalistes, et viseren tout premier lieu l’intérêt général et le bien dupays.
Le dialogue devra se poursuivre dans latransparence jusqu’à l’aboutissement et l’opiniontenue informée du comportement de chacun afinqu’elle distingue ceux qui œuvrent à la restaurationde la paix de ceux qui persistent dans l’obstruction,qui se livrent au chantage ou louvoient au nom deraisons inavouées.
Depuis l’interruption du processus électoral enjanvier 1992 toutes les stratégies mises en œuvre pour regagner la confiance populaire, relancerl’économie, éradiquer le terrorisme ou rassurerl’étranger, ont échoué.
Aujourd’hui, c’est toute l’approche de la crise quidoit être revue en profondeur. La doctrine duprovisoire et du transitoire a atteint ses limitesTout ce que le pouvoir veut construire, leterrorisme s’attache à le détruire sous les yeuximpuissants et indifférents de la population. Lepays ne peut plus continuer dans cette voie sansrisquer l’éclatement.Tel qu’il se présente, le pouvoir ne tiendra pastrois ans en dépit des tartarinades de quelquesministres qui quitteront le navire quand le naufragedeviendra patent. Où sont ceux qui nous ontmenés là où nous en sommes ?
Les bienfaits escomptés du rééchelonnement dela dette et de l’aide étrangère ne se concrétiserontpas dans l’insécurité et la précarité. Sansinvestissements massifs extérieurs, il n’y aura nicréation importante d’emplois, ni croissance, niréponse satisfaisante aux besoins sociaux quis’accroissent au fur et à mesure de la progressiondémographique.
Le silence imposé à la société et la stratégie dedécrédibilisation des partis politiques ont isolé lepouvoir et achevé de convaincre tout un chacunqu’il ne veut ni d’un Etat de droit, ni d’un régimedémocratique soucieux de l’intérêt et du biengénéral, mais d’un statu quo propice à denouvelles manigances.
C’est d’ailleurs dans cette attitude que leterrorisme puise ses arguments avec lareconnaissance d’une population usée parl’obstination d’un pouvoir qui croit se renouveler enchangeant fréquemment de figures, alors que c’estde légitimité totale qu’il manque.Or, la légitimité ne s’improvise pas et ne setrafique pas. Elle ne s’acquiert pas par la ruse oupar les artifices, mais résulte du consentementlibrement exprimé. C’est donc entre les mains dupeuple algérien que se trouvent les clés de la crise algérienne. Encore faut-il qu’il puisse les engageren temps voulu dans les serrures.
La tâche d’annihiler un terrorisme qui n’a pas devisage, qui n’occupe pas sur le terrain despositions marquées, qui évite le face-à-face maisfrappe et disparaît, est au-dessus des forces den’importe quel ordre au monde, quel que soit ledegré de son efficacité.Nos forces de l’ordre ont été loyales et leurssacrifices considérables, mais il est urgent de lesdécharger de la responsabilité de trouver unesolution armée à un problème politique.
Seul le peuple, c’est-à-dire le corps électoral,peut vaincre définitivement le terrorisme en luiôtant ses arguments et motivations par des voiesélectorales. L’action des forces de l’ordre prendraalors tout son sens car intervenant en appoint eten renfort d’une volonté générale qui se seraclairement manifestée. De qui et de quoi, leterrorisme pourra-t-il continuer de se prévaloir ?
C’est au pouvoir d’apporter en premier lapreuve que ce n’est pas la possession de la forcequi fonde le droit d’accéder au pouvoir au méprisde la volonté populaire.L’occasion de le faire lui est une nouvelle foisfournie.Le but prioritaire du dialogue est de rechercherles voies et moyens de faire cesser au plus vite laviolence.
Dès maintenant il faut préparer le peuple à jouerson rôle de rempart contre la tentation et la dériveterroristes en lui explicitant les enjeux actuels, enfavorisant son éducation électorale, en luipermettant de débattre sérieusement des grandesquestions qui l’agitent (place de l’Islam, statut del’amazighité, répartition du produit national, moralisation de la vie publique, sens de ladémocratie…).
Cette action de mobilisation, de sensibilisation etd’implication du corps électoral dans la recherchede la paix et de la stabilité implique qu’on luiredonne la parole, qu’on ouvre les médias auxpartis politiques et aux associations qui lereprésentent, qu’on lui propose un discourspolitique nouveau, rationnel, porté non par deshommes du passémais par des hommes neufs,crédibles, convaincants…
La mouvance islamique qui a levé l’étendard dela guerre pour faire valoir ce qu’elle estime être sesdroits participe de ce corps électoral et du peuple.Sans une contribution franche, claire et publiquede sa part, aucune solution durable n’interviendra.Mais qu’elle se dérobe à une ouverture sincère ettout le monde la désavouera. Le présent dialogue la concerne au premier chef et doit s’efforcerd’aboutir à une offre de solution globale qu’elle nesaurait refuser sans perdre toute crédibilitéintérieure et extérieure.
Quelle que soit l’appréciation que l’on peut portersur le passé récent, les origines ou les auteurs dela crise, il y aujourd’hui plus important que d’avoirdes procès : il s’agit de corriger les erreurs, deredresser les torts, de rétablir la communication,de respecter le droit à la vie de ses compatriotes,de retrouver l’amour de sa patrie, de se réveiller ducauchemar…
Tout conflit, toute mésentente, toute bataille ettout problème a trouvé un jour ou l’autre son dénouement. Pourquoi ne pas sehâter d’anticiper l’issue et de réaliser aujourd’huice qui ne manquera pas d’arriver demain avec un surcroît en pertes humaines et matérielles. A une ou deux exceptions près, toutesles formations politiques sont pour un retour auxélections. Aussi bien le pouvoir que des voixautorisées au sein de l’ex-FIS sont d’accord pourreprendre le processus électoral. Ce principe étantacquis, il ne reste qu’à s’entendre sur l’ordre danslequel cette reprise devrait s’effectuer ainsi que surson calendrier et ses modalités techniques.
Faudra-t-il revenir au premier tour des électionsde 1991 ? Lancer de nouvelles électionslégislatives ? Commencer par les présidentielles ? Renouveler les APC-APW ? Ou tout subordonnerà l’élection d’une Assemblée constituante ayantpour mission d’élaborer une nouvelle Constitution ?
Les positions et les vœux des parties audialogue favorables à un retour aux élections sontcontenus danscette problématique del’enchaînement des scrutins : par quoi commenceret pourquoi l’un plutôt que l’autre ?Il faut tenir pour certain que toutes ces électionsdevront d’une manière ou d’une autre se produire.
Ce qui est requis c’est de s’entendre sur leurinscription dans le temps le plus proche, enprenant en compte les contraintes objectives, lesavantages et les inconvénients de chacune, selonqu’elle se déroule avant ou après les autres.Il est indéniable que leur classementchronologique est déterminant et leurs effetsd’entraînement décisifs pour la stabilisation et lanormalisation des choses. La théorie des dominosjoue ici pleinement. Les résultats de la premièreélection peuvent entraîner une réaction en chainepositive, comme ils peuvent être d’un effet néfastesur le reste du processus.
Les élections en elles-mêmes n’ont de sensque si elles sont un moyen sûr de mener le paysvers la stabilité, la paix, le développement et ladémocratie. Il sera très difficile de parvenir à unconsensus étant donné les exigences, lesméfiances et l’irréalisme des uns et des autres. Ilne faut pas s’attendre à l’unanimité autour d’uneformule, mais il faut cependant avancer ettrancher définitivement. Le critère en la matièredevra s’inspirer de ce qui peut être fait dans lesconditions actuelles du pays, en partant duprincipe de la recherche du plus grand bien et du moindre mal pour tous.
L’heure n’est plus à l’obstruction, à la surenchère, au chantage ou à la singularisation. Si, jusqu’à présent,l’obstruction étaitsurtout le fait du pouvoir, il est à craindre qu’elle nedevienne aujourd’hui le fait de l’opposition. Cesserait alors pire. Elle se discréditerait pour de bon et le peuple perdrait ses derniers espoirs.
En ce qui le concerne, le PRAn’a aucuneposition dogmatique à faire prévaloir. il acceptera toute autre conception que la sienne capable deréaliser l’objectif de paix recherché. Il reste que denotre point de vue le meilleur enchainement deséchéances électorales peut être le suivant :
1 – Elections présidentielles dans les 6 moisFormation d’un gouvernement d’union nationalesur la base des scores réalisés par les partis encourse.
2- Elections législatives 6 mois plus tard.
3- Révision de la Constitution par voieréférendaire.
4- Elections communales et wilayales.
Les structures actuelles de la transitionpourraient, en liaison avec les parties au dialogue,revoir et adapter aux nouveaux besoins la loiélectorale et la loi sur les partis.Entretemps, le dialogue aura réglé le problèmede la réinsertion de l’ex-FIS dans l’activité politiquelégale et établi les critères et les conditions departicipation aux élections présidentielles.
La crise meurtrière que vit notre pays depuistrois ans a profondément bouleversé les donnéesde départ et les modes de pensée. Il est prévisibleque ces changements révèleront leurs effets lorsquele peuple aura retrouvé la parole. Il n’y a aucuneraison d’avoir peur de l’avenir ou de sous-estimernos capacités de bâtir notre nation. Le tout est queles parties au dialogue n’entravent pas leprocessus de solution sous prétexte que desans à profondément bouleversé les donnéesde départ et les modes de pensée.
Il est prévisibleque ces changements révèlent leurs effets lorsquele peuple aura retrouvé la parole. Il n’y a aucuneraison d’avoir peur de l’avenir ou de sous-estimernos capacités de bâtir notre nation. Le tout est queles parties au dialogue n’entravent pas leprocessus de solution sous prétexte que desthèses particulières n’auront pas été consacrées.De toutes les façons, le peuple et l’Histoirejugeront.
« EL-WATAN » 16 Aout 1994