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LETTTRE OUVERTE A FERHAT MHENNI

by admin

Cher frère,‎

Je vous appelle « frère » avec la connotation de conciliation qu’y mettent les Algériens en dépit de la ‎distance que vous avez prise avec votre ancien pays et ses habitants non kabyles.

Nous appartenons à la même génération, et nous entamons le dernier tour de piste de notre ‎existence que nous avons dévouée, vous à la Kabylie, sa culture et sa langue, moi à l’Algérie dans ses ‎frontières reconnues et avec la variété de populations qui l’occupent depuis des millénaires sans qu’il ‎ne manque un individu à l’appel.

A quoi il faut ajouter sa Constitution où sont plantées les ‎constantes nationales : l’islam, l’amazighité, l’arabité, les valeurs de novembre (dont l’unité du peuple ‎et du territoire), la démocratie et la modernité.

Nous nous connaissons de nom si je ne m’abuse depuis au moins le « printemps amazigh » de 1980. ‎Vous étiez déjà un militant de la mouvance culturelle berbère et un artiste connu, et moi j’avais eu la ‎hardiesse, en avril 1981, de questionner la cause que vous défendiez dans trois articles consécutifs aux ‎titre éloquents : « Vérités sur la culture », « Origines et vocation de l’Algérien » et « L’Algérien et le ‎Sens du monde ».

Ces articles avaient été reçus avec colère par les militants de votre cause. Je le sais parce que j’avais ‎reçu beaucoup de lettres comminatoires au journal. Tout y était, le présent, le passé et l’avenir des ‎Algériens, terme que j’avais mis au singulier exprès pour exprimer ma hantise d’être un jour, comme ‎peuple, divisés par l’idéologie berbériste dont je suivais la gestation depuis la fin des années 1960 en ‎France (création de l’Académie berbère) et au Maroc (apparition du « Mouvement culturel Amazigh »).

Je suivais aussi et avec la même hantise la montée de l’islamisme politique dont le point culminant était ‎alors la révolution iranienne que j’ai vécue de l’intérieur avec les Iraniens. De retour dans mon pays, je ‎lui ai consacré un long reportage trois jours de suite que vous avez peut-être lu (juin 1979).‎

Dans les années 1990, nous nous sommes croisés dans les travées de la vie politique et nous sommes ‎rencontrés quelques fois au siège du PRA ou du RCD.

Depuis, de l’eau et du sang ont coulé sous et sur ‎les ponts par la faute de l’inévitable entrechoc des trois « açabiyate » (esprit de corps) représentées ‎respectivement par le centralisme d’un pouvoir cruel et incompétent, l’« islamisme » ignare et ‎populiste, et le « berbérisme » condamné au séparatisme du fait d’être lié à une région placée au ‎centre du pays comme le cœur dans la cage thoracique : inexpugnable et insécable.‎

Deux ans avant que n’apparaisse le terrorisme à partir de mars 1992, j’avais évoqué le mot dans un ‎texte daté de mai 1990, et plusieurs fois répété qu’après viendrait le tour du berbérisme, mais ‎personne ne comprenait le sens de ce que j’annonçais parce qu’inimaginable. ‎

Vous m’avez interpellé dans votre allocution du 18 août en me présentant comme quelqu’un qu’on ne ‎peut pas soupçonner de « kabylisme » ou de « kabylophilie ». Vous avez raison pour le premier point ‎car je n’accepterai jamais le démembrement de mon pays, comme je ne crois pas à l’existence d’un ‎sentiment séparatiste majoritaire en Kabylie, et tort pour le second point car j’aime les Kabyles autant ‎que tous les Algériens vivant sur chaque mètre carré du territoire national.

Vous m’avez interpellé en fait parce que j’ai fait le rapport dans mon dernier article entre l’assassinat ‎du jeune Djamel Bensmaïl et l’organisation que vous dirigez en me référant aux aveux faits par certains ‎suspects se réclamant d’elle.

Profondément remué par ce crime à l’instar de tous les Algériens et ‎Algériennes, je lui ai consacré quatre articles consécutifs déjà, et reste dans l’attente des résultats ‎officiels des enquêtes pour continuer car la mort de ce jeune homme dans un rituel cannibale a changé ‎quelque chose en Algérie et vous êtes concerné en raison du discours que vous avez développé ces ‎dernières décennies qui y est pour beaucoup.‎

Je ne suis pas une instance judiciaire, administrative ou politique pour lancer des accusations contre ‎vous ou juger quiconque, mais un intellectuel libre et indépendant qui présente au public depuis 1970 ‎des analyses susceptibles d’éclairer la vie nationale avec un grand souci d’objectivité et de sérieux et ‎en m’assurant de la sûreté de mes données. ‎

Si je critique sans ménagement le pouvoir et les hommes qui l’exercent, je respecte l’État et le défend ‎parfois contre eux, comme quand ils croient édifier une Algérie « nouvelle » en l’érigeant sur 4% des ‎votes. Cela donne juste un État de quatre sous qui ne saurait aller loin. ‎

J’impute à cet État le risque de perdre la Kabylie plus qu’à votre organisation. Eux l’ont déjà sortie des ‎consultations électorales et des institutions représentatives de la nation, tandis que le MAK n’a pas fait ‎changer de place à un cailloux avant la dernière furie incendiaire.‎

Votre projet est irréalisable parce que rejeté par la Kabylie et toutes les régions du pays. Vous ne ‎pouvez ni arracher la Kabylie du restant de l’Algérie pour l’emmener ailleurs, ni y implanter une ‎population venue d’ailleurs, ni vivre au beau milieu des uns et des autres.

Aucune région n’appartient en propre à ‎ses habitants, et la terre algérienne appartient d’abord à Dieu, aux martyrs de la Révolution ensuite, ‎parmi lesquels votre père, et enfin au patrimoine commun.‎

Jamais au cours de l’histoire tumultueuse de l’Algérie un occupant n’a entrepris de couper la Kabylie du ‎reste du pays pour en faire une entité distincte : ni les Phéniciens, ni les Romains, ni les Arabes, ni les ‎Ottomans, ni la France.

Si cela avait été faisable en deux millénaires, l’un ou l’autre l’aurait fait. Et si ça ‎ne s’est pas fait en 2000 ans, ça ne se fera pas dans les deux suivants. Même chose pour Ghardaïa qui ‎présente encore plus de facteurs favorables à l’autarcie et à l’autonomie que la Kabylie, sans que nul ‎Mozabite n’ait pensé un jour à la détacher du pays. ‎

De mon point de vue, il y a plus de chances que la Kabylie devienne un Émirat afghan qu’un clone ‎d’Israël, surtout s’il se confirme que vous fricotez avec Zitot qui vend des mensonges la nuit et des ‎téléphones indétectables « Thuraya » le jour. Déguisé en humaniste démocrate en attendant de se ‎vêtir en Mollâ taliban, il se rêve remontant en mobylette pétaradante le boulevard Frantz Fanon ‎escorté par une horde de ses « Ahrars » pour aller au MDN remettre un million d’euros à chaque ‎général consentant à sa radiation comme il l’a promis.

Le Maroc a eu tort de mettre récemment en balance la Kabylie et le Sahara occidental, même avec la ‎bénédiction intéressée et irrespectueuse du droit international de Trump avant de partir, et d’Israël ‎depuis toujours.

Depuis la création du MAK il y a vingt ans, seuls ces deux États s’intéressent à vous ‎pour leurs intérêts et non ceux de la future Kabylie qu’ils savent qu’elle ne verra jamais le jour. Si la ‎géopolitique mondiale est en défaveur de la RASD, c’est parce qu’elle ne veut pas d’un sixième Etat au ‎Maghreb. Que dire d’un septième…‎

Les deux États en question ne croient pas à la moindre chance d’aboutissement de votre entreprise, ‎mais vous utilisent pour soumettre au chantage la diplomatie algérienne qui est, malheureusement, ‎une diplomatie des idéaux, des principes et des causes « sacrées », quand celles du Maroc et d’Israël ‎sont des diplomaties du réalisme, des intérêts et des gains empochés.

Cette diplomatie des causes perdues s’explique en grande partie par des inclinations psychologiques ‎irrationnelles dont je parle depuis les années 1970, une mentalité typiquement algérienne que vous ‎connaissez autant que moi et résumée dans ce genre de formules :

« Nif w lakhsara », « Zolt w ‎tfar’in », « anarez wala neknou », « Taghannant, takhasssaart », « Ma andnach w maykhassnach », ‎‎« Maaza wla tarat » « A’mili ain… », etc.‎

Comment, sachant cela, au fait de l’existence de ces propulseurs nucléaires nichés dans les ‎profondeurs abyssales des Algériens, avez-vous pu penser qu’ils vous laisseront prendre la Kabylie ‎comme si elle avait été un morceau de pizza ou un élément d’un puzzle facilement détachable.‎

Les puissances armées de la planète entière pourraient converger vers notre pays et l’occuper, ‎anéantir son Etat et son armée, mais jamais elles ne repartiront avec la Kabylie en poche, ni ne ‎réussiront à en faire une « zone verte » où vous vivriez en paix.

A mon avis, il vaut mieux abandonner la partie et vous mettre en règle avec votre pays d’antan afin de ‎pouvoir revoir la Kabylie chère à votre cœur et retrouver ne serait-ce que le plaisir d’une sieste sous un ‎figuier, votre burnous ramassé en forme d’oreiller sous la tête, et vous reposer enfin, vous qui avez ‎tant été éprouvé par une vie ingrate où vous ne comptez plus les trahisons.

Abdelkader Rahmani, le fondateur de l’Académie berbère en 1967, est mort seul et impotent dans un ‎asile de vieillesse quelque part à Poitiers, malade de nostalgie de sa Kabylie comme Adam du Paradis ‎dont il a été chassé pour une broutille. Je ne vous le souhaite pas, et pourtant ce sera votre ‎lot si vous ne suivez pas mon conseil.

Bonne chance !

PAGE FACEBOOK 20/08/2021

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