Home ARTICLESLa problématique algérienne1990-1999 POINT DE VUE:CRISE ALGERIENNE : LA SOLUTION PAR LE STATU QUO, LE COMPROMIS OU LE DEPASSEMENT ?

POINT DE VUE:CRISE ALGERIENNE : LA SOLUTION PAR LE STATU QUO, LE COMPROMIS OU LE DEPASSEMENT ?

by admin

La solution à la crise algériennene viendra pas d’un accorddevenu absolument impossibleentre le pouvoir et le FIS. Au vude leur foncière incompatibilité,du degré atteint dans l’affrontement physique et des préalablesposés de part et d’autre, c’est endehors de leur implacable maisstérile face-à-face qu’il faut lachercher

En janvier 1992, le processusélectoral avait été interrompu parcequ’aucun compromis n’était possibleentre les intentions surexaltées d’unFIS conquérant et les appréhensions d’un pouvoir culpabilisé maisrésolu à s’opposer à un bouleversement jugé aventureux du cadre institutionnel du pays.

En octobre 1994, la décision d’organiser des élections présidentielles a été prise par le pouvoir parcequ’aucun compromis n’avait pu êtretrouvé avec le FIS- auquel s’étaient joints d’autres partis -surla manière de mettre fin au conflit etde revenir à la normale. Entre-temps, la violence n’a cessé de faire rage. Est-ce à dire que la crisealgérienne est vouée à durer indéfiniment?

Elle durera à coup sûr tant ques l’un des deux belligérants persistera à croire possible une réduction totale de l’autre au double plan organique et politique. En termes strictement militaires, l’affrontementdébouchera fatalement sur un vainqueur et un vaincu, car il ne peut enêtre autrement. Mais en termes politiques, tous deux doivent tôt ou tardêtre défaits. C’est alors que la crisealgérienne connaitra son dénouement.

Dans le monde des affaires, unsens précoce du pragmatisme a établi une règle selon laquelle « Un mauvais arrangement vaut mieux qu’unbon procès ».Mais si le sacrifice d’un principesur l’autel de l’intérêt immédiat peut favoriser l’essor des transactions, ilne peut conduire dans le monde dela politique e, en particulier dans lecas des nations à l’aube de leur formation, qu’à l’anarchie et au suicidecar une nation ne se bâtit pas surdes intérêts ou des compromis,mais sur des principes intangibles.

L’Algérie a beaucoup perdu dufait de la crise, mais elle se perdrait elle-même si elle s’aventurait à ensortir par un arrangement nécessairement mauvais en voulant éviter un procès préjudiciable aux deus parties mais profitable aux autres et à la suite des événements. Un « bon arrangement » aurait été souhaitable avant la crise ; un « mauvais arrangement » est à proscrire une fois la crise advenue.

Pour tout dire, la solution à lacrise algérienne passe par un « procès » (du latin processus, progrès)qui consacrerait définitivement ledépassement des données dedépart du problème et leur occultation par une dynamique de décantation et de reconstruction d’après unschéma d’évacuation des défautsde l’un et l’autre, et de recyclagedes qualités de l’un et de l’autre.Ce qui doit être définitivementvaincu, c’est la propension à gouverner ou à s’opposer au moyen dela force ; ce qui doit vaincre àjamais, c’est la primauté du droit surla contrainte. Oui doncà une solution le plus tôt possible, non àl’aventure le plus longtemps possible !

La perspective défendue ici n’implique pas la disparition des deuxprincipaux protagonistes, mais seulement leur mutation aux plansorganique et mental afin de précipiter l’issue du conflit.Organiquement, tous deux ont déjàsubi une certaine désagrégationdepuis le début de la crise, et lesfigures historiques qui l’ont animéeont pratiquement toutes quitté ledevant de la scène. Mentalement, lamutation présuppose qu’ils se soienthissés à un niveau de conscience,de lucidité et de réalisme tel qu’ilsconviennent que la solution ne réside pas en euxmais dans leuracceptation d’un moyen terme sesituant forcément au-dessus d’eux.

Du pouvoir actuel, le module »Armée » subsistera et durera autantque durera l’Algérie elle-même.Mais à un certain moment il devras’en détacher définitivement pour poursuivre sa propre carrière sousles auspices d’un pouvoir civil etlégitime. De l’ancien FIS, il subsistera l’élément nodal d’un messagemobilisateur : l’aspiration au changement, à la justice sociale et àdavantage de considération pourl’Islam.

La crise qui paraissait de primeabord insoluble s’avère abordablequand on l’approche sous l’angle dela transcendance des conceptions,des intérêts et des acteurs qui, parleur égale inadaptation à la situationleur totale inadéquation, l’ont portée à son seuil de gravité actuel.Mais, est-on fondé à s’interroger,qu’est-ce qui est de nature à opérercette transcendance, et au profit dequelle alternative doit se dénouer leconflit?

Cette question pose le problèmedu rôle des autres partis politiques dans la recherche d’une solution audrame algérien.Quand il n’a pas été tout à fait nulen matière de capacités à imaginerquelque chose sur quoi auraient putomber d’accord les deux protagonistes, ce rôle a été franchementnégatif en ce qu’il a consisté à compliquer les choses plutôt qu’à lesaplanir. Ce qui nous amène à évoquer le fameux « Contrat de Rome »,avant d’en venir à nos propresréponses à la question.

L’erreur stratégique du groupe deRome, au-delà du choix malencontreux du théâtre des opérations, aété de raisonner en politique commeon peut raisonner en affaires : il a préféré, en préconisant en fait unportage du pouvoir, la voie du mauvais arrangement à celle du bonprocès. Elle a été de croire possibleune entente par le haut entre lepouvoir et l’armée d’un côté, et lesdirigeants du FIS et les groupesarmés de l’autre. Elle a été de seposer en alliés d’un protagonistecontre l’autre, au lieu de prendre dela hauteur et de proposer à la première autre chose que les préalablesdu second.

C’est qu’à la base du raisonnement du groupe de Rome il y avaitune mauvaise évaluation de lasituation sur le terrain et beaucoupd’arrière-pensées. C’est un truismede dire que le FFS n’a rien en commun avec le FIS, et que le FLN n’est pas obsédé par la démocratie. Maisétant partis de l’idée que le pouvoirétait incapable de vaincre lesgroupes armés, d’un côté, et que del’autre le FIS n’était plus en condition de se poser en alternative victorieuse, ils sont arrivés à la conclusion que ce mutuel affaiblissementles désignait comme bénéficiairespotentiels de la situation.

En réalité, le contrat de Rome n’apas dépassé l’horizon du connu et des compromis déjà rejetés. Saseule nouveauté a été cette peuconvaincante solidarité du FLN etdu FFS autour des revendicationsclassiques du FIS. Quand eux setarguaient de l’exploit de l’avoiramené à épouser los « valeurscitées dans la plate-forme », lui n’avaitd’intérêt que pour le sort des »mesures » qu’elle prescrivait, sansque tous les trois ne se rendentcompte que si lesdites « valeurs »pouvaient être acceptées sans problème majeur, les « mesures » onquestion seraient éternellementrejetées.

En légitimant le recours à la violence, le groupe de Rome n’a pasajouté en efficacité à la « résistancepopulaire », mais s’est mis en porte-à-faux par rapport à son électoratd’origine et à la population touchéepar le terrorisme. Il n’a pas penséque cette reconnaissance équivalaità entériner un précédent qui légitimait par avance tout nouveaurecours à la violence par des revendications qui viendraient à apparaître ultérieurement.

En justifiant l’existence desgroupes armés, il ne s’est pas attardé sur la question de leur devenir aulendemain des « négociations »,comme il ne s’est pas préoccupé desavoir comment se faire obéir, dansl’hypothèse d’une arrivée au pouvoir, d’une armée dont il admettaitquelque temps plus tôt que lesmembres soient abattus en toutelégitimité.

A la réflexion, le FIS n’a riengagné du ralliement à ses thèses duFLN et du FFS, car ceux-ci ne l’ontpas allégé de ses « défauts », maissurchargé des leurs. Devenuquelque part leur otage, il a commeabdiqué en leur faveur son restantde crédibilité et de marge demanœuvre, sans qu’ils aient étécapables de modifier à son avantage le rapport des forces à l’intérieur, ou le mouvement des sympathies àl’extérieur. Ce dont il avait besoin,ce n’étaitpas qu’on se substitue àlui dans la défense de ses thèses, ouqu’on l’utilise comme marchepiedpour arriver au pouvoir, mais qu’onl’aide à sortir de l’impasse constituée par la violence, qu’on réalise lechangement voulu de tous et qu’ilpuisse retrouver sa place sur lascène politique.

En Algérie, la guerre est une réalité quotidienne et il y a de toute évidence sur le terrain des « forces enprésence ». Mais cet état de chosesprésente le paradoxe de ne pouvoir trouver sa traduction ni en politique,ni dans des domaines officiels.Les groupes armés n’ont d’autrefinalité que de se résorber, etl’armée que celle de revenir à savocation naturelle quand la paixaura été restaurée et l’ordre constitutionnel rétabli.

Quelles que soientles raisons qui peuvent conduireune armée à se trouver engagéedans un conflit intérieur, il n’est dansl’intérêt de personne que sondésengagement s’effectue dans ladiscorde et le déshonneur. Il importedonc que l’ANP soit préservée dansson honneur, confortée dans sonunité et consacrée dans son privilège d’unique force régulière, légale etlégitime de la nation. Tout autre scénario plongerait le pays dans lechaos.

Le « Contrat de Rome », parce qu’iln’a pas été une « offre de paix » àdeux belligérants mais à l’un d’entreeux uniquement et sur la base despositions de l’autre, n’a pas pufrayer la voie à une sortie du pénibleface-à-face. Cet échec est celuid’une « troisième voie » qui, faute depouvoir s’élever assez haut, s’esteffondrée et a atterri dans le campde la « deuxième ». Il faut recourirdésormais à un arbitrage, au jugement d’une autorité morale et politique supérieure à la force dont se sont armés les belligérants pour secombattre. Cette autorité, c’est « lavolonté générale ».

Très tôtnous avons indiqué quel’arbitrage final ne pouvait être rendu que par le peuple, transforméen corps électoral pour la circonstance, à travers un procès qui prendrait la forme d’un scrutin irréprochable.Pour que de telles conditionsoient réunies, il est impératifque l’organisateur du procèsne s’implique pas dans l’élection elle-même et que des observateurlocaux et/ou étrangers disposentréellement d’un droit de regard etde contrôle sur le déroulement del’opération.

Au plan matériel, l’électorat-jugedevra d’abord s’assurer que chacundes plaignants – les candidats àl’élection – a la capacité d’être représenté au scrutin et qu’il peut plaidersa cause en vue d’acquérir lesfaveurs des jurés-électeurs. A l’évidence, seule une élection présidentielle peut garantir cela à un FIS dissous, car elle a la particularité dereposer sur des personnes physiques et non des entités (partispolitiques).

Au plan moral, l’arbitrage -élection- établira par son résultat final dequel côté se trouvaient les tortsayant conduit à la crise. Mais ce nesera pas l’essentiel car les préjudices subis par les tiers sont beaucoup plus importants que ceux queles parties au conflit se sont mutuellement infligés, et ces tiers sont plusattachés à la fin des hostilités qu’àdéterminer la part prise par chacundans leur déclenchement.

De notre point de vue, l’électionprésidentielle projetée avant la finde l’année peut fournir à l’Algériel’occasion historique d’un nouveaudépart qui, s’il n’est pas manqué outronqué, permettra la mise en placed’une alternative à un pouvoir ayantépuisé toutes ses capacités derégénération internes, et à un FISfourvoyé dans une action arméeen inapte à réaliser ce qu’il y avait de« sain » dans ses aspirations.

Tous deux étaient fondés, le premier à préserver le cadre institutionnel, et le second à réaliser lechangement, mais ni l’un ni l’autren’était à même de s’en acquitterdu même coup. D’où leur échecmutuel et leur inévitable disqualification à l’avenir.

Le temps est venu de dépasser lathèse et l’antithèse, et de mettre aupoint une synthèse. Encore faut-ilque le pouvoir en accepte le principe et que le FIS n’en entrave pas laréalisation. En réalité, chacun d’eux a satisfait à ce qui était attendude lui : le premier en se résignant auchangement, le second en l’ayantimposé. La parole du Christ seconfirme une fois de plus : « Il fautbien que le scandale arrive. Maismalheur à celui par qui le scandalearrive ».

En ne se présentant pas à la prochaine élection, les instances quiprésident actuellement à la transition feraient tomber les préventionsdes partis sceptiques et de l’environnement international à l’égard dela formule retenue par elles poursortir de la crise. En ne la repoussant pas, le FIS marquerait clairement son désir de renouer avec l’activité politique légale et parconséquent sa rupture avec l’optionarmée. Ce premier pas le disposerait à retrouver une place dansl’échiquier politique et à revendiquerses droits. Il lui sera sûrement plusaisé d’aspirer à la levée de la dissolution qu’à l’obtention de l’absolutionpopulaire, mais ceci est une autreaffaire.

Il reste à répondre à l’objectionsuivant laquelle l’élection présidentielle ne pourra pas se tenir du faitde l’insécurité ambiante.La première tentation est de rétorquer :d’accord, mais après l’échec du dialogue, qu’est-ce qu’il restait commemoyens pour la faire cesser? Laseconde de demander : on peut retirer les élections présidentielles maispour les remplacer par quoi qui soitsusceptible de ramener la sécurité,une fois les voies du compromis fermées ?

Par temps de paix comme partemps de guerre, les élections sont conçues pour départager des prétendants et trancher dans desconflits. Nulle part elles n’ont étédes exercices de loisir ou de plaisir,mais chaque fois et partout desmoments graves et solennels pourdonner momentanément raison auxuns et tort aux autres, en attendantla prochaine échéance pour jugerde nouveau.

Ce n’est donc pas parce qu’il y ade la violence en Algérie qu’il nefaut pas aller voter, mais il faut allervoter pour qu’il n’y en ait plus ou, àtout le moins, pour l’invalider et ladémotiver, en attendant son extinction finale.Le problème est ailleursdans l’intention elle-même, dans lesconditions d’organisation, dans lacrédibilité des candidats, dans larégularité du déroulement du scrutin, dans le taux de participation…

La première expérience de démocratisation de l’Algérie a trébuchéparce qu’elle avait été mal penséeet mal exécutée. Mais ce n’est pasparce qu’on est tombé une fois quel’on ne doit plus se relever. Ona voté en décembre 1991 et le vote a été annulé arbitrairement On votera avant la fin de l’année 1995 et le vote ne pourra pas être annulé àl’instar du premier parce que personne parmi ceux qui en avaientpris la décision n’avait imaginéqu’elle entrainerait pareilles conséquences. Et même à supposer qu’ilsera malgré tout annulé et qu’il s’ensuivra d’autres dizaines de milliersde morts, on sera encore obligé, unjour ou l’autre, d’aller voter derechefpour sortir de la nouvelle criseengendrée par la nouvelle interruption du processus électoral, et ainside suite jusqu’à la fin des tempscar il n’y a et n’y aura rien d’autre àfaire que cela.

Il est donc plus sage d’arrêter lesfrais à leur niveau actuel et d’éviterde nouvelles pertes de temps, debiens et de vies humaines. Il faut seremettre debout, panser les blessures et reprendre la marche. Enallant voter, certains pourront recevoir une balle, mais en n’y allantpas ils seront plus nombreux à risquer d’en recevoir en tant que ciblesou par malchance.

C’est cela le prix de la citoyenneté. C’est de cette façon, coûteuse etpérilleuse, que s’édifient les Etatsstables, les sociétés homogènes etles économies fonctionnelles. LesAlgériens connaissent désormais letarif exorbitant de la paix civile et dela paix sociale. Ils seront moinsenclins à l’avenir à les gaspiller ouà les troquer contre de dangereusesillusions.

L’Algérie est en pleine mutation :relève de générations, changementde régime politique, passage àl’économie de marché, crise identitaire… Il faut partir du concret, duréel, de l’acquis, et tendre à lesaméliorer, les parachever ou lesréformer selon le cas, et non à les révolutionner au risque de lesdétruire sans certitude de pouvoirles reconstituer en mieux.A cette tâche historique devraprésider un pouvoir rénové qui auramené à son terme et avec la contribution de toutes les forces politiquesle retour au processus électoral et lareconstruction de l’édifice institutionnel.

Un tel pouvoir, pour qu’il incarnela solution et le dépassement desdonnées initiales du conflit, ne doitémaner ni du passé, ni de la crise,mais du camp de l’espoir et du justemilieu. Il aura alors toute l’autoritémorale nécessaire pour donner àchacun son dû et engager l’Algérie,instruite par les récentes leçons,dans le troisième millénaire.

 « El-Watan » du 10 juin 1995

You may also like

Leave a Comment