Home ARTICLESLa problématique algérienne2011-2016 QUATRIEME MANDAT : UN CRIME MORAL

QUATRIEME MANDAT : UN CRIME MORAL

by admin

Nous sommes à la veille de la perpétuation d’un crime. Le crime n’a pas encore été commis, ‎mais les préparatifs battent leur plein à ciel ouvert. Il sera consommé à l’instant où le ‎Conseil constitutionnel aura proclamé les résultats de l’élection présidentielle du 17 avril ‎‎2014.

A des moments critiques de la vie du pays, il est arrivé que je sois consulté – parmi d’autres – ‎pour donner un avis sur la situation. A chaque fois je me suis rendu à ces consultations avec ‎en tête une idée des solutions allant – à mes yeux – de la meilleure à la pire. Mais quand ‎j’apprenais la solution finalement retenue, c’était à tous les coups celle que je tenais pour la ‎plus mauvaise. ‎

Entre les mois de juin et septembre derniers j’ai plaidé dans une contribution parue dans ce ‎journal et deux émissions télévisées sur « Ennahar TV » en faveur de l’amendement de la ‎Constitution pour sécuriser le pays jusqu’à la fin du mandat du président, tout en me ‎positionnant, en réponse à une question de l’interviewer, CONTRE L’EVENTUALITE D’UN ‎QUATRIEME MANDAT.‎

Le président de la République pouvait, entre le moment où il est rentré de Paris en juillet ‎‎2013 et le dépôt de son dossier de candidature en mars 2014, engager la procédure de ‎révision de la Constitution pour (au moins) créer le poste de vice-président, chose qui aurait ‎rendu caduc le débat sur l’article 88 (empêchement pour cause de maladie) et mis le pays à ‎l’abri jusqu’à la fin du mandat.

Il a choisi, au nom d’une considération qui m’échappait alors, de laisser pendant neuf longs ‎mois le pays vivre dans la crainte de l’imprévu.

Une telle mesure de sauvegarde l’aurait servi le moment venu auprès des opposants au ‎quatrième mandat et servi du même coup le pays en le protégeant de l’aléa dans lequel il ‎demeure à ce jour. Le vœu du président de rester au pouvoir était-il absolument ‎incompatible avec l’intérêt du pays dans cet intervalle ?

Une casuistique juridique fleurit dans les colonnes de journaux et les débats télévisés, ‎embrouillant les esprits sur l’identité des auteurs et le mobile du crime qui se prépare et ‎suggérant la responsabilité de la Constitution dans la situation kafkaïenne que nous vivons : ‎elle serait imprécise sur tel cas, muette sur tel autre, accommodable sur tel point, ‎extensible sur tel autre…

On avait déjà entendu dire que le pays pouvait se passer de la réunion du Conseil de ‎ministres et qu’il fonctionnait « normalement » malgré l’absence du président, ce qui ‎pouvait aussi bien vouloir dire qu’on n’a pas besoin de président du tout.

En fait, ces arguties nous préparaient à d’autres aberrations : la Constitution n’interdit pas ‎au président de rempiler autant de fois qu’il le souhaite, nonobstant son état de santé ; elle ‎prévoit la présentation d’un certificat médical dans le dossier du candidat, mais n’entre pas ‎dans le détail ; elle n’oblige pas formellement le candidat à déclarer lui-même sa ‎candidature ; il n’est pas explicitement tenu de se déplacer au siège du Conseil ‎constitutionnel ; il n’a pas besoin de campagne électorale ; il peut prêter serment dans la ‎position assise…

Que n’a-t-on entendu de la bouche d’hommes rendus impudiques par la servilité ? ‎
Les dispositions constitutionnelles sont soumises aux interprétations les plus saugrenues, ‎contorsionnées dans tous les sens, comme si le fond du problème était juridique. Non, il n’est ‎pas juridique, il est moral.

Il est dans la vérité qu’on veut escamoter à tout prix par la ruse et la trituration piteuse des ‎images télévisées : BOUTEFLIKA NE PEUT PLUS GOUVERNER ! ‎

Les opposants au quatrième mandat qui s’indignaient sur les plateaux de télévision privées ‎cherchaient, les pauvres, à justifier leur opposition au quatrième mandat en jurant qu’ils ‎n’avaient rien contre la personne du président, qu’il était dans son droit, mais tout ‎simplement qu’il n’en avait plus les moyens physiques et intellectuels.

JE N’AI ENTENDU AUCUN DIRE : IL N’EN A PAS LE DROIT MORAL ! CAR SI AUCUNE ‎NORME JURIDIQUE N’INTERDIT AU PRESIDENT DE SE REPRESENTER DEPUIS QU’IL A ‎AMENDE DANS CE SENS LA CONSTITUTION, L’ETHIQUE, LA DIGNITE ET UNE PENSEE ‎POUR LE BIEN DU PAYS LE LUI INTERDISENT. AU LIEU DE METTRE DANS L’EMBARRAS ‎MEDECINS ET JURISTES, LE BON SENS AURAIT VOULU QU’UN HOMME QUI SE SAIT ‎MALADE, DIMINUE, INVALIDE, NE POSTULAT PAS A CETTE FONCTION. QUE CE SOIT LUI-‎MEME QUI S’ACCROCHE, OU D’AUTRES QUI LUI FORCENT LA MAIN NE CHANGE RIEN A ‎L’AFFAIRE.‎

Je sais qu’en Algérie la morale n’a jamais compté dans les calculs du pouvoir, et qu’on n’a ‎jamais eu la moindre considération pour ce facteur qui a été à la base des civilisations ‎d’autrefois et est au centre de la vie des démocraties d’aujourd’hui. Un facteur décliné sous ‎différentes dénominations : sens commun, éthique, vertus, scrupules, « hya » (décence)…

Ces notions ne sont pas écrites, contraignantes ou assorties de sanctions pénales, mais elles ‎sont le fondement du droit, de la civilisation, de la démocratie, de la citoyenneté et de la ‎politique. Elles ont inspiré les législations de toutes les nations et les codes d’honneur de tous ‎les temps et font partie de ce qu’on appelle « l’esprit des lois ».

SI LA LETTRE DE LA LOI ALGERIENNE AUTORISE BOUTEFLIKA A REMPILER A 77 ANS ET ‎AUX TROIS-QUARTS INVALIDE, L’ « ESPRIT DES LOIS » DIVINES ET HUMAINES DE TOUTES ‎LES CONTREES ET DE TOUTES LES EPOQUES LE LUI INTERDIT.‎

On peut commettre un crime moral aux conséquences incalculables sans enfreindre une ‎seule loi ou disposition constitutionnelle. Dans l’ancienne Grèce, on avait demandé à Solon ‎pourquoi il avait omis de mentionner dans son fameux « Code » le parricide. Il répondit : ‎‎« Parce que j’espère que ce crime ne sera jamais commis».

QUE FAUT-IL METTRE DANS NOTRE CONSTITUTION QUI NOUS PREMUNISSE ‎EFFICACEMENT ET DURABLEMENT DE L’IGNORANCE, DE LA MAUVAISE FOI, DU ‎BANDITISME, DE LA DEMENCE, DE LA RUSE, DE LA PERVERSITE ?

Après le précédent du quatrième mandat, s’il venait à se concrétiser, n’importe quelle ‎infamie ou forfaiture pourrait être commise à l’avenir, n’importe qui pourrait faire ‎n’importe quoi et lui trouver ensuite des justifications à la tête desquelles figurerait ce ‎précédent.

Le comble est que si on posait la question à Bouteflika, il se prévaudrait du précédent de ses ‎prédécesseurs et dirait : tous les présidents avant moi ont ajusté la Constitution à leurs ‎mesures et n’ont quitté le pouvoir que morts (Boumediene, Boudiaf) ou contraints (Ben ‎Bella, Chadli, Zéroual). Et il a raison.

Mais pourquoi ne regarder que dans cette direction, celle du mal ? Pourquoi consacrer et ‎reproduire l’erreur ? Pourquoi ne pas s’inscrire en faux contre le mauvais exemple ? ‎Pourquoi ne pas donner à l’Algérie de nouveaux archétypes comme le respect de la loi, le ‎sens de la grandeur et le désintéressement personnel, surtout quand on n’attend plus rien de ‎la vie qu’elle n’ait déjà donné.‎

SI LE PASSAGE EN FORCE REUSSIT, SI ON PERMET LE VIOL DE LOI ET DE LA MORALE SOUS ‎NOS YEUX, SI ON SE LAISSE IMPRESSIONNER PAR LA COMPLICITE INTERESSEE OU ‎IRRESPONSABLE DE CEUX QUI HURLENT QU’ILS VOTERONT POUR LE PRESIDENT MORT ‎OU VIF, QUEL QUE SOIT LEUR NOMBRE ET LEURS MOYENS, IL FAUT SAVOIR QUE TOUT ‎SERA PERMIS A L’AVENIR. ‎

Un autre pourra venir demain et instaurer la monarchie ou se proclamer Aguellid comme ‎d’autres, hier, ont voulu instaurer le califat. Le « césarisme » (dictature) est né d’un ‎précédent, celui de Jules César quand il a piétiné une simple règle. D’autres empereurs ‎après lui se sont prévalu de son exemple pour abuser encore plus que lui du pouvoir ‎personnel jusqu’à ce que l’Empire romain ait disparu à jamais.

On peut citer aussi le précédent créé par Moawiya ibn Abi Sofian quelques décennies ‎seulement après la mort du Prophète. A la place du califat électif il a instauré le califat ‎dynastique qui subsiste jusqu’à nos jours dans maints pays musulmans. C’est à cause de son ‎précédent aussi que l’islam s’est divisé en sunnisme, chiisme et kharidjisme.‎

DANS CETTE AFFAIRE DE QUATRIEME MANDAT, L’ETHIQUE ET LA MORALE POLITIQUE ‎ONT ETE BAFOUEES D’UNE MANIERE INOUÏE. C’EST A QUI FAIRE MONTRE DE LA PLUS ‎CRASSE IGNORANCE, DE L’IMPUDEUR LA PLUS CHOQUANTE, DU BANDITISME VERBAL LE ‎PLUS VIOLENT, DU PLUS GRAND MEPRIS POUR LES ALGERIENS RETICENTS A UN ‎NOUVEAU MANDAT. ON POUVAIT DEJA S’ETONNER DU CHOIX DELIBERE DE CONFIER LA ‎CANDIDATURE DU PRESIDENT ET SA CAMPAGNE ELECTORALE A DES NOMS CITES DANS ‎DES AFFAIRES DE CORRUPTION.

Comme si c’était un critère de sélection, de sûreté, un gage de solidarité indéfectible, un ‎pacte de partage du pouvoir à venir et à tenir. Et Amara Benyounès, ne s’est-il pas ‎publiquement écrié : « Maudits soient les pères de ceux qui ne nous aiment pas ! » ? ‎Traduits en français, les termes de cette insulte peuvent faire sourire ; mais dits en arabe, ils ‎ont une signification vulgaire et blessante.

Lorsque Stéphane Hessel a lancé son fameux cri à la conscience européenne (« Indignez-‎vous ! ») dont il a fait le titre d’un livre qui s’est vendu en millions d’exemplaires et a été ‎traduit en quarante langues, on dirait que ce qui en a été retenu par ceux qui soutiennent ‎l’insoutenable chez nous c’est : « Devenez plus indignes ! ».

La philosophie de cet homme, mort il y a tout juste un an et dont le nom a été donné à des ‎villes, des places, des rues et des écoles dans toute l’Europe, disait : « Le monde est à ‎l’image de ce que nous sommes ». Le paraphrasant, je dirai : « L’Algérie est à l’image de ce ‎que nous sommes ». Depuis l’indépendance elle est un champ de pétrole, et nous des ‎rentiers trop bien ou trop mal servis.

Une fois réélu, le président ne devra plus rien à personne. Il pourra passer le reste de son ‎nouveau mandat à l’étranger, en soins ou au repos chez lui sans que la Constitution ne soit ‎dérangée en rien. Les efforts surhumains qu’il a consentis pour apparaître à la télévision au ‎cours de derniers mois ou pour se rendre au Conseil constitutionnel et parler pendant ‎quelques minutes, il les a faits pour décrocher le prochain mandat. C’est son dernier ‎combat.

Sinon, après, il se libérera de ses charges, s’exonérera de tous ses devoirs, ne contrôlera plus ‎rien, ne sanctionnera personne, ne nous représentera plus à l’étranger, ne commémorera ‎plus les fêtes nationales ou religieuses, n’inaugurera plus rien… Ne serait-ce que parce qu’il ‎ne va pas en rajeunissant et qu’il ne trouvera pas la fontaine de jouvence. ‎

PAR VOIE DE CONSEQUENCE, LES POUVOIRS PRESIDENTIELS SERONT ASSURES PAR ‎D’AUTRES, ILS SERONT ENTRE LES MAINS D’UN OU D’HOMMES QUE LES ALGERIENS ‎N’AURONT PAS ELUS ET QU’ILS NE CONNAISSENT MEME PAS.

Cette perspective étant dangereuse et humiliante pour l’Algérie, il ne reste que deux ‎moyens légaux de l’empêcher : 1) que le candidat Bouteflika déclare que son état de santé ‎ne lui permet pas de maintenir sa candidature ; 2) que les membres du Conseil ‎constitutionnel (il ne faut rien attendre de son président), dans un sursaut de conscience ‎morale et patriotique invalident le dossier du candidat Bouteflika pour raison médicale.

MAIS IL NE FAUT PAS TROP Y COMPTER. AU-DELA CE SERA L’INCONNU, L’ERE DE ‎L’ENCANAILLEMENT GENERALISE ET DU GANGSTERISME D’ETAT.‎

Ces dernières années nous nous sommes targués d’avoir échappé au « printemps arabe » ‎alors que nous nous préparons à surprendre le monde par les conséquences qui vont ‎découler de notre résignation à la réélection à la tête de notre malheureux pays d’un ‎homme qui n’est plus en possession de ses forces physiques et intellectuelles.

Mais en ce printemps 2014, on voit de nouveau frémir quelques signes augurant de la ‎possible « naissance d’une société ». Les protestations, les sit-in contre le quatrième mandat ‎ne ressemblent pas à la révolte des jeunes de 1988 ou de 2011, ni aux émeutes qui éclatent ‎ici ou là et dont le but est d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur tel ou tel problème. Il ‎n’y a pas de casse, on ne coupe pas les routes, on ne brûle pas de pneus, on ne détruit pas ‎les biens publics ou privés. On scande des slogans, brandit des écriteaux et met en avant des idées. On ne réclame rien ‎pour son statut professionnel, son pouvoir d’achat ou sa retraite.

UNE CONSCIENCE POLITIQUE TENTE DE SE FORMER EN REJET D’UN CRIME, DU RISQUE DE ‎VOIR L’ALGERIE ET SON ETAT PRIS ENTRE LES SERRES D’UNE MAFIA POLITICO-‎FINANCIERE QUI SE PAVANE ET SUR LAQUELLE TOUT UN CHACUN PEUT METTRE DES ‎VISAGES, DES NOMS ET DES CHIFFRES.‎

Si la Tunisie est en train de s’en sortir par le haut, par la démocratie, par l’action concertée ‎de ses élites éclairées, c’est parce que c’est le pays arabo-musulman qui a été le mieux ‎préparé par Bourguiba à devenir une société grâce à la qualité de l’éducation dispensée et ‎aux droits reconnus à la femme.

Si la Libye s’enlise et part en vrille, ce n’est pas à cause du « printemps arabe », mais parce ‎que Kadhafi a tout démoli en son temps, empêchant tout embryon de société et d’Etat de se ‎former pour demeurer l’homme unique, la pensée unique et le repère unique. Le chemin ‎sera plus long et les sacrifices plus lourds, mais les Libyens s’en sortiront à leur tour car ils ‎ont brisé le mythe de l’homme unique et de la pensée unique, fondements du despotisme. Ils ‎sont juste en train de tâtonner, de chercher dans l’obscurité et la violence de nouveaux ‎repères et de nouvelles règles de cohabitation.

L’Égypte, pays-souche de l’islamisme, est vouée à mener une guerre civile jusqu’à ce qu’on ‎soit de part et d’autre fixé sur la nature de l’État qu’on veut : moderne ou théocratique.

EN ALGERIE, COMME JE LE SOUTIENS DANS MES ECRITS DEPUIS LES ANNEES SOIXANTE-‎DIX, IL N’Y A PAS ENCORE DE SOCIETE MAIS SEULEMENT DES INDIVIDUS RELIES ENTRE ‎EUX PAR DES VERTUS TRADITIONNELLES, DES TRADITIONS ORALES, DES « AÇABIYATES » ‎OU DES INTERETS CORPORATISTES.

Regardez les enseignants, les gardes communaux, le personnel hospitalier, les chômeurs ou ‎toute autre corporation quand elle se met en grève ou appelle à une marche : ils sortent par ‎milliers, par dizaines de milliers, et obtiennent gain de cause à tous les coups. ‎

MAIS CES DIZAINES DE MILLIERS D’HOMMES ET DE FEMMES SORTIRONT-ILS UN JOUR ‎CONTRE UNE VIOLATION DE LA CONSTITUTION ?‎

LES SIGNES ANNONCIATEURS DE L’AVENEMENT D’UNE SOCIETE EN ALGERIE SONT TROP ‎FAIBLES, TROP FRELES, DERISOIRES MEME. ILS PEUVENT DEBOUCHER SUR DE FAUSSES ‎COUCHES, SUR UN AVORTEMENT, ET LA SOCIETE POLITIQUE ALGERIENNE NE PAS ‎NAITRE.

Quelques-uns essayent quand même, comme cette gynécologue (Amira Bouraoui) qui, au ‎sens propre et figuré du terme, essaye de provoquer l’accouchement.

Le soir d’Algérie du 10 mars 2014 ‎

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