Home ARTICLESLa problématique algérienne2011-2016 L’ANCIEN SYSTEME ET LE NOUVEAU

L’ANCIEN SYSTEME ET LE NOUVEAU

by admin

Le système politique qui nous a gouvernés jusqu’il y a peu est né hors des frontières de ‎l’Algérie combattante plusieurs années avant l’Indépendance.

C’est un type de pouvoir binaire spécifique à l’Algérie, reposant sur une cohabitation entre ‎une constante militaire réputée insécable et une variable civile fragile car ne pouvant ‎compter sur une force sociale ou politique réelle.

La première était la réalité du pouvoir, la seconde son apparence et le rapport qui les ‎liait était à peu près celui d’un propriétaire à un locataire.‎

Sa principale caractéristique est d’avoir été façonné dans des conditions historiques où la ‎société algérienne était absente. ‎

Les Algériens étaient avant et pendant la Révolution du 1er novembre 1954 des sujets ‎coloniaux, et non les acteurs d’une vie nationale alors inconcevable. Ils étaient des hommes ‎et des femmes étrangers dans leur pays, et non des citoyens souverains, conscients de leurs ‎droits et de leurs devoirs, notamment politiques. ‎

Ils ont vécu tellement longtemps en dehors des normes citoyennes ou républicaines ‎qu’ils ne savent toujours pas ce que sont ces valeurs, comment les incorporer à leur ‎culture personnelle et les incarner dans leur vie collective.‎

Un peuple et une société ne sont pas une seule et même chose, malgré les apparences et ‎les discours démagogiques. Il est infiniment plus facile de proclamer la naissance d’un ‎Etat, que de construire une société homogène, éduquée, éclairée, responsable, surtout ‎à partir d’une poussière d’individus unis les uns aux autres par un vague sentiment ‎d’appartenance religieuse dégradé par plusieurs siècles de décadence et de colonisation, ‎et régis dans leurs rapports quotidiens par un sens de l’intérêt archaïque, non socialisé. ‎

Le « système » est à l’origine de la perversion des institutions civiles et militaires, du ‎gaspillage d’un millier de milliards de dollars, de la corruption étatique, de la ‎falsification de la vie politique, de la destruction des valeurs morales de la nation, des ‎assassinats pendant la Révolution, des tueries des premiers jours de l’Indépendance et ‎des évènements qui ont mené à la décennie noire.

Il a eu raison du GPRA, de Ben Bella, Chadli, Boudiaf et Zéroual, soit de tous ceux qui, après ‎lui avoir appartenu ou s’en être servi, ont voulu pour un motif ou un autre, dans l’intérêt du ‎pays ou plus sûrement du leur, mettre fin au « régime du consulat » où les décisions sont ‎réparties entre deux pôles humains (comme dans la Rome antique) ou trois (comme après la ‎Révolution française). ‎

De la liste des hommes qui ont présidé aux destinées de l’Algérie depuis 1962, deux noms ‎sont absents : celui de Boumediene, le père-fondateur du « système », et celui de Bouteflika ‎qui n’a jamais cessé de clamer qu’il était son « héritier naturel » et que le pouvoir lui serait ‎revenu de droit après sa mort si les « Services » n’avaient pas contrarié son destin, lui ‎faisant fait perdre vingt ans de sa vie prodigieuse hors du « système ».

Ces deux noms sont l’Alpha et l’Omega du « système », le tenant et l’aboutissant du ‎despotisme algérien.‎

Les principales figures de proue du pouvoir aujourd’hui (Bouteflika et Gaïd Salah) ou qui ‎l’étaient il n’y a pas longtemps (le général Toufik), avaient une place plus ou moins ‎significative dans le « système » à la fin des années 1950 du siècle dernier, avec une nette ‎prééminence pour Bouteflika qui était déjà un homme de confiance de Boumediene.

Dans les derniers temps, ils ont été les héros d’un combat de fin de vie qui se serait ‎conclu par l’élimination du dernier par les premiers. La « variable » a, pour une fois, ‎gagné le bras-de-fer contre la « constante » parce qu’elle a trouvé le moyen de briser ‎son unité, d’utiliser l’état-major contre le DRS, réussissant du coup la fission du noyau ‎qui a libéré une énergie destructrice considérable.

Le « système » a implosé à la suite d’on ne sait quelle divergence ou « trahison » pour ‎reprendre un mot récent de Sâadani : sur le quatrième mandat, les dossiers de corruption, la ‎succession, la Constitution ou la politique étrangère, on ne sait.

Ce qui en ressort, c’est que le « régime du consulat » serait mort, un proconsul ayant réussi ‎à chasser l’autre comme Napoléon lorsqu’il s’est proclamé consul à vie en 1802 puis, deux ‎ans après, empereur.‎

Le « système » est de toute évidence dans une étape cruciale de son existence qui peut ‎signer sa fin comme elle peut permettre sa perpétuation avec de nouveaux visages et ‎pour un temps qui durera moins que le premier mais sera probablement le dernier.‎

Le dernier dans le sens où, avec ou sans hydrocarbures, le pays finira par s’effondrer sous ‎les effets cumulés du clanisme, de la corruption érigée en critère d’accès au pouvoir, du ‎squat de l’Etat par l’argent sale et des provocations incessantes à la morale publique.‎

Tel un astre en fin de vie il a explosé, donnant lieu à des astéroïdes autour desquels ‎gravitent des nuées de corps de différentes tailles et d’une infinité de particules mues par ‎une dynamique d’accrétion qui donnera naissance à un nouvel astre, au « système » qui aura ‎imposé sa force gravitationnelle aux autres. ‎

Dans l’ordre cosmique, les gros rochers se disputent la poussière de particules par le jeu de ‎la force gravitationnelle pour atteindre la masse critique nécessaire à leur « survie ». ‎

Dans l’ordre humain, ce sont les intérêts matériels et sociaux, égotiques et politiques, qui ‎tiennent lieu de force gravitationnelle. On achète les consciences, les allégeances, les voix ‎électorales et les sièges parlementaires qui conduisent aux postes ministériels et plus.‎

Quel régime politique sortira pour l’Algérie post-système et post-génération de ‎novembre du démantèlement de l’ancien ? Un autre système avec les restes et les ‎mauvaises habitudes de l’ancien, comme le despotisme indigène a succédé au ‎colonialisme exogène ? ‎

Boumediene mettait fréquemment en garde dans ses discours populistes contre le risque de ‎l’avènement d’une « bourgeoisie compradore » qui serait infiniment plus impitoyable ‎envers le gros des Algériens que l’occupation étrangère.

Nous y sommes, et c’est sous le règne de son « héritier naturel » que le risque à pris corps et ‎qu’il est devenu une réalité visible, palpable, sonnante et trébuchante.‎
Il y a des centaines de fois plus de milliardaires dans l’Algérie indépendante qu’il n’y en ‎a eu en cent-trente années de colonisation.

D’anciens pauvres baragouineurs et tirailleurs algériens sont aujourd’hui plus riches que ‎Borgeaud et Faure réunis, alors qu’aucun colon n’a acquis sa fortune en quelques ‎années par la mécanique occulte de l’octroi de marchés publics.

Si les premiers ne possédaient que des journaux, les seconds possèdent des télévisions, des ‎partis politiques et des sièges au parlement. Ils aspirent à régenter la vie et la pensée des ‎‎« indigènes » qu’ils voient dans les Algériens non nantis. Leur unique critère d’évaluation de ‎la valeur humaine et du respect dû à autrui est la quantité d’argent montré à l’intérieur du ‎pays et caché à l’étranger.‎

Nous connaissons les caractéristiques et les défauts de l’ancien système. Quels sont ceux du ‎futur régime qui est en train de se mettre en place par petites touches, un régime à base de ‎favoritisme, d’allégeance inconditionnelle, de corruption et de prédation ? ‎

Il présente tous les signes de l’enfant illégitime et dévoyé de l’ancien « système », et est ‎aussi persuadé que lui qu’il n’existe toujours pas de société en Algérie pour entraver sa ‎progression vers la prise du pouvoir total, politique, économique et mental. ‎
Il observe que les Algériens sont restés ce qu’ils furent toujours, des êtres sensibles à la ‎religiosité charlatanesque et un nuage de particules prédéterminées à graviter autour ‎du noyau le plus attractif.

Nous sommes une fois encore mis devant la logique du choix entre le mauvais et le pire que ‎je dénonçais dans un livre en 1997. L’islamisme se présentait alors à mes yeux comme ‎l’expression du pire.‎

Aujourd’hui, c’est l’oligarchie qui s’est emparée des manettes de contrôle du pays. Le pire du ‎pire de chez pire – la colonisation – commence à être regardé comme meilleur que le ‎régime qui se profile à notre horizon.

L’occupant étranger ou le despote local renverse les valeurs pour perdurer car il n’y a pas ‎meilleure arme que le renversement des valeurs, que l’encanaillement comme stratégie de ‎nivellement, pour tuer une nation ou empêcher sa consolidation.

Les dérives du « système » depuis l’Indépendance en matière de droits de l’homme et de ‎libertés publiques (dont celles de penser, de s’exprimer, de voter, de militer, de s’opposer, ‎d’investiguer et de dénoncer les atteintes aux biens publics) sont réelles et innombrables. ‎

Ses interférences dans le libre fonctionnement des institutions et de l’économie étaient ‎quotidiennes et ont été préjudiciables à l’intérêt général. Ses incessantes pressions contre un ‎exercice indépendant de la justice sont notoires et ont occasionné beaucoup d’injustices et ‎d’abus. Tout cela est connu, réprouvé, doit être corrigé et les victimes indemnisées.‎

Nous aurions tous été suprêmement heureux d’apprendre la fin d’un « système » aussi ‎nuisible à l’intérêt général et l’avènement d’un régime politique sain, légitime, légal, ‎démocratique, œuvrant à l’intérêt du pays et attelé sincèrement à la construction d’un ‎véritable Etat « civil ».

Mais est-ce ce qui nous attend réellement ? Il y a tout lieu d’en douter à voir qui en fait ‎l’annonce et qui s’en félicite : des individus n’ayant leur place ni dans la pensée ‎politique, ni dans l’exercice de la politique, ni dans les affaires, ni dans les institutions de ‎l’Etat, mais en prison pour la plupart d’entre eux s’il y avait une justice.

Des hommes qui ont servi les déchus avec la même obséquiosité qu’ils servent les ‎maîtres du jour, et qui feront montre envers ceux-ci de la même férocité qu’ils ont mise ‎à vilipender « rab dzaïr » ou d’autres avant lui.

Derrière ce caquetage de bas étage, tout le monde devine des non-valeurs emballées dans ‎la servilité, la débilité, l’esbroufe et le mensonge… C’est l’ancien « système » qui a produit ‎ces profils qui se sont retournés contre lui non par idéal, mais par encanaillement. Il ne ‎pouvait recruter ses plus sûrs affidés pour l’exécution de sa basse besogne que parmi les ‎ignorants, les truands et les obséquieux de leur genre. ‎
Bien fait pour lui si, aujourd’hui, son tour est arrivé d’en être victime.‎

Si c’est pour changer de maître, pour passer d’un autocrate à un oligarque, d’un faiseur de ‎rois à un faiseur de voyous, d’un affairiste appartenant à un camp à celui du camp adverse, ‎où est l’intérêt de la nation, de nos enfants, de leur avenir ? Pourquoi s’en réjouir ? Quelles ‎raisons peuvent nous pousser à croire les « vainqueurs » quand on considère leur passé, leur ‎présent, leur parcours, leur médiocrité, leur vulgarité, leur nullité ?

L’ancien système s’enveloppait dans un burnous soi-disant patriotique et un discours ‎prétendument nationaliste pour berner le peuple de douar que nous étions, pour ‎cacher l’ignorance de ses animateurs, leurs complexes de frustration et leur soif de ‎pouvoir et de richesses. ‎

Le régime qui s’esquisse pour le remplacer n’a ni idéologie, ni discours cohérent, ni ‎projet de société, ni valeurs à proposer en dehors du même burnous et de quelques ‎formules idolâtres destinées au même peuple de douar mais ramené mentalement aux ‎années 1920.

La sénilité des bachaghas, l’analphabétisme des gaïds, la docilité des auxiliaires ‎administratifs, la débilité des chefs de tribus et des pseudos cheikhs de zaouïas, toutes ‎ces tares du temps de la colonisation et du maraboutisme ont été réactivées, exhumées, ‎dépoussiérées, pour servir de nouveau à la restauration de l’esprit du douar
.‎
Les explications qui manquaient à la compréhension de notre passé de peuple plusieurs ‎fois asservi par des occupations d’origines différentes n’ont pas besoin d’être cherchées ‎dans le passé, elles sont dans le présent, dans l’actualité, reconnaissables entre toutes. Il ‎est inutile de les chercher dans les livres d’histoire, elles affleurent sous nos yeux.‎

Les marques auxquelles on reconnaissait la colonisabilité (l’atomisation de la société, la ‎trahison des « élites », la communion populaire dans l’acceptation de vivre dans n’importe ‎quel état et sous n’importe quel Etat venu d’Orient ou d’Occident) sont les mêmes que celles ‎dont se nourrit le despotisme indigène.

NOUS NE PORTONS PAS LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS D’UNE NATION, MAIS TOUS LES ‎INGRÉDIENTS D’UNE COMMUNAUTÉ RASSEMBLÉE AUTOUR DE DÉFAUTS AU LIEU DE ‎VERTUS ET DE QUALITÉS. ‎

MOINS QUE JAMAIS NOUS SOMMES ÉLIGIBLES AU RANG DE NATION, MÊME SI LE ‎PÉTROLE JURE DU CONTRAIRE.‎

L’ancien système n’a pas préparé la relève car son projet n’était pas de laisser derrière lui le ‎meilleur, mais le pire. Le système qui prend forme non plus, il dépasse même en nocivité et ‎en scandale l’ancien.

Toufik a ramené Bouteflika, Bouteflika ramènera celui qui lui succédera. Peut-être Chakib ‎Khelil, l’homme en qui Sâadani a reconnu dans une vision surnaturelle le « meilleur ministre ‎de l’histoire de l’Algérie ». Pourtant aucun concours n’a jamais été organisé pour dégager le ‎nom du meilleur parmi le demi-millier de ministres que l’Etat a employés depuis ‎l’Indépendance.

Le meilleur ministre de l’Energie selon les critères en vigueur, peut-être. Le plus cher au ‎cœur de Bouteflika, je ne dis pas. Le plus suspecté de grande corruption, assurément. Mais ‎le meilleur ministre depuis 1962, Sâadani ne sait pas ce qu’il dit. Car s’il savait, il se serait ‎aperçu qu’il reléguait du même coup Bouteflika à un second plan, lui qui a été ministre de ‎‎1962 à 1981. Mais il fallait à Sâadani commencer à tresser les lauriers et à inventer les ‎titres pompeux car les temps pressent, et l’appel de la terre peut à tout moment retentir ‎pour Bouteflika.‎

Bouteflika et Khelil ont le même âge, quatre-vingt ans. Ils sont nés dans la même province ‎marocaine, Oujda. Ils ont été aux mêmes écoles, celle de leur commune et de la vie. Is ont ‎la même taille, et tous deux ont été accusés par la justice algérienne de détournement de ‎fonds sans que l’accusation n’empêche le premier de devenir président de la République et ‎de battre le record de longévité au pouvoir, ni n’empêchera le second de l’être à son tour. ‎

Les zaouïas ont été chargées de l’oindre de sainteté et Sâadani de le teindre de l’éclat de la ‎compétence. Les techniques de « plébiscite populaire » héritées du général Toufik sauront ‎faire le reste. Cependant, rien n’est définitivement dit et un train peut cacher un autre. ‎

BOUTEFLIKA SEMBLE VOUE A PARTIR COMME IL EST VENU : DANS UNE AMBIANCE DE ‎GRABUGE, DE REGLEMENT DE COMPTES ET DE « DISSENSUS » COMME JE L’AI ECRIT EN ‎‎1999 QUAND IL S’ETAIT PRESENTE COMME LE « CANDIDAT DU CONSENSUS ». ‎

IL PREPARE SA SUCCESSION DANS LE MEME CLIMAT DE RECLASSEMENTS, DE DIVISIONS ‎ET D’AFFRONTEMENTS.

Saâdani était là à l’époque, tout comme le général Toufik, et sans doute sur ses ordres. Il ‎était président des comités de soutien de Bouteflika parce que le FLN dirigé par ‎Benhamouda avait refusé de remplir cet office. On n’a plus entendu parler de cet ancien, ‎entre autres fonctions, ministre des Moudjahidine.

Dix-sept ans plus tard, Sâadani est encore ‎là, à la tête du FLN et des « comités de soutien », alors que le général Toufik, comparé ‎naguère au « Créateur », n’est plus qu’une faible créature.‎
Que devons-nous faire en prévision des dangereuses évolutions qui s’annoncent ? Continuer ‎d’observer bouche cousue, chacun dans notre coin ? Prendre parti pour un camp contre ‎l’autre ? Ou penser à tracer le chemin du salut aux antipodes de toute idée de « système » ‎ancien ou à venir ?

LA TROISIEME VOIE ME SEMBLE S’IMPOSER, MAIS TROUVERA-T-ELLE SES HERAULS ET ‎SES HEROS ?

‎(« Le Soir d’Algérie » du 26 mai 2016)‎

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