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L’ARMEE ALGÉRIENNE : UNE MUETTE QUI NE VEUT RIEN ENTENDRE

by admin

En 1991, j’ai été le premier Algérien à faire l’objet d’un dépôt de plainte par le ministère de ‎la Défense nationale pour « Atteinte à corps constitué ».‎

C’était au lendemain d’une déclaration faite lors d’un débat public à Blida en réponse à la ‎question d’un concitoyen sur le salaire des généraux : « Les généraux n’ont pas de salaires, ‎ils se servent » avais-je dit.

Je reconnais aujourd’hui ne pas avoir pesé mes mots, mais j’avais assumé mes déclarations ‎devant le président du tribunal de Birmandreis où l’affaire devait être jugée.‎

Il m’avait reçu courtoisement et, m’ayant demandé sur quels éléments probants j’allais ‎asseoir ma défense, je lui avais rétorqué que j’envisageais de « lancer un appel à témoin… ».‎

C’est la même réponse que j’ai fait en juin 1998 aux officiers de police judiciaire qui m’ont ‎interrogé pendant deux jours au commissariat central d’Alger sur instruction du Parquet ‎saisi par le général Betchine, conseiller spécial du président Zéroual.

Finalement, c’est la « grande muette » qui s’est chargée de ramener les témoins.‎
Il ne s’agissait pas moins que d’un groupe de généraux en fonction qui ont publié quelques ‎semaines après le dépôt de plainte contre moi le fameux « Rapport des généraux » où ils ‎accusaient un ancien chef d’état-major et quelques officiers supérieurs de s’être ‎gloutonnement servi dans la trésorerie de l’Armée (« affaire Belloucif »).‎ Réalité ? Règlement de comptes ? Je n’ai aucun moyen de le savoir.

Le ministère de la Défense nationale avait commis pour le représenter dans le procès qu’il ‎m’intentait un avocat émérite.‎ Ayant pensé de mon côté à un avocat célèbre qui passe à ce jour pour plus démocrate que ‎Périclès (l’homme d’État grec qui a inventé la démocratie), quel ne fut mon étonnement de ‎l’entendre me dire dans le secret de mon bureau : « Je ne peux pas, si Noureddine, samahni ‎‎»…‎

J’ai finalement constitué un avocat inconnu du public qui s’est très honorablement acquitté ‎de sa tâche.‎
Curieusement, le MDN retira sa plainte à la veille du procès et confirma son retrait en tant ‎que partie plaignante en audience publique, mais le tribunal a quand même jugé l’affaire et ‎prononcé le verdict : la relaxe.‎

Dans « l’affaire Betchine » par contre, et par une prouesse d’illogisme rare, une rumeur ‎orientée qui persiste à ce jour m’a étrangement fait passer du statut de victime à celui ‎d’instigateur de sa chute et de celle de Zéroual…‎

C’était juste pour introduire mon propos d’aujourd’hui qui pourrait me valoir un ‎nouveau dépôt de plainte de la part du MDN, car je me propose de dire certaines ‎vérités à l’Armée ou, pour être plus explicite, aux militaires qui ont tendance à ‎confondre leurs personnes et leurs intérêts particuliers avec la « digne héritière de l’ALN ‎‎».‎

Il importe, en effet, de préciser que lorsqu’on évoque cette institution chère au cœur ‎des Algériens et leur propriété commune, institution que j’ai servie avec fierté et ‎honneur pendant vingt-sept mois au titre du service national, c’est son haut-‎commandement qu’on vise, et non l’ensemble des forces terrestres, aériennes et ‎maritimes avec leurs effectifs, leur encadrement, leurs équipements et les services de ‎sécurité qui en dépendent.‎

‎« Les choses qui vont sans dire vont mieux en les disant » recommande un vieux proverbe ‎français, en particulier quand elles risquent d’être retournées contre soi dans un ‎réquisitoire.‎ Alors ?‎

L’Armée algérienne est-elle, comme dans les vrais pays démocratiques, une « grande ‎muette », ou serait-elle « sourde comme un pot » malgré le tintamarre des sonneries ‎d’alarme qui montent de tous les milieux depuis le renvoi de Tebboune et l’arbitrage rendu ‎en faveur des piliers du « pacte socio-économique » qui va de plus en plus ressembler à ‎un pacte satanique.‎

On ne peut pas dire qu’elle soit muette, car elle s’exprime régulièrement par écrit à travers ‎les éditoriaux de sa revue officielle, « El-Djeïch », et oralement par la bouche de son chef ‎d’état-major à une occasion ou une autre.‎

Les deux parlent d’une même voix, pour dire la même chose, surtout quand il s’agit de ‎rappeler, comme vient de le faire le général Gaïd Salah à Constantine, qu’elle est une « ‎armée républicaine ».‎

Faut-il encore que nous nous entendions sur le sens de cette expression, général, car « ‎hnayekhtalfou-l-oulama ».‎ De quoi parle-t-on ?‎

De la République ? Le mot signifie en latin « chose du peuple », et il y a de par le monde de ‎vieilles, d’honorables et d’authentiques républiques, comme il y a des républiques ‎dictatoriales, des républiques dynastiques, des républiques bananières, des républiques ‎mafieuses (celles de Battista, de Bokassa et des « Papadoc » pour ne piocher que dans le ‎passé), des républiques sans État (Libye), des États sans république (Daesh), des pays sans ‎État ni république, des États-voyous…‎

Où classer l’Algérie des corniauds d’« al-Alia » et du pacte satanique? Quel mérite a-t-on de ‎se dire « républicain » quand on ne peut se proclamer armée « royale » ou « impériale » ?‎

Dans la réalité, l’Armée algérienne est devenue sous la chefferie du général Gaïd Salah ‎l’armée du Président, lequel président et ministre de la Défense nationale a changé la ‎Constitution plusieurs fois durant ses quatre mandats pour en faire un habit sur-mesure, un ‎justaucorps qui lui colle à la peau comme l’habit porté par certains artistes et sportifs.‎

Il nous a enfermés dans sa « pensée » politique fantasque et intempestive comme on ferme ‎une partie de dominos dans un café maure, au terme de ruses de Sioux clôturées par un ‎coup asséné à la table à la briser en morceaux.‎

Oui, Bouteflika a bel et bien fermé la partie sur les quarante millions de dominos que ‎nous sommes dans le vaste douar qu’est devenue l’Algérie sous son règne.‎

Nous sommes dans une impasse, lui ne pouvant plus gouverner selon les paramètres admis, ‎et nous ne pouvant rien faire pour préserver notre pays de la crise économique qui nous ‎guette, et de la prédation des vautours qui tournoient au-dessus de nos têtes.‎

Quel sens peuvent revêtir des déclarations d’allégeance à la République quand cette ‎allégeance ne va pas au « peuple souverain », mais à un homme invisible, inaudible et ‎notoirement dépourvu de ses moyens physiques et intellectuels ? Quand le haut-‎commandement de l’Armée, à la suite d’un enchaînement de décisions et de ‎restructurations, est devenu le bras armé et ponctuellement menaçant d’un régime ‎moribond, d’un pays sans gouvernance et d’un État qui n’est plus Gérant ou Garant, mais ‎tout simplement Errant ?‎

Dans ces conditions, on est obligé de conclure que l’Armée algérienne présente les ‎caractéristiques parfaites d’une muette qui ne veut rien entendre, ou d’une sourde qui parle ‎pour ne rien dire, le choix revenant au même.‎

C’est qu’il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre la voix du bon sens et de la ‎vérité criante, ni plus aveugle que celui qui ne veut pas voir la réalité en plein jour, ou ‎tourne la tête ailleurs pour feindre de ne pas voir ce qu’il se trame à côté de lui.‎
Jusqu’à l’an dernier, plusieurs militaires de haut rang à la retraite intervenaient utilement ‎dans le débat public pour donner leur point de vue sur les problèmes du pays et apporter des ‎éclairages sur le passé et le présent.

Or l’an dernier une loi a été prise qui les a réduits au silence sous peine d’être poursuivis ‎et sanctionnés. Depuis, ils ont déserté la scène publique pour préserver leur confort ‎moral et leurs intérêts matériels alors qu’ils sont responsables de l’impasse à laquelle ils ‎ont mené l’Algérie depuis au moins 1988 avant de l’abandonner à son triste sort actuel.‎

Je parie que cette loi les a soulagés au fond, qu’elle a libéré leur conscience de toute ‎responsabilité envers la nation qu’ils prétendent avoir contribué à libérer et servi mais ‎que, en fin de compte, et après des décennies de manigances et de sang sur lesquelles ils ‎ont bâti leur carrière et leur fortune, ils ont mis entre les mains d’ignorants et de ‎pillards.‎

C’est vous les lâches, Messieurs les ex-ceci ou cela, et non les citoyens dont vous avez ‎fait des « mselminmkattfin » tout en espérant d’eux aujourd’hui qu’ils se révoltent pour ‎vous venger d’être tombés sur plus Djouha que vous.‎

Quand ils se sont soulevés en octobre 1988 ou en Kabylie en 2002, ils ont été abattus comme ‎des bêtes sauvages sorties de la forêt.

Où est votre honneur militaire, votre courage de soldat, votre dévouement à la patrie, ‎votre conscience nationale, paroles mensongères dont vous vous êtes gargarisés depuis ‎l’indépendance, alors que le pays est sur le point d’être balayé par un ouragan de force ‎cinq sur cinq qui le ramènera à la misère d’avant l’indépendance, aux bachaghas, gaïds ‎et autres « chambits » qui se feront un malin plaisir de lui faire suer le burnous.

Des gens comme moi avaient le droit moral de reprocher à leur peuple de ne pas tendre ‎à être parmi les meilleurs car je n’ai cessé de l’y exhorter depuis les années soixante-dix ‎dans mes écrits.‎ Si j’avais été à votre place, je n’aurais pas écrit, mais fait.

Mais je n’étais qu’un adolescent qui rêvait de l’y pousser avec des mots et des idées, ‎tandis que vous faisiez tout pour le maintenir à l’état de « ghâchi ».‎

Ce peuple est présentement sacrifié au « delirium tremens » d’un homme que vous avez ‎ramené et imposé, puis demandé à quelques hommes de bonne volonté comme moi de ‎‎« l’aider à reconstruire le pays ». Il l’a détruit, au moins moralement.‎
Messieurs les anciens déserteurs de l’armée française dont l’Algérie indépendante a fait ‎des généraux, ne désertez pas ce pays qui vous a donné plus que vous ne lui avez ‎apporté !‎

Ayez le courage de vous montrer, de vous exprimer, de vous sacrifier au besoin, pour ‎que l’ANP à laquelle vous avez appartenu, que vous avez façonnée, cesse d’être un ‎instrument de répression du peuple sur ordre d’un tyran ou d’un clan, et demain peut-‎être de la mafia directement.‎

Vous avez tiré sur le peuple le jour de l’indépendance puis après, lors du coup d’Etat de ‎‎1965, en octobre 1988, en 2001… C’en est assez !‎

Cette armée a perdu des milliers de « djounoud » dans la lutte contre le terrorisme, et ‎tué des dizaines de milliers d’Algériens passés au terrorisme.‎

Jusqu’à quand l’armée algérienne fera-t-elle la guerre aux Algériens innocents ou « ‎égarés », alors que même cet « égarement » est le fruit de vos choix, de votre ‎aveuglement, de votre incompétence ?‎

Ce n’est pas ce qu’a fait l’ALN dont vous vous revendiquez, elle a combattu un occupant ‎et l’a bouté dehors.‎

Le chef d’état-major de l’ANP affirmait récemment avec une autosatisfaction qui m’a ‎rappelé Saddam Hussein que notre Armée comptait parmi les plus puissantes au monde.‎

Là ausssi « yekhtalfou-l-oulama », général !‎

Car le savoir universel enseigne et l’expérience des dernières guerres montre qu’une ‎armée qui n’est pas adossée à une économie et des technologies indépendantes et ‎performantes, qui ne produit pas les matériels requis par la guerre moderne mais les ‎achète, qui ne possède pas une industrie capable de produire de l’armement ‎conventionnel et stratégique à l’instar de la Chine, la Russie, l’Inde ou la Corée du Nord, ‎sans parler de l’Occident et du Japon, est une armée juste bonne à réprimer le petit ‎peuple pour qu’il plie devant le despotisme d’un tyranneau de douar ou d’une smala, à ‎s’opposer à un terrorisme local, ou à soutenir un conflit avec un voisin de moindre ‎force.‎
Voilà un quart-de-siècle que l’ANP combat jour et nuit le terrorisme sur l’ensemble du ‎territoire national sans l’avoir éradiqué.

Une armée puissante est l’émanation d’un peuple libre, intelligent, inventif, productif, ‎fier de ses institutions démocratiques, et non un appareil militaire prompt à tirer sur ‎son peuple quand celui-ci veut devenir libre, intelligent, inventif, productif, démocrate ‎et capable de créer une industrie militaire destinée à le protéger réellement.‎

Le désordre constitutionnalisé et le despotisme institutionnalisé actuels se cachent ‎derrière la « légalité » et le « républicanisme de l’Armée » pour empêcher le peuple ‎d’exercer sa souveraineté et de conquérir sa citoyenneté.‎

Voilà dans quels termes se pose le problème de l’Algérie depuis le 5 juillet 1962.‎
Les choses qui vont sans dire allant mieux en les disant, je réitère que je n’appelle pas ‎l’Armée à un coup d’État, mais affirme en toute responsabilité que le pourrissement de la ‎situation qui nous est faite sape de plus en plus le moral de la nation, érode l’autorité de ‎État, pousse aux troubles sociaux et que, devant de tels dangers, il n’y a pas que le coup ‎État comme moyen d’action. Il y a la persuasion à moindre coût, dont les vertus du « ‎dialogue » si cher au discours officiel et à notre diplomatie.‎

Le pays attend que des voix fortes s’élèvent « min djibalinawa min soudourina » pour ‎appeler à la sagesse et à la conscience patriotique les responsables en poste, réclamer la ‎justice pour cette nation qui souffre depuis des millénaires, et lancer un message ‎d’espérance en un avenir commun possible et réalisable car à la portée du génie de ‎notre peuple.

(29 août 2017)‎

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