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LA VIE DE MALEK BENNABI (17)

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A Alger, Bennabi retrouve Salah Ben Saï qu’il n’avait pas revu depuis 1937, devenu entre-‎temps directeur de la société Amal, premier organisme économique musulman ‎d’importance à voir le jour à l’initiative de quelques grands noms du monde des affaires : ‎Khettab, Tiar et Abbas Turqui. C’est lui qui va être la cheville ouvrière de la publication du ‎‎« Phénomène coranique » qui contient la dédicace ci-après : ‎

‎- A mon cher père qui a payé de quinze années de souffrance le prix de ma façon de penser.‎
‎- A la mémoire de ma pauvre mère qui est morte après m’avoir laissé son ultime ‎bénédiction.‎
‎- Aux humbles de mon pays qui m’ont donné la plus noble leçon en ennoblissant leur ‎souffrance.‎
‎- A mon cher ami et maître, Mohamed Ben Saï, que je veux affirmer parce que la condition ‎de l’intérêt féroce et de la médiocrité ambitieuse a voulu le nier … comme d’autres.‎
‎- A monsieur Georges Marlin, noble figure de paysan français qui m’a montré que l’homme ‎a ses frères et ses ennemis parmi tous les peuples et toutes les races. ‎

En plus de cette dédicace – qui ne sera pas reprise dans les éditions ultérieures – un croquis ‎de Bennabi a été réalisé sur la page de garde par Mme R. Benthami, « Grand prix artistique ‎des artistes de l’Afrique du Nord ». ‎

On a peut-être cru à l’erreur en lisant le prénom de Ben Saï dans la dédicace. En fait il s’agit ‎du même dont le prénom véritable est Mohamed, la pratique du surnom étant répandue en ‎Algérie. D’ailleurs, Bennabi lui-même n’était nommé chez lui et par ses amis que par le ‎surnom de « Seddik », comme Khaldi était généralement désigné par le diminutif de ‎‎« Azzouz ». Ce dernier prend une copie du livre en France destinée au cheikh Draz que ‎Bennabi a connu en 1936 et qui est maintenant professeur à al-Azhar en vue d’une préface.‎

En décembre, Bennabi se rend lui-même à Paris où il trouve à la Maison de la chimie ‎Massignon attablé dans un coin de la salle en compagnie de cheikh Draz. Au moment où il se ‎dirige vers la table, Massignon se lève et quitte brusquement l’endroit sans un regard ni un ‎mot pour lui… Le « alem » égyptien ne comprend rien au manège et s’en étonne. Bennabi ‎élude la question.‎

Il reste auprès de sa femme jusqu’en février 1947 puis rentre à Alger où des fonctionnaires ‎du Gouvernement général viennent à plusieurs reprises à l’imprimerie lire les épreuves. Le ‎livre sort à la fin du mois. La préface est datée du 05 décembre 1946. Il en a rédigé les ‎dernières pages dans le train qui l’amenait à Alger, d’où l’impression d’un certain bâclage ‎vers la fin. La conclusion, certes belle, est expédiée en quelques lignes : « A la lumière du ‎Coran, la religion apparaît comme un phénomène cosmique régissant la pensée et la ‎civilisation de l’homme, comme la gravitation régit la matière et conditionne son évolution. ‎La religion semble ainsi imprimée dans l’ordre universel comme la loi propre à l’esprit qui ‎gravite sur des orbites différentes, depuis celle de l’islam unitaire jusqu’à celle du fétichisme ‎le plus rudimentaire, autour d’un même centre toujours éblouissant et à jamais ‎mystérieux ». ‎

‎« LE PHENOMENE CORANIQUE »‎

De toute façon, Bennabi a pris le soin d’informer le lecteur que ce livre n’est qu’une ‎indication pour des travaux à venir, nécessitant des connaissances linguistiques et ‎archéologiques étendues pour « suivre depuis les Septantes, la Vulgate, les documents ‎massorétiques, les documents syriaques et araméens, le problème des Saintes Ecritures ». ‎

Il fait rapidement allusion aux circonstances dans lesquelles le travail a vu le jour, nous ‎apprenant qu’il s’agit de la reconstitution d’un original détruit dans des circonstances ‎particulières qu’il ne précise pas : « Nous avons, croyons-nous, sauvé l’essentiel : le souci ‎d’une méthode analytique dans l’étude du phénomène coranique », et en désigne le double ‎objet : « Procurer d’une part aux jeunes musulmans algériens une occasion de méditer la ‎religion, et suggérer d’autre part une réforme opportune dans l’esprit de l’exégèse ‎classique. » ‎

Le livre est l’un des plus volumineux, avec « L’Afro-Asiatisme », que Bennabi écrira. Il se ‎compose d’une introduction et de onze parties (Le phénomène religieux, Le mouvement ‎prophétique, Les origines de l’islam, Le messager, Le mode de révélation, La conviction ‎personnelle du Prophète, La position du « moi » mohammadien dans le phénomène du ‎‎« Wahy », La notion mohammadienne, Le message, Les caractéristiques phénoménales du ‎‎« wahy », et Notions coraniques remarquables). ‎

Un bâtisseur doit commencer par les fondations. Et ces fondations, ce sont le credo, la foi, ‎les idées sur lesquels va reposer l’édifice bennabien. Il doit donc « prouver » leur ‎authenticité en les confrontant au scepticisme du scientisme et à l’agressivité de l’athéisme. ‎Ce préalable, il va le mener méthodiquement : établir la transcendance du message ‎coranique, puis démontrer la non-implication dans son élaboration de celui qui l’a porté, le ‎Prophète Mohammad. ‎

Bennabi a pu se rendre compte au cours des années qu’il a passées au Quartier latin, et ‎surtout à travers les contacts noués avec les oulamas orientaux et les étudiants arabes qui ‎venaient compléter leur formation en France, combien ceux-ci étaient exposés à l’influence ‎des orientalistes : « La renaissance musulmane reçoit toutes ses idées techniques de la ‎culture occidentale… Beaucoup de jeunes musulmans lettrés puisent aujourd’hui leur ‎édification religieuse, et parfois leur impulsion spirituelle même, à travers les écrits des ‎spécialistes européens ». Les musulmans, faute de pouvoir produire eux-mêmes une ‎reformulation de leur pensée à l’époque moderne, se retrouvaient sous l’influence des ‎écoles orientalistes, surtout française et anglaise, qui poursuivaient des buts qui n’étaient ‎pas toujours désintéressés. ‎

Ces spécialistes lui apparaissent dans leur grande majorité comme des « chargés de ‎mission » volontaires ou involontaires, au service de la « désislamisation » des élites en ‎formation chez eux : « L’œuvre de ces orientalistes a atteint en effet un rayonnement plus ‎considérable qu’on ne pense, et nous n’en voudrions pour preuve que le fait pour l’Académie ‎royale d’Egypte de compter parmi ses membres un savant français ». Bennabi ne le cite pas, ‎mais il s’agit de Massignon. ‎

En fait, l’Académie royale de la langue arabe du Caire, instituée par le roi Fouad (1868-‎‎1936) en 1932 était composée de vingt membres titulaires : dix Egyptiens, cinq Arabes non ‎égyptiens, et cinq orientalistes européens : un Anglais (Gibb), un Français (Massignon), un ‎Italien (Nallino) et deux Allemands (Fisher et Littmann). Le vice-président de l’Académie ‎était le grand rabbin du Caire, Haym Nehum Effendi. Parmi les cinq Arabes non égyptiens, il ‎y avait le Père Anastase Marie (Irak) et Issa Iskander al-Maalouf (Liban). La principale ‎mission de cette institution est l’élaboration d’un dictionnaire. Elle s’organise lors de la ‎première session tenue en 1934 en sept commissions permanentes du vocabulaire : ‎mathématiques, physique, biologie et médecine, sciences sociales, littérature, dialectes. ‎

Massignon est membre de la quatrième (sciences sociales). Bennabi le range parmi les ‎orientalistes les plus négatifs et l’aligne sur le R.P Lammens « qui demeure le type de ‎l’orientaliste désislamisant (mais qui) n’est pas néanmoins le cas unique où nous puissions ‎constater le sourd labeur de sape dirigé contre l’islam. Le brave homme a eu, du moins, le ‎mérite de clamer bien haut son ressentiment pour le Coran et Mohammad. Sans doute, il ‎vaut mieux avoir à faire à ce bruyant fanatisme-là, plutôt qu’à un superbe et silencieux ‎machiavélisme chez d’autres orientalistes, gardant mieux les apparences de la science ». ‎C’est tout le portrait de Massignon.‎

Les musulmans n’avaient disposé jusque-là que des arguments de l’exégèse classique fondés ‎sur l’inimitabilité et la perfection stylistique du Coran (« I’djaz ») pour défendre leur foi. Les ‎convictions des intellectuels, réformistes ou modernistes, comme celles des gens du peuple, ‎étaient donc placées sous l’égide de la théologie. Aux yeux de Bennabi, ces garanties ‎n’étaient plus en mesure de résister aux assauts de l’irréligiosité charriée par le ‎modernisme qu’incarnaient les «progressistes», séduits par le matérialisme dialectique de ‎Marx, et les «libéraux», subjugués par l’expérience menée par Ataturk en Turquie et les ‎Pahlavi en Iran. ‎

Sur le plan intellectuel, il fallait autre chose que le « principe d’autorité » pour répondre à ‎l’exigence d’une élite « désormais engouée de positivisme ». Il fallait placer les convictions ‎religieuses sous une égide nouvelle, celle de la raison. C’est ce qu’il se propose de faire : ‎‎«Nous voudrions, sinon fournir directement la base rationnelle nécessaire à cette conviction, ‎du moins ouvrir méthodiquement et largement le débat religieux afin d’amener ‎l’intellectuel algérien à édifier lui-même cette base nécessaire à sa foi ». ‎

Pour lui, ni le monumental « Tafsir » (explication du Coran) en vingt volumes publié par ‎Tantawi Djawhari en 1922 et dans lequel il voit un entassement plutôt qu’une architecture, ‎ni les efforts louables de Cheikh Abdou et de Rachid Ridha, n’avaient répondu à cette ‎nouvelle exigence qui se manifestait partout, y compris au niveau populaire. L’intellectuel ‎musulman avait besoin d’un nouveau système argumentaire pour soutenir ses positions dans ‎des débats comme celui qui avait opposé un demi-siècle plus tôt Djamel-Eddin al-Afghani à ‎Ernest Renan. ‎

En mars 1883, ce dernier donne à la Sorbonne une conférence sur « L’islam et la science » ‎dans laquelle il accuse l’islam d’avoir persécuté la science et la philosophie. En guise de ‎réponse, Djamel-Eddin rédige un petit livre intitulé « Erad âla-dahriyine » (Réplique aux ‎matérialistes) qui sera son seul ouvrage écrit. ‎

A l’époque al-Afghani était établi à Paris après son expulsion d’Egypte. Mohammed Abdou le ‎rejoint en 1884 après sa condamnation à l’exil. Les deux hommes créent une association ‎politique « contre la domination extérieure et le despotisme intérieur » qui publie une ‎revue, « Al-ourwa al-wuthqa » (Le lien indissociable). Leur séjour à Paris dure environ deux ‎ans puis ils sont contraints de quitter la France. Abdou a traduit le livre d’al-Afghani en ‎arabe, et écrit lui-même en 1901 un petit ouvrage sur « Le rôle respectif du christianisme et ‎de l’islam dans la science et la civilisation ». ‎

Dans son travail, Bennabi va lier le cas particulier de l’islam au phénomène religieux dans ‎son ensemble en situant le Prophète dans la chaîne prophétique, et en plaçant la révélation ‎coranique comme l’aboutissement du courant monothéiste. Loin de lui toute idée de ‎prosélytisme en faveur de l’islam, toute tentation d’établir sa suprématie sur le judaïsme ou ‎le christianisme ou toute intention de disqualifier les autres prophètes. Il aura donné ainsi ‎une application concrète au verset coranique : « Dis : « Ô peuples des Ecritures, élevons-‎nous à une parole commune qui mettra l’accord entre nous » (3-64). ‎

De leur côté, pourtant, ni le christianisme (1) ni le judaïsme n’ont eu envers l’islam l’attitude ‎que celui-ci a eue envers eux, accusant le Prophète d’imposture et de plagiat de la Bible, ‎alors que celle-ci comporte tellement d’invraisemblances que la déclaration du Concile de ‎Vatican II en 1965 n’a pu éviter de reconnaître que les livres de l’Ancien Testament ‎‎« contiennent de l’imparfait et du caduc ». ‎

Le Dr. Maurice Bucaille qui s’est spécialisé dans la confrontation des Ecritures avec les ‎données de la science écrit : « Quant au Coran, des idées erronées ont été entretenues dans ‎nos pays pendant longtemps, et le sont encore au sujet de son contenu et de son histoire… ‎Nul doute que les assertions sur l’homme qui en sont extraites pourront étonner, comme ‎elles m’ont étonné lorsque je les ai découvertes. De plus, la comparaison des deux textes, ‎biblique et coranique, est très suggestive : l’un et l’autre évoquent un Dieu Créateur, mais on ‎s’aperçoit que les détails descriptifs de la Création du récit biblique, scientifiquement ‎inacceptables, n’existent pas dans le Coran. Ce dernier contient par contre sur l’homme des ‎énoncés stupéfiants : il est humainement impossible d’expliquer leur présence à l’époque où ‎le Coran fut porté à la connaissance des hommes, étant donné ce que l’on sait du savoir du ‎temps. Ces constatations n’avaient pas encore fait l’objet d’une communication scientifique ‎en Occident lorsque, le 9 novembre 1976, je présentai à l’Académie Nationale de Médecine ‎à Paris un exposé de notions de physiologie et d’embryologie trouvées dans le Coran, en ‎avance de près de quatorze siècles sur des découvertes modernes ». ‎

Et Maurice Bucaille de tirer cette cinglante conclusion : « Si Muhammad avait été l’auteur ‎du Coran, on ne voit pas comment il aurait pu discerner les erreurs scientifiques de la Bible ‎sur de nombreux sujets, et les avoir TOUTES éliminées » (2).‎

Cela ne semble pas pour autant avoir découragé les amateurs de la vieille thèse selon ‎laquelle l’islam ne serait qu’une reproduction adaptée au contexte et à la mentalité arabe ‎des Anciens et du Nouveau Testaments puisqu’un philologue allemand, Christoph Luxenberg, ‎a consacré au sujet un livre dont une présentation a été faite par Rémi Brague dans un ‎numéro de la revue « Critique » (3).‎

Acquis a priori aux thèses soutenues dans l’ouvrage, le présentateur estime que « Nous ‎sommes peut-être en présence d’une révolution… Le Coran tel que le restitue Luxenberg ‎s’avère contenir des allusions à des prières chrétiennes pour ne pas dire des citations de ‎celles-ci…. Il s’ensuit une conséquence capitale quant à la nature même du Coran pris dans ‎son ensemble… Une fois qu’on le comprend à partir du syriaque, le Coran est un ‎lectionnaire, c’est-à-dire une anthologie de passages tirés de livres saints préexistants et ‎adaptés en langue vernaculaire, anthologie faite pour la lecture liturgique… Si Luxenberg a ‎raison, cela veut dire que le Coran ne prétendait pas remplacer la Bible, mais en fournir une ‎version intelligible aux Arabes de l’époque. Il ne se présentait donc pas comme une ‎révélation immédiate». ‎
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L’innovation, si l’on peut dire, de Luxenberg repose sur l’hypothèse que ce que l’on croit lire ‎dans le Coran en arabe n’est qu’une somme d’interprétations de ses commentateurs à partir ‎de l’époque de Tabari. Pour lui, le Coran n’a pas été écrit et transcrit dans l’arabe tel qu’on ‎le connaît aujourd’hui, mais dans une langue « intermédiaire, résultant d’un mélange entre ‎l’arabe et le syriaque ». En appliquant le sens des mots syro-araméens à certains termes ‎arabes du Coran, l’auteur pense obtenir une tout autre signification des versets qui ‎confirmerait que le Livre Saint ne serait que la reprise de citations contenues dans la Bible. ‎L’hypothèse philologique de Luxenberg s’appuie notamment sur la non-utilisation des points ‎diacritiques, ce qui aurait eu pour conséquence de changer le sens de lettres comme (djim, ‎ha, ra, za, sin, cha…), et partant des mots eux-mêmes. ‎

L’islam n’a jamais fait mystère de sa proximité avec les autres religions révélées dont il ‎n’affirme être que la confirmation et la continuation. De nombreux versets l’attestent ‎comme celui-ci : « Il vous prescrit comme religion ce qu’il avait prescrit à Noé, celle qui t’est ‎révélée, celle que nous avons prescrite à Abraham, à Moïse, à Jésus en leur ordonnant ‎d’observer cette religion et de ne pas en altérer le sens par la division. » (42- 13).‎
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D’autres versets affirment même que les musulmans ne seront pas privilégiés par rapport ‎aux autres croyants : « Ceux qui croient, ceux qui sont juifs, chrétiens ou sabéens, quiconque ‎croit en Dieu et au Jour dernier et fait le bien, à ceux-là est réservée leur récompense ‎auprès de leur Seigneur ; il n’y aura point de crainte pour eux et ils ne seront point affligés » ‎‎(2-62). ‎

Dans un chapitre du « Phénomène coranique » intitulé « Rapport Coran-Bible », Bennabi ‎aborde cet aspect, écrivant : « … Le Coran se réclame hautement de la lignée biblique. Il ‎revendique constamment sa place dans le cycle monothéiste et, par cela même, il affirme ‎solennellement les similitudes qu’il peut avoir avec le Pentateuque et l’Evangile. Il se ‎réclame expressément de cette parenté et la rappelle au besoin à l’attention du Prophète ‎lui-même. Voici, entre autres, un verset qui accuse particulièrement cette parenté : « Ce ‎Coran ne peut être l’œuvre de quiconque d’autre que Dieu. Il confirme la vérité des ‎Ecritures qui le précèdent, il en est l’interprétation. On n’en saurait douter : le Souverain des ‎mondes l’a fait descendre des cieux » (10-37). Et Bennabi de conclure : « Toutefois, cette ‎parenté laisse bien au Coran son caractère propre : sur beaucoup de points, il semble ‎compléter ou même corriger la donnée biblique. »‎

Dans un autre chapitre intitulé « Aspect littéraire du Coran », il se penche sur la question ‎philologique, admettant sans problème qu’il y a eu création de nouveaux mots arabes à ‎partir de termes araméens « pour désigner des concepts nouveaux spécifiquement ‎monothéistes comme celui de « Malakut » ou des noms propres comme « Jalut, Harut et ‎Marut ». Il reconnaît que « la question philologique que pose le Coran mériterait à elle seule ‎une étude sérieuse embrassant tous ses néologismes et tous ses technologismes dans le ‎domaine eschatologique notamment », mais, observe-t-il, l’islam n’a pas fait que confirmer ‎la pensée monothéiste, il a augmenté sa portée. ‎

C’est ainsi, explique-t-il, que le judaïsme a fondé sur le privilège de l’élection d’Israël « tout ‎un système religieux nationaliste. Dieu y était à quelque chose près une divinité nationale. Si ‎bien d’ailleurs que l’essence du mouvement prophétique, depuis Amos jusqu’au second ‎Esaïe, sera précisément une réaction violente contre cet esprit particulariste ; tous les ‎prophètes comme Jérémie qui appartiennent à ce mouvement réformiste feront des efforts ‎afin de rétablir Dieu dans ses droits universels ». ‎

Avec le christianisme, relève-t-il, la pensée monothéiste a subi une autre entorse : Dieu n’est ‎pas Un, mais multiple. En outre, il se serait fait homme selon le mystère de la Trinité. Ni ‎dans le premier cas ni dans le second l’islam n’a repris les dogmes fondamentaux sur ‎lesquels reposent les deux religions qui l’ont précédé. Il les a au contraire amendés : Dieu ‎est Un et universel : « La pluralité et l’anthropomorphisme sont irrévocablement ‎condamnés. » écrit Bennabi, poursuivant : « Toute une philosophie religieuse d’essence ‎coranique va pénétrer la culture monothéiste, et on ne sait pas jusqu’à quel point tous les ‎remous ultérieurs de la pensée chrétienne, depuis le mouvement albigeois jusqu’à celui de ‎la Réforme, ne sont pas imputables, comme conséquence plus ou moins directe, à la ‎conception métaphysique du Coran. » ‎

C’est en ce sens que l’islam s’identifie à la tradition primordiale universelle (ad-ddin al-‎hanif) (4).En voulant résumer la morale propre à chacune des trois branches du ‎monothéisme, Bennabi relève que si les Dix commandements du Pentateuque prêchent ‎‎« l’abstention de faire le mal », et que les Evangiles commandent de « ne pas réagir contre ‎le mal », le Coran, qui constitue une récapitulation et un perfectionnement des morales ‎précédentes, « ordonne de combattre le mal et de faire le bien ». ‎

Bennabi confronte dans son essai les versions biblique et coranique de l’histoire de Joseph, ‎en relève les parentés et les différences, avant de conclure que le Prophète Mohammad ‎n’était pas instruit des Ecritures judéo-chrétiennes, que son milieu ne connaissait aucune ‎influence provenant de cette source, et qu’à l’époque il n’existait aucune traduction en ‎arabe de la Bible (il est à noter que l’historien musulman Tabari (IXe siècle), auteur d’une ‎biographie du Prophète Mohammed, fait état de l’existence d’une traduction de l’Evangile ‎en arabe détenue par le moine Warraqa ibn Nawfal, cousin de son épouse Khadidja) .‎

Il procède de la même manière en ce qui concerne la sortie des Hébreux d’Egypte sous la ‎guidée de Moïse et la fin tragique de Pharaon pour relever là aussi les points de ‎convergence et les points de divergence dans les deux Ecritures. C’est ainsi que si la Bible ‎nous apprend que Pharaon a été englouti par les eaux qui se sont refermées sur lui et ses ‎troupes, le Coran confirme ces faits mais ajoute au récit un élément inédit, à savoir que ‎Dieu a décidé de le « sauver dans « son » corps afin qu’(il) soit un témoignage pour la ‎postérité » (10, 91-92). ‎

Or, Bennabi prend ce verset au pied de la lettre pour en inférer que Pharaon n’est pas mort ‎dans les flots mais qu’il a subi un choc tel qu’il a été conduit à changer de nom et à adopter ‎le monothéisme (5). Cherchant à l’identifier dans l’histoire des dynasties qui ont régné sur ‎l’Egypte il croit, sur la base des documents qu’il pouvait consulter, le trouver en la personne ‎d’Amenhotep IV (devenu Akhanéton), époux de Néfertiti. Dans la plurimillénaire histoire de ‎l’ancienne Egypte, ce pharaon (désigné aussi sous le nom d’Aménophis IV) est connu comme ‎étant le seul qui a essayé de faire évoluer – de manière révolutionnaire – la pensée et les ‎croyances religieuses égyptiennes vers le monothéisme. ‎

Pour marquer sa volonté de rompre avec la culture religieuse païenne de son temps, il est ‎allé jusqu’à abandonner Thèbes pour une nouvelle capitale qu’il fit construire sur l’actuel ‎site de « al-Amarna » et à laquelle il donna le nom de « Akhétaton ». Plusieurs explications ‎ont été données à cette extraordinaire « réforme religieuse » que les successeurs ‎d’Amenhotep IV se sont empressés d’effacer des mémoires. Pour Bennabi, elle résultait de ‎ce qu’il était devenu in extremis croyant. ‎

Pour Sigmund Freud, Amenhotep IV n’a pas fondé une nouvelle religion : « Le jeune ‎souverain trouva un mouvement qu’il n’eut pas besoin de créer, mais auquel il put se ‎rallier ». Il nous renseigne sur ce qu’était ce nouveau culte : « Il (Amenhotep IV) n’adorait ‎pas le soleil en tant qu’objet matériel, mais en tant que symbole d’un être divin dont ‎l’énergie se manifestait par ses rayons. Il ajouta à la doctrine d’un dieu universel quelque ‎chose qui en fit le monothéisme, à savoir son caractère exclusif. Dans l’un de ses hymnes, il ‎est dit clairement : « Oh toi ! Dieu unique à côté de qui il n’en est point d’autre…. » (6). ‎

Freud nous apprend aussi que ce pharaon avait interdit sous peine de graves châtiments le ‎culte des dieux, l’adoration de Amon, la pratique de la magie, les mythes d’Osiris et du ‎royaume des morts…Le père de la psychanalyse estime enfin que Moïse, qui serait un ‎Egyptien et non un Hébreu, a trouvé les éléments de sa croyance dans la religion ‎d’Akhenaton et que l’Exode n’a eu lieu qu’après la mort de ce dernier (7).‎

Maurice Bucaille s’est intéressé à cette affaire dans « La Bible, le Coran et la science » (8) ‎avant de lui consacrer vingt ans plus tard un ouvrage complet où il prend le contre-pied de ‎Bennabi et de Freud. Il pense que Pharaon est mort noyé et que son corps fut effectivement ‎retrouvé conformément à la promesse de Dieu dans le Coran. C’est à son seul corps que ‎s’applique le « sauvetage » dont il est question. Et ce Pharaon serait Mineptah, fils et ‎successeur de Ramsès II. ‎

Les corps de tous les pharaons concernés par les évènements décrits dans les Ecritures ‎saintes ont été retrouvés à la fin du XIX° siècle dans la Nécropole de Thèbes, dans la Vallée ‎des Rois où ils ont été préservés pendant plus de 3000 ans. La chronologie des rois de ‎l’ancienne Egypte a établi que Aménophis IV n’était pas contemporain de Moïse. Ce dernier ‎a eu affaire à Ramsès II avant son exil en pays madianite, puis à Mineptah qui serait le ‎pharaon historique et réel de la traversée de la mer. Quant à Akhénaton, il serait mort un ‎demi-siècle au moins avant la naissance de Moïse. ‎

La thèse soutenue par Bennabi rejoint celle de la tradition juive qui situe l’Exode à l’époque ‎d’Amenhotep IV, mais s’en éloigne quand cette dernière affirme que la ‎‎« révolution religieuse de celui-ci ne doit rien à Moïse puisqu’elle lui est antérieure. André ‎Neher écrit : « C’est surtout l’extraordinaire aventure spirituelle d’Amenhotep IV que l’on ‎met en rapport avec celle de Moïse… Il devient Ikhénaton (le fils d’Aton), et sa capitale ‎Ikhoutaton. C’est, du moins dans toute l’Antiquité, en dehors d’Israël, l’unique instant de ‎monothéisme (9)». Elle est en tout cas conforme à l’exégèse biblique de 1768 qui présente ‎Aménophis IV comme étant le pharaon de l’Exode. ‎

Avant sa publication « Le phénomène coranique » a été, comme on le sait, soumis au cheikh ‎Mohamed Draz de l’université islamique d’al-Azhar pour qu’il en rédige la préface. Dans ‎celle-ci, le alem égyptien n’a pas manqué d’attirer l’attention du lecteur sur quelques points ‎sur lesquels il était en désaccord avec Bennabi, mais ni lui, ni davantage son compatriote ‎Abdessabour Chahine qui a traduit l’ouvrage en arabe, ne se sont arrêtés à cette question ‎qui n’aurait pas dû échapper à des hommes versés dans la connaissance du Coran et à des ‎Egyptiens plus compétents que d’autres dans la connaissance de leur histoire. ‎

Bennabi s’est également livré dans « Le phénomène coranique » à un rapprochement entre ‎le contenu de certains versets coraniques et les ultimes connaissances mises à jour par le ‎progrès scientifique. Il n’en a pas fait cependant une spécialité même s’il a eu l’intention ‎d’écrire un livre intitulé « Sur les traces de la pensée scientifique de l’islam ». Pour lui, il ‎importe peu que le caractère divin du Coran soit corroboré par des découvertes ‎scientifiques. ‎

Au contraire, il redoute que les musulmans ne tombent dans un autre travers, le « goût du ‎merveilleux » et l’orgueil puéril. Il écrira à ce sujet trente ans plus tard dans « L’œuvre des ‎orientalistes et leur influence sur la pensée musulmane moderne» (10) qu’il faut ‎regardercomme un prolongement de l’introduction du « Phénomène coranique » : «Il ne ‎s’agit pas de se demander si le Coran contient une allusion plus ou moins claire à telle ‎découverte, mais de se demander si le Coran peut créer dans une société le climat favorable ‎au développement de la science, et s’il déclenche dans sa psychologie les mécanismes ‎nécessaires à l’acquisition et à la transmission de la connaissance. C’est là le problème de la ‎science non pas d’un point de vue épistémologique, mais d’un point de vue psycho-‎sociologique. Il suffirait d’ailleurs pour justifier la pensée islamique du premier point de vue ‎d’évoquer à son actif deux inventions sans lesquelles tout le progrès technologique du XX° ‎siècle serait inconcevable. En effet, le progrès technologique qui culmine aujourd’hui dans le ‎chapitre de la physique nucléaire pourrait-il se concevoir sans des méthodes de calcul ultra-‎rapides qui n’ont été possibles qu’avec la mise au point préalable d’un système numérique ‎approprié ? Seul le système décimal qui permet d’écrire une constante comme le nombre ‎d’Avogadro avec neuf chiffres seulement pouvait le permettre. Or, cette mise au point ‎préalable essentielle a été faite par la civilisation musulmane, c’est-à-dire d’une façon plus ‎précise dans le climat intellectuel formé par la notion coranique. De même, sans la ‎contribution de l’algèbre dont le nom même est arabe et qui a permis au calcul de passer du ‎stade numérique à celui de la mathématique pure, le progrès n’eut été possible dans aucun ‎domaine des sciences exactes. Or, c’est dans le climat créé par la notion coranique que ‎l’algèbre a vu le jour… Il est superfétatoire d’ajouter que le Coran n’a apporté dans ses ‎versets ni le système numérique décimal, ni l’idée du calcul algébrique. Il a apporté quelque ‎chose de plus important : le climat moral et intellectuel dans lequel a pris naissance une ‎attitude nouvelle à l’égard de la science ».‎

On peut ajouter, pour répondre à la question sur le « climat favorable au développement de ‎la science », c’est-à-dire sur la liberté de pensée en milieu musulman, qu’Ibn Khaldoun a pu ‎en toute tranquillité écrire dans sa célèbre somme, cinq siècles avant la publication de ‎‎« L’origine des espèces » de Charles Darwin, que l’homme descendait du singe sans être ‎l’objet de la moindre persécution. ‎

Voici ce qu’il a écrit : « Que l’on contemple l’univers de la Création ! Il part du règne minéral ‎et monte progressivement, de manière admirable, au règne végétal, puis animal. Le dernier ‎‎« plan » (ufuq) minéral est relié au premier plan végétal : herbes et plantes sans semence. ‎Le dernier plan végétal –palmiers et vignes- est relié au premier plan animal, celui des ‎limaces et des coquillages, qui n’ont d’autre sens que le toucher. Le mot relation ( ittiçâl) ‎signifie que le dernier plan de chaque règne est prêt à devenir le premier du règne suivant. ‎Le règne animal (âlam al-hayawan) se développe alors, ses espèces augmentent et, dans le ‎progrès graduel de la création (tadarruj attakwin), il se termine par l’homme, doué de ‎pensée et de réflexion. Le plan humain est atteint à partir du monde des singes (qirada), où ‎se rencontrent sagacité et perception, mais qui n’est pas encore arrivé au stade de la ‎réflexion et de la pensée. A ce point de vue, le premier niveau humain vient après le monde ‎des singes : notre observation s’arrête là » (11). ‎

Cette thèse évolutionniste ébauchée pour la première fois par un penseur musulman aura ‎longtemps rang de dernier mot de la recherche avant d’être remise en cause à partir de ‎données pluridisciplinaires. ‎

Vers la fin de sa vie, Bennabi reviendra sur la question de l’influence de l’orientalisme, non ‎pour ressasser des idées déjà exposées, mais pour attirer l’attention sur une autre tendance ‎de celui-ci, la tendance apologétique qui par son objet -flatter leur orgueil- génère dans ‎l’esprit des musulmans une sorte d’anesthésie au moment où celui-ci a besoin d’être stimulé ‎pour faire face aux défis du développement : ‎
‎«Un des faits les plus symptomatiques de l’évolution d’une société, c’est le sens de ses idées ‎directrices. Ce sens peut être vers l’avant, vers l’avenir, ou, au contraire, vers l’arrière : un ‎sens rétrograde, tourné d’une façon morbide vers le passé… La littérature orientaliste a été ‎sous sa double forme néfaste à la société musulmane et inhibitrice de son développement ‎intellectuel…Elle a fait de nous les avocats d’une société post-almohadienne décadente, ‎alors que nous devions être au contraire ses critiques les plus fermes et les plus ‎clairvoyants…Sous sa forme polémique, elle nous a éloignés de nos vrais problèmes, nous ‎absorbant dans le débat de pseudo-problèmes. Sous sa forme apologétique, elle nous a ‎éloignés des sujets de réflexion du présent en nous plongeant dans les délices du passé…Elle ‎a coulé dans la personnalité du musulman le goût du merveilleux au lieu du sens de ‎l’efficacité…En parlant à un malheureux qui ne trouve pas son pain quotidien de l’opulence ‎dans laquelle vivaient ses aïeux, on peut lui apporter un oubli passager de ses souffrances ‎par une sorte d’anesthésie momentanée de sa réflexion et de sa conscience. On ne guérit ‎pas ses souffrances. De même, on ne remédie pas aux misères d’une société en lui contant ‎les splendeurs de son passé. Les conteurs qui ont conté aux générations musulmanes des ‎siècles post- almohadiens les merveilles des « Mille et une nuits » – ce chef d’œuvre de notre ‎décadence- ont versé sans doute dans ces veillées un peu d’oubli dans l’esprit de leurs ‎auditoires qui s’endormaient en fermant les yeux sur la vision enchanteresse d’un passé ‎fastueux. Mais, le lendemain matin, ces auditoires rouvraient les yeux sur les dures réalités ‎d’une condition présente peu enviable » (12).‎
‎« Le phénomène coranique » est l’œuvre d’un savant. Tel un chercheur dans un laboratoire, ‎l’auteur entre dans les méandres du Coran, procède à des prises d’échantillons et va les ‎déposer sous l’œil du microscope. Il en sort non pas avec une satisfaction béate, mais avec ‎une conclusion générale qui s’étend à l’ensemble des aspects de la vie historique : « Le ‎Coran brosse un tableau saisissant du drame perpétuel des civilisations sur lequel il nous ‎invite à nous pencher ». ‎
Un tel travail a requis un esprit scientifique nourri des plus récentes acquisitions, des ‎connaissances étendues à tous les domaines de la science et une information complète sur ‎les religions. Il a pourtant été écrit dans un camp de concentration par un homme qui risque ‎d’être passé par les armes si les accusations qui pèsent sur lui viennent à être prouvées, et ‎qui, au lieu d’être préoccupé par son sort, est habité par la pensée d’apporter aux croyants ‎de toutes les confessions le réconfort de la certitude rationnelle. ‎
Il faut signaler peut-être qu’avant de rédiger « Le phénomène coranique », Bennabi a connu ‎une période de doute dont il fait état lui-même. En effet, il évoque à la fin de son livre cet ‎embarras et « les préjugés de l’intellectuel, parfois déconcerté par l’ordre imprévu des idées ‎‎(formulées dans le Coran) et par leur nature parfois surprenante ». Mais à mesure qu’il ‎multipliait ses lectures du Coran, il en découvrait l’ordre, l’architecture et la nature « qui ne ‎sont pas ceux d’une encyclopédie de faits scientifiques, ni d’un livre didactique consacré à ‎une discipline particulière ». Le Coran, le Prophète et la Sunna lui sont alors apparus comme ‎portant en eux-mêmes les preuves rationnelles de leur authenticité. ‎
C’est ainsi que ses préjugés cédèrent et qu’il put concevoir ce livre que l’on peut considérer ‎comme le fruit d’une coopération entre les trois religions du Livre puisque c’est un ‎musulman qui l’a pensé, un chrétien qui en a sauvé le manuscrit, et un juif qui en a assuré la ‎dactylographie. ‎
Bennabi s’est réalisé intellectuellement en réalisant cet ouvrage. Il s’est libéré ‎définitivement d’une confusion : le problème n’est pas dans l’islam mais dans la manière ‎dont les musulmans l’ont compris et vécu. C’est en se libérant de ce travail qu’il est passé du ‎religieux au psychologique, du théologique au sociologique, et de la métaphysique à la ‎philosophie de l’histoire. ‎

A sa sortie des presses des Editions En-Nahda, le professeur Mahdad (1896-1984), sénateur ‎de l’UDMA, fait une présentation élogieuse de l’ouvrage : « Le livre de M. Bennabi, outre ‎qu’il pose et résout le problème de la foi d’une manière magistrale, est appelé par ses ‎répercussions psychologiques et sociales à un retentissement considérable… En saluant « Le ‎phénomène coranique » comme point de départ d’un renouveau religieux nécessaire dans ‎ce pays, nous souhaitons de tout cœur qu’il soit aussi le premier monument de la pensée ‎algérienne rénovée au contact de l’Occident » (Egalité du 10 avril 1947). ‎

Cet hebdomadaire, organe de l’UDMA, deviendra à partir de février 1948 « La République ‎algérienne ». Bennabi en est ému : « Je me rappelle avoir eu des larmes aux yeux quand je ‎lus son article qui me vengeait de tant de souffrances ». La presse de l’Association des ‎Oulamas ne signale même pas sa parution. ‎

Il part en tournée pour promouvoir son livre et anime une conférence à Mostaganem où les ‎militants du PPA bloquent sa distribution dans la ville. A Tlemcen, ce sont ceux de l’UDMA ‎qui en obstruent la diffusion. C’est dans ce contexte qu’il fait la connaissance d’un ‎communiste algérien, Bouchama, qui veut le rallier à un projet politique destiné à dépasser ‎les rivalités qui opposent l’UDMA, le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés ‎démocratiques, ex-PPA) et l’Association des Oulamas : créer un « Front National ». Salah Ben ‎Saï et Khaldi se joignent à eux et, ensemble, ils lancent un appel dans « Alger-républicain » ‎‎(13). Le projet n’aboutit pas mais l’idée sera reprise en juillet 1951 par les partis du ‎mouvement national (MTLD, UDMA, PCA, Oulamas) sous le nom de « Front algérien pour la ‎défense et le respect des libertés ». ‎

Bennabi écrit dans ses Mémoires inédits au sujet des divisions qui ont caractérisé le ‎mouvement national et qu’il impute à ce qu’il a appelé le partisme : « Pratiquement, le ‎partisme c’était la déchirure de l’unité du pays devant un front colonialiste homogène… Ben ‎Saï (Salah), Khaldi et moi, qui étions trois vases communicants, nous n’eûmes donc pas de ‎peine à comprendre la nécessité d’un Front National. Et nous fûmes d’accord avec ‎Bouchama pour lancer un appel… ». Un peu plus loin, il ajoute : « C’était sans aucun doute le ‎partisme qui inspirait aux Oulamas le silence le plus complet sur le « Phénomène ‎coranique » lequel, par son caractère religieux même, aurait dû faire l’objet d’une critique ‎dans leur journal… »‎

‎ (A ‎SUIVRE) ‎
NOTES :‎

‎1 Dans l’introduction à « La Bible, le Coran et la Science » (Ed. SNED, Alger, 1976) Maurice Bucaille fait état des ‎changements survenus dans l’attitude des plus hautes autorités ecclésiastiques envers l’islam au cours des ‎dernières décennies, et cite à l’appui un document officiel intitulé « Orientations pour un dialogue entre ‎chrétiens et musulmans » élaboré à la suite du concile de Vatican II qui invite les chrétiens à écarter « l’image ‎surannée héritée du passé ou défigurée par des préjugés et des calomnies » et à « reconnaître les injustices du ‎passé dont l’Occident d’éducation chrétienne s’est rendu coupable à l’égard des musulmans ». ‎
‎ ‎
‎2 Cf. « L’homme d’où vient-il ? », Ed. Seghers, Paris 1981.‎

‎3 « Le Coran : sortir du cercle ? », avril 2003. Le titre allemand du livre est : « Die Syro-aramaïsche lesart des ‎Koran. Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache ».‎

‎4 L’universitaire et orientaliste française Eva de Vitray-Meyerovitch s’est convertie à l’islam en 1955. A l’époque ‎elle dirigeait le service des sciences humaines du CNRS. Elle dit à propos de sa conversion : « L’islam répondait ‎pour moi à un souci d’universalisme. Je ne pouvais imaginer que Dieu se révèle d’une manière privilégiée soit à un ‎peuple élu (judaïsme), soit à une Eglise (christianisme). Dieu étant par essence la Vérité, ne pouvait se révéler de ‎différentes manières : celle-ci ne pouvait être qu’unique à mes yeux… La grande idée de l’islam c’est qu’il se veut le ‎rappel de ce qu’a d’essentiel la révélation abrahamique… J’ai longuement réfléchi avant de me décider. Je voulais ‎être sûre de moi. Avant de faire ma déclaration de foi musulmane, j’ai fait trois ans d’études théologiques ‎chrétiennes afin d’être certaine que je ne rejoignais pas l’islam par méconnaissance du christianisme… Pour moi, ‎l’islam est le commun dénominateur de toutes les autres religions ». Cf. « Les nouveaux convertis », op. Cité. Le ‎‎17 décembre 2005, le « Collectif Hamidullah» a rendu à Paris un hommage à Malek Bennabi, Eva de Vitray-‎Meyerovitch et Mohamad Hamidullah. Nour-Eddine Boukrouh était parmi les communiquants.‎

‎5 Les versets coraniques relatifs à ce sujet sont les suivants : ‎
a- « Nous avons fait traverser la mer aux fils d’Israël. Pharaon et ses armées les poursuivirent avec acharnement et ‎hostilité, jusqu’à ce que Pharaon, sur le point d’être englouti, dit : « Oui, je crois : il n’y a de dieu que celui en qui ‎les fils d’Israël croient ; je suis du nombre de ceux qui lui sont soumis ». Dieu dit : « Tu en es là, maintenant, alors ‎que précédemment tu étais rebelle et que tu étais au nombre des corrupteurs. Mais aujourd’hui, nous allons te ‎sauver en ton corps afin que tu deviennes un signe pour ceux qui viendront après toi. » (10, 90-92).‎
b- « Pharaon les poursuivit avec ses armées ; le flot les submergea. Pharaon avait égaré son peuple, il ne l’avait ‎pas dirigé ». (20, 78). ‎
c- « Le jour de la Résurrection, il (Pharaon) marchera en tête de son peuple et il le conduira au feu comme on ‎conduit un troupeau à l’abreuvoir. » (11, 98). ‎
‎ ‎
‎6 C’est littéralement la traduction du premier membre de la « chahada » islamique (attestation de foi) : « La ‎Ilaha illa-l-lâh… ». ‎

‎7 Cf. “Moïse et le monothéisme”, Ed. Gallimard, Paris 1948.‎
‎ ‎
‎8 Op.cité. ‎

‎9 « Moïse et la vocation juive », Ed. du Seuil, Paris 1957. ‎

‎10 Ed. Révolution africaine, Alger 1968.‎

‎11 Ibn Khaldoun : « Al-Muqaddima » (Discours sur l’Histoire Universelle), Trad. Vincent Monteil, Ed.UNESCO, ‎Beyrouth 1968.‎

‎12 Cf. « L’œuvre des orientalistes et son influence sur la pensée musulmane », op.cité. ‎

‎13 Le seul « Appel » pour la création d’un « Front national démocratique algérien » consigné par l’histoire est ‎celui lancé le 21 juillet 1946 au nom du Comité central du Parti communiste algérien. Il s’adresse aux « Algériens ‎de toutes origines, communauté (qui) constitue la base de la nation algérienne en formation, riche des apports de ‎tous ses enfants, dans la diversité de leurs origines et le mélange heureux des civilisations orientales et ‎occidentales ». Pour bâtir cette « Algérie nouvelle », l’Appel demande « la création immédiate d’une Assemblée ‎et d’un gouvernement algériens, la suppression du gouvernement général et de son administration coloniale, la ‎préparation de la voie à une république démocratique fédérée à la France », et s’achève sur une exhortation à ‎l’union au sein du FNDA des formations politiques existantes (PPA, Communistes, Oulamas, partisans de l’UDMA, ‎les socialistes et tous les Algériens progressistes, sans distinction de race, de langue, ni de religion » (cf. C. Collot et ‎J.R Henry : « Le mouvement national algérien par les textes, 1919-1954», Ed. OPU, Alger 1981). ‎

Dans son livre « Le problème algérien devant la conscience démocratique » Khaldi écrit, parlant du Parti ‎communiste algérien : « Il préconise la création d’un Front National. Nous avons soutenu cette idée en janvier ‎‎1946 et nous avons rencontré des difficultés auprès des communistes ». ‎

Dans sa « Note sur la vie de Malek Bennabi », Salah Bensai confirme ce qui est rapporté par Bennabi, écrivant : ‎‎« 1947. Les partis politiques nationaux continuent leurs « politicailleries » et leurs petites luttes stériles. Face aux ‎tenants du colonialisme qui se regroupent, la nécessité de la constitution d’un Front national s’impose et, avec ‎Bouchama, Khaldi, Bennabi, Ben Saï, Sassi Rabah et quelques autres amis, un « Manifeste pour la constitution ‎d’un Front national Algérien » est lancé dans Alger-Républicain. Ce Front National, qui prélude au FLN, est torpillé ‎par les messalistes et leur chef de retour d’exil. » ‎

A noter que l’on trouve dans la « Proclamation du 1er Novembre 1954 » le terme « politicailleurs ». S’agissant ‎de Bouchama, il doit s’agir de Abderrahmane Bouchama qui appartenait au Parti communiste algérien et qui a ‎joué un rôle important dans la réunion du Congrès Musulman Algérien. Il était très proche de Bachir al-Ibrahimi ‎qui animait à Tlemcen la mosquée-medersa « Dar al-Hadith » et dont il suivait souvent les cours (Cf. A.Hellal, ‎op.cité). ‎

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