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TUNISIE : AU FOND DU PROBLEME

by admin

« Ce n’est pas le Parlement qui doit régner ; c’est le peuple qui doit régner à travers le Parlement ».‎ (Winston Churchill)‎

Le président tunisien est un homme à prodiges. Venu à la politique à un âge tardif, sans parti, sans ‎partisans, sans argent, sans passé, sans programme, Kaïs Saïed a toutefois réussi la prouesse de ‎prendre la présidence de la République avec un score qui fait rêver.

Il n’a pas eu à sillonner le pays, ‎c’est à peine s’il a été vu dans quelques cafés et places publiques. A l’ère du virtuel et du digital, ‎quelques apparitions à la télévision ont suffi à faire de lui un chef d’Etat qui sera peut-être un jour ‎comparé en Tunisie à Churchill ou de Gaulle.‎

Le professeur de droit inspirant confiance avec son profil de notaire du XIXe siècle et l’autorité avec ‎son allure militaire, fleurant les bonnes choses d’antan et parlant l’arabe comme Mutanabbi et le ‎français comme Chateaubriand, cet homme ancien et moderne à la fois gagna immédiatement les ‎faveurs de l’électorat tunisien déçu par une classe politique se complaisant dans des compromissions ‎pendables.

Inconnu au bataillon, sans CV politique susceptible de lui attirer des critiques, propre ‎comme un sou neuf, il n’y avait rien à lui reprocher et ses rivaux rageaient de n’avoir, comme au judo, ‎par où l’attraper. ‎

Comble de la chance pour ce candidat né avec une urne bourrée de bulletins à son nom, il avait pour ‎principal concurrent un homme d’affaire suspecté de faits de corruption qui n’a été sorti de prison, ‎pourrait-on croire, que juste le temps de l’aider à prendre possession du palais de Carthage. L’examen ‎de passage consistait à passer entre les gouttes. Il y arriva comme s’il avait été un photon.

Une fois dans la place, à la table de convives qui avaient l’air de s’entendre comme larrons en foire et ‎qui se gaussaient de lui en cachette, le béni des urnes dissimulait difficilement son désappointement. ‎Qu’est-il venu faire dans cette galère ?

Il savait avant de venir que son statut serait celui d’un invité de ‎marque tenu au rôle de spectateur et en souffrait en son for intérieur, mais il piaffait d’impatience de ‎renverser la table. L’œil rivé sur le thermomètre de l’humeur populaire, il attendait qu’une partie ‎significative de l’opinion publique montrât son ras-le-bol pour passer à l’acte.‎

Il savait depuis le départ ce qu’il voulait, mais ne pouvait s’en ouvrir aux autres au risque de les voir ‎sauter au ciel avant de lui tomber dessus. Il n’ignorait pas que la Constitution tunisienne ne laissait que ‎des pouvoirs honorifiques au président de la République quand il n’était pas soutenu au parlement par ‎un parti solide ou une coalition cohérente.

Winston Churchill n’avait pas tort d’affirmer que la démocratie était le système politique le plus ‎mauvais, mais qu’il n’en connaissait pas de meilleur. Ce système a en effet un talon d’Achille, un point ‎faible qui peut le paralyser à l’instant où le peuple vote pour un président appartenant à un camp ‎politique (ou sans) et des députés appartenant au camp opposé.

Cela s’est vu en France avec la « Cohabitation » sous Mitterrand (un président de gauche avec une ‎majorité de droite au parlement) et Chirac (le contraire), et aux Etats-Unis chaque fois qu’un président ‎démocrate s’est retrouvé avec un Congrès à majorité républicaine ou l’inverse. Dans ces cas, les ‎présidents devenaient des « légumes trônant au sommet d’un plat de couscous » comme on aime à ‎dire au Maghreb, c’est-à-dire compter pour du beurre.‎

Le président tunisien a probablement trouvé une référence dans l’expérience de Charles de Gaulle ‎qui, en 1958, avait mis fin au règne du « partisme » sous la Quatrième république, et ramené le centre ‎et les manettes du pouvoir à l’Élysée. Kaïs Saïed souhaite les ramener au palais de Carthage. ‎

C’est cela son défi, son programme secret, son problème, et c’est là que réside le sens du demi-coup ‎d’Etat qu’il vient d’opérer après avoir refusé la prestation de serment de membres du gouvernement ‎nouvellement nommés, ce qui ne leur permit pas de prendre leurs fonctions, et d’user de ses ‎prérogatives de chef des forces armées pour interdire aux députés l’accès au parlement.‎

La Constitution tunisienne de 2014 a bien fonctionné sous Béji Caïd Essebsi car il disposait d’un parti ‎solide (qui ne lui a pas survécu) et d’une coalition confortable au parlement. La « faute » aujourd’hui ‎ne vient pas de la Constitution, mais de l’électorat et de la classe politique qui n’ont pas réfléchi aux ‎conséquences de l’élection d’un président ne disposant pas d’un parti majoritaire. Le blocage ‎institutionnel était assuré.

En fait le problème est plus complexe. Il n’est pas tunisien, mais inhérent au système démocratique lui-‎même, et plus exactement à la théorie de la séparation des pouvoirs qui, à l’usage, s’est avérée plus ‎fictive que réelle.

Dans la réalité des choses, le pouvoir exécutif ne peut pas être séparé du pouvoir ‎législatif. L’un et l’autre doivent émaner du même bord politique et défendre les mêmes intérêts, ‎sinon le système ne fonctionne pas.

Le premier n’a d’autre façon de faire que de traduire le ‎programme politique sur lequel il a été élu en projets de lois, et le second (quand la majorité des ‎députés ont été élus sur la base du même programme) est obligé de les voter. Exercer le pouvoir est ‎chose impossible sans les deux.‎

L’idée à la base de la réflexion de Montesquieu était cohérente : le peuple souverain crée un lieu où ‎siègent ses représentants pour diriger les affaires communes. C’est le parlement, où s’exerce le ‎pouvoir législatif qui a pour rôle de capter les volontés du peuple et de les exprimer dans des textes de ‎lois spécialisés.

Mais pour transférer le contenu de ces lois dans le monde du réel, de la vie sociale, il ‎faut une équipe dont la mission serait de réunir les conditions de leur mise en pratique à travers des ‎institutions, des structures, des moyens collectifs et des politiques publiques. C’est le pouvoir exécutif ‎qui a fini par prendre les proportions de l’Etat. ‎

Le parlement contrôle l’exécutif pour s’assurer que les intérêts du peuple sont bien défendus et les ‎moyens bien utilisés et le sanctionne au besoin en le renvoyant, mais ce n’est pas assez pour garantir ‎l’intérêt public et pallier au risque de l’abus de pouvoir quand on en a trop. Il faut des contre-pouvoirs ‎indépendants des deux.

On convint de la nécessité de désigner un bloc d’hommes de loi, le pouvoir ‎judiciaire, chargé de contraindre tout le monde au respect des lois faites « au nom du peuple » et ‎mises en œuvre par l’État.

Dans la réalité, le pouvoir exécutif ne peut rien faire sans le pouvoir législatif. Ils ne peuvent pas être ‎‎« séparés », et encore moins rivaux, mais doivent travailler ensemble, être unis, soudés, procéder du ‎même esprit et tendre aux mêmes buts. Le pouvoir judiciaire, lui, n’est pas tenu à cette « unicité », ‎mais s’il devient absolument « indépendant », il pourrait à son tour abuser de sa position et échapper ‎au contrôle, ce qui nuirait au bien de tous.‎

La Tunisie est en crise parce qu’elle a dérogé à cette articulation et commis une double distorsion : ‎l’une à l’intérieur du pouvoir exécutif (formé d’un président de la République élu par le peuple mais ‎sans pouvoirs réels, et un chef de gouvernement désigné par le parlement et responsable devant lui ‎seul), et entre le président et le parlement qui s’entravaient l’un l’autre autant que possible.

Faute de ‎coopération, l’attelage tunisien s’arrêta au milieu du gué, ne pouvant ni avancer ni reculer, tandis que ‎les problèmes économiques et sanitaires s’accumulaient, menaçant de déclencher une révolution.‎

La démocratie est affaire de culture, plus que de mécanique juridique. La culture sociale et politique ‎des Maghrébins est imperméable à l’idée qu’un président de la République ou qu’un roi ne détienne ‎pas des pouvoirs réels. Pour eux c’est un non-sens : « Un chef est fait pour « cheffer !» » selon la ‎formule de Jacques Chirac qui est toute de bon sens.

Comment sortir de ce conflit ? Il n’y a pas trente-‎six solutions mais deux :‎

‎1) Le président laisse la Constitution en l’état. Le parlement retrouve ses attributions. Les partis de la ‎coalition n’accepteront pas un gouvernement nommé hors de ce qu’édicte la Constitution, et ils ‎pourraient aller jusqu’à engager une procédure en destitution contre lui, voire le poursuivre ‎pénalement ainsi que les y autorise la Constitution.‎

‎2) Tout le monde accepte de passer l’éponge sur le demi-coup d’Etat et accepte d’aller de l’avant pour ‎réparer le dysfonctionnement et veiller à ce qu’il ne se reproduise plus. Président et partis représentés ‎au parlement s’entendent sur une réforme constitutionnelle visant à trancher définitivement entre un ‎régime parlementaire dans lequel le président de la République est élu par le parlement, et un régime ‎présidentiel à l’américaine ou semi-présidentiel à la française, où les pouvoirs seraient équilibrés et ‎cohérents même en situation de « cohabitation ». Le peuple en décidera par voie référendaire. S’il ‎entérine la réforme, des élections générales sont organisées pour réinitialiser le système et repartir ‎d’un nouveau pied.

La chance ne sera d’aucun secours dans la phase actuelle car elle agit sur les individus, pas sur les collectivités.‎

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