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LA VIE DE MALEK BENNABI (9)‎

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Bennabi a depuis longtemps une claire conscience du dualisme intellectuel qui façonne son ‎esprit. Les deux orientations coexistent harmonieusement en lui, mais il souffre quand il voit ‎les deux cultures se tourner le dos dans les relations entre Musulmans et Européens. Il ‎admire et accepte la civilisation occidentale, mais est horrifié par sa métamorphose en ‎colonialisme. ‎

Dans ses rapports avec le monde musulman celle-ci n’est plus elle-même, elle devient ‎raciste, méprisante, haineuse. Il veut en comprendre les raisons. Il sait que pour y arriver il ‎lui faut remonter à ses origines historiques et culturelles. C’est ainsi que les réponses vont se ‎former et s’articuler petit à petit en lui. Il lui faudra encore du temps avant de pouvoir les ‎formuler clairement. ‎

La pensée bennabienne est en gestation, elle rassemble ses matériaux, prépare ses étais, ‎forge ses concepts… Le sait-il ? Ce ne sont pas tant les livres qui vont l’édifier, mais ‎l’expérience et les enseignements qu’il tire de son immersion dans la vie européenne, du ‎compagnonnage de sa femme, de ses échanges à « l’Union chrétienne des jeunes gens de ‎Paris ».‎

Il confie à ses Mémoires inédits : « C’est surtout à mes réunions et à mes contacts à l’UCJG ‎que je dois mon édification sur certaines valeurs essentielles de la vie occidentale. Je ‎comprends que cette édification ne puisse pas se faire ni par le livre, ni par le spectacle. ‎Aussi, combien mes coreligionnaires les plus instruits des choses de l’Europe me paraissent ‎si peu informés de sa civilisation.» ‎

Il rapporte ses conclusions à ce qu’il sait de la culture arabo-musulmane et échafaude des ‎scénarii métaphysiques : et si les deux cultures pouvaient communiquer ? et si elles se ‎reconnaissaient mutuellement ? et si elles coopéraient ? ‎

C’est ce qu’il espère en son for intérieur tout en mesurant l’immense fossé matériel, social ‎et politique qui sépare l’Orient musulman de l’Occident chrétien. Il sait qu’entre eux règne ‎une incompréhension vieille de plus de mille ans et un antagonisme qui s’est matérialisé ‎dans les temps présents dans un rapport de colonisateur à colonisé. ‎

Il exprimera ces espérances une quinzaine d’années plus tard dans un article où on peut ‎lire : « Il y a déjà longtemps que la pensée occidentale – sous sa forme orientaliste – a saisi ‎dans le domaine culturel islamique des données de sa propre culture. Il y a longtemps que ‎les traits communs entre un Maâri et un Dante ont été saisis, que la civilisation provençale a ‎révélé ses origines andalouses, que l’on a noté les familiarités chrétiennes, ou tout au moins ‎évangéliques chez le Ghazali mystique, comme on a noté certaines parentés entre le Ghazali ‎rationaliste et Descartes… Les recoupements des deux cultures, leurs nœuds successifs en ‎des points essentiels de la morale, de la pensée et de l’art, attestent que l’Orient et ‎l’Occident ne se repoussent pas foncièrement, qu’il n’y a pas d’antinomies fondamentales ‎entre eux… La notion de l’homme demeure le nœud suprême en lequel orientalisme et ‎occidentalisme devraient se confondre en un humanisme réel grâce auquel l’Orient et ‎l’Occident se comprendront par le cœur (1)» ‎

C’est dans ce même article qu’il note en puisant dans ses souvenirs de Normandie : « Le sens ‎le plus profond d’une civilisation n’est pas dans ses signes abstraits ou concrets actuels – ‎l’avion, la banque ou l’éducation – mais dans ses valeurs permanentes qu’on découvre plus ‎aisément parfois au coin d’un champ, sur la figure d’un simple paysan, plutôt que sur les ‎bancs d’une université ou sur les rayons d’une bibliothèque. »‎

Nous retrouvons ici le Bennabi d’Aflou qui voyait dans la vie pastorale un musée de vertus, le ‎peintre de la nature attentif aux nuances des paysages et à l’expression des visages, le ‎citadin qui sait ce qu’il doit au terroir et ce que la civilisation doit à l’agriculture. ‎

Quand sortira vingt ans plus tard « Vocation de l’islam » (1954), il nous donnera cette ‎superbe comparaison des origines psychoculturelles des deux civilisations : ‎

‎« Depuis l’ère lacustre, l’homme de l’Europe a toujours demandé sa nourriture au sol. Cette ‎nécessité vitale a développé toutes les données initiales d’une civilisation agraire ou – ‎comme le dit un sociologue français – d’une « civilisation de l’herbage ». Tout d’abord, elle ‎réalise de très bonne heure la synthèse originelle de l’homme et du sol. Puis l’homme, vivant ‎dans un habitat ainsi conditionné, se trouve discipliné en fonction de rapports de voisinage ‎très étroits, rapports qui créent la notion de propriété et la délimitent strictement comme ‎aire fixe d’une vie humaine, d’un foyer, d’une famille. ‎

A l’intérieur, cette aire de vie, cet « espace vital », est essentiellement conditionné par des ‎activités saisonnières régulières. Ces activités n’engendrent pas chez l’individu une notion ‎vague de l’ « effort pour gagner son pain » – comme ce serait le cas dans une aire ‎nomadique- mais une notion très précise : le travail quotidien. Et la notion sociale du temps ‎s’agrège à son tour à la synthèse préliminaire. Le climat amènera l’homme à adopter le feu ‎comme élément essentiel de sa vie et à meubler son intérieur en fonction de son travail ‎quotidien, du climat et du feu : la table et les chaises deviennent les conditions d’une vie ‎familiale très intime où les individus se réunissent à heures fixes pour des repas en commun. ‎

A l’extérieur, cette aire familiale est nécessairement articulée sur les aires voisines, ‎pareillement conditionnées. L’esprit de clocher naît de ces agglomérations locales qui ‎donneront naissance, peu à peu, à la vie communale. Ainsi se réalise l’intégration des ‎individus à un ordre répondant aux conditions et aux aspirations d’une vie statique. Tel est le ‎canevas originel de la vie européenne, dans ce qu’elle a de plus fondamental et que ni ‎l’impérialisme romain ni le nomadisme germanique n’ont réussi à modifier au cours des ‎siècles. Et l’on voit encore aujourd’hui la femme se baisser dans un champ pour ramasser ‎une « gueulée de lapin » pour son clapier, cependant que l’enfant joue à des jeux agrestes : ‎visages d’une société profondément, peut-être excessivement, pénétrée du sens de l’utile. ‎

Le christianisme et le cartésianisme viennent compléter cette physionomie : le premier lui ‎apporte le sens de l’universel et, par cela même, le dynamisme qui manquait à son ‎tempérament statique ; le second taylorise ses activités fondamentales pour les intégrer ‎efficacement dans l’essor industriel qui va surgir de son évolution. Dans cette société aux ‎vertus centripètes, qui pratique l’entr’aide mais ignore l’hospitalité, le christianisme ‎déposera aussi le ferment d’un expansionnisme moral qui servira de justification aux ‎croisades et aux entreprises de colonisation. ‎
A l’occasion des croisades, la civilisation européenne se tournera vers l’extérieur et fera une ‎moisson profitable dans la civilisation musulmane. Les mêmes tendances la pousseront à la ‎découverte de l’Amérique… C’est cette société profondément marquée du génie de la terre ‎mais où les possibilités de rapports interhumains étaient presque complètement étouffées, ‎qui découvrit vers la fin du XVIIIe siècle le monde musulman.‎

Dans ce monde-là, l’individu n’a pas eu à l’origine à demander sa nourriture au sol – qui ne ‎pouvait la lui fournir – mais à la bête. Il est pasteur, nomade ou guerrier. L’aire de sa vie, son ‎espace vital, sont aussi indéfinis que la zone la plus proche de son habitation où la dernière ‎pluie est tombée. Cette habitation est elle-même mobile par nécessité, et les meubles n’y ‎sont pas indispensables. Pourquoi se fixer à un sol qui ne donne pas à manger ? ‎

L’homme qui se déplace ainsi n’a pas d’activités régulières et bien qu’il connaisse l’effort, ‎parfois exténuant, qu’exige le métier de pasteur et de guerrier, il ignore tout du travail ‎organisé et quotidien, du travail qu’on apprend seulement du sol qui l’exige tout au long des ‎saisons. Il se contente aussi de la chaleur que lui fournit le soleil, et il n’adopte le feu qu’en ‎tant qu’accessoire de sa vie. Au surplus, cette vie errante n’impose pas de relations de ‎voisinage régulatrices puisque l’individu n’a pas de propriété foncière. Comme sa nourriture ‎ne dépend pas de telles relations, l’instinct grégaire est très peu développé chez lui et il ne ‎cherche pas à s’intégrer à un ordre social. La tribu dont il fait partie n’est pas un ordre ‎déterminé par des raisons sociales, mais plutôt par des causes biologiques. ‎

Les relations de l’individu en dehors de la tribu, autrement dit ses relations proprement ‎sociales, sont inexistantes. Monde divisé à l’extrême, atomisé en individus, monde aux ‎vertus centrifuges qui ignore l’entr’aide – comme il ignore l’efficacité de la matière – mais ‎pratique l’hospitalité, honore la générosité, aime la vanité, la poésie et le cheval. Son ‎dynamisme explique l’extrême rapidité de l’expansion islami¬que dont les historiens ont ‎vainement cherché la raison dans des conditions extérieures. ‎

C’est sur ce canevas que l’islam est venu broder son admirable civilisation, en donnant à un ‎monde dominé par l’individualisme une cohésion, un sens du collectif, qui ont déterminé ‎son orientation historique. Le Coran fit du Bédouin un sédentaire qui laissa en Espagne et ‎dans le Midi de la France les témoignages d’une science agricole perfectionnée. ‎

Cette fixation de l’homme au sol produisit immédiatement son effet : la science et l’art ‎naquirent et se développèrent dans une société disciplinée où l’individu n’obéissait plus à son ‎humeur vagabonde, mais était soumis à un ordre, à des lois. Au XVIIIe siècle, ce monde avait ‎depuis longtemps achevé le cycle de sa civilisation. L’individu se trouvait de nouveau dans ‎les conditions de vie que lui offrait une société atomisée, aux activités abolies, sauf dans ‎certaines enclaves comme Fez, Kairouan et Damas, vestiges prestigieux, seuls témoins d’un ‎passé révolu, puisqu’en général l’homme post-almohadien avait préféré à une vie sédentaire ‎le retour à la vie nomade de ses aïeux. ‎

Si l’Européen, aujourd’hui ingénieur ou artiste, voyait le cycle de sa civilisation s’achever, il ‎redeviendrait jardinier ou cultivateur. C’est dans un état social tribal et nomadique que le ‎monde musulman se trouvait à nouveau lorsque l’Occident fit sa découverte, il y a plus d’un ‎siècle (2). ‎

Un problème préoccupe Bennabi dans l’étude des origines du christianisme : pourquoi la ‎pensée chrétienne s’est-elle finalement enchaînée à la pensée paulinienne ? : « Qui était cet ‎apôtre, Paul, qui anime et inspire toute la philosophie chrétienne ? Une vérité historique ‎m’apparut : Paul avait persécuté les premiers disciples du Christ à Jérusalem où il faisait ses ‎études talmudiques. Cette vérité est attestée par le cri même que les Actes attribuent, à ‎titre posthume, à Jésus quand il apparut à Saint Paul sur le chemin de Damas : « Saül ! ‎pourquoi me persécutes-tu ? » On sait la suite : Paul devenu par miracle apôtre de la ‎nouvelle religion et fondateur de la jeune philosophie, la fondant précisément sur l’idée de ‎‎« l’élection d’Israël ». ‎

D’autres questions se posaient pour moi : pourquoi, dans les « Actes », Paul a-t-il ‎constamment détourné son compagnon Timothée des « pays de l’Orient », comme pour ‎réserver la religion chrétienne seulement pour l’Europe ? Or, je voyais dans l’histoire ‎d’Israël un curieux phénomène : quand ce fut l’heure de la diaspora, ce deuxième exode des ‎Juifs hors de Palestine, ils se dirigèrent vers l’Europe encore barbare et sans commerce, ‎plutôt que vers l’Asie civilisée et commerçante. Aucun historien n’avait posé la question. Elle ‎me parut d’une évidence aveuglante. ‎

La réponse s’imposa à ma conscience : les Juifs sentaient d’instinct que leur empire était en ‎Europe, c’est-à-dire dans les seuls pays où ils pouvaient diriger à leur guise les idées et les ‎hommes. La morsure de l’esprit juif sur l’âme chrétienne m’apparaissait à vif dans le cri de ‎Jacques Maritain, ce penseur catholique qui répondait justement ces jours-là à un jeune ‎chrétien touché par l’antisémitisme : « Je passe la moitié de ma vie aux pieds d’un Juif au ‎cœur transpercé !» disait-il de Jésus. Tous ces éléments se classaient dans mon esprit ‎comme les parties d’une doctrine qui voyait dans le Juif l’animateur occulte des Croisades, ‎puis de la Colonisation, en passant par l’Inquisition qui ne se comprend pas du seul fait ‎d’Ignace de Loyola, pas plus que la première croisade ne saurait se concevoir du seul fait de ‎cet ignare barbare qu’était Pierre l’Ermite. ‎

Et, peu à peu, je voyais ma pensée s’introduire dans le domaine de l’occulte où je voyais un ‎seul acteur, le Juif, tandis que le chrétien ne me paraissait être que l’instrument plus ou ‎moins conscient : l’homme à la serviette qui va chaque matin à son bureau, et l’homme à la ‎musette qui va à son usine, pour accomplir en ce monde les desseins d’Israël. Or, tout en ‎ayant conscience de la gravité extrême de mes réflexions, j’avais assez d’inconscience pour ‎les crier sur les toits…» (3). ‎

Un demi-siècle plus tard, Roger Garaudy notera sur le même sujet, confirmant point par ‎point les intuitions de Bennabi : « Le Christ de Paul n’est pas Jésus… Paul, en rejudaïsant le ‎christianisme est l’ancêtre de toutes les théologies de la domination : celle ‎du Constantinisme liant l’Église et le pouvoir dès le IV° siècle, celle des Croisades, ‎des Inquisitions, du Colonialisme… Jésus, c’est d’abord la sortie de soi, la sortie aussi de nos ‎appartenances partielles, la rupture absolue, et d’abord avec l’Ancien Testament dont il ‎viole toute la loi, telle d’ailleurs que nous la concevons depuis que Saint-Paul, ne se référant ‎jamais à sa vie, à ses paroles, à ses actions, ne commence à s’intéresser à lui qu’à partir de ‎sa mort… Paul fera du christianisme un judaïsme réformé, et de Jésus l’accomplissement de ‎la promesse faite au « peuple élu ». Ainsi est gommée la nouveauté radicale du message de ‎Jésus… » (4) ‎

Paul n’a pas connu Jésus auquel il est postérieur de plusieurs décennies, et était opposé à ‎Pierre, l’héritier spirituel de Jésus. Dans « Le déclin de l’Occident », Spengler (1880-1936) ‎s’est intéressé au sujet, écrivant : « La doctrine de Jésus devait-elle se diriger vers l’Ouest ou ‎vers l’Est ? Comme culte de Jésus, ou comme ordre rédempteur ? En contact très étroit avec ‎Église perse ou avec l’Église syncrétiste, qui étaient alors toutes deux en voie de ‎formation ? Cette question a été résolue par Paul. Comme jeune rabbin de l’Ouest, il avait ‎poursuivi les chrétiens comme une secte intérieure juive… Mais Paul avait un sens tout à fait ‎exact de la vraie patrie de ses pensées. Il a dirigé toutes ses missions vers l’Ouest et n’a eu ‎en général aucune considération pour l’Est… Vers l’an 100, il y avait des chrétiens au-delà du ‎Tigre, mais leur présence et toutes leurs convictions restèrent à peu près inexistantes pour ‎la marche ultérieure de l’église… Ce ne sont pas les paroles de Jésus, mais la doctrine sur ‎Jésus qui est la matière dans la conception paulinienne… Paul a encore pris une autre ‎décision dont on ne saurait trop exagérer la portée. C’était une conséquence de sa mission, ‎d’avoir fait de la langue grecque la langue de l’Église et de ses livres sacrés… L’Église de ‎Jésus fut séparée artificiellement de son origine psychique et liée à une origine étrangère… ‎Le contact avec la mentalité ethnique du paysage maternel araméen s’est perdu. » (5) ‎

René Guénon (Abdelwahid Yahia) est parvenu à la même conclusion que Bennabi, écrivant : ‎‎« Dans l’Occident, nous comprenons aussi le judaïsme qui n’a jamais exercé d’influence que ‎de ce côté… » (6). Il approfondira ce jugement dans « La crise du monde moderne » (7) puis ‎‎« Le règne de la quantité et les signes des temps » (8). ‎

En complément à ces observations, on peut ajouter que Martin Luther qui ne voulait au ‎départ réformer l’Église que de l’intérieur, contrairement à Jean Calvin qui donnera à la ‎Réforme son cadre institutionnel, a réadapté Saint Paul sous l’influence, semble-t-il, d’un de ‎ses proches compagnons juif, Philipp Schwarzer, dit Melanchthon. ‎

Dans un texte de 1929, Louis Massignon écrit pour sa part : « Notons que la minorité juive, ‎élément catalytique de contact intellectuel et financier a, depuis les Croisades, abandonné ‎l’Islam qui lui avait pourtant permis de se constituer dès le X° siècle en puissance bancaire ‎internationale et opté pour la chrétienté malgré son antisémitisme » (9).‎

Dans « Jésus, fils de l’homme », Khalil Djibran fait dire à Saba d’Antioche à propos de Paul ‎de Tarse : « J’ai entendu aujourd’hui Saül de Tarse prêcher le Christ aux Juifs de cette ville. Il ‎se fait appeler Paul à présent, l’apôtre des Gentils. Je l’ai connu dans ma jeunesse. En ces ‎temps-là, il persécutait les amis du Nazaréen. Je me souviens bien de sa satisfaction quand ‎ses compagnons lapidèrent ce jeune homme radieux nommé Etienne. Paul est, en effet, un ‎homme étrange. Son âme n’est pas celle d’un homme libre. Parfois il ressemble à un animal ‎dans la forêt, traqué et blessé, à la recherche d’une caverne pour cacher sa douleur au ‎monde. Il ne parle pas de Jésus, ni ne répète ses paroles. Il prêche le Messie que les anciens ‎prophètes avaient annoncé. Bien qu’il soit lui-même un Juif cultivé, il parle à ses ‎compagnons juifs en grec ; et, ne maîtrisant pas bien cette langue, il choisit mal ses mots. ‎Mais c’est un homme qui a des pouvoirs cachés et sa présence est affirmée par ceux qu’il ‎réunit autour de lui. Et parfois, il les convainc de ce dont lui-même n’est point convaincu. ‎Nous, qui avons connu Jésus et entendu ses discours, disons qu’il enseignait à l’homme à ‎briser les chaînes de son esclavage pour qu’il puisse se libérer de son passé. Mais Paul est en ‎train de forger des chaînes pour l’homme de demain. Il frappe sur l’enclume avec son ‎propre marteau, au nom de celui qu’il ne connaît pas. Le Nazaréen voudrait que nous vivions ‎le présent dans la passion et dans l’extase. L’homme de Tarse voudrait que nous nous ‎souciions des lois établies par les anciennes écritures. Jésus donnait son souffle à ceux qui ‎avaient rendu le dernier soupir. Et dans mes nuits solitaires, ma foi grandit et je compris. ‎Quand il se mettait à table, avec ses paroles il emplissait de bonheur le cœur des convives et ‎avec sa joie il assaisonnait le pain et le vin. Mais Paul veut prescrire notre miche et notre ‎coupe. Souffrez à présent que je détourne les yeux » (10).‎
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‎ (A ‎SUIVRE) ‎

NOTES :‎

‎1 « Orientalisme et Occidentalisme », « La République Algérienne » du 20 août 1948.‎

‎2 Dans sa « Note » sur la vie de Malek Bennabi, Salah Ben Saï écrit : « Le contraste frappant entre le ‎comportement du paysan normand, « l’homo faber », qui modèle et façonne son paysage en le cultivant et en ‎l’aménageant avec soin et amour, et le paysan algérien qui ne se donne pas la peine de nettoyer son champ des ‎pierres et mauvaises herbes qui l’envahissent et gaspille un temps précieux au café maure à ne rien faire, fait ‎comprendre à Bennabi les conditions nécessaires à l’existence d’une civilisation. En cultivant son propre jardin au ‎Luat-Clairet, m’a t-il dit, il a compris que toute civilisation est le résultat de la synthèse des trois facteurs ‎fondamentaux : l’homme, le sol et le temps. Excellent observateur, l’esprit toujours en éveil, il note tous les faits ‎qu’il observe et s’efforce de les comprendre en les analysant et en les interprétant en fonction de la situation. Sa ‎vocation de penseur, de sociologue et d’écrivain se précise au fil des années et de son expérience de la vie, en ‎même temps que sa foi islamique se renforce avec les épreuves subies. »‎

‎3 Bennabi développera ces idées dans « Vocation de l’islam, deuxième partie », un inédit qui figure dans sa ‎bibliographie sous le titre de « Le problème juif » (1952). ‎

‎4 Roger Garaudy : « Le nouveau désordre international : comment préparer le XXI° siècle », Ed. Al-Fihrist, ‎Beyrouth 1998.‎

‎5 « Le déclin de l’Occident : Esquisse d’une morphologie de l’histoire universelle », T2, Ed. Gallimard, Paris, ‎‎1948.‎
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‎6 René Guénon : « Orient et Occident », Ed. Véga, Paris 1924.‎

‎7 Ed. Gallimard, Paris 1946.‎

‎8 Ibid.‎

‎9 « Situation actuelle de l’islam », « Opéra Minora », T.1.‎

‎10 Khalil Djibran : « Enfants du Prophète : textes inédits », Ed. al-Bouraq, Beyrouth 1999.‎

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