Pendant vingt-sept ans l’Algérie a été dirigée comme un orphelinat. En vingt-sept semaines, voici l’orphelinat déclaré zone démocratique, et ses occupants proclamés souverains.La question est de savoir ce que va pouvoir la démocratie libérale dans un pays où le pouvoir a précédé la société politique, où les habitants ne sont plus une société agraire sans être encore une société industrielle, où l’islam règne mais ne gouverne pas, où le vouloir vivre ensemble n’est pas définitivement acquis, où le logement, le plein- emploi et la couverture sociale ne sont pas compris comme les résultats du travail mais comme ses préalables, et où le peuple, six mois plus tôt, n’en espérait pas tant.
Ce système politique qui doit être pris pour ce qu’il est, c’est-à-dire une technologie sophistiquée, va poser à la société algérienne des problèmes autrement plus délicats que ceux que lui ont posés l’industrialisation ou le transfert de technologie.Plus que de techniques neutres, de savoir-faire scientifique ou d’usines clés en main à acquérir, il va s’agir d’adapter des structures mentales, de plier des traditions sociales, de conformer des comportements non seulement à un cadre institutionnel nouveau mais à une philosophie politique dont les postulats prêtent déjà à discussion.
Les Algériens sortent d’un échec : celui, qui s’est terminé dans le sang, d’un monopartisme qui a voulu vendre à un peuple crédule une société sur plan et qui l’a en fin de compte abandonné à la belle étoile.Avec quel viatique s’engagent-ils dans le multipartisme? S’apprêtent-ils de nouveau à « labourer la mer », ou vont-ils enfin tirer la leçon de leurs innombrables échecs?
Au cours des dix dernières années nous avons vu venir, comme beaucoup d’autres, ces échecs et essayé de dire non avec les moyens de l’époque au gâchis, à la démagogie, au despotisme…
mars 1989
