Nous sommes les produits de notre histoire.
Lorsque le colonialisme français s’est établi sur nos terres en 183O et jusqu’en 1954, il a été combattu à peu près par tous les Algériens et presque sur tout le territoire national mais séparément, sans coordination, sans utilisation optimale des hommes et des moyens. Sinon il serait parti plus tôt. Or il est resté 132 ans.
L’Emir Abdelkader, le Bey Ahmed, El-Mokrani, Cheikh al-Haddad, Boubaghla, Boumâaza, Bouamama, ainsi que d’autres vaillants résistants, ont pris la tête de mouvements de révolte, mais sporadiquement. Aucun n’a pu compter sur une mobilisation dépassant les limites de sa tribu, de la confédération de tribus qu’il a pu réunir ou de sa zone d’influence. Quand une ou plusieurs tribus se soulevaient, c’était leur affaire. Quand une région s’enflammait, c’était son problème.
La seule fois où les Algériens l’ont fait, c’était entre 1954 et 1962, encore qu’il y ait eu plus d’Algériens sous l’uniforme français (100.000 harkis au bas mot) que d’Algériens sous l’uniforme de l’ALN (60.000 moudjahid entre l’intérieur et l’extérieur).
Heureusement qu’il y avait les neuf millions d’autres grâce auxquels les moudjahidin de l’intérieur (environ 30.000) ont pu tenir, et le grand travail diplomatique abattu par le GPRA rendu possible (grève des huit jours de janvier 1957, Bataille d’Alger, manifestations du 11 décembre 196O.…)
Les chaînes satellitaires, éphone portableselleone d’ érale. Quand une ou plusieurs tribus se soulevaien t, c’le.a société.le téléphone portable et Facebook n’existaient pas au XIXe siècle, mais cela ne suffit pas comme explication. Un siècle plus tard, dans un autre contexte et pour d’autres raisons, c’était la même chose : 198O, 1988, 2OO2, 2O11… Et ce sera peut-être aussi la même chose en 2O5O.
Les Algériens ont rarement agi collectivement car ils ne vivaient pas ensemble, mais côte à côte.
Ils ne se sont levés comme un seul homme ni avant 1954 pour défendre leur terre, ni après 1962 pour défendre leurs libertés parce qu’ils n’étaient pas mus par un même sentiment de l’intérêt collectif, par une vision partagée de leur avenir, par une conscience nationale au sens plein du terme. Ils étaient socialement émiettés, politiquement éparpillés et idéologiquement compartimentés.
Pourtant, ils palpitent tous à l’unisson quand il s’agit d’un match de football où l’équipe nationale est engagée, ou d’un grand gala. Les autres peuples aussi, mais eux ce n’est pas que quand il s’agit de foot. Ils palpitent plus encore lorsque l’intérêt de leur pays est en jeu.
Je ne veux pas m’attarder sur le passé, c’est lui qui nous poursuit. C’est pour cela que nous n’avons pas beaucoup changé.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de livrer la guerre à un ennemi mais de construire un avenir à notre pays. La tâche requiert la contribution de tous les Algériens.
Il n’est pas question d’aller affronter la police dans la rue, ou de saccager nos villes, mais de se préparer à devenir des forces électorales, de s’organiser en forces sociales et politiques qui produisent des idées et formulent des propositions applicables pour tirer le pays d’affaire car il est à la veille d’inévitables mutations.
L’histoire du monde arabe a basculé, il est impossible que nous ne soyons pas entrainés par cette dynamique. Que nous le voulions ou non, notre corps national est régi par la force gravitationnelle qui régit l’univers mais aussi l’Histoire. C’est dans cette direction qu’il faut réfléchir et travailler.
Regardons le paysage sociopolitique tel qu’il s’offre au regard.
Les mouvements corporatistes qui se relaient ces temps-ci autour de la présidence de la République n’évoquent-ils pas les mouvements tribaux des siècles passés ? Prenons aussi les personnages les plus connus parmi ceux qui animent la vie politique dans l’opposition : ne sont-ils pas dans la situation où étaient les chefs de tribus qui refusaient de coaliser leurs forces en vue d’un objectif commun ? Leurs partis n’évoquent-ils pas les tribus récalcitrantes devant le but commun ?
Ils sont là depuis des décennies, les plus jeunes sont déjà sexagénaires et les plus anciens bientôt centenaires, mais étant résolus à ne rien entreprendre ensemble, ils n’ont pas pu réaliser le changement appelé de leurs vœux séparément.
Avant d’être acculé à la démission, Moubarak disait à son entourage qu’il avait « un doctorat es-entêtement ». Nos hommes politiques, dans l’opposition ou l’ « alliance présidentielle », sont aussi des post-gradués en la matière. C’est ce qui explique qu’il y ait ce qui explique qu’ mêmeesl comme Ali Baba et les quarante voleurs, mais penser à toute la nation, à son présent et( à son a plus de maçons que de briques sur le chantier Algérie.
Tous les Algériens en âge de marcher et de recevoir des coups de matraque sont en train de manifester tour à tour pour revendiquer des droits, compréhensibles pour les uns, irrecevables pour les autres, mais tour à tour. C’est la seule chaîne qu’ils aient rigoureusement respectée de leur vie.
ILS NE SE SONT PAS LEVES POUR DEMANDER UNE MEILLEURE GOUVERNANCE DU PAYS QUI REGLERAIT L’ENSEMBLE DES PROBLEMES SELON UNE LOGIQUE GLOBALE, MAIS POUR ARRACHER QUI UN STATUT PARTICULIER, QUI UNE AUGMENTATION DE SALAIRE SECTORIELLE, QUI UNE SOLUTION SPECIFIQUE A SON PROBLEME.
Or l’intérêt général, l’intérêt de la nation à court et à long terme, peut ne pas se trouver dans la somme des intérêts particuliers défendus. La satisfaction de toutes les revendications est de toute façon une chose arithmétiquement impossible.
FORCE EST D’EN DEDUIRE QUE LES MOUVEMENTS SOCIAUX ACTUELS NE VISENT PAS A L’AMELIORATION DU FONCTIONNEMENT DE L’ETAT POUR OBTENIR EN BOUT DE COURSE DE MEILLEURES POLITIQUES PUBLIQUES, PROFITABLES A TOUS, MAIS A SAISIR L’OPPORTUNITE PAR CHACUN D’ENTRE EUX POUR ARRACHER LE MAXIMUM A UN ETAT A MOITIE GROGGY.
SI LE POUVOIR EST RESPONSABLE PAR SON INCOMPETENCE ET SON ABSENCE DE VISION A LONG TERME DE L’ACCUMULATION DES PROBLEMES QUI EST DEVENUE EXPLOSIVE, LES DIFFERENTS SEGMENTS DU PEUPLE QUI MANIFESTENT ONT TORT DE PENSER QU’EN FAISANT PLIER LE POUVOIR DEVANT LEURS REVENDICATIONS, FONDEES ET INFONDEES, ILS VIVRONT MIEUX.
Ils vivront mieux quelques semaines, quelques mois, mais l’inflation et les mauvaises politiques dont ils n’ont pas exigé le remplacement par de meilleures auront vite fait de les ramener à la situation antérieure.
Ces différents segments lancent avec fierté à la cantonade : « Nous ne faisons pas de politique, nous voulons juste obtenir nos droits sociaux !» Et le pouvoir, inconscient de la fausseté de ce qu’il prend pour de géniales trouvailles, est encore plus fier d’opiner : « Nous n’avons pas de problèmes politiques mais seulement des problèmes sociaux ». Voilà donc les deux parties d’accord et prêtes à sauter à l’unisson sur quiconque soutiendrait le contraire.
Depuis Périclès et Aristote, depuis vingt-quatre siècles, n’importe qui sait que le mot « politique » vient de « polis » qui signifie « cité ». Et que la politique c’est la manière, bonne ou mauvaise selon le degré de compétence des dirigeants, de gérer les affaires de cette cité.
Si les habitants d’une cité (au sens d’Etat, et non de Cité Badjarrah ou de Cité des 529 logements), étudiants, chômeurs ou, à plus forte raison, fonctionnaires de la cité (enseignants, médecins, dentistes, cheminots, greffiers, gardes communaux…) sortent dans la rue, qu’est-ce que c’est sinon un rejet des actes de gestion du pouvoir, de sa politique ?
D’un côté, le pouvoir considère comme apolitique une contestation qui s’insurge contre des décisions sans réclamer le départ de leurs auteurs.
De l’autre, les segments de revendications pensent qu’il n’est pas nécessaire de changer de politique et de dirigeants pour que leurs problèmes soient solutionnés.
A UN APPEL LANCE POUR UNE MANIFESTATION SECTORIELLE, UN MATCH OU UN CONCERT A LA COUPOLE MOHAMED BOUDIAF, IL VIENT BEAUCOUP DE MONDE. A UN APPEL LANCE POUR UNE MARCHE DEDIEE A LA DEMOCRATIE, IL VIENT PEU DE MONDE, MEME S’IL EMANE D’UNE INITIATIVE « CITOYENNE » COMME ON DIT CAR IL EST DE MODE DE FUIR COMME LA PESTE L’ADJECTIF « POLITIQUE ».
ON A REUSSI LE TOUR DE FORCE DE SEPARER « CITOYEN » ET « POLITIQUE » ALORS QUE LES DEUX TERMES SONT PRESQUE SYNONYMES. CERTES, ON NE VIT PAS DE POLITIQUE ET D’EAU FRAICHE, IL FAUT DU SOLIDE, MAIS LE CITOYEN VIDE DE SA CONSCIENCE POLITIQUE N’EST PLUS QU’UN TUBE DIGESTIF.
C’est le pouvoir qui a cultivé la méfiance du politique, le mépris des partis politiques, la haine du multipartisme parce qu’ils sont les supports de la démocratie. Il a interdit la création de nouveaux partis, obligeant les citoyens qui ne se sont pas retrouvés dans ceux existants à rester en marge de la vie nationale et empêchant le renouvellement des élites. En dehors des partis administratifs il ne voit qu’ennemis, trublions et « assoiffés de pouvoir ».
S’il venait l’idée aux différents segments de la contestation de se constituer en formation politique, ils rassembleraient plus que le FIS en 199O et gagneraient toutes les élections.
Si les émeutes sont le stade primaire de la politique, les revendications corporatistes en sont le stade secondaire. Il ne reste aux Algériens qu’un échelon à gravir pour devenir une puissance montante dans le monde de demain.
De nouveaux contingents d’anciens moudjahidine sont arrivés. Comme ils sont nouveaux, nombreux et qu’il faut les distinguer des anciens, vrais ou faux, il faudra créer à leur intention un « Ministère des Nouveaux Moudjahidine ».
Quiconque, en effet, a fait un jour ou l’autre activement ou passivement quelque chose pour le pays demande à passer à la caisse. C’était la règle, c’est devenu une « sunna ».
Qu’ils soient terroristes repentis ou victimes du terrorisme, qu’ils aient été combattants réguliers ou irréguliers contre le terrorisme, ils veulent indistinctement un statut et une pension. Puis, à leur mort, leurs ayants-droits voudront, suivant en cela l’exemple des « Salaf », créer qui une « Organisation des enfants des nouveaux moudjahidine », qui une « Organisations des enfants des anciens terroristes ».
VOILA A QUOI MENE LE DESPOTISME AU NOM DE LA « LEGITIMITE REVOLUTIONNAIRE » : AU ROYAUME OU LES PROBLEMES SERONT ETERNELLEMENT ROIS. ET CE DESPOTISME-LA, NI LE POUVOIR NI LE PEUPLE NE POURRA L’ABATTRE. IL AURA RAISON DES DEUX.
Bien souvent le pouvoir arbore ses grands airs pour affirmer, sûr de ne pouvoir être démenti, que la liberté d’expression existe en Algérie, sous-entendant par-là que cette liberté est à mettre à son actif et que si des citoyens parlent, écrivent ou dessinent librement, notamment pour le critiquer, c’est justement l’un des nombreux acquis de son œuvre démocratique. S’il n’avait tenu qu’à lui cette liberté n’aurait jamais existé. Il l’a trouvée en place et ne pouvait pas fermer les dizaines de journaux qui en sont les vecteurs. S’il n’a pas instauré cette liberté, il a par contre tout fait pour réduire les libertés arrachées en octobre 1988 sauf celles qu’il n’a pas pu, et à leur tête celle-là.
La liberté d’expression a profité au pouvoir qu’elle a auréolé et prémuni des attaques extérieures plus qu’elle n’a profité à ses usagers. Elle lui a évité de mobiliser des forces et des moyens pour traquer les réunions secrètes, les mouvements clandestins, les auteurs de tracts… De toute façon, à l’âge d’internet et des sms, plus aucun pouvoir au monde ne peut empêcher les citoyens de s’exprimer. Les NTIC ont libéré la parole comme l’âge industriel a libéré les esclaves.
En écrivant ce que j’ai écrit ces dernières semaines, ce n’était pas pour faire peur à quiconque. C’est moi qui avais peur, très peur que notre pays ne soit pris dans la tornade qui a happé de solides Etats et rasé des pays en entier sous nos yeux ébahis.
Je scrute depuis quatre mois les peuples, observe leurs dirigeants, écoute les déclarations des uns et des autres, suis les émissions, lis les analyses… Au fur et à mesure, l’impression s’est formée en moi que si cela devait arriver chez nous, ce serait plus terrible des deux côtés, peuple et pouvoir.
On peut bloquer une marche de quelques centaines de citoyens et de citoyennes civilisés en déployant 30.000 policiers. On peut stopper 10.000 étudiants à quelques mètres des portes de la présidence de la République parce qu’ils sont venus demander l’annulation d’un décret, et non le départ du régime.
Mais on ne peut pas arrêter avec des canons à eau, des matraques ou des gaz lacrymogènes 100.000, 300.000 ou 500.000 personnes demandant la chute du système. Il faudra déployer toutes les forces armées que compte le pays, y compris les cadets de la Révolution, et tirer dans le tas, blesser et tuer par centaines ou milliers.
A partir de là, plus rien ne pourra être arrêté. C’est alors qu’on entrera dans l’inconnu. C’est qu’on est loin des conditions d’Octobre 1988, le monde et les peuples ont énormément changé depuis. C’est le temps de l’intelligence, de la sagesse, de l’anticipation, de la démocratie et non de la matraque, de la force, du bain de sang et du despotisme quelle que soit son égide.
Il semble que toute lumière ne se soit pas éteinte puisqu’il est question de réformes politiques. Si j’ai bien compris, il va s’agir de faire en une année ce qui n’a pas été fait en la matière en douze. Ou, pour être plus juste, le contraire de ce qui a été fait en douze.
Car en dehors de la relative réconciliation nationale, des logements mal finis, de l’autoroute cahotante et constamment surévaluée, de la dette remboursée avec la petite monnaie des recettes d’hydrocarbures, le pays a été démotivé et l’économie bloquée. Encore que tout dépend du contenu et de ceux qui vont avoir la charge de ces réformes. Si ce seront les mêmes, comme tout l’indique, la lueur d’espoir s’évanouira, nous replongeant dans les ténèbres dont naît le chaos.
Les réactions à l’annonce de ces réformes n’incitent pas à l’optimisme, mais il y a encore une chance de nous en tirer à meilleur compte que nos frères Arabes. Ces derniers ne nous ont pas aidés quand nous étions en enfer dans les années 90, mais qu’y pouvaient-ils ? Ils ployaient sous le despotisme. Ce sont leurs despotes qui se délectaient de nous voir rôtir dans le feu de la « fitna » (division) démocratique, pas eux.
Si ça marche pour nous, il faudra quand même avoir une petite pensée pour Mohamed Bouazizi et Mr « Harimna ».
« Le Soir d’Algérie » du 19 avril 2011