SERMENTS D’IVROGNES

by admin

Sept présidents ont dirigé l’Algérie depuis son accession à l’indépendance, dont aucun n’a quitté ‎ses fonctions dans des conditions normales. Ben Bella a été renversé par un coup d’Etat, ‎Boumediene est mort d’une maladie mystérieuse, Boudiaf a été assassiné par un garde du corps en ‎direct à la télévision, Chadli et Zéroual ont été contraints à la démission, Bouteflika a été renvoyé ‎chez lui par une révolte populaire, et Tebboune a disparu depuis près de deux mois après ‎seulement dix mois de règne .

Dans un écrit remontant à avril 2011 (« La malédiction de la constitution), j’avais émis une thèse ‎pour expliquer la fin malheureuse semblable des cinq présidents qui s’étaient succédé avant la ‎parution de mon écrit. Depuis, deux autres ont rejoint la liste et connu une fin aussi inattendue que ‎celles de leurs prédécesseurs.‎

Cette thèse qui s’est confirmée dans sept cas sur sept, donc avec un taux de véracité de 100%, se ‎fondait sur l’illégitimité de ces présidents et leur tripatouillage de la constitution pour l’ajuster à ‎leurs mesures, s’attirant par la suite une sorte de vengeance immanente qui leur infligeait une fin ‎misérable ou douloureuse selon le cas. En l’absence du peuple dans l’équation politique, en ‎l’absence d’une conscience citoyenne, il ne restait en Algérie que l’espoir d’une intervention ‎surnaturelle.‎

Ce qu’il y a de singulier avec le président en fonction, du moins formellement car nul ne l’a vu ou ‎entendu depuis un mois et demi, c’est qu’à peine a-t-il proposé son projet de nouvelle constitution ‎qu’il s’est retrouvé dans un hôpital allemand, laissant derrière lui un pays suspendu entre deux ‎constitutions : l’ancienne, non abrogée, et la nouvelle, non promulguée. ‎

Il convient de noter qu’en dehors du premier président, Ahmed Ben Bella, qui quitta le pouvoir sous ‎la contrainte après deux ans et demi d’exercice, tous les autres se sont fait soigner à l’étranger ‎pour une pathologie ou une autre.‎

La malédiction de la constitution aura été plus rapide avec Tebboune, vraisemblablement parce ‎qu’il a eu la pernicieuse idée de choisir le 1er novembre – date sacrée entre toutes aux yeux des ‎Algériens – pour la tenue d’un référendum de blanchiment auquel le peuple fit échec en le ‎repoussant à 80% entre abstention, bulletins négatifs et bulletins nuls.

Cette fulgurance m’a poussé à revoir ma copie pour ausculter de plus près la mécanique de cette ‎fatalité qui ne s’est pas manifestée quelques fois, mais a frappé systématiquement, chaque fois, ‎toutes les fois. C’est alors que la lumière jaillit dans mon esprit.‎

Dans la langue française l’expression « serment d’ivrogne » est utilisée pour désigner ceux qui ‎promettent monts et merveilles sous l’effet de l’ivresse, puis ne se souviennent plus de rien le ‎lendemain. Sauf leur honneur puisqu’aucun d’eux n’était un ivrogne, tous les présidents algériens ‎ont néanmoins fait un serment d’ivrogne en jurant par Dieu, devant le peuple et la main sur le ‎Coran, qu’ils respecteraient la constitution, la mémoire des Martyrs et la souveraineté du peuple, ‎alors qu’ils allaient tous la violer pour la plier à leurs calculs politiques et leurs besoins personnels. ‎

Cette forfaiture a fait d’eux des parjures aux yeux de la foi, et des délinquants aux yeux de la loi. ‎S’ils ont pu échapper au châtiment de cette dernière, ils n’ont rien pu contre… « la malédiction de la ‎constitution » car il n’y a pas d’autre explication à ce qu’il leur est arrivé et qui ressemble fort à ‎une justice divine.‎

Le serment présidentiel a été institué par la constitution de 1963 en son article 40 et se déclinait ‎comme suit : « Au nom de Dieu le Clément le Miséricordieux. Fidèle aux principes de notre ‎Révolution et à la mémoire de nos martyrs, je jure par Dieu Tout-Puissant de respecter la ‎constitution et de la défendre, de défendre la nation et l’indépendance et l’unité du pays du pays, et ‎d’œuvrer de toutes mes forces à la préservation des intérêts du peuple et de la République ‎démocratique et populaire ».

Cette formulation subira des changements tout au long de l’histoire constitutionnelle du pays avant ‎que la constitution de 1996 ne lui donne sa formule actuelle : « Au nom de Dieu le Clément le ‎Miséricordieux. Fidèle au sacrifice suprême et à la mémoire sacrée de nos martyrs ainsi qu’aux ‎idéaux de la Révolution de Novembre, je jure par Dieu Tout-Puissant de respecter et de glorifier la ‎religion islamique, de défendre la Constitution, de respecter le libre choix du peuple ainsi que les ‎institutions et lois de la République, de préserver l’intégrité du territoire national, l’unité du peuple et ‎de la nation, de protéger les libertés et droits fondamentaux de l’homme et du citoyen, de travailler ‎sans relâche au développement et à la prospérité du peuple, et d’œuvrer de toutes mes forces à la ‎réalisation des grands idéaux de justice, de liberté et de paix dans le monde. Et Dieu est Témoin de ‎mon serment ».‎

Malgré quelques allègements, le contenu est resté pesant et difficile à prononcer en comparaison ‎avec d’autres serments présidentiels, tel celui que récite le président américain lors de son ‎investiture (sans l’obligation de le faire sur un livre sacré, même si la pratique est entrée dans les ‎usages) : « Je jure solennellement que je soutiendrai et défendrai la Constitution des États-Unis ‎contre tous ennemis, externes ou intérieurs, que je montrerai loyauté et allégeance à celle-ci, que je ‎prends cette obligation librement, sans aucune réserve intellectuelle ni esprit de m’en distraire, et ‎que je m’acquitterai loyalement des devoirs de la charge que je m’apprête à prendre. Que Dieu me ‎vienne en aide ».‎

Les présidents successifs algériens ne réalisaient pas au moment de déclamer le serment ‎présidentiel que ce qu’ils récitaient n’était pas une formule de circonstance faisant partie des fastes ‎de l’investiture, mais un engagement personnel moralement sacré et juridiquement contraignant. ‎

Une fois la cérémonie d’investiture terminée, eux installés dans le costume présidentiel et l’ivresse ‎du pouvoir commençant à produire ses effets, ils oubliaient les promesses induites par la ‎prestation du serment constitutionnel comme s’il n’était qu’une formalité protocolaire. Ils ne se ‎rendaient pas compte, ni sur le moment, ni tout au long de leurs mandats, que trahir ce serment ‎revenait à trahir Dieu, la mémoire des Martyrs, le peuple, la constitution et la parole donnée. Ce ‎pourquoi ils ont été punis précisément.‎

Pourquoi j’ouvre ce sujet aujourd’hui ? ‎

‎1) Parce que si j’avais été consulté dans le cadre de la révision de la constitution, j’aurais proposé ce ‎sujet à la réflexion. En effet, le texte du serment présidentiel peut, moyennant un recentrage et ‎une réécriture adaptée, devenir la clé du problème dans lequel se débat notre pays depuis ‎l’indépendance. Il suffirait de remplacer ce serment d’ivrogne intenable (« glorifier l’islam », « paix ‎dans le monde », « grands idéaux » qui n’obligent à rien de concret) par un serment pragmatique ‎listant des engagements clairs, inspirés de l’expérience du passé et passibles de sanctions pénales.‎

Au lieu de s’engager au nom de Dieu, des Martyrs ou de l’Histoire, et d’énumérer des promesses ‎aussi insaisissables qu’irréalisables, il serait plus utile et plus sage que le chef de l’Etat s’engage sur ‎des actes précis, identifiés, comme ne pas toucher à la constitution dont il ne devra plus être le ‎protecteur, ne pas se faire soigner à l’étranger en cas de maladie ni cacher son état de santé, ne ‎pas pratiquer le népotisme ou couvrir la corruption, s’engager à répondre civilement et ‎pénalement de toute violation de la loi ou du serment présidentiel, etc. Il résultera de la refonte et ‎de la réorientation du serment constitutionnel une stabilité durable pour la constitution et ‎l’intangibilité de ses dispositions essentielles.‎

‎2) Parce que le projet de nouvelle constitution ayant été repoussé par le peuple lors du ‎référendum du 1er novembre 2020, et le sort de Tebboune en tant que président de la République ‎étant devenu très incertain car pratiquement deux mois se sont écoulés, non pas depuis qu’il a ‎quitté l’Algérie mais depuis qu’il a abandonné ses fonctions, une nouvelle élection présidentielle et ‎un nouveau projet de constitution deviennent envisageables pour ne pas dire incontournables.‎

Pour qu’une nouvelle élection présidentielle ait lieu, il faut que le président en exercice ‎démissionne en raison de son état de santé, ou que le célèbre article 102 soit mis en œuvre. ‎

La nouvelle constitution de Tebboune n’ayant pas été promulguée, c’est la constitution de 1996 qui ‎demeure en vigueur. Son article 175 (devenu 220 dans la constitution de Tebboune) postule que ‎‎« La loi portant projet de révision constitutionnelle repoussée par le peuple, devient caduque. Elle ne ‎peut être à nouveau soumise au peuple durant la même législature ». Est-ce un obstacle ? Non, ‎dans la mesure où le terme « législature » est lié à la durée de vie d’un mandat de l’APN qui peut ‎être dissoute à tout moment par le chef de l’Etat actuel ou à venir.‎

Tout problème a une solution à condition de la trouver. Mais chez nous on ne cherche pas des ‎solutions aux problèmes, on fabrique de faux problèmes devant les bonnes solutions.‎
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13 Décembre 2022

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