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SOUVENIRS ALGERO-MAROCAINS

by admin

Le 10 juillet 1971 est un jour important dans l’histoire contemporaine du Maroc car il marque la date ‎du premier coup d’État contre le roi Hassan II au Palais de Skhirat à Rabat mené par le général ‎Medbouh qui s’était soldé par des centaines de morts.

Il l’est pour moi aussi car ce jour-là je me trouvais dans le domicile du philosophe marocain, le Dr ‎Mohamed Aziz Lahbabi (1922-1993) à Rabat, non loin de l’endroit où se déroulait le drame.

J’avais ‎vu le défilé de camions militaires qui se rendaient sur les lieux où se trouvait, parmi les invités ‎européens du roi qui célébrait son 42e anniversaire, un historien français que je connaissais par ses ‎livres et qui en consacrera un à l’événement sous le titre de « Deux étés africains » paru en avril ‎‎1972.

Le premier « été africain » est celui relatif à la Guerre des six jours de juin 1967, et le second à la ‎tentative d’assassinat du roi et de renversement de la monarchie.

Ceux qui voudront en découvrir ‎les instants palpitants et l’extraordinaire sang-froid de Hassan II et de l’historien n’ont qu’à le lire. ‎L’auteur s’appelle Jacques Benoist-Méchin (1901-1983) dont la vie et l’œuvre ne sont pas moins ‎extraordinaires que ce qu’il rapporte dans ses ouvrages.‎

Un an plus tard, le 16 août 1972, un attentat était perpétré contre le roi en plein ciel dont il ‎échappât miraculeusement.

Après cette nouvelle épreuve, le monde entier vit en lui un miraculé et ‎convint qu’il était protégé par la « baraka islamique ». L’Algérie condamna en temps et heure les ‎deux tentatives et apporta son soutien total à la monarchie alaouite en ces deux circonstances.

Les relations étaient au mieux entre les deux pays alors que le souvenir de la « guerre des sables » ‎‎(1963) était encore frais dans les esprits, et que le Maroc ne reconnaissait pas les frontières avec ‎l’Algérie. Quant à la Maurétanie, longtemps il refusa de la reconnaitre en tant que pays souverain.‎

C’était la première fois que je visitais le Maroc. Je connaissais le Dr Lahbabi depuis 1970 quand le ‎professeur Rachid Benaissa qui était son voisin de palier à la cité des Asphodèles (Ben Aknoun) ‎m’avait parlé de lui.

Le philosophe marocain qui avait été « prêté » par le roi Hassan II à ‎Boumediene pour « étoffer » le département de philosophie et des Lettres de la jeune université ‎d’Alger, lui avait demandé s’il ne connaissait pas quelqu’un qui puisse l’aider à corriger les épreuves ‎d’un livre sous presse, un roman intitulé « Espoir vagabond ».‎

A l’époque, j’avais déjà publié mes premiers articles de réflexion dans le quotidien national « El-‎Moudjahid », tout en étudiant à la Faculté de sciences économiques à l’université d’Alger où ‎enseignait le Dr Lahbabi à la Faculté des Lettres.

La parution le 1er décembre 1971 de mon article « Un livre à ne pas lire ? » avait fait l’effet d’un coup ‎de tonnerre dans les milieux intellectuels et politiques algériens, car le livre en question était celui ‎auquel travaillait Maxime Rodinson qui était, depuis la disparition de Louis Massignon, le chef de file ‎de l’orientalisme français. ‎

Il était venu plusieurs fois à Alger pour des conférences publiques et des échanges politiques avec ‎le gouvernement algérien et était reçu au plus haut niveau de l’État, y compris par Boumediene car ‎Rodinson, en plus d’être un orientaliste arabisant, était un intellectuel marxiste-léniniste d’origine ‎juive qui sympathisait avec les Palestiniens.‎

Le Dr Lahbabi qui était lui-même connu en France et primé pour plusieurs de ses ouvrages, était ‎considéré comme l’équivalent d’Emmanuel Mounier (1905-1950), chef de file d’un courant de ‎pensée célèbre au XXe siècle, le « personnalisme ».

Si Emmanuel Mounier avait représenté le ‎personnalisme chrétien, le Dr Lahbabi était le représentant du « personnalisme musulman », titre ‎d’un de ses ouvrages.

Maxime Rodinson et le Dr Lahbabi se connaissaient de longue date et c’est ainsi qu’il lui apprit qu’il ‎me connaissait et voyait en moi « un jeune prometteur » (j’avais 21 ans). Il l’avait surtout chargé de ‎me transmettre son invitation à me rendre à Paris à ses frais, invitation que j’ai déclinée.

Quand ‎parût quelques mois plus tard « Marxisme et monde musulman », Rodinson m’y rafala dans le ‎premier paragraphe du gros livre.‎

Lorsque le roi Hassan II fit déferler sur le Sahara occidental des centaines de milliers de Marocains ‎pour en prendre possession (la « marche verte »), je me trouvais sous les drapeaux au titre du ‎service national. Si bien qu’au lieu d’accomplir 24 mois, ma promotion a été mobilisée trois mois de ‎plus. ‎

Dans les années 80 et 90, je me suis souvent rendu au Maroc en vacances familiales. En 2002 je m’y ‎suis rendu en tant que ministre et eu l’honneur de connaître le Premier ministre Abderrahman El- ‎Youssoufi, un des plus grands hommes d’Etat du Maghreb qui rappelle en tous points notre feu ‎Abdelhamid Mehri.

Les Marocains n’ont jamais vu leur roi embrasser publiquement quelqu’un sur la tête, témoignage ‎maximal d’un respect affectueux et révérencieux. C’est ce qu’a fait Mohammed VI avec El-‎Youssoufi sur son lit d’hôpital.‎

La même année, un ancien disciple de Malek Bennabi dans les années 1950 au Caire, le Libanais et ‎ancien ministre de Rafik Hariri (1944-2005) m’offrit un lot de correspondances manuscrites entre le ‎roi Mohammed V et l’Émir Abdelkrim al-Khattabi (1882-1963). Il les avait gardées depuis les années ‎cinquante où Bennabi et ses disciples de diverses nationalités arabes au Caire fréquentaient l’Emir ‎exilé dans la capitale égyptienne depuis son épopée du Rif où il avait battu les armées espagnoles ‎et françaises.

Au cours de la seule bataille d’Anoual en 1923 l’Émir, à la tête de 3000 hommes, a affronté une ‎armée espagnole de 60.000 hommes dont près de 20.000 périrent et plusieurs généraux furent ‎faits prisonniers. Son armée a récupéré sur les Espagnols 20.000 fusils, 200 canons et plusieurs ‎millions de cartouches.

Il a dû se retourner dans sa tombe en juillet 2002 en suivant l’accrochage humiliant survenu sur l’îlot ‎de Persil (Leïla) à 250 mètres des côtes marocaines et 8 kilomètres de Ceuta.‎

Je ne voulus pas garder pour moi ces documents historiques que m’offrait Mr Omar Meskawi, ‎noble figure du nord libanais (Tripoli), et lui proposai de le faire recevoir par le président Bouteflika ‎afin qu’il les lui remette en personne.‎

Le 20 août 1953, le souverain marocain Mohammed V est déposé par le colonialisme français. En ‎Algérie, Malek Bennabi publie une série d’articles de soutien au monarque chérifien dans le journal ‎de l’UDMA de Ferhat Abbas, « La République algérienne » : « L’ANTI-ISLAM » (11 septembre 1953), ‎‎« SANS PEUR ET SANS REPROCHE » (2 octobre 1953), « SIDI MOHAMED BEN YOUCEF PASSE AUX ‎AVEUX SPONTANES » (14 mai 1954).

Six mois après, la Révolution du 1er novembre 1954 éclatait.‎

Deux mois plus tôt était sorti à Paris le plus célèbre des livres de Malek Bennabi, « VOCATION DE ‎L’ISLAM ». Quand l’historien français Jacques Benoist-Méchin le lira, il se procure l’adresse de ‎Bennabi au Caire auprès des Editions du Seuil et lui écrit une lettre où lui dit :

« Je ne puis vous dire ‎combien je trouve votre ouvrage remarquable et combien il a élargi ma connaissance du monde ‎islamique. Je l’ai trouvé à la fois clair, émouvant et convaincant. Il m’a donné une très grande envie ‎de lire vos autres ouvrages, notamment « Le phénomène coranique » et « Les conditions de la ‎renaissance »… Je vous serais très obligé de me dire si on peut encore se procurer ces ouvrages et, ‎dans ce cas, où il faut s’adresser …».‎

Une dizaine d’années plus tard, Benoist-Méchin, qui aura entretemps connu Bennabi en lui ‎rendant visite à son domicile, lui écrira en date du 28 août 1969 pour lui avouer « le plaisir et ‎l’enrichissement que (j’ai) tirés de (vos) ouvrages et de nos entretiens. Je considère votre œuvre ‎comme une étape de tout premier ordre dans la rénovation de la pensée islamique… Il m’arrive ‎souvent de relire et de consulter vos livres ; j’y trouve chaque fois des profondeurs et des résonances ‎insoupçonnées. C’est pour moi un honneur de pouvoir compter sur l’estime d’un esprit comme le ‎vôtre ».‎

Ces souvenirs sont remontés en moi en s’imbriquant alors que j’avais commencé à rédiger les ‎premières phrases d’une réflexion où je comptais montrer que l’Algérie et le Maroc se sont placés ‎dans des orbites telles qu’ils ne se rencontreront plus.

Ils ne sont pas de vrais jumeaux, ils ne ‎seront pas des « jumeaux complémentaires » selon l’expression du roi, mais de faux jumeaux qui ‎n’ont plus rien à voir l’un avec l’autre. En espérant vivement me tromper.‎

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