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LA VIE DE MALEK BENNABI (24)‎

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Ici s’arrête le feuilleton des troublantes relations entre ces deux fabuleux personnages ‎qu’ont été Bennabi et Massignon. Qui est en fait cet homme, révéré dans les milieux de ‎l’islamologie comme une icône et auquel Bennabi impute toutes les persécutions dont il a ‎été l’objet depuis son arrivée en France ? ‎

Il est né à Nogent-sur-Marne, dans la région parisienne, en 1883. Dès l’âge de douze ans il ‎s’abonne au Bulletin du « Comité de l’Afrique française » dont il sera membre jusqu’en ‎‎1940. A dix-sept ans, il fait la connaissance d’un ami de son père, Georges Charles Huysmans ‎‎(1) écrivain « déviant », qui a été rallié à la foi par un prêtre « sataniste », l’Abbé J.B Boullan ‎de Lyon. Après des études en philosophie et en mathématiques, il se met à l’étude de l’arabe ‎à l’Institut des langues orientales de Paris. ‎

En 1905, année de la naissance de Bennabi, il participe à Alger au Congrès des orientalistes. ‎La même année il se rend en Egypte où, selon ses propres termes, il « trouve (sa) ‎vocation au terrain de contact spirituel entre le christianisme et l’islam ». Là, il fait la ‎connaissance d’un jeune Espagnol, Luis de Cuadra, qui lui fait découvrir le premier le ‎mystique persan al-Hallaj (857-922). Il va connaître avec lui ce qu’il appellera sa « saison en ‎enfer ». On ne sait pas s’il était déjà ou s’il vient de devenir homosexuel, mais c’est de cela ‎qu’il s’agit. ‎

Pour les besoins d’un diplôme sur l’historien maghrébin al-Ouazzani (Léon l’Africain), ‎converti de force au catholicisme après sa capture, il se déplace au Maroc en 1906 où il ‎découvre les travaux de Charles de Foucauld, le mystérieux missionnaire assassiné en 1916 ‎dans le Sud algérien pour son double jeu (2). ‎

En 1907, il est en Irak dans le cadre d’une mission « archéologique » et se lie à un jeune ‎caravanier qui l’accompagne dans le désert d’Okhaïdir. Cette période sera, selon ses mots, ‎sa « damnation à Kerbala ». Il est arrêté par les Turcs pour espionnage. Il est la proie d’un ‎grave déchirement entre la tentation du « feu divin qui ravagea Sodome », qui le fait penser ‎au suicide et le repentir quand, dans la nuit du 03 au 04 mai 1908, à ses dires, il reçoit de la ‎grâce divine une manifestation : « la Visitation de l’Etranger ». Cette présence divine à lui ‎manifestée bouleverse sa vie. ‎

Il rentre en France et veut devenir prêtre. Il reprend sa correspondance avec Charles de ‎Foucauld et le rencontre plusieurs fois à Paris. En 1912, il est de nouveau en Egypte où il ‎donne des cours à l’université du Caire auxquels assistent Taha Hussein, Rachid Ridha et ‎Mustapha Abderrazik. Il se marie en 1914. ‎

Pendant la première guerre mondiale, il est mobilisé et sert sur le front des Dardanelles ‎avant d’être affecté à la mission Sykes-Picot. De 1917 à 1919, il est officier-adjoint auprès du ‎haut-commissaire de France en Syrie et Palestine. Il rentre à Jérusalem aux côtés de ‎Lawrence d’Arabie. Tous deux avaient été nommés adjoints de l’Emir Fayçal (1883-1933) ‎pendant la fameuse « révolte arabe ». ‎

Son « secret de feu » le tourmente et le tourmentera jusqu’à la fin de ses jours. Il plonge ‎dans un certain mysticisme et s’intéresse tout particulièrement à ceux ou celles qui ont ‎péché en même temps qu’ils se vouaient à la sainteté. Son ami espagnol se suicide en 1921 ‎après avoir embrassé l’islam. ‎

En 1922 il soutient une thèse de doctorat sur la « Passion d’al-Hallaj » en qui il voit un ‎‎« martyr mystique de l’islam ». La thèse est dédiée à Charles de Foucauld. Hallaj est un ‎mystique persan qui, pendant un demi-siècle, professa publiquement qu’il participait de la ‎nature divine et qu’il devrait être tué pour être sauvé de la condition humaine et pouvoir ‎ainsi rejoindre la totalité divine. Il affirmait aussi que Dieu parlait par sa bouche. ‎

Massignon a cru voir dans son attitude une recherche du martyre à la manière des premiers ‎chrétiens, et essaya dans sa thèse d’établir des correspondances entre la « passion de ‎Hallaj » et la « passion du Christ ». Bossuet disait des premiers chrétiens qui s’offraient aux ‎supplices romains qu’ils étaient « animés de l’avidité de souffrir ». C’est ce qu’a cru déceler ‎Massignon dans la supplication adressée par al-Hallaj à ses contemporains pour qu’ils ‎mettent fin à sa vie. ‎

En 1924, Massignon prononce le vœu « d’être damné éternellement pour les pécheurs ». Il ‎écrit ses « Notes sur ma conversion » où le « secret » et la foi s’affrontent dans l’invisible, ‎cette foi dont il dit bizarrement que c’est al-Hallaj (donc ni Huysmans, ni Charles de ‎Foucauld) qui la lui a fait retrouver « du fond de mon abîme d’indignité personnelle ». Il se ‎sent proche de al-Hallaj parce qu’il est un « stigmatisé » et qu’il a « désiré les stigmates et ‎recherché le martyre ». Or, celui-ci n’a pas connu la tentation qui a torturé Massignon (3). ‎

En 1926, il est désigné à la chaire de sociologie musulmane au Collège de France en ‎remplacement du commandant Alfred Le Chatelier qu’il présente comme « le créateur de ‎Ouargla qui fit fonder au Collège de France la chaire de sociologie musulmane où je lui ‎succédai pendant 30 ans, d’où il organisait notre pénétration au Maroc par des enquêtes ‎auxquelles il m’associa, style « Affaires indigènes » améliorées et durcies » (4). ‎

Dans un autre écrit il ajoute : « Il m’incita à des analyses psychologiques, à des statistiques ‎tribales et autres croquis de crêtes militaires du type du « Handbook of Arabia » de l’Arab ‎Bureau du Caire qui arma Lawrence et m’inspira au début pour « L’annuaire du monde ‎musulman. » (5). En 1933, il devient directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études. ‎Il occupera ces deux fonctions jusqu’en 1954. ‎

En 1949, après une rencontre avec le Pape, il est autorisé à créer un ordre religieux grec-‎catholique uni à Rome, et à prononcer les prières en langue arabe. En 1950, il est ‎secrètement ordonné prêtre à l’Eglise Sainte-Marie-de-la-Paix au Caire. En 1953, il fonde le ‎‎« Comité d’Entente France-Islam » auquel a appartenu Bennabi un moment, puis le « Comité ‎France-Maghreb ». Il se lie au cardinal Jean Daniélou qui trouvera la mort en 1974 dans des ‎conditions qui ont choqué l’opinion française. ‎

De la fin de la première guerre mondiale à sa mort, Louis Massignon a joué un rôle ‎important mais occulte dans la politique française dans les pays musulmans. Il a fait partie ‎des « services spéciaux » et de nombreuses commissions interministérielles, dont celle ‎chargée des affaires algériennes pendant la période coloniale (préparation du centenaire de ‎l’Algérie, Statut algérien de 1947…) (6).‎

Il serait à l’origine de la prise du « Dahir berbère » en 1930 au Maroc (7). Au lendemain des ‎émeutes de Casablanca provoquées par l’assassinat de Ferhat Hached (1953), il écrit : « Il ‎nous faudra prendre l’arabe comme seconde langue nationale en Algérie si nous voulons y ‎rester chez nous avec ceux qui la parlent, et construire avec eux un avenir commun » (8).‎

Ce qui montre qu’il n’avait pas changé fondamentalement d’idée depuis qu’il écrivait en ‎‎1939 : « C’est tout le monde musulman que nous devons comprendre pour que la France ‎survive… Et le problème musulman est pour nous beaucoup plus qu’il n’est pour la Grande-‎Bretagne, pour qui c’est un problème externe et impérial d’influence économique : tenir ‎l’Inde et les routes de l’Inde. Pour la France, c’est un problème social interne, de structure ‎nationale, comment incorporer vraiment nos nationaux musulmans d’Algérie au foyer ‎national. Et cela seul préservera, par surcroît, l’avenir des colons de notre race qui, en ‎Algérie, ne représentent qu’une élite de 18% du chiffre total des habitants » (9).‎

A peine la Révolution algérienne engagée, le commandant Vincent Monteil, alors disciple et ‎très proche ami de Massignon, lui-même orientaliste et arabisant, est nommé à Alger ‎comme chef du cabinet militaire de Jacques Soustelle, gouverneur général de l’Algérie. Il ‎vient aux nouvelles. ‎
En février 1955, il visite à la prison Barberousse (actuellement Serkadji) Benkhedda et ‎Kiouane, membres du comité central du MTLD, arrêtés comme beaucoup d’autres car ‎supposés avoir eu un rôle dans le déclenchement de la lutte armée, ce qui n’était pas le cas. ‎Il les fait libérer. ‎

Puis il s’envole pour Tunis où Mostefa Ben Boulaïd est détenu depuis le 11 février. Après les ‎entretiens qu’il a avec lui, Ben Boulaïd est transféré à la prison de Constantine dont il ‎s’évadera en novembre avant d’être tué quelques mois plus tard par un colis piégé préparé ‎par les services secrets français. ‎

Vincent Monteil a également fait recevoir par le gouverneur général le Dr. Francis, proche ‎de Ferhat Abbas, cheikh Kheireddine de l’Association des Oulamas, un proche de Messali et ‎un représentant des « centralistes », pour se faire une idée sur la situation nouvelle à ‎laquelle se trouvait confrontée la France coloniale. ‎

Pendant la Révolution algérienne, Massignon prend des positions anticolonialistes mais pas ‎indépendantistes. Il parle dans un texte de 1956 des « deux terrorismes adverses qui font de ‎l’Algérie une terre brûlée ». Au lendemain des manifestations (qu’il appelle « émeutes ») du ‎‎11 décembre 1960, il dit une prière « pour une paix sereine entre chrétiens et musulmans. ‎Reste à leur faire accepter la perspective d’un avenir nouveau à construire et à vivre ‎ensemble » (10).‎

A quelques semaines de sa mort, il écrit dans une lettre-testament à Mary Kahil, une autre ‎mystique-stigmatisée : « J’ai accepté d’un acte d’abandon total ma damnation méritée, ‎sachant qu’éternellement, dans ce feu terrible, j’aurais dardé sur mon cœur le doux regard ‎de reproche de l’Ami crucifié par moi-même… » Cet ami, est-ce le jeune Espagnol qui s’est ‎suicidé ? Il s’éteint en 1962, un 31 octobre, comme Bennabi onze ans après lui.‎

Massignon peut être considéré comme le fondateur de l’école orientaliste française du XXe ‎siècle et le père spirituel de nombreuses figures issues de cette école. Il a eu pour amis ou ‎élèves : Taha Hussein, Mohamed Iqbal, Rachid Ridha, Mustapha Abderrazik, Ali Shariati, etc, ‎et a influencé la plupart des orientalistes français : Henry Corbin, Maxime Rodinson, Vincent ‎Monteil, Henri Laoust, Louis Gardet, Jacques Berque, Jean-Paul Charnay, Jean Déjeux…‎

Il faut relever que son principal disciple, Vincent Monteil, s’est converti à l’islam en 1977 en ‎Mauritanie et, d’un homme honoré par les maisons d’édition, les médias et les universités, il ‎devînt dès ce moment un paria, interdit de presse et d’édition (11). Il prit pour prénom ‎‎« Mansour », comme al-Hallaj. ‎

Lorsque j’ai fait sa connaissance en 1978, il m’a offert un exemplaire dédicacé d’un livre ‎tout récent qui fut édité à compte d’auteur et lui valut des menaces de mort (12). Il vivait ‎caché chez lui dans la crainte d’être « liquidé ». Avant lui, Garaudy (13), Eva de Vitray-‎Meyerovitch, Guénon, Dinet, Cherfils, Urbain, Courtellement et beaucoup d’autres ‎personnalités intellectuelles françaises converties à l’islam ont été frappées du même ‎ostracisme. ‎

Massignon était un homme aux multiples vies, aux multiples visages, aux multiples langages. ‎Il aimait dire de lui qu’il était un « chrétien pensant en arabe, déguisé en Arabe ». Il écrit : ‎‎« J’aurais été tué plusieurs fois comme espion occidental en terre d’islam, si ce principe ‎sacré (l’hospitalité, l’Aman) ne m’avait sauvé » (14). ‎

Il n’était pas loin de ressembler par les pôles opposés de sa personnalité au personnage en ‎qui se sont rassemblés le Dr. Jekyll et Mr. Hyde : déviant et dévot, prêtre et défroqué, clerc ‎et laïc, espion et philosophe, savant et militaire… Il était l’ami des saints et des satanistes, du ‎bourreau et de la victime, du colon et de l’« indigène ». Il a incarné l’orientalisme au service ‎du colonialisme, personnifié la France impériale, coloniale et évangélisatrice, régné sur ‎l’islamologie qu’il a voulu mettre au service de la présence française dans le monde ‎musulman. ‎

Homme de déguisement et de travestissement, il a dû être marqué dans sa jeunesse par sa ‎fréquentation de Lawrence d’Arabie, lui-même arabisant, espion, écrivain et « déviant » ‎selon certaines sources. Mais les influences que Massignon confesse sont celles qui ont été ‎exercées sur lui par deux officiers français ramenés comme lui, par l’islam, à la foi de leurs ‎aïeux : Ernest Psichari (1883-1914) et Charles de Foucauld. ‎

Avec le commandant Le Chatelier, tous trois ont porté le sabre contre les musulmans ‎d’Afrique du Nord avant de vouloir les soumettre à la foi catholique. Il écrira plus tard : ‎‎« C’est que notre armée, hélas, ne se battait que pour des intérêts matériels, tandis qu’eux ‎se battaient pour l’honneur du Dieu unique, Allah Akbar, avec l’arme d’une foi indéfectible ‎que nous ne connaissons plus. Si ! quelques-uns d’entre nous l’ont retrouvée, et dans le Christ ‎douloureux, au contact de ces vaincus » (15).‎

Il y a peut-être lieu d’ajouter à ceux-là le nom du professeur Robert Montagne, ancien ‎officier et professeur de sociologie musulmane au Collège de France qui a fondé en 1936 le ‎‎« Centre d’études et d’administration musulmanes » et que Bennabi a pris à partie dans un ‎article à la suite de déclarations offensantes à l’égard des musulmans (16).‎

Massignon est l’auteur d’une grande masse d’études dont la plupart ont été réunis dans ‎‎« Opéra Minora » (2500 pages !) et « Parole donnée ». A la lecture de ces écrits, on ne ‎décèle ni âme, ni émotion, ni style autre que celui, rapide et expéditif, des télégrammes, ‎quand ce n’est pas celui des BRQ (bulletin de renseignement quotidien) en usage dans les ‎services de renseignement. ‎

Rien n’est désintéressé ou gratuit, tout est subordonné à des fins politiques, idéologiques ou ‎stratégiques. Ces écrits, ce sont le plus souvent des notes, des comptes-rendus, des aperçus, ‎des monographies techniques ou ésotériques. Les écrits mystiques côtoient les écrits ‎politiques dans cette œuvre immense, exubérante, enchevêtrée, où les connaissances de ‎l’homme semblent infinies et son érudition phénoménale. Mais tout est hachuré, morcelé, ‎dispersé. ‎

C’est un spécialiste froid, insensible, qui s’exprime dans un langage sec, dépouillé et ardu. Il ‎n’y a ni transport d’âme, ni exaltation, ni trace de « foi ». Ses sentiments sont refoulés, il ‎rend rarement ce qu’il ressent. En raison de son ambiguïté générale, il ne dit pas ce qu’il ‎pense vraiment, se comportant comme un « agent » tenu par l’obligation de réserve. ‎

Ce ne sont pas des yeux qui voient les gens auxquels il a affaire, mais l’œil d’une caméra ‎montée sur une tête d’homme qui enregistre leurs réactions et sonde leurs profondeurs pour ‎décider de leur carrière. ‎

Dans un texte de 1952 (17) il fait état de ce que pensent de lui deux personnages de notre ‎récit : Hamouda Ben Saï et Cheikh Bachir al-Ibrahimi : « Le chef des Ulémas réformistes ‎d’Algérie a considéré dans « Al-Bassaïr » que j’avais mis vingt-cinq ans à me construire une ‎espèce de « masque », que j’étais le pire agent de la cinquième colonne et que c’était ‎évidemment la cinquième colonne colonialiste qui opérait à travers mon masque de ‎mystique.‎

Plus profondément, l’objection m’a été faite, d’une manière qui m’a fait beaucoup de peine, ‎par un autre musulman algérien, M. Mohamed Ben Saï de Batna, ancien président des ‎étudiants nationalistes nord-africains de Paris, un homme qui réfléchit. Il mène une vie très ‎retirée, mais c’est une des têtes de l’opposition à la francisation en Algérie. Un jour où il ‎était malade à Paris (où je lui avais fait préparer un diplôme d’études supérieures à la ‎Sorbonne), il m’écrivit ceci : « Je ne me pardonne pas de vous avoir aimé, parce que vous ‎m’avez désarmé. Vous avez été pire que ceux qui ont brûlé nos maisons, qui ont violé nos ‎filles ou enfumé nos vieillards. Vous m’avez désarmé pendant plusieurs années de ma vie en ‎me laissant croire qu’il y avait une possibilité de réconciliation et d’entente entre un ‎Français qui est chrétien et un Arabe qui est musulman » (18). Répondant à ces accusations, ‎Massignon écrit : « Les musulmans algériens, à notre contact, ont perdu le sens de ‎l’hospitalité héroïque exercée même envers l’ennemi ». ‎

Dans un autre texte, deux ans avant sa mort, il rapporte que « se trouvant invité au Caire, en ‎novembre 1946, pour la session annuelle du dictionnaire de l’Académie de langue arabe, ‎l’Ambassade (me) signala dans le journal « al-Dustur » (du 16 novembre 1946) quatre ‎colonnes intitulées : « Les secrets de la colonisation française au Maroc : un prêtre-espion ‎sert la colonisation ». Cet article faisait suite à un article du 31 octobre où était reproduite ‎une lettre de rupture adressée par un étudiant algérien musulman à l’un de ses maîtres de ‎Paris (lettre de Hamouda Ben Saï de Batna à moi-même)… J’allai trouver l’auteur. Je ‎découvris que c’était M. Mohamed Lutfy Goma’a, un de mes amis qui avait fait son droit à ‎Paris… » (19). ‎

Dans le même ordre d’idées Massignon évoque un intellectuel syrien, le Dr. Omar Farrukh, ‎professeur à l’université américaine de Beyrouth qui, dans un de ses ouvrages, avait posé la ‎question : « Pourquoi cet orientaliste, historien de la mystique, s’est-il mis à s’occuper de ‎‎« politique » ? » ‎

Et Massignon de répondre avec un cynisme renversant lors d’une conférence : « J’ai ‎apparemment échoué vis-à-vis de ces trois personnes. J’espère, cependant, être plus ‎compréhensif et plus persuasif devant vous. C’est en effet, une position mystique que j’ai ‎transposée dans le domaine de l’étude des phénomènes politiques… On peut m’objecter : ‎qu’avez-vous constaté de « psychique » et de « mystique » dans la crise du pétrole en ‎Orient ?… Le président Noury Pacha Saïd est un homme que je connais bien, depuis que nous ‎étions tous deux officiers à la Légion arabe en 1917. Il est resté au service de l’Angleterre ‎sous les formes les plus habiles. Il vient de réussir un coup admirable en se faisant donner ce ‎que les Anglais ont refusé au Dr. Mossadegh. Il s’est fait donner des royalties de pétrole qui ‎n’ont pas beaucoup appauvri le budget britannique et qui ont doublé le budget irakien… ‎Actuellement, les Irakiens continuent à nous demander – et j’y ai travaillé depuis cinq ans- ‎d’accueillir leurs boursiers à Paris, de leur faire passer des examens de doctorat en droit. Ai-‎je ainsi contribué à aider le colonialisme sur le plan intellectuel ? … Tant que mon pays ‎maintiendra la primauté du culturel, je m’intéresserai activement à de telles demandes. Non ‎pas par nationalisme secret, pour développer une influence politique périmée, par ‎‎« expansion » de l’Occident, économiquement amorale, mais parce que je défends l’honneur ‎de nos pères contre mes frères : la vocation internationale suprême de la France… » (20).‎

Ils sont rares les textes où Massignon livre quelque chose de sa pensée réelle. Dans celui-là, ‎il confesse : « On ne peut pas immédiatement savoir ce que pense l’adversaire, ou tout au ‎moins celui que la colonisation met devant nous en position d’adversaire. Le phénomène de ‎la colonisation ne se limite pas aux pays qui s’appellent officiellement « colonies ». Comme ‎vous le savez, c’est un phénomène complémentaire de la lutte des classes et superposé à la ‎lutte de classes. On ne peut le réduire à une telle lutte, comme la théorie marxiste essaie de ‎le faire. Dans les pays arabes, il est particulièrement frappant de voir qu’en plus de la ‎question de la lutte des classes, il y a le problème du rapport de colonisateur à colonisé. Ce ‎rapport-là est un rapport qui doit être étudié par la psychanalyse… Je crois qu’on ne peut le ‎trouver qu’en parlant au colonisé dans la langue du colonisé… La culture du colonisé existe, ‎nous sommes obligés de la comprendre, même si nous voulons la remplacer… » (21) (c’est ‎nous qui soulignons).‎

Ce portrait fait, que dire de la mise en cause systématique de Massignon dans les difficultés ‎et les souffrances endurées par Bennabi ? Y a-t-il de l’exagération dans ces incriminations ? ‎A-t-il succombé à une forme de paranoïa ? Est-il la proie de ce qu’on appelle aujourd’hui la ‎‎« complomania » ou le « conspirationnisme » ? D’aucuns l’ont pensé. ‎

Moi-même j’ai longtemps éprouvé un certain malaise, jusqu’à ce que mes recherches et ‎l’examen des archives léguées par Bennabi m’aient définitivement libéré du doute quant à ‎sa totale objectivité dans ses jugements sur les hommes et les évènements qui ont été en ‎relation avec sa vie. ‎

Les éléments de recherche exposés ici et qui confirment point par point ses affirmations ne ‎proviennent pas de Bennabi qui les ignorait mais, ainsi qu’on le constate, des écrits de ‎Massignon lui-même. Selon toute vraisemblance, Bennabi ne connaissait pas la « double-‎vie » de Massignon. Il a certes parlé de « preuves », attestant sa responsabilité dans la ‎conduite de la politique coloniale et ses accointances avec le « deuxième bureau », mais il ‎ne les a pas produites. ‎

Néanmoins, rappelons-nous qu’il envisageait la publication de « Pourritures » et que, ‎anticipant sur l’accusation d’être sujet à un sentiment de persécution, il avait tenu à préciser ‎dès l’introduction : « Mon livre est simplement un témoignage que je veux livrer aux ‎générations qui viennent. Mais je l’écris de façon que ma génération elle-même le ‎connaisse, le discute et le critique. Car un témoignage n’est valable que s’il est contrôlé par ‎les contemporains. Sinon, il peut n’être que le mensonge d’outre-tombe d’un maniaque de la ‎persécution ou d’un aspirant à une auréole posthume.» ‎

Ces phrases ne sont pas celles d’un homme de mauvaise foi ou d’un dérangé mental, mais ‎celles d’un homme conscient que les faits qu’il va rapporter sortent assez de l’ordinaire pour ‎risquer d’être révoqués en doute. Rappelons-nous aussi que ses écrits sont parsemés ‎d’évocations directes ou par allusion (22) de la plupart de ces faits qui sont au demeurant ‎vérifiables : la femme de Bennabi, Paulette Philippon, les frères Ben Saï et le Dr. Khaldi en ‎ont été des témoins directs. Mais ces témoignages peuvent ne pas suffire, étant donné les ‎liens de leurs auteurs avec Bennabi. Il fallait donc chercher les confirmations ailleurs. ‎

Justement : comme en écho à tout ce qu’a rapporté Bennabi, et comme s’il avait voulu ‎annoncer ce qu’allait être sa vie, un historien français profondément imprégné des réalités ‎de l’époque et très bien renseigné sur les pratiques coloniales, Charles-André Julien, horrifié ‎selon ses propres termes par « la pourriture de notre organisation politique en Algérie » (23) ‎‎(terme à rapprocher avec le titre que Bennabi a donné à ses Mémoires inédits), écrit dans ‎un article de 1935 : « L’indigène instruit échappe à l’emprise de l’administration et des ‎colons, ce qui l’amène à protester contre les mesures injustes dont il est l’objet. Dès lors, il ‎est catalogué comme « ennemi de la France » et proclamé « vendu à l’Allemagne », car on ‎ne saurait admettre qu’il se permette de juger l’ «œuvre de la civilisation». Le colon, si ‎fruste soit-il, se considère toujours comme le représentant de la « race supérieure » qui a le ‎droit de mépriser le « bicot », celui-ci fut-il avocat, professeur ou médecin… Jamais un ‎intellectuel indigène ne peut se résigner à cette condescendance supérieure qu’il sent même ‎chez les plus bienveillants des « Français d’Algérie ». Aussi, ce qu’il apprécie le plus chez les ‎‎« Français de France », qu’il distingue soigneusement des autres, c’est cette forme naturelle ‎et courtoise de l’égalité qui le met de plain-pied avec son interlocuteur… L’encouragement ‎des autorités ne va pas, du reste, aux intellectuels dont elles se défient, mais aux « béni oui-‎oui » : bachagas, aghas, caïds qui prennent le mot d’ordre au palais du gouvernement. » ‎‎(24).‎

L’historien français n’a pas manqué au passage de dénoncer dans ses articles « l’officine de ‎la rue Lecomte, bureau d’espionnage des Nord-Africains, agence de corruption politique et ‎caverne d’Ali Baba » dont il a été question dans cette narration. ‎

Dans le même sillage, Messali Hadj, lors du discours prononcé le 02 août 1936 devant le ‎Congrès Musulman Algérien, a déclaré à propos de cette même « officine » : « Si nous avons ‎fui notre pays pour aller chercher sous un autre climat le pain et la liberté dont nous avons ‎été privés dans notre pays, nous avons trouvé à Paris une véritable commune mixte à la tête ‎de laquelle se trouve un caïd avec ses chaouchs…. » ‎

Confirmant les dires de Ch. A. Julien et de Bennabi, Messali Hadj ajoute : « Nous avons été ‎accusés plus d’une fois de communistes, de wahhabites, d’agents de l’Allemagne, de ‎Moscou… » (25). ‎

Le premier crime de Bennabi aux yeux du colonialisme, c’était donc de ne pas ‎s’appréhender comme « indigène ». Le second était qu’il avait l’intention et les moyens de le ‎faire savoir. En effet, pas une seule minute de sa vie il ne s’est reconnu dans cette entité ‎juridique, sociologique et politique créée par le colonialisme. Dès l’enfance il s’est perçu ‎comme l’homme d’une civilisation, fut-elle en déclin. L’antagonisme devait être immédiat et ‎la riposte coloniale fulgurante sous les traits de Louis Massignon. Jugeons-en en ‎commençant par l’arrivée de Bennabi en France et son insertion dans le milieu estudiantin ‎nord-africain :‎

‎1) Dans un texte de 1930, Massignon écrit : « Il existe à Paris une petite colonie universitaire ‎de musulmans algériens fort digne d’intérêt. Nous possédons à Paris même les éléments de ‎ce que sera d’ici à vingt ans l’Algérie musulmane. C’est donc de Paris même que la France ‎agit sur elle » (26).‎

‎2) Selon ce que nous en apprend Massignon lui-même, tous les Algériens en France, sans ‎exception et malgré leur grand nombre, étaient fichés, contrôlés et suivis par de nombreux ‎services dont celui sur lequel il s’appuie pour établir les cartes de leur répartition sur le ‎territoire métropolitain par douar d’origine et arrondissement. ‎

A propos de ces cartes, Massignon écrit : « Nous les avons établies grâce à une enquête ‎personnelle menée sur place en décembre 1929 – janvier 1930, enquête où Mr. Adolphe ‎Gerolami, directeur de l’Office des affaires indigènes nord-africaines, 6, rue Lecomte, 17°, ‎où il a organisé les foyers, dispensaires et bureaux de placement nord-africains de Paris, ‎voulut bien nous permettre de recourir non seulement à ses services d’investigation et de ‎contrôle, mais à son incomparable expérience personnelle de la question. Les ‎renseignements ainsi fournis étaient classés dans le cadre obligé des circonscriptions ‎administratives (communes mixtes). Mais nous nous sommes efforcés de remonter, pour ‎faire œuvre d’islamisant, jusqu’aux cellules organiques de la société kabyle, c’est-à-dire aux ‎douars et groupes de douars (tribus), afin de déceler les survivances de l’antique esprit de ‎‎« çoff » ainsi coulé dans le creuset parisien… Pour commenter ces cartes, nous y avons joint ‎deux listes : liste des communes algériennes d’où proviennent les immigrés kabyles de la ‎région parisienne –avec indication des fractions et des douars- ; liste des usines parisiennes ‎utilisant des ouvriers kabyles » (27).‎

Suivent des descriptions ahurissantes et des statistiques précises sur l’emploi des Algériens ‎en région parisienne, le tout dans un style télégraphique. Exemple : « Autos : Citroën, 7000 ‎‎(à Lavalois, Clichy, Saint-Ouen, Javal) : provenant de douars divers. Renault (Billancourt) ‎‎2760 (surtout de Drâa al-mizan). Laveurs de voitures à la « Compagnie des autos de place », ‎‎2500 (venant surtout de Fort-National). Métaux : « Société française des métaux et alliages ‎blancs » : les remplacer par des Chleuhs. « Métallurgie franco-belge, 510, (venant de ‎Guergour, Michelet). Autres métiers : « Le coq gaulois au 13° arrondissement », raffinerie ‎Lebaudy (19°), « usines à gaz » (15°, 19° et 8°)… » ‎

Puis viennent les commentaires : « 60% sont manœuvres dans les usines à gaz (ce sont les ‎meilleurs), chantiers de charbon, résidus urbains, garages. Le reste se subdivise en dockers, ‎ouvriers de métro ; 15% seulement sont spécialisés (magasiniers). C’est soit le camarade qui ‎l’a attiré, soit le restaurateur-logeur chez qui il vit, qui oriente professionnellement le nouvel ‎arrivant. L’européanisation du costume (casquette) et des repas (vin) est rapide. On a ‎signalé en 1928 des tendances communistes chez les gens des douars Boni et Moka (Akbou) ‎au 13°, comme en 1924 à Gennevilliers. Les gens du haut Sébaou logent chez des ‎restaurateurs-logeurs de leurs propres douars, tandis que ceux de Fort National refusent de ‎le faire : ces deux groupes sont d’ailleurs en mauvais termes. Les gens du haut Sébaou sont ‎affiliés à des congrégations (zaouïas). Celle des Rahmaniya est paisible. Celle des Ammariya ‎‎(Guelma : 3 branches) et celle des Allaouïas (Mostaganem) sont plus remuantes ‎‎(organisation d’une ligue d’abstinents antialcooliques) … 120.000 Kabyles algériens pour ‎toute la France ; graduellement évincés depuis peu par deux autres groupes : les Chleuhs ‎marocains (9000) et les Arabes de Bou-Saâda, M’sila, Biskra et Laghouat (8000), plus sérieux ‎et plus travailleurs. Sur ces 120.000, 60.000 au moins à Paris (32.000 seulement recensés ‎par fiches) … Il n’y en a que 20 qui aient amené leur femme kabyle, 700 ont épousé ‎légalement une française, 5000 vivent maritalement avec une française. » ‎

‎3) Sur les difficultés de Bennabi à trouver du travail ? Massignon avait, ainsi qu’on vient de ‎le voir, la liste de l’ensemble des usines par branche (autos, métaux, usines à gaz, chantiers ‎de charbon, métro, magasiniers, dockers…), employant une main d’œuvre algérienne. Ce ne ‎sont pas seulement les Kabyles, mais l’ensemble des Algériens qui sont répertoriés et ‎identifiés (il parle de 32.000 fiches !). ‎

Dans le même document, on peut relever que la rue des Chapeliers (où Bennabi a donné ses ‎cours d’alphabétisation en 1938) n’échappait pas au contrôle de Massignon qui note : ‎‎« Arabes de Marnia et de Nedroma à Marseille, derrière la poste centrale, notamment au 7, ‎rue des chapeliers ». ‎

Vers la fin de sa vie, Massignon veut donner l’impression qu’il a rompu avec ses « anciennes ‎fonctions ». Il déclare dans un « Dialogue sur les Arabes » qui l’a réuni en 1960 à J.M. ‎Domenach et Jacques Berque : « On vient de me supprimer des subventions parce que je ne ‎donne pas de fiches psychologiques à qui de droit sur les gens dont je m’occupe » (28). Il y a ‎lieu de signaler que dans ce texte, Massignon cite le Dr. Khaldi, « que j’aime beaucoup », ‎précise-t-il. ‎

‎4) Bennabi tente d’obtenir des visas pour des pays arabes et essuie des échecs ? Massignon ‎révèle ses pouvoirs en la matière, avouant lui-même : « Depuis un an, les relations ‎culturelles franco-égyptiennes sont atteintes parce que nous nous étions engagés à ‎permettre à deux professeurs égyptiens de venir travailler à Alger, et que nous avons été ‎forcés de leur refuser les visas… » (29). Massignon avait ses entrées auprès de l’ensemble ‎des gouvernements arabes et musulmans et connaissait tous leurs représentants ‎diplomatiques à Paris. Il pouvait donc très bien passer « la consigne ».‎

‎5) Sur la manipulation de la vie politique en Algérie, des zaouïas et du maraboutisme ? Voici ‎ce qu’il écrit lui-même avec un cynisme inégalé : « Nous avons, pour les élections en Algérie, ‎recours à l’influence des congrégations musulmanes sur la masse des électeurs illettrés. ‎Cette politique de corruption est publique, et compromet à la longue certaines « vedettes » ‎précieuses. L’administration se dit alors dans sa sollicitude : il y a un moyen pour les ‎musulmans d’être absous de leurs péchés, c’est d’aller à la Mecque. Nous leurs paierons le ‎voyage. Ils rempliront leurs devoirs coraniques ; ils nous reviendront absous, la conscience ‎blanche comme neige. Ils pourront recommencer à notre service ; nous aurons donc double ‎bénéfice. » ‎

Et Massignon de poursuivre, reconnaissant ouvertement son implication dans ce système : ‎‎« Mais un des derniers bénéficiaires de ce système ingénieux vient de le gâcher et nous a ‎forcés, en revenant de la Mecque, à payer la scolarité d’un de ses fils à al-Azhar « pour se ‎racheter » aux yeux de l’islam anticolonialiste. Cet homme nous aura coûté fort cher pour ‎aboutir au mépris réciproque et définitif » (30). ‎

‎6) Massignon s’est attaché sa vie durant à rechercher les cas de musulmans ayant apostasié ‎ou s’étant convertis au christianisme : al-Hallaj, al-Ouazzani, Abdeljalil, Naroun et quelques ‎autres que nous ne connaissons pas. Aucun sujet ne l’a intéressé plus que celui-là. Il parle ‎dans un écrit de « l’apostasie momentanée de Cheikh San’ân , au Caucase, qui se fit chrétien ‎pour vivre auprès de sa Béatrice », ainsi que de « Hermine, princesse d’Antioche, convertie ‎au Christ pour amour pour Tancrède, blessé et mourant » (31).‎

Dans « Primauté d’une solution culturelle », il relate l’histoire à lui rapportée d’un jeune ‎Français de seize ans qui, ayant lu une traduction du Coran, voulut partir pour Alger et s’y ‎faire musulman « pour expier les crimes de la colonisation française ». Massignon ‎commente : « Après enquête, je constatai qu’il n’avait vu aucun musulman ; et, après lui ‎avoir fait auditionner des disques arabes (dont le 1er chapitre du Coran et l’appel du ‎Muezzin), il parut renoncer sine die à un projet de voyage (auquel il pense toujours). Il n’y ‎avait eu, en tout cas, aucune tentative de captation du côté musulman, comme on l’aurait ‎d’abord craint.»‎

‎7) Massignon avait une vision globale et à long terme du monde musulman. Il a composé un ‎‎« Annuaire du monde musulman » et animé la « Revue du monde musulman » où toutes les ‎informations concernant celui-ci étaient répertoriées. Se référant à un livre de Le Châtelier ‎et à un autre de Isaiah Bowman, il écrit : « Bowman ayant établi la liste des 22 ressources ‎naturelles principales qui sont indispensables au fonctionnement matériel de la civilisation ‎moderne, a abouti à cette constatation que les musulmans ne sont nulle part en mesure de ‎les mobiliser sans permission préalable des puissances européennes… En sera-t-il toujours ‎ainsi ? Le Châtelier remarquait déjà l’essor des sociétés capitalistes musulmanes à Java, les ‎fondations de firmes de thé, sucre, de fonderie et de filatures dans l’Inde… Petit à petit, les ‎pays musulmans complèteront leur organisation industrielle sur place ; et si leurs dirigeants ‎ont tous le courage d’un Mustapha Kemal qui, avec plus de résolution que Mussolini, a ‎refusé au consortium international des banques anglo-américaines toute hypothèque sur ‎l’industrialisation de sa patrie, on peut penser que la suprématie européenne actuelle sera ‎mise en péril » (32).‎

S’il redoutait les effets de sa politique économique, Massignon faisait par contre l’éloge de ‎Mustapha Kemal pour sa politique culturelle qui consistait en la désarabisation et la ‎désislamisation de la Turquie, notamment par l’adoption de l’alphabet latin. Il espérait que ‎l’Egypte se lancerait à son tour dans le remplacement de l’arabe par les caractères latins, ‎écrivant : « Centre mondial du livre arabe, l’Egypte pourrait être le point de rayonnement ‎d’où la réforme alphabétique se diffuserait dans tout le monde arabe » (33).‎

Infatigable, ne laissant rien au hasard, méticuleux et efficace jusqu’à l’obsession, il avait le ‎regard constamment rivé sur le monde musulman. Dans un texte de 1939 il note : « Parmi ‎les différents groupes musulmans à travers le monde, le plus important numériquement et ‎financièrement est actuellement le groupe hindou, minorité nationale très forte puisqu’il ‎s’agit d’un cinquième de la population totale de l’Inde… En second vient le groupe malais qui ‎a une majorité écrasante en Indonésie (plus de 92%). Il peut donc avoir une progression ‎encore plus nettement nationaliste que le groupe hindou ; il se sert de plus en plus de la ‎langue malaise, transcrite en alphabet arabe, quoique le gouvernement hollandais s’efforce ‎de répandre l’alphabet latin ; les dirigeants d’abord recrutés dans l’aristocratie des Seyyids ‎d’origine arabe sont de plus en plus des Malais et tendent à écouter plus volontiers que les ‎musulmans de l’Inde les suggestions communistes des Bolchévites. Le groupe des arabisés ‎vient en troisième lieu au point de vue numérique et manque aujourd’hui complètement ‎d’unité et de directives pour une progression commune… » (34).‎

Ainsi qu’on vient de le voir, Hamouda Ben Saï et Khaldi sont fort bien connus de Massignon ‎et cités dans ses écrits, mais pas Bennabi. Est-ce normal ? L’étonnant, après ce qu’on a lu, ‎n’est pas la réalité de la lutte idéologique ou l’existence du psychological-service, mais qu’un ‎homme sans moyens, sans soutien politique, comme Bennabi, soit parvenu par ses seules ‎facultés mentales et intellectuelles à percer leur jeu et à le mettre au jour. Il n’y a pas de ‎doute, aucun homme ayant vécu dans de telles circonstances et ayant été soumis à de telles ‎pressions n’aurait pu échapper à des commotions, voire à des chocs nerveux. C’était ‎d’ailleurs le but visé par Massignon. Mais lorsqu’on examine l’œuvre de Bennabi, la sérénité ‎et la logique interne qui les caractérisent ne laissent pas supposer que l’homme a été l’objet ‎du moindre tracas. ‎

Être à contre-courant des idées de son temps et des mentalités de son milieu est déjà en soi ‎une grande cause de stress. Beaucoup de penseurs ont eu une vie difficile au plan moral et ‎matériel : Al-Kawakibi a vécu presque en clandestin avant de mourir empoisonné ; Marx ‎serait peut-être mort de faim ou de maladie si Engels ne l’avait matériellement assisté ; ‎Nietzsche a fini son existence dans l’errance ; Ibn Khaldoun a été emprisonné pendant deux ‎ans ; Platon a connu la condition d’esclave ; Socrate a été condamné à boire du poison ; ‎Confucius est mort désespéré… Et combien d’autres ont été raillés, maltraités, emprisonnés ‎ou tués ? ‎

Ces hommes singuliers qui ont fait avancer la philosophie, le savoir ou la liberté, ont tous eu ‎une vie pénible et ingrate. Ils étaient voués à souffrir du fait même du décalage qui les ‎séparait de la masse, des élites conformistes et du pouvoir. Que dire de ceux qui ont vécu ‎sous une occupation ou de ceux qu’on a accusés de « germanophilie », de ‎‎« négationnisme », d’« antisémitisme », ou de « complomania » ?‎

Le Dr. Allan Christelow s’est interrogé sur les relations tumultueuses de Bennabi et de ‎Hamouda Ben Saï avec Louis Massignon, et écrit : « Leur relation avec lui finit par se tendre ‎au point de casser car même s’il éprouvait une sympathie sincère pour l’islam, Massignon ‎était étroitement lié aux positions officielles de la France et revendiquait l’Algérie comme ‎une partie intégrante de la France. La rupture fut plus dévastatrice entre Massignon et son ‎élève Ben Saï, et douloureuse pour les deux… Ben Saï, apparemment anéanti physiquement ‎et émotionnellement, ce fut Bennabi, ingénieur de formation, qui prit le relais de sa mission ‎philosophique. Que Bennabi ait non seulement survécu, mais réussi à percer à travers la ‎violence des années du mouvement nationaliste, de la révolution et de l’indépendance, ‎attestent d’une grande force de caractère et du sens de la perspective. Et bien qu’il ait écrit ‎un petit livre (35) dans lequel il mettait en garde les étudiants musulmans contre l’influence ‎des orientalistes, il n’a jamais utilisé son talent en vitupérations contre Massignon, car ‎même s’il s’opposait à Massignon qui défendait la présence française en Algérie, il était ‎resté influencé par ses idées. Tous deux étaient par exemple de grands admirateurs du ‎Mahatma Gandhi » ‎
‎(36).‎

Si la dernière remarque de Christelow est juste, il n’existe par contre aucune trace de ‎l’« influence » de Massignon dans l’œuvre de Bennabi. De quelles « idées » pourrait-il ‎s’agir, sachant que Massignon est un « expert » ainsi qu’il se voulait lui-même, plutôt qu’un ‎‎« penseur ». ‎

Bennabi a quelques fois cité Massignon, mais c’est généralement en relation avec l’actualité ‎politique et rarement à propos de pensée. Massignon était un pilier des « sciences ‎coloniales » qu’il a contribué à asseoir et, en tout état de cause, un missionnaire aux sens ‎propre et figuré du terme (37).‎

‎ Autant l’autobiographie de Bennabi est dominée de 1931 à 1955 par l’ombre de Massignon, ‎autant le nom de celui-ci disparaît quasi-définitivement au-delà. Bennabi ne le citera plus ‎qu’en deux occasions : le 20 décembre 1962 quand il note dans ses Carnets (38) : « Ce soir, ‎la télévision a donné une nouvelle d’une réunion de l’Académie arabe à la mémoire de ‎Massignon mort, semble-t-il, en novembre dernier. C’est ainsi que j’ai appris la mort de cet ‎homme qui fut implacable pour ma famille à cause de sa haine pour moi. » et, pour la ‎deuxième fois, dans un article de 1968 intitulé « Signification de la grève de l’université » ‎‎(39). ‎

En 2003, l’Institut du Monde Arabe a organisé à Paris un colloque pour rendre hommage à ‎huit personnalités intellectuelles des deux pays, choisies en raison de leur contribution au ‎siècle dernier au rapprochement entre les peuples algérien et français. Du côté algérien, les ‎figures retenues étaient Abdelhamid Ben Badis, Malek Bennabi, Mohamed Bencheneb ‎‎(1869-1929) et Mehdi Bouabdelli (1907-1992). Du côté français, on avait retenu Louis ‎Massignon, Jacques Berque, le Cardinal Duval (1903-1996) et Germaine Tillon. ‎

Ainsi, les noms de Bennabi et de Massignon se sont trouvés réunis dans un même hommage ‎rendu par la mémoire reconnaissante des deux pays.‎

NOTES

‎1 A la fin de sa vie, Massignon écrit encore à son sujet : « Je lui dois d’avoir retrouvé ma voie ; il pria pour moi, ‎égaré… » (cf. « Le témoignage de Huysmans et l’affaire Van Haecke », 1957, Opéra Minora T.3). ‎

‎2 Massignon note à ce propos : « S’il a accepté à la fin un dépôt d’armes dans son Borj, lui qui s’était engagé par ‎vœu à ne jamais avoir dans sa cellule aucune arme, c’est qu’il donnait ainsi à ses ennemis dispense plénière de ‎verser son sang » (cf. « Toute une vie avec un frère parti au désert : Foucauld »). Dans un des derniers textes ‎qu’il lui consacre on peut lire : « Par le détour des Berbères mal arabisés, on croyait à cette époque à une ‎politique « berbère » pour vaincre l’islam en le tournant. Il subissait la formation « coloniale » de son temps. Moi-‎même, fort colonial à l’époque, lui avais écrit mes espoirs dans une prochaine conquête du Maroc par les armes et ‎il m’avait répondu approbativement (1906) …La formation sociologique de Foucauld était celle d’un officier ‎spécialisé des Bureaux arabes, des Affaires indigènes. Avec le but que se propose l’ingénieur militaire en étudiant ‎les ouvrages offensifs et défensifs de l’ennemi, la destruction… Comment cet ermite, ce contemplatif s’est-il laissé ‎dérober tant de temps par nos officiers pour les aider à stabiliser une « occupation coloniale » ? A vrai dire, c’était ‎alors la seule solution sociale capable d’assurer l’ordre et la paix au désert, en faisant que la « force soit juste » … ‎Il avait pris l’engagement écrit de ne jamais avoir d’armes dans sa cellule d’ermite. Et à Tamanrasset il transforma, ‎les derniers mois de 1916, son « borj » en arsenal d’armes à la demande du général Laperrine » (cf. « Foucauld au ‎désert devant le Dieu d’Abraham, Agar et Ismael » (1960), « Opéra Minora », T.3). Foucauld et Laperrine ‎étaient des camarades de promotion. Il y a lieu de noter enfin que le Père de Foucauld a été béatifié par l’Eglise ‎en novembre 2005.‎

‎3 « Parole donnée », un recueil de textes de Massignon publié en 1962 aux Ed. Julliard, est le fruit d’une ‎initiative de Vincent Monteil. Dans l’importante introduction qu’il lui consacre, ce dernier parle de « la fidélité ‎de mon amitié à garder le silence sur telles confidences qu’il (Massignon) m’a faites, tant vis-à-vis de lui que vis-à-‎vis de ceux ou celles qui ont participé, à travers sa destinée, aux « nœuds d’angoisse » de sa vocation intime. » ‎

‎4 Cf. « Toute une vie avec Foucauld », op. cité. ‎

‎5 « Foucauld au désert devant le Dieu d’Abraham, Agar et Ismaël », op.cité. ‎

‎6 On peut lire sous sa plume : « Voici cinquante années que mes rapports de disciple à maître m’ont amené à ‎venir consulter à Leyde (Hollande) C. Snouck, le grand islamisant à qui je dois de bien précieux conseils sur la ‎mystique musulmane…. Chez lui, je venais prendre conseil du « directeur officieux » de la « politique musulmane ‎de la Hollande » (en Indonésie), pour transmettre ses sages suggestions aux responsables de notre politique ‎musulmane en Afrique du Nord…. » (cf. « Parole donnée » : préface aux lettres javanaises de Raden Adjen ‎Kartini). ‎
‎ ‎
‎7 Dans le cadre de la politique de désislamisation et de « berbérisation » de l’Afrique du Nord, les autorités ‎coloniales promulguent le 16 mars 1930 le « Dahir berbère » qui érige des tribunaux « coutumiers » destinés ‎aux populations berbères dans le but de réduire les pouvoirs du Sultan. Les élites marocaines se liguent contre ‎cette tentative de division du peuple marocain. C’est à partir de là qu’apparaît le mouvement national qui devait ‎aboutir au départ des Français. ‎

‎8 Cf. « Parole donnée : l’exemplarité singulière de la vie de Gandhi ».‎

‎9 Cf. « Opéra Minora » T.1. Il semble que Massignon ait eu une prémonition de ce qui allait arriver ‎effectivement dix ans plus tard : « Nous pouvons nous préparer à l’évacuation prochaine d’un million de frères de ‎race dans les conditions, à quelques zéros près, dont les colonnes de fuyards fuyaient Damas en 1945 » (cf. « La ‎situation sociale en Algérie », 1951, « Opéra Minora », T.3). ‎

‎10 Cf. « Parole donnée : prière pour une paix sereine entre chrétiens et musulmans ».‎
‎ ‎
‎11 Interrogé sur les raisons de sa conversion par l’auteur de « Les nouveaux convertis », Vincent Monteil ‎répond : « Je crains de ne pouvoir m’exprimer tout à fait librement par les temps qui courent… Ça peut être ‎dangereux de dire ce qu’on pense… ».‎

‎12 « Dossier secret sur Israël : le terrorisme », Ed. Authier, Paris 1978.‎

‎13 Contrairement à Vincent Monteil, Roger Garaudy ne s’est pas résigné à une vie recluse. Prolifique et engagé ‎dans l’action pour ses idées, il a écrit depuis sa conversion à l’islam un grand nombre de livres sur divers sujets ‎et n’a pas eu peur de s’attaquer aux tabous qui limitent la liberté de pensée en France. Ce qui lui valut ‎notamment un procès en justice après la parution de « Les mythes fondateurs de la politique israélienne ». ‎Soutenu dans cette affaire par l’Abbé Pierre qui est considéré en France comme la personnalité la plus ‎respectée et la plus aimée de l’opinion publique, ce dernier se vit blâmé en 1996 par l’Episcopat français et ‎vilipendé par une partie de la presse. Garaudy a rendu compte de cette affaire dans « Le procès de la liberté », ‎un livre co-signé avec Jacques Vergès (Ed. Houma, Alger 1998).‎
‎ ‎
‎14 Cf. « La situation sociale en Algérie » (1951) in « Opera Minora », T. 3.‎
‎ ‎
‎15 Ibid. ‎

‎16 « Comment demeurer dans l’ornière », op.cité. ‎

‎17 Cf. « L’Occident devant l’Orient : primauté d’une solution culturelle » 1952, Opera Minora , T. 1.‎
‎ ‎
‎18 Dans sa brochure autobiographique, HBS évoque son hospitalisation à l’hôpital de la Charité en mai 1935 et ‎note : « Après mon opération, le savant professeur Louis Massignon vient à l’hôpital. Mais, ayant appris que ‎j’étais déjà sorti, il envoya une touchante carte-lettre à mon ami Marcellin Bell. J’ai conservé cette carte écrite de sa ‎propre main ». Il ajoute un peu plus loin : « Le cheikh Ben Badis m’envoya une lettre écrite de sa propre main, ‎m’invitant à adhérer à l’Association des oulamas. Je lui répondis que je ne pouvais y adhérer, mais que je ‎demeurais résolument fidèle à l’idéal pour lequel elle avait été créée. J’avais de bonnes raisons pour cela. » ‎

‎19 Cf. « Foucauld au désert », op.cité‎

‎20 Cf. « L’Occident devant l’Orient », op.cité. ‎

‎21 C’est exactement ce qu’entend Bennabi par « lutte idéologique ».‎

‎22 Ainsi de ce passage dans « Vocation de l’islam » : « Si un cerveau remarquable se révèle, on essayera par tous ‎les moyens de le briser, et s’il est trop dur on brisera sa famille pour le paralyser. »‎

‎23 Cf. « Le monde » du 12 juillet 1930. ‎

‎24 Cf. « Le populaire » du 05 mars 1935, cité in « Une pensée anticoloniale », op. cité.‎

‎25 Cf. C.Collot et J.R. Henry « Le mouvement national algérien : Textes, 1912-1954 », op.cité.‎
‎ ‎
‎26 Cf.« Les résultats sociaux de notre politique indigène en Algérie » (1930) in « Opera Minora », T. 3. ‎

‎27 Cf. « Cartes de répartition des Kabyles dans la région parisienne » (1930) in « Opera Minora », T. 3. ‎

‎28 « Opera Minora », T.3. Quelle peut être la mission d’un « psychological-service » sinon de procéder à des ‎‎« analyses psychologique » et de tenir des « fiches psychologiques » ? Et ce « qui de droit », n’indique-t-il pas ‎justement le « service » dont parle Bennabi ? Au moment où Massignon fait ces « confidences », Bennabi publie ‎au Caire « La lutte idéologique dans les pays colonisés » où on peut lire : « Le colonialisme se sert d’une carte ‎psychologique du monde musulman. Une carte qui subit quotidiennement des mises à jour appropriées et des ‎changements nécessaires opérés par des spécialistes chargés de la surveillance et du contrôle des idées. Le ‎colonialisme conçoit ses plans militaires et transmet ses instructions à la lumière d’une connaissance approfondie ‎de la psychologie des pays colonisés ». ‎
‎ ‎
‎29 « Primauté d’une solution culturelle », Opéra Minora T.1.‎

‎30 Ibid‎

‎31 « A propos d’un tableau de Poussin » (1947) in « Opera Minora », T.1. ‎

‎32 « Situation actuelle de l’islam » (1929) in « Opera Minora », T. 1.‎
‎ ‎
‎33 Ibid.‎

‎34 « Situation de l’Islam » (1939). ‎

‎35 Il s’agit de « L’œuvre des orientalistes et leur influence sur la pensée musulmane moderne ».‎

‎36 Cf. « Un humaniste musulman du XX° siècle, Malek Bennabi », op.cité.‎

‎37 On peut énumérer le nombre de fois où Bennabi s’est référé directement ou indirectement dans ses articles ‎à Massignon. ‎

‎-Il le cite nommément (et positivement) dans « La langue arabe à l’Assemblée nationale » (« La République ‎Algérienne » du 06 juin 1948) et dans deux autres articles : « Un dialogue implique deux consciences » (la RA ‎du 10 juillet 1953) et « A la veille d’une civilisation humaine- 3 » (la RA du 1er juin 1951). ‎

‎-Il fait allusion à lui (négativement) dans « Charivari colonial » (« Le Jeune Musulman » du 26 février 1954) et ‎‎« Un crime anormal » (la RA du 30 octobre 1953), et de nouveau positivement dans « A la veille d’une ‎civilisation humaine 2 » (la RA du 13 avril 1951). ‎

‎-Dans ses livres, Bennabi fait allusion à lui dans « Le phénomène coranique » et « Vocation de l’islam ». ‎

‎-En matière de « pensée », il a reconnu le bienfondé de la distinction opérée par Massignon entre les notions ‎de « Tagdid » et de « tagaddud ». ‎

‎-On peut trouver quelques ressemblances entre certains paragraphes de « Vocation de l’islam » au chapitre ‎‎« Le premier contact Europe-Islam », et un texte de Massignon de 1947 (« Interprétation de la civilisation arabe ‎dans la culture française » in « Opéra Minora », T.1) sur les origines agrestes de la civilisation française et ‎nomades de la civilisation arabe qui donneront le « type aryen » et le « type sémitique », catégories auxquelles ‎recourra Bennabi sous d’autres noms dans sa théorie des idées et de l’alternat des cultures. ‎

‎-Avant Bennabi, Massignon a parlé de « Méridien de la Mecque » … On peut aussi rapprocher l’expression ‎‎« Axe Tanger-Djakarta » chez Bennabi de la phrase de Massignon : « Tous les pays musulmans se tiennent ‎depuis Java jusqu’au Maroc… » ‎

Mais, au-delà de l’utilisation commune de ces matériaux, il n’y a rien qui atteste de la présence d’une ‎‎« influence » de Massignon sur la formation de la pensée bennabienne. ‎
‎ ‎
‎38 La partie autobiographique inédite de Bennabi se compose de « Pourritures » et d’un lot de 19 Carnets dont ‎il va être question à partir de maintenant. ‎

‎39 « Révolution africaine » du 06 mars 1968.‎

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