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L’ECONOMIE EST-ELLE UNE POLITIQUE ?

by admin

C’est avec plaisir que nous avons accepté l’invitation à venir présenter devant vous le point de vue du PRA sur la situation économique de notre pays au moment où il aborde la grande aventure du marché.

Aussi, et plutôt que de vous astreindre à nous écouter réciter un programme économique sans rapport avec vos préoccupations immédiates, avons-nous préféré nous mettre en phase avec vous en nous inscrivant carrément dans la problématique, objet de ce symposium.

D’ailleurs, en choisissant un tel titre à notre communication, nous voulions moins céder à la recherche de l’effet de style ou du jeu de mots, qu’essayer de retenir d’emblée votre attention sur un aspect en général occulté dans les débats de fond sur les conditions de la relance de notre économie.

Plus que tout autre, vous percevez obscurément que la tâche à laquelle sont voués les opérateurs n’est pas tant de réformer quelque chose qui mérite difficilement d’être qualifié « d’économie », que de créer presque ex-nihilo les conditions d’une production effective, d’une demande solvable, d’une création d’emplois marchands, d’une stabilisation des prix et du pouvoir d’achat, d’un assainissement monétaire, d’échanges extérieurs équilibrés et autres caractéristiques de l’économie réelle.

Mais par quoi commencer, sur quoi compter, à quoi remédier dans un pays où, durant trente ans, on a fait de la mauvaise politique en croyant faire de la bonne économie ?

Sur quelles données objectives, sur quels avantages comparatifs, sur quels ressorts psychologiques asseoir les mécanismes du marché dans un système de relations où l’Etat est perçu comme le lieu magique de création des richesses et le peuple leur destinataire naturel ?

Où une logique foncièrement anti-économique développait ses effets néfastes et prenait le dessus à mesure que le pouvoir parvenait à la masquer sous les apparences illusoires d’une prospérité acquise à coups de dilapidations et d’endettement non avoué ?

Aujourd’hui, il vous est demandé de faire de l’économie dans une situation de déficits généralisés, de procéder aux ajustements structurels avec lesquels notre pays a rompu depuis la fin des années soixante, et de faire face à une concurrence inégale.

Il vous est demandé de remonter en quelque sorte le cours de l’histoire, de ramener le niveau de la demande à celui de l’offre disponible, de réduire la consommation par l’inflation, la restriction du crédit, la compression de personnel, la dévaluation et autres mesures drastiques et impopulaires.

Comment nos concitoyens, innocemment élevés dans la religion de la consommation de droit divin et candidement persuadés qu’il était de leur droit d’être abonnés à l’eau, à l’électricité, au salaire, au logement et autres utilités de la vie courante, vont-ils accepter de se plier à des règles de jeu et à un calcul économique aussi implacables ?

Dans l’ambiance surréaliste où ils ont grandi, l’économie était une chimère et la politiqueune réalité. Dans les slogans de celle-ci, il n’avait jamais été question que de fierté, d’avenir radieux et autres balivernes. Elle leur avait fait perdre jusqu’au bon sens naturel qui veut qu’en tout temps et tout lieu la vie soit activité, l’activité rendement, le rendement revenu, le revenu consommation et épargne, l’épargne investissement, l’investissement emploi, l’emploi croissance, et ainsi de suite, dans une rotation incessante et  toujours renouvelée.

Au moyen d’une loi sur l’autonomie, d’une loi sur les prix, d’une loi sur la monnaie et le crédit, d’une loi foncière, d’une loi sur les concessionnaires et de quelques lois sociales, il vous est demandé de faire la révolution du progrès, sans vous dire que la colossale tâche de convertir l’univers mental décrit en comportement d’homo-economicus s’exposant volontairement au risque économique, acceptant sa sanction qui peut être la réussite sociale ou la pauvreté dramatique, n’est pas du seul ressort d’un paquet de dissertations pouvant tenir dans un cartable.

Ceux qui, en vingt trois ans de planification et d’investissements industrialisant, et alors qu’ils ont disposé de plus de 200 milliards de dollars de recettes, n’ont créé que deux millions d’emplois hors agriculture, vous exhortent aujourd’hui à faire face à une demande comparable en la matière à celle de la France, avec des atouts dix fois moins importants.

Il vous faut encore compter avec le passif de vingt ans de consommation à crédit et l’énorme service de la dette y afférent, laquelle dette, énoncée en termes simples et non en jargon alambiqué, n’est rien d’autre que l’aveu d’une inaptitude à couvrir ses besoins par ses propres moyens.

La contribution du PRA à cette première et heureuse rencontre entre partis politiques et opérateurs économiques vise, par delà le jugement sévère sur la situation économique de notre pays à l’heure du marché, à vous sensibiliser sur l’intérêt qu’il y a à ne jamais plus permettre que la politique s’empare de votre domaine ou asservisse vos compétences à des fins incompatibles avec celles de l’efficacité et du rendement. La politique doit commencer là où finit l’économie, c’est à dire avec les résultats hors impôts, et les attendus ou les choix de la première ne sauraient contrarier les exigences et les règles de la seconde.

Mais, à son tour, l’opérateur doit intégrer à sa notion technique de l’économie le paramètre psychologique, culturel, civilisationnel, car avant d’être chiffres, organisation ou maîtrise technologique, l’économie a été conscience sociale, représentations mentales collectives des choses et de leurs rapports.

Elle a été, là où elle s’est le mieux développée historiquement, un sens commun qui est devenu le bon sens tout court, une trame inconsciente reliant les aspects humains, moraux et matériels d’une société en lui faisant exécuter ces beaux mouvements d’ensemble que sont la production, la précision, l’intégration, les échanges, la concurrence…

A ce titre, elle est tributaire du contenu des mentalités, de la formation des psychologies, de la tournure d’esprit des gens, de leur culture sociale, des idées et mots d’ordre professés par le régime politique et diffusés dans le corps social par les médias.

Mieux que quiconque vous réalisez, vous qui êtes sur le terrain, que de tous les facteurs de production, l’homme est celui qui vous donne le plus de peine et de fil à retordre car, à la différence des capitaux ou des équipements, il est porteur d’états d’âme, d’idées courantes, qui le rendent le moins stable en tant que donnée dans un calcul général, et le plus problématique quand il s’agit de changements, d’adaptation à de nouvelles normes ou de ruptures brutales.

Dans les pays développés la pose des bases mentales a précédé la pose des structures économiques. C’est sur les bases intellectuelles de la Renaissance, de l’Humanisme, de la philosophie des lumières, de l’Aufklarung, de l’utilitarisme, du positivisme, etc, que s’est progressivement formée l’économie politique classique. C’est d’une réforme mentale, sociale et intellectuelle – l’ère Meiji- qu’a surgi l’extraordinaire essor japonais.

Dans les pays de la zone pacifique, les seuls à avoir pris leur impulsion dans un monde en proie à la crise des deux chocs pétroliers, c’est tout un culte de la discipline, de l’organisation et du rendement qui a été institué et dont quelques documentaires télévisés nous ont récemment rendu compte.

Chez nous, malheureusement, c’est un fonds mental éminemment négatif qui a été installé à coup de flatteries démagogiques, populistes et ignares, par un pouvoir irresponsable et préoccupé de ses seuls intérêts de syndicat du crime économique et politique. Et Il vous lègue aujourd’hui des réflexes qui évoquent davantage l’ère néolithique que l’ère technologique.

Aucune dynamique sociale, aucune politique de développement, aucun socialisme, aucun libéralisme, aucune économie islamique, ne peuvent s’instaurer ou réussir s’ils ne sont pas fondés sur des ressorts psychologiques et mentaux qui acceptent, intègrent et assimilent la rationalité, la rigueur et les nécessaires équilibres que tout modèle économique postule fondamentalement. Peu importe le nom de la construction qu’on élève sur du sable, elle est fatalement vouée à l’échec, dût-elle s’appeler dirigisme, marché ou « fiqh économique ».

Faire de la politique économique, ce n’est pas se livrer à l’intérieur d’un même pays à une guerre de tranchées idéologique opposant férocement public et privé, mais faire en sorte que l’un et l’autre concourent librement à pourvoir au couffin de la ménagère. Ce n’est pas flatter et gonfler inconsidérément une demande insolvable, mais lui opposer une offre réelle, produite localement et non importée à crédit dans le secret des magouilles.

L’ère des expériences pilotes, des modèles théoriques et des tâtonnements bureaucratiques doit être impérativement et définitivement close sur la terre algérienne. Que l’on ne rate pas le coche une seconde fois, comme l’ont raté tous les pays dits en développement qui ont confié leurs destinées à des mythes académiques en vogue, au lieu de s’en tenir à la seule école du bon sens en vigueur parmi les hommes que résume si bien cette sentence chinoise vieille de plus de douze siècles : « Nos anciens tenaient pour maxime que s’il y avait un homme qui ne labourât pas, une femme qui ne s’occupât point à filer, quelqu’un souffrait le froid ou la faim dans l’Empire».

Le PRA s’enorgueillit d’entretenir une vision des choses plutôt qu’un cocktail de mesures et de recettes, sachant que le rôle d’un véritable parti politique est d’être apte à saisir dans leur ensemble les différents problèmes qui se posent à un pays, en vue, bien sûr, de les résoudre concrètement. C’est cette vision qui nous semble faire défaut à la politique gouvernementale actuelle à laquelle nous reprochons de n’avoir qu’une conception technique et mécanique des choses.

En ce qui nous concerne, nous avons une confiance totale en votre compétence et en votre détermination à sortir l’Algérie du mauvais pas dans lequel l’a engagée le système. Nous croyons en vous et en votre capacité opérationnelle, nous savons votre valeur lorsqu’elle est mise à profit par des pays étrangers, nous voulons que notre peuple puisse en bénéficier, et pour cela, il ne faut plus que la politique interfère entre vos aptitudes managériales et les instruments de votre action.

« Horizons » du 10 mars 1991

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