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LA VIE DE MALEK BENNABI (12)‎

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L’idée de réunir en Congrès les forces politiques composant le mouvement national algérien ‎est venue de Ben Badis qui l’a lancée le 03 janvier 1936 dans un article publié par « La ‎Défense ». Dans son esprit il s’agissait, dans la foulée de la montée en puissance des forces ‎de gauche réunies dans le Front Populaire, de préparer un statut plus favorable aux ‎Algériens. L’idée prend forme le 16 mai 1936 lorsque la Fédération des élus et l’Association ‎des oulamas publient un « Appel aux musulmans algériens » pour la tenue d’un Congrès. ‎

La Charte adoptée à l’issue d la réunion du Congrès demande la suppression de toutes les ‎lois d’exception, la suppression du gouvernement général, des communes mixtes et des ‎délégations financières, le rattachement des départements algériens à la France, le ‎maintien du statut personnel musulman, la liberté d’enseignement pour la langue arabe, ‎l’instruction obligatoire pour les enfants des deux sexes, l’égalité en droits et devoirs avec ‎les Français, un collège commun pour les élections au suffrage universel, la représentation ‎au Parlement, et l’envoi d’une délégation du Congrès à Paris pour remettre à Léon Blum, ‎président du Conseil, la charte issue des résolutions du Congrès. ‎

Au retour de la délégation de Paris, le Congrès se réunit de nouveau le 02 août 1936 à Alger ‎pour entendre le compte-rendu des entretiens de Paris. Le rassemblement regroupe dix ‎mille personnes au stade de Saint-Eugène (Bologhine). C’est alors que, sans avoir été invité, ‎Messali Hadj fait une entrée spectaculaire dans le stade et demande à prendre la parole. ‎Dans son discours, il proclame le soutien de son organisation aux revendications présentées ‎mais surenchérit : il exige l’indépendance totale et immédiate de l’Algérie ! ‎

Le gouvernement du Front Populaire prendra en compte la Charte du Congrès des forces ‎politiques algériennes et élaborera sur cette base un projet de loi qui restera dans l’histoire ‎sous le nom de « Projet Blum-Viollette », mais qui ne sera pas examiné par le parlement ‎français en raison de la forte opposition des colons en Algérie (1).‎

Sur ces entrefaites, Bennabi apprend que cheikh al-Okbi a été arrêté à la suite de ‎l’assassinat du muphti d’Alger, cheikh Mohamed Bendali Kahoul, opposé aux Oulamas. Il lui ‎envoie une lettre de soutien (2). Le président de la Fédération des élus se désolidarise de ‎Tayeb al-Okbi et proclame que son organisation n’a plus rien à faire avec l’Association des ‎Oulamas dont les « mains étaient tâchées de sang ».‎

Il s’agit de toute évidence d’un complot ourdi pour casser le Congrès Musulman Algérien, ‎première tentative de rassemblement des forces politiques algériennes pour contrer le ‎colonialisme. Le même Bendjelloul déclare à un journal français : « Sans la France, je ne ‎serais qu’un « semmèche» (désoeuvré).» ‎

Après cette affaire, Tayeb al-Okbi ne va pas tarder à se dissocier de ses pairs au sein de ‎l’Association des oulamas algériens et à prendre de plus en plus ouvertement des positions ‎favorables à l’administration. Il se retire de l’Association en 1938. A la mort de Ben Badis, le ‎Gouvernement général s’efforcera de l’imposer à la tête de l’Association des oulamas mais ‎en vain. C’est Bachir al-Ibrahimi qui sera élu alors même qu’il était en résidence surveillée à ‎Aflou. ‎

La fin de l’année scolaire venue, Bennabi rend visite au directeur de l’ESME et apprend à son ‎immense surprise qu’il n’a pas satisfait à toutes les conditions pour obtenir son diplôme. Il a ‎été pourtant un des meilleurs de la promotion. Ses condisciples s’en étonnent, la terre ‎s’entrouvre sous ses pieds, sa raison chavire, l’homme est touché, brisé une nouvelle fois par ‎le « sort ». ‎

Quelques jours plus tôt il se sentait si bien, il était tellement sûr de lui qu’il voyait la vie ‎ouvrir devant lui de larges boulevards. Certes, elle l’avait bien éprouvé cette chienne de vie, ‎elle l’avait tant de fois malmené lui qui, jusque-là, n’avait vécu que très chichement dans des ‎réduits en guise d’habitation, mais qui avait toujours gardé confiance en Dieu, en ses ‎capacités personnelles et en l’avenir.‎

Il confie à ses Mémoires inédits : « Je prenais peu à peu conscience de moi-même. J’étais à ‎ce tournant de la vie où j’allais bientôt m’engager avec mon titre d’ingénieur et avec ma ‎plume dont je venais de découvrir la valeur. J’eus le sentiment que j’allais suivre une voie ‎royale. J’en eu même la vision : une voie large, bordée de fleurs, de triomphes et de gloire ! ‎De la profondeur de mon être, quelque chose monta. Ma conscience ne le réalisa pas ‎clairement d’abord. Puis soudain un sanglot m’étrangla la gorge : « Mon Dieu, Mon Dieu, je ‎ne veux pas de ma part ici-bas… » balbutiai-je, alors que Khadidja respirait tranquillement à ‎côté de moi. Cette scène est maintenant derrière moi. Depuis ce matin-là, sous un toit ‎parisien, je n’ai pas parcouru une voie royale, mais un sentier jonché de ronces. Je le ‎constate avec le recul de trente années. » ‎

Cette année 1936 était à marquer d’une pierre blanche. Elle a été, de son propre aveu, l’une ‎des plus mauvaises de son existence. Il savait qu’il ne devait pas ses malheurs à la ‎malchance ou au mauvais sort, qu’il n’était pas confronté à l’infortune, mais à une adversité ‎préméditée et organisée, qu’il luttait contre un arbitraire et une injustice qui avaient pour ‎noms le colonialisme et la « lutte idéologique ». Derrière la « toile d’araignée » qui tissait ‎ses fils autour de lui, il devinait l’ombre de Massignon. ‎

Un jour, il rédige une lettre que sa femme va déposer à l’ambassade d’Italie. Croyant ‎pouvoir tirer profit de la rivalité entre la politique française et la politique italienne sur la ‎scène internationale, il lui était venu à l’idée d’émigrer en Italie. La réponse vient, négative. ‎Il songe alors à l’Afghanistan, le pays de Djamel-Eddin al-Afghani d’où est partie au siècle ‎dernier l’idée de Nahda. Il est reçu à l’ambassade, mais aucune suite n’est donnée à sa ‎demande. Il se rabat sur l’ambassade d’Albanie. L’Ambassadeur en personne le reçoit, ‎intéressé par ses projets et lui délivre un visa. ‎

Bennabi prend le train qui doit le conduire au port italien d’où il doit prendre le bateau pour ‎Tirana. Il traîne deux lourdes valises chargées de livres : c’est son capital scientifique. Le jour ‎de l’embarquement, et alors qu’il prend son café matinal à une terrasse, une dame ‎l’approche et lui demande s’il parle français. Lui ayant répondu par l’affirmative, elle se ‎lance alors dans une histoire selon laquelle elle venait tout juste de rentrer de Tirana qu’elle ‎lui dépeint comme une ville livrée au chômage et à la famine. Bennabi en est étonné mais il ‎accorde innocemment crédit à ce qu’elle lui dit. Le doute s’étant quand même insinué en lui, ‎il va au consulat de France pour s’informer sur la situation en Albanie On lui recommande ‎de ne pas s’y rendre et c’est ainsi qu’il rebrousse chemin. ‎

On dirait que le « destin » s’obstinait à l’empêcher de quitter la France et sa colonie ‎algérienne, lui qui était sûr de pouvoir entreprendre quelque chose d’important dans le ‎domaine des affaires. Mais que serait-il devenu si ses projets d’émigration s’étaient ‎réalisés ? Un grand commerçant, un industriel comme le deviendra son ami Salah Ben Saï, ‎un cadre technique dans une entreprise ? Il a tour à tour rêvé de Tombouctou, du Rif, du ‎Soudan, de l’Arabie saoudite, de l’Egypte, de l’Afghanistan, de l’Albanie, mais c’est ‎finalement en Algérie et en France qu’il passera l’essentiel de sa vie, excepté les sept années ‎de la Révolution qu’il passera en Egypte. ‎

Devant tant de déconvenues une idée terrible lui traverse l’esprit pour la première fois, se ‎suicider : « J’étais comme la bête féroce qui, dans sa fureur de se sentir dans une cage, se ‎cogne la tête contre des barreaux de fer » écrit-il dans ses Mémoires inédits. Il ne désarme ‎pas pour autant et va demander à l’ambassade d’Arabie saoudite un visa. Il explique qu’il ‎projette d’y fonder une école technique préparatoire. Il ne l’obtient pas. ‎

En ces jours sombres où aucune perspective ne s’ouvre devant lui, il partage son temps entre ‎le village de Luat-Clairet et le Quartier latin. Salah Ben Saï est au chômage après son retour ‎de Guyanne ; Hamouda sombre dans la neurasthénie ; Bennabi lit « la Comédie Humaine » ; ‎Fodil al-Ouartilani (3) est nommé représentant de l’Association des Oulamas à Paris au ‎grand dam de notre héros qui estime que ce poste qu’il a maintes fois convoité aurait dû lui ‎revenir.‎

Un groupe de oulémas égyptiens d’al-Azhar arrive à Paris pour compléter leur formation à ‎la Sorbonne. Bennabi et Hamouda Ben Saï font leur connaissance et se lient en particulier ‎avec cheikh Draz qui préfacera le premier livre que publiera Bennabi une dizaine d’années ‎plus tard, « Le phénomène coranique » (1947). Bennabi leur donne des cours de français et ‎compte sur leur appui pour obtenir les visas tant brigués. ‎

Il visite une exposition sur les nouvelles inventions avec une idée derrière la tête : remplacer ‎la bougie des moteurs d’automobiles, qui ne durait que deux à trois mois, par une bougie qui ‎durerait autant que le moteur, mais il ne trouve pas preneur à son idée.‎

La presse internationale fait ses choux gras de l’histoire de ce prince de Galles, héritier de la ‎couronne britannique, qui veut épouser une femme divorcée, Miss Simpson. L’Angleterre en ‎est émue, l’Archevêque de Canterburry s’indigne et condamne : le prince héritier doit ‎renoncer soit au mariage, soit à la succession. L’intéressé préférera la femme à la couronne. ‎Voilà un autre exilé ! ‎

Bennabi s’épuise à chercher un travail qu’il ne trouve pas. Il écrit partout, postule aux ‎emplois les plus humbles, les plus bas de l’échelle sociale : ouvrier, manœuvre, veilleur de ‎nuit… sans succès. Partout, c’est le refus. Une fois, il faillit tromper la vigilance de ‎‎« l’Araignée » : un camarade de promotion français devenu directeur dans une usine ‎d’électricité de la région parisienne le reçoit avec considération et lui propose un poste de ‎chef de service. Mais quand il se présente à l’usine pour prendre ses fonctions, il apprend ‎que le poste n’est plus libre. ‎

Il se rappelle d’un chanoine connu naguère à Tébessa et s’ouvre à lui sur ses difficultés à ‎trouver du travail. Compatissant, ce dernier lui promet qu’il va immédiatement écrire à un ‎monsieur fort influent à Paris qui lui trouverait certainement quelque chose à sa mesure. ‎Effectivement, Bennabi reçoit quelques jours plus tard une lettre de… Louis Massignon qui ‎lui demande de passer le voir. Au cours de la rencontre, celui-ci ne lui parle pas de travail, ‎mais l’interroge sur les circonstances dans lesquelles il a connu « ce » chanoine. ‎

A l’issue de l’entretien, Bennabi sort avec la certitude définitive que son destin était scellé. Il ‎confie à ses Mémoires inédits ces lignes effrayantes : « L’expérience me valut une double ‎certitude, à savoir que j’allais trouver Massignon toujours devant moi et, d’autre part, que la ‎conscience chrétienne n’est pas libre de ses déterminations puisque le chanoine ne pouvait ‎pas agir –bien qu’il l’eût bien souhaité, j’en suis sûr – comme il l’eût voulu, pour moi, sans ‎passer par le système centralisateur des « Affaires musulmanes ». Il était évident que ‎Massignon était à un poste-clef de ce système. Plus tard, j’aurai toutes les preuves, que ‎fournit une longue expérience, que Massignon était toujours en liaison constante à la fois ‎avec le deuxième bureau et l’organisation cléricale (4).‎
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L’ancien ministre libanais et disciple de Bennabi, Omar Kamel Meskawi, m’a remis en juillet ‎‎2003 à Beyrouth un jeu de documents en rapport avec cet épisode. Il s’agit : ‎

‎1) D’une lettre non signée à Massignon datée du 07 octobre 1936 sur papier entête de ‎‎« L’Action sociale de Seine-Et-Oise » où il est écrit : « Monsieur le Professeur, vous avez bien ‎voulu répondre à ma demande en faveur d’un jeune islamiste en me priant de vous donner ‎des explications complémentaires. J’ai l’honneur de vous transmettre aujourd’hui les ‎renseignements qui m’ont été envoyés par l’intéressé lui-même. Il manque à ces ‎renseignements une appréciation sur le passé et la valeur de ce garçon. Je dois vous dire ‎que je ne le connais pas personnellement, il m’a été recommandé par Mr le chanoine ‎Bruneteau, professeur de philosophie à l’Oratoire… »‎

‎2) D’une lettre manuscrite signée « C. Bruneteau », adressée à Massignon et où on peut ‎lire : « Je puis vous assurer de sa parfaite honorabilité et de son esprit religieux très sincère. ‎A défaut de l’emploi désigné dans la feuille ci-jointe, il se contenterait d’un emploi non ‎spécialisé dans une banque ou une maison commerciale ou d’édition. J’ai eu le grand plaisir, ‎Monsieur, de vous entendre à la Semaine Sociale de Versailles. Je me rappelle avec quelle ‎générosité vous avez plaidé la cause de nos frères musulmans. Je compte sur cette ‎générosité pour tirer de peine Mr Bennabi dont je vous redis l’adresse : 36 rue du Cdt ‎Beaurepaire, Dreux, Eure-Et-Loire. »‎

‎3) D’un feuillet manuscrit sur lequel Bennabi a noté à la main les informations qui lui ont été ‎demandées et où on peut lire : « Nom : Bennabi ; Prénom : Malek ; Age : 31 ans (né à ‎Constantine le 1er janvier 1905). Lieu d’origine : le domicile de ma famille est à Tébessa, Dpt. ‎de Constantine. Etudes : certificat d’études primaires, brevet de langue arabe, certificat des ‎medersas, ancien élève de l’Ecole spéciale de mécanique et d’électricité, « adel » à Aflou, ‎Ch. du Rhumel (1927-28). Emplois : manipulateur dans un laboratoire de mesures ‎électriques ou d’essais de matériaux, aide-technicien dans une plateforme d’essais de ‎machines électriques, emploi quelconque dans une industrie électronique comme ‎fabrication d’accumulateurs, de lampes. » ‎

‎4) D’une lettre de Bennabi datée du 13 octobre 1936 adressée à « Monsieur le Professeur ‎Massignon, Paris » où on peut lire : « Par une lettre reçue aujourd’hui, Monseigneur le ‎chanoine E. Bruneteau que j’ai eu l’honneur de connaître en Algérie m’informe qu’il vous a ‎intéressé à mon cas. Comme j’ai eu déjà l’avantage de vous rencontrer à Paris à diverses ‎reprises, j’ai bon espoir que vous voudriez bien, Monsieur le Professeur, accorder à mon cas ‎le maximum de bienveillance. Comme je l’ai déjà exposé à Monseigneur le chanoine, mon ‎désir est de me fixer définitivement en France où, en plus d’une ambiance morale qui m’est ‎nécessaire, je me suis créé par le mariage de nouveaux liens de famille… Quand vous ‎jugeriez inutile de garder mon certificat de fin d’études, je vous serais reconnaissant, ‎Monsieur le Professeur, de me le retourner afin que de mon côté je tente quelque chose. ‎و ‏الله المستعان ‏‎»‎

‎5) D’une lettre de Bennabi à « Monsieur le Professeur Massignon, Paris » datée du 18 ‎octobre 1936 où il écrit : « Je dois être à Paris dans le courant de la semaine prochaine. J’en ‎profiterai pour l’entretien que vous voulez bien m’accorder. Si cela ne vous dérange pas, ce ‎sera pour mercredi prochain. Dans ce cas, il est entendu que je vous préviendrai par ‎téléphone. »‎

Bennabi se remet à chercher du travail, mais sans résultat. Il se rend à l’ESME pour retirer ‎son certificat de fin d’études. Le directeur l’aperçoit et le hèle. Il lui propose de se présenter ‎à un concours organisé par la section technique de l’Artillerie. Son inscription acceptée, il ‎passe le concours avec brio et est admis premier à l’écrit. Il passe l’oral le soir même. Deux ‎semaines après, il reçoit un courrier l’avisant qu’il n’a pas été retenu. ‎

Il note dans ses Mémoires inédits : « Je n’étais pas l’esprit qui ne tire pas une conclusion ‎pratique de ses expériences. J’ai toujours été systématique. Et une conclusion s’imposa à ‎mon esprit, forte de nombreuses épreuves… Je concluais donc que l’organisation française ‎ne tolère pas qu’un « Indigène » ait eu une formation technique. Et si un téméraire avisé en ‎a obtenu une, on se chargera de la lui faire perdre par tous les moyens. Voilà ce que je ‎concluais innocemment en renonçant déjà au fond de moi-même à toute carrière ‎d’ingénieur. Mais j’allais bien vite me rendre compte que l’objectif de Massignon était bien ‎plus vaste, plus radical que je ne pensais…Le but de Massignon n’était pas de m’empêcher ‎seulement de garder ma formation d’ingénieur, mais de m’empêcher de vivre tout ‎simplement. » ‎

Il écrit au Parquet d’Alger pour postuler à la fonction d’« oukil » (auxiliaire de justice) à Sidi ‎Bel-Abbès où il a entendu dire qu’on cherchait un candidat. La réponse vient en février 1937 ‎portée par un policier, un gros dossier sous le bras. Après s’être assuré de son identité, ‎l’agent lui exhibe les conclusions de l’enquête administrative ouverte à son sujet, basées sur ‎un rapport du cadi de Sidi Bel-Abbès où il est dit notamment : « Le nommé Bennabi est ‎réputé à Sidi Bel-Abbès comme un conseiller technique et membre très influent de l’Etoile ‎Nord-Africaine et qu’en conséquence sa présence est indésirable dans la ville ». ‎

Or Bennabi n’a jamais mis les pieds dans cette ville de l’Ouest algérien. Il tente une ‎démarche auprès du maire de Dreux qui se trouve être Maurice Viollette, ancien ‎gouverneur général de l’Algérie et ministre d’Etat dans le gouvernement du Front Populaire. ‎C’est pour qu’il l’aide à trouver une place dans une entreprise de travaux routiers qui ‎cherchait par voie de presse des candidats pour la Tunisie. Viollette appuie la demande, ‎mais celle-ci ne donne rien. ‎

Bennabi saisit le Sous-Secrétaire d’Etat à l’Enseignement Technique pour être autorisé à ‎ouvrir à Constantine une école technique préparatoire. Il ne reçoit pas de réponse. Chez lui, ‎on ne mange plus que du pain sec. N’ayant plus de vêtements décents à mettre, c’est sa ‎femme qui lui coud chemises et tricots. Il est conscient de ce qui lui arrive, en connaît la ‎nature et l’origine : « l’Araignée », c’est-à-dire Massignon, le « psychological-service », ‎l’administration coloniale, la « lutte idéologique », l’une ou l’autre ou toutes ensemble, ‎parce que ne faisant qu’une seule et même chose. ‎
‎ (A ‎SUIVRE) ‎
‎ ‎

NOTES : ‎

‎1 Il s’agit d’un texte de loi en six articles qui prévoyait essentiellement d’octroyer la nationalité française à l’élite ‎algérienne, soit à quelques milliers de personnes. ‎

‎2 Hamouda Ben Saï écrit de son côté : « En août 1936, après l’assassinat du muphti d’Alger et l’arrestation du ‎cheikh Tayeb al-Okbi, l’orateur en renom du « Cercle du progrès », Lamine Lamoudi engagea audacieusement ‎avec moi la lutte pour dénoncer le « complot » monté contre les oulémas. Des journalistes parisiens nous ‎écoutèrent (lui avec un rédacteur de « Paris-soir », moi avec un collaborateur de « L’œuvre », que nous aidions ‎discrètement pour leurs articles) et firent de leur mieux pour éclairer l’opinion publique française. Pour nous, qui ‎n’avions que notre foi pour nous soutenir, c’était une victoire morale. Ces articles eurent un effet certain sur ‎l’opinion publique. Ils ne manquèrent pas d’éclairer le juge d’instruction Vaillant, un honnête chrétien qui avait été ‎chargé de l’affaire. Le cheikh al-Okbi fut mis en liberté provisoire. Ce juge, qui par la suite, devint Président du ‎tribunal de Sétif où il gagna l’estime de la population musulmane, devait mourir « assassiné » en pleine rue au ‎cours des troubles de 1945 ».‎

Au sujet de Lamine Lamoudi, HBS écrit : « Après une existence faite de déboires et de misères, qui me rappelle ‎péniblement le vaillant Sadek Denden, directeur de « L’Ikdam », Lamine Lamoudi devait mourir au cours de la ‎guerre d’Algérie. Le 10 octobre 1957, on retrouva son corps près de la voie ferrée entre Bouira et Adjiba. Il est mort ‎en martyr comme le cheikh Larbi Tébessi…. ‎

Signalons que le neveu de Lamine Lamoudi, un jeune sportif de Biskra, a été enfermé au début de la Révolution ‎dans un stade de la ville et donné en pâture aux chiens de l’armée qui l’ont déchiqueté. ‎

‎3 Cheikh Fodil al-Ouartilani (1900-1965) a eu une vie assez extraordinaire. Il a quitté l’Algérie en 1934 pour ‎occuper les fonctions que Bennabi vient d’indiquer. Deux ans après, il s’exile en Egypte et devient membre de ‎l’organisation des « Frères musulmans ». En 1947, il est au Yémen où il aurait pris part au coup d’Etat qui a ‎renversé le régime de l’Imam Yahia en 1948. Après la révolution de juillet 1952 en Egypte, il s’y établit. En ‎désaccord avec la Délégation extérieure du FLN au Caire, il quitte l’Egypte pour la Turquie où il s’éteint. ‎

‎4 Dans « L’islam et l’avenir d’un contact culturel » (1957), Massignon parle d’« agents de renseignements ‎ecclésiastiques » et « laïques ». Cf. « Opera Minora », T.1. ‎

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