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LA VIE DE MALEK BENNABI (27)‎

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Le 18 mai 1959 à 22 h Bennabi entame la rédaction de : « Histoire critique de la ‎Révolution algérienne », un travail qu’il fera vite d’abandonner. Il n’en a réalisé que la ‎préface de six pages où l’on peut lire : « La révolution algérienne a été une mise au banc ‎d’essai de tout un peuple, la mise à l’épreuve de toutes ses valeurs humaines, de toutes ses ‎catégories sociales. Et cette épreuve a montré la qualité des valeurs populaires de l’Algérie, ‎mais elle a mis à nu les tares incroyables de ce qu’on peut appeler une « élite » qui s’est ‎révélée dénuée des qualités morales et intellectuelles qui font l’apanage d’une élite… La ‎Révolution algérienne et le peuple algérien : un dépôt sacré entre des mains sacrilèges ou ‎maladroites… La Révolution algérienne est l’œuvre d’un peuple qui n’a pas d’élite : ‎l’historien y trouvera toutes les vertus populaires, mais aucune des qualités propres à une ‎élite. » ‎

Toute l’histoire de l’Algérie est dans ces quelques lignes, toute l’explication de la tragédie ‎qu’elle a connue dans les années quatre-vingt-dix est dans cette bouleversante formule, ‎comme la note sur les « riens » que nous avons lue dans l’épisode précédent explique le ‎marasme dans lequel elle se débat et se débattra longtemps encore. ‎

‎« Le livre et le milieu humain »‎

La vie et l’œuvre de Bennabi tirent leur sens d’un principe : à l’origine, il y a le Verbe, c’est-‎à-dire l’idée, et cette dernière a pour véhicule le livre, qu’il soit divin ou humain. C’est ainsi ‎que très tôt il a fait sienne une formule de l’essayiste français Louis de Bonald selon ‎laquelle : « De l’Evangile au « Contrat social » ce sont les livres qui ont fait la révolution ». ‎

Non seulement Bennabi y croit, mais il a lui-même voulu faire une « révolution » (mentale, ‎intellectuelle, psychologique, civilisationnelle) en s’évertuant à connecter son œuvre sur les ‎évènements de son temps pour les orienter dans un sens donné. Tous ses livres visent une fin ‎précise : provoquer une renaissance, susciter une nouvelle politique dans le monde, hâter la ‎‎« fin de l’histoire », (expression qu’il a utilisée un demi-siècle avant Francis Fukuyama)…‎

‎ Les titres qu’il a donnés à ses livres ne sont que des confirmations de cette volonté ‎obstinée : « Les conditions de la renaissance », « Vocation de l’islam », « Naissance d’une ‎société », « Le rôle et la mission du musulman dans le dernier tiers du XX° siècle »… Plus que ‎des titres, ce sont des flèches, des panneaux indicateurs, des feuilles de route, des plans ‎d’action… Cette intention n’a nulle part été aussi puissamment affirmée que dans « L’Afro-‎Asiatisme » dont la malheureuse carrière lui a inspiré la rédaction de cet inédit (« Le livre et ‎le milieu humain »). ‎

Est-il possible qu’un auteur oublie complètement pendant plus de treize ans l’existence d’un ‎travail qu’il a réalisé ? C’est pourtant ce qui est arrivé à Bennabi avec ce manuscrit d’une ‎quarantaine de pages qu’un jour de l’année 1972 Omar Kamel Meskawi est venu lui ‎restituer.‎

Bennabi l’a écrit pour expliquer les raisons pour lesquelles son livre « l’Afro-Asiatisme » n’a ‎pas eu le succès escompté, un succès dont il était absolument certain. Pour lui, ce livre de ‎doctrine était appelé à faire date, comme « Le Capital » de Karl Marx auquel il le compare. ‎En faisant cette comparaison, il est amené à nous expliquer pourquoi et comment le livre de ‎Marx a été porté par « le milieu humain » dans lequel il est apparu, c’est-à-dire l’Europe du ‎XIXe siècle, quand la pensée marxiste est venue emboîter le pas au positivisme d’Auguste ‎Comte et au transformisme de Darwin. L’industrialisation et le capitalisme lui ont servi de ‎véhicule. Ce sont ces éléments philosophiques et sociologiques qui ont nourri la pensée ‎marxiste et favorisé sa diffusion dans le sillage des philosophies matérialistes…Tout livre de ‎doctrine prend ainsi sa signification aux yeux de ses contemporains par un double aspect : ‎par son propre contenu qui représente sa valeur intrinsèque, et par les circonstances qui ‎l’entourent qui représentent, en somme, ses chances de succès. On peut donc, à propos du ‎livre de Bennabi, poser deux questions : ‎

‎1°) quelle est sa valeur doctrinale ?‎
‎2°) quelles étaient ses chances de succès ? »‎

Nous avons bien lu : Bennabi parle de lui-même et se nomme dans ce livre dont il est à la ‎fois l’auteur et l’objet. Revenant au parallèle avec « Le capital » il relève : « C’est la carte ‎historique et sociale du monde européen – après les guerres napoléoniennes – qui explique ‎l’histoire du marxisme depuis son apparition : elle indique les courants qui l’ont favorisé et ‎les courants qui lui ont été contraires. Mais le milieu qui entoure le livre de Bennabi est plus ‎complexe. Sa carte est par conséquent plus complexe : elle doit indiquer en effet les ‎éléments qui proviennent proprement du monde colonisé, et d’autres du monde ‎colonisable. » ‎

L’idée afro-asiatique portée par Bennabi bien avant la conférence de Bandoeng était en ‎filigrane dans les derniers chapitres de « Vocation de l’islam II» et dans quelques articles ‎comme « De Genève à Colombo » où il écrivait, parlant de la réunion qui venait de se tenir ‎dans cette ville et de l’appartenance géographique des pays qui y ont été représentés un an ‎avant Bandoeng : « Cette zone correspond idéologiquement à celle de la pensée islamique et ‎de la non-violence, c’est-à-dire l’espace de deux civilisations – l’islam et l’indouisme – qui ‎recèlent aujourd’hui d’immenses réserves spirituelles pour l’humanité » (1). Cette idée allait ‎se heurter à trois vents contraires provenant simultanément du monde colonialiste, du ‎monde communiste et du monde afro-asiatique lui-même. ‎

Quand il adaptera le livre qu’il a commencé à écrire avant la Conférence de Bandoeng à ‎l’évènement et à ses promesses, Bennabi voudra donner à cette réunion hétéroclite de ‎peuples et d’intérêts le lien doctrinal qui lui manquait, le ciment idéologique qui lui faisait ‎défaut, car Bandoeng n’a été en lui-même qu’un acte diplomatique sensationnel mais ‎dépourvu de toute base idéologique. C’est donc à une initiative sans support objectif réel et ‎sans prolongement dans l’âme des peuples que Bennabi a voulu donner un liant (« une ‎culture afro-asiatique ») et des intérêts communs (une « économie afro-asiatique »). ‎

Telle est l’histoire de ce livre, de ce rêve, de ce défi d’un homme seul, ne bénéficiant du ‎soutien d’aucun pays, pas même du sien représenté alors par le GPRA. Au moment où il ‎rédige « Le livre et le milieu humain », Bennabi est encore certain que « L’Afro-asiatisme » ‎sera « un livre qui comptera aux yeux de la postérité comme un des grands livres du XXe ‎siècle, de même que « Le Capital » de Marx représente pour notre génération le livre du ‎XIXe siècle ». ‎

Mais cette conviction n’a pas dû subsister longtemps en lui puisque le travail à peine ‎terminé le 25 mai 1959, il oubliera totalement qu’il l’a écrit. En fait, il confiait déjà à ses ‎Carnets un an plus tôt : « J’ai écrit « L’AA » à 52 ans avec la conviction que ce livre allait ‎définitivement me sortir de l’ombre, me permettre enfin d’aspirer à une vieillesse ‎confortable… J’étais sûr que le livre serait traduit dans les pays de Bandoeng, d’autant plus ‎que j’avais l’appui de New Delhi. Tout cela est parti et mon espoir est par terre pour de bon ‎cette fois-ci… Tout s’est écroulé comme au mois de juillet 1936 et au mois d’août 1944… Je ‎demande constamment à Dieu de me délivrer, de hâter mes pas» (note du 26 février 1958). ‎

A la fin du premier semestre de l’année 1959, Bennabi entame une tournée en Syrie et au ‎Liban où il va séjourner près d’un mois. Il est reçu comme un hôte d’honneur et donne ‎plusieurs conférences dans les deux pays. C’est un mois de bonheur qu’il connaît. Avec la ‎parution de ses livres en arabe, son nom est maintenant célèbre. On lui propose de s’établir ‎au Liban. Le Dr. Hassan Saâb, qui vient de traduire le texte d’« Islam et démocratie » insiste, ‎mais Bennabi ne peut s’y résoudre malgré le malaise qu’il éprouve en Egypte où ses ‎relations sont de plus en plus difficiles avec les chefs de file du courant marxiste au sein du ‎gouvernement dirigé par Ali Sabri qui nourrit une hostilité particulière envers lui. ‎

En fait, il ne pouvait que difficilement s’accorder philosophiquement et politiquement avec ‎le régime nassérien qui prônait le nationalisme arabe alors que lui ne croyait qu’à l’unité ‎civilisationnelle du monde musulman dans une perspective d’unification plus large : le ‎mondialisme. Cette différence de vue est d’ailleurs nettement affichée dans « L’Afro-‎Asiatisme » et dans « Idée d’un Commonwealth islamique ». ‎

Dans les milieux politiques et intellectuels cairotes, il a pour amis les ministres Hassan al-‎Bakouri, Kamel-Eddin Hussein, Ahmed Abdelkarim, Nihad al-Kacem, et les intellectuels ‎Omar Baha-Eddine al-Amiri, le Dr. Al-Bahi, Saïd al-Aryan, le Dr Abou Zahra, Salah-Eddin ‎Echach… Il rend aussi souvent visite à l’Emir Abdelkrim al-Khettabi. ‎

Le journal irakien « El-Hourriya » du 12 octobre 1959 consacre son édition aux deux ‎évènements du jour : la tentative d’assassinat contre le président irakien, Abdelkrim Kassem, ‎et la lettre ouverte adressée par Bennabi aux présidents Khrouchtchev et Eisenhower, réunis ‎à Camp David, dans laquelle il les presse de trouver un dénouement à la crise algérienne. Il ‎évoque parmi les derniers méfaits du colonialisme l’assassinat de Aïssat Idir, le fondateur de ‎l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens). En novembre, il est de nouveau au Liban ‎où il est invité à un Congrès des sciences politiques. Le 12 décembre, Nasser lui envoie un ‎mot de félicitation pour sa lettre ouverte aux leaders américain et soviétique. ‎

‎« Le problème des idées dans la société musulmane », version 1960 ‎
‎ ‎
Dans une note du 30 décembre 1959, Bennabi nous apprend que « ce soir à dix-heures ‎trente, le schéma de mon travail (« Le problème des idées dans la société musulmane ») ‎s’est précisé dans mon esprit. Depuis plus d’un an je n’ai fait qu’aborder ce travail par divers ‎côtés, n’ayant qu’une vue partielle de l’ensemble. Ce soir, c’est cet ensemble qui a pris corps ‎dans mon esprit sous ce titre. » ‎

Il s’agit d’un manuscrit de 70 pages comportant cinq chapitres intitulés : Idées et maladies ‎sociales, Némésis des archétypes trahis, L’élite en tant qu’interrupteur dans le circuit des ‎idées, Duel idée-chose et Réponse au vide cosmique. ‎

L’université islamique d’al-Azhar le sollicite souvent pour l’analyse d’ouvrages occidentaux ‎tels que « L’évolution de l’islam » de Raymond Charles, « La Bible et le Coran » de Jacques ‎Jomier, ou « L’islam face au développement économique » de Jacques Austruy. Bennabi ‎rédige en arabe des comptes rendus analytiques de ces livres. ‎

L’examen des manuscrits et brouillons démontre que sa maîtrise de l’arabe est alors totale ‎car il s’agit d’ouvrages traitant de domaines aussi divers que l’exégèse, l’économie ou la ‎géostratégie. Surpris un jour de voir un de ces compte-rendu publié par la presse, il proteste ‎par écrit auprès d’al-Azhar. Le 19 janvier 1960, il rencontre Mawdudi (1903-1980) en visite ‎au Caire. ‎

Faisant le point de sa situation dans une note du 03 mars, il écrit : « Je ne savais pas qu’en ‎apportant mon livre « L’Afro-Asiatisme » en 1956 pour l’offrir au président Nasser, je venais ‎au Caire pour y vivre la plus sombre aventure qu’il peut être donné à un auteur de vivre. » ‎C’est que des ennuis d’un nouveau genre viennent d’apparaître dans sa vie : le bruit ‎scientifiquement organisé pour l’empêcher de dormir. Il s’en plaint aux autorités mais sans ‎résultat. ‎

Le 08 juillet il adresse au premier ministre chinois, Chou En Laï, un exemplaire de son livre ‎accompagné d’une lettre. Au cours du même mois, la revue « Présence africaine » publie le ‎message qu’il a envoyé au Congrès des écrivains noirs à Rome. En août, il est de nouveau à ‎Damas pour des conférences. Plusieurs ministres lui rendent visite. ‎

En septembre, il passe une affreuse semaine due au système de conditionnement de son ‎système nerveux qui a été conçu pour le priver de sommeil et de repos. Il ne dort pas six ‎nuits d’affilée. Le vacarme orchestré en-dessus et au-dessous de lui ne va plus cesser, ‎multipliant ses nuits blanches. Il est obligé de passer la nuit tantôt chez l’un, tantôt chez ‎l’autre de ses amis ou disciples : Chehadé, Chaker, Baghdadi, Fouda… L’appartement du ‎dessus est occupé par deux mystérieux étrangers. ‎

Pour lui, tout cela est l’œuvre de spécialistes qui savent l’importance de la succession et de ‎la variation des bruits sur les nerfs : aboiements incessants de chiens, travaux nocturnes à ‎l’étage au-dessus, bruits divers mais constants au-dessous, sonneries du téléphone sans ‎correspondant…Tout cela a surgi brusquement. ‎

Il relate ce qu’il pense être une « tentative d’assassinat par des moyens scientifiques » dans ‎une brochure intitulée « L’assassinat par les moyens de la science » qui contient une lettre ‎à Krim Belkacem et une autre à Allen Dulles. Le 18 octobre, il écrit à Khrouchtchev pour le ‎remercier de soutenir l’Algérie. En novembre, le secrétaire du roi Saoud entre en relation ‎avec lui et lui propose de s’installer aux USA comme « guide » d’une association de ‎musulmans noirs. Il refuse. ‎

Pris dans l’engrenage de la vie bruyante et anarchique du Caire, vivant au cœur de l’Orient ‎et du monde musulman, Bennabi a tout loisir d’observer et d’analyser les comportements ‎sociaux. Il écrit dans une note du 26 novembre 1960 : « Une société où l’individu n’a pas ‎d’obligations à remplir, strictement déterminées par les besoins reconnus de la collectivité, ‎est une société artificielle. Elle est artificielle parce que les individus qui la composent ne ‎sentent pas les rapports normaux que toute société normale créé entre eux. Dans ce cas, ‎l’individu, sentant que son existence dans ce cadre ne répond à aucun besoin, à aucune ‎nécessité de la collectivité, éprouve comme une honte de son existence parasitaire, ce qui ‎abolit en lui sa dignité d’homme. Il en résulte des êtres prêts à tous les compromis et à ‎toutes les compromissions, des êtres artificiels… C’est cette dégradation de l’individu qui est ‎le principal danger de la société artificielle. » ‎

En décembre, il se rend de nouveau en Syrie où ses conférences connaissent un grand ‎succès. A la fin de l’année 1960, la presse égyptienne publie une information selon laquelle ‎Bennabi est proposé pour le prix Nobel. Celui-ci réagit en rédigeant un communiqué dans ‎lequel on lit « Je ne me suis pas proposé à ce prix et je n’ambitionne pas de l’obtenir » et ‎l’envoie à différents journaux dont aucun ne le publie. ‎

En marge du texte dactylographié conservé dans les archives, on trouve cette mention en ‎français : « La presse du Caire publie bien les communiqués dont le colonialisme désire saisir ‎la conscience musulmane, mais quand le musulman veut lui donner la réplique, il s’aperçoit ‎d’après le veto de cette même presse qu’il n’a pas le droit de répliquer. » ‎

Quelques jours plus tard, le journal « Al-Haqaïq » du 29 décembre 1960 publie un article ‎intitulé : « Un philosophe algérien proposé pour le prix Nobel » où on peut lire : « Les milieux ‎littéraires à Stockholm ont proposé deux écrivains pour le prix Nobel dont l’un est l’écrivain ‎algérien Malek Bennabi… Mais ce prix a été obtenu par le passé et le sera encore à l’avenir ‎par d’autres que Malek Bennabi, étant donné la nature de son combat politique et la ‎philosophie par laquelle il ouvre à l’humanité des perspectives nouvelles vers le droit, le bien ‎et la paix…» ‎

Ce n’est pas la première fois que Bennabi est proposé dans d’étranges conditions à un prix. ‎Dans le manuscrit en français de « La lutte idéologique dans les pays colonisés », il rapporte ‎que dans son édition du 26 mars 1954, l’organe francophone des Oulamas, « Le Jeune ‎musulman », a publié un communiqué de la « Communauté islamique de Hambourg » ‎annonçant que le Dr. Pfaus s’est vu décerner le Prix de l’Association des journalistes indiens. ‎

Celui-ci, selon le même communiqué, a « suggéré au président de ladite association que Mr ‎Malek Bennabi, l’auteur du livre « Le phénomène coranique », mériterait également ce ‎prix ». Aussitôt après, Bennabi publie une mise au point où il déclare : « Je ne saurais ‎accepter de prix ni pour « Le phénomène coranique » ni pour un autre ouvrage ». ‎

Par contre, c’est lui qui a été l’initiateur de la recommandation d’instituer un « prix de la ‎zone de paix », objet de la résolution n° 10 de la Conférence afro-asiatique du Caire de ‎décembre 1957. Il en avait eu l’idée en 1954, c’est-à-dire bien avant la naissance du ‎mouvement afro-asiatique, selon ce qu’il en rapporte lui-même dans la version française ‎inédite de « La lutte idéologique dans les pays colonisés ». ‎

En janvier 1961, Bennabi est à Tripoli où il règle les formalités de son mariage avec sa ‎cousine (par sa mère), Khadoudja Haouès (décédée en juin 2015). Le séjour est mis à profit ‎pour donner des conférences. Il est très bien reçu par les Libyens. ‎

Dans son édition du 03 avril 1961, le quotidien égyptien « Al-Massa » publie une interview ‎de Bennabi dans laquelle celui-ci exprime son regret que la problématique afro-asiatique ait ‎suscité un centre d’étude à Tel-Aviv mais pas dans les pays concernés.‎

Il déplore que le Congrès des écrivains africains à Rome ait consisté, plutôt que renforcer ‎l’idée d’une culture afro-asiatique, à ouvrir la voie à la « Négritude » qui n’est dans le ‎contexte des enjeux mondiaux de l’époque qu’une affirmation de la singularité africaine ‎pour mieux l’éloigner des cultures arabe et asiatique. Pour lui, c’est une autre preuve de ‎l’efficacité de la lutte idéologique. Début mai, il prend le bateau à Suez à destination de ‎Djeddah pour un pèlerinage qui durera près d’un mois. Dans un numéro de juillet 1961, le ‎même journal et le même journaliste égyptien consacrent une revue aux deux dernières ‎parutions de Bennabi : « La lutte idéologique » et « Méditations sur le monde arabe ». ‎

Lorsqu’éclatent les évènements de Bizerte, Bennabi envoie au président Bourguiba un ‎télégramme où il dit : « Ai l’honneur venir respectueusement offrir mes services comme ‎brancardier partout où héroïque peuple tunisien doit poursuivre son combat sacré contre ‎agression coloniale. Respects. Malek Bennabi. Homme de Lettres. 51, rue Séoud. ‎Héliopolis. » ‎

A la proclamation du cessez-le-feu en Algérie le 19 mars 1962, Bennabi se trouve à Assouan ‎à l’invitation du gouverneur (2). Il rentre aussitôt au Caire pour être au rendez-vous de ‎l’accueil des leaders algériens à l’aéroport aux côtés de Nasser, Kamel-Eddin Hussein et ‎Hussein Chafii. En avril, il devient père de deux jumelles, Ni’ma et Imène. En juin, il change ‎de logement. ‎

‎« Naissance d’une société : le faisceau des relations sociales » ‎

Ce livre, l’un des plus originaux de Bennabi, est édité en juin 1962. Ecrit en français, il a été ‎traduit par Abdessabour Chahine. Il comporte une préface datée du 11 avril 1962, des ‎‎« préliminaires » et quinze chapitres : Espèce et société – Différentes interprétations du ‎mouvement historique – Histoire et liaisons sociales – Origine des liaisons sociales – Nature ‎des liaisons sociales – Richesse sociale – Maladie sociale – Société et valeur morale – Religion ‎et liaisons sociales – Le réseau des liaisons sociales et la géographie – Liaisons sociales et ‎psychologie – Idée d’une pédagogie sociale – Réseau des liaisons sociales et colonialisme – ‎Préconditions d’une pédagogie sociale – Défense du réseau des liaisons sociales. ‎

Dans la préface, Bennabi annonce que le titre « Naissance d’une société » est en fait un titre ‎général sous lequel il compte publier une série d’ouvrages dont celui-ci qu’il a singularisé en ‎lui accolant un sous-titre, « le réseau des liaisons sociales ». Il est consacré à la mise en ‎valeur de l’idée selon laquelle « Le dernier de cette communauté ne sera réformé que par ‎ce qui a réformé son premier ». ‎

Ce livre étant le dernier de ceux composés au Caire, il convient de mettre fin à l’idée ‎répandue selon laquelle Bennabi a directement écrit en arabe certains de ses livres. Ce n’est ‎pas le cas ainsi que nous venons de le voir pour « Idée d’un commonwealth islamique », « Le ‎problème de la culture », « La lutte idéologique dans les pays colonisés », «Naissance d’une ‎société » ou même, plus tard, le deuxième tome de ses Mémoires. ‎

‎« Méditations » ‎

Ce livre est le produit du regroupement sous ce titre de deux ouvrages : « Discours sur la ‎nouvelle édification », paru en 1960 en arabe, et « Méditations sur le monde arabe », paru ‎dans la même langue en 1961. ‎

L’ouvrage regroupe les textes des conférences données en Syrie et au Liban entre 1959 et ‎‎1960. Ce sont : « Les difficultés comme signe d’évolution dans la société arabe » ( 1960, ‎siège de l’Union arabe à Damas) ; « Les motivations dans la société » ( 1961, cercle des ‎étudiants arabes de Damas) ; « Valeurs humaines et valeurs économiques » (1960, cercle ‎des étudiants palestiniens à Damas) ; « La démocratie dans l’slam » (1960, cercle des ‎étudiants maghrébins à Damas) ; « La solidarité afro-asiatique » ( 1960, Alep) ; ‎‎« L’efficacité » ( 1959, Beyrouth) ; « La culture » (1959, Tripoli, Liban) ; « Comment ‎construire une société meilleure » (1959, Tripoli) ; « Menaces sur la renaissance arabe » ‎‎(Damas 1959); et « Notre mission dans le monde » (1959, Damas). ‎

NOTES : ‎

‎ Op.cité.‎

‎2 C’est dans le bureau de ce responsable que Bennabi a observé les « quatre téléphones devant lui et cinq ‎appareils climatiseurs autour de lui » qu’il cite comme exemple dans « Le problème des idées » pour illustrer le ‎phénomène de « l’entassement ». Il écrit dans une note du 13 mars 1962 : « Je suis sorti de là avec une idée plus ‎nette sur le « choséisme » qui menace une société qui naît. Il est évident que dans une société qui fabrique elle-‎même ses choses, la présence de cinq appareils à air conditionné est un « excès ». Mais dans une société qui les ‎achète, c’est une démence ».‎

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