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PENSÉE DE MALEK BENNABI : LES MÉMOIRES ‎‎

by admin

Les mémoires de Bennabi relatent son histoire, mais ils ont aussi leur propre histoire. On ne ‎sait pas exactement quand est-ce qu’il s’est mis à leur rédaction, mais il semble qu’il s’y soit ‎très tôt préparé en prenant l’habitude de fixer dans une sorte de journal intime la matière ‎qui y pourvoirait en temps utile. ‎On trouve dans les archives qu’il a laissées des traces de ce journal sous forme de feuilles ‎volantes écrites à la main remontant à 1936 et établissant qu’il prenait déjà note des ‎réflexions et impressions que lui inspiraient les événements et la vie en général en prenant ‎soin de les dater.‎Ce qu’on sait directement de lui, par contre, c’est qu’il a commencé la rédaction du tome 1 ‎de ses Mémoires, «L’Enfant», le 05 mai 1965. Ainsi, on apprend par ses « Carnets » qu’il en ‎est à la page 49 à la date du 19 mai, à la page 103 le 05 juin, et à la page 148 le 18. Enfin, le ‎‎27 juin 1965, il peut annoncer avec soulagement : «Je viens de terminer la première partie ‎de mes mémoires que je compte publier en volumes séparés correspondant aux trois phases ‎de ma vie». ‎Il lui aura donc fallu moins d’un mois et demi pour nous livrer le récit détaillé, vivant et ‎coloré de sa vie entre 1905 et 1930. Mais cela aurait-il été possible sans l’aide d’un brouillon ‎ou de points de repères quand on considère la masse des faits et souvenirs qui y sont ‎rapportés et quand on sait qu’il est alors âgé de soixante ans ? ‎Dans un manuscrit inédit (« Pourritures ») Bennabi nous apprend qu’en septembre 1939, ‎avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale, les autorités coloniales renforcent ‎les mesures de surveillance des milieux politiques algériens. A Tébessa, la police procède à ‎des perquisitions chez des particuliers. Il écrit : «La police commençait les perquisitions chez ‎tout le monde. Je pris donc mes précautions. Je remis mes papiers dans une serviette à ‎Khaldi qui la confia à sa brave mère». Que pouvaient être ces «papiers» sinon les supports ‎de ses notes et des brouillons divers? Il nous apprend aussi qu’en juin 1951, dans un contexte ‎similaire, il avait fait brûler par sa sœur aînée des « carnets de notes».‎Quant au tome 2 de ses Mémoires, «L’Etudiant», il affirme l’avoir commencé le 21 février ‎‎1966 et achevé le 21 juillet 1967. On en déduirait qu’il a nécessité près d’un an et demi de ‎travail, mais en fait il ne lui a pas consacré autant de temps. Je savais dès 1990 – quand j’ai ‎pris connaissance pour la première fois du manuscrit de «Pourritures» – que «L’Etudiant» ‎n’était qu’un des quatre chapitres de ce manuscrit de 373 pages rédigé entre le 1er mars ‎‎1951 et le 20 juin 1954. Rien ne dit d’ailleurs que la date du 20 juin 1954 et la page 373 ‎signent la fin réelle de cet inédit. Tout indique au contraire que cette fin n’est pas ‎‎«naturelle» car le récit s’arrête ex abrupto, ce qui n’est pas dans les usages de Bennabi qui ‎signale systématiquement le début et la fin d’un travail (1).‎Il faut savoir que c’est de justesse que les deux premiers chapitres de «Pourritures» n’ont ‎pas connu le sort des carnets brûlés en 1951. Ils ont été sauvés par deux membres de ‎l’Association des Oulamas, amis de Bennabi, Abderrahman Chibane et Brahim Mazhoudi, ‎lesquels, étant venus les lui restituer (il les leur avait confiés quelques semaines ‎auparavant), l’entendirent leur déclarer qu’il allait les détruire pour qu’ils ne tombent pas ‎entre les mains de la police qui s’intéressait alors de près à lui. Mazhoudi lui arracha des ‎mains l’enveloppe en lui disant : «Ils doivent rester pour l’histoire !». ‎Autre particularité du manuscrit de «Pourritures» : à partir de la page 338, c’est-à-dire du ‎‎06 octobre 1953, Bennabi passe du style de rédaction littéraire à la prise de notes ‎synthétiques et datées. Nous sommes déjà dans le style des « Carnets » et il en sera ainsi ‎jusqu’à la mort de Bennabi qui, après la rédaction et la publication de «L’Etudiant» en arabe, ‎ne s’est plus attaché à mettre en forme la suite de ses Mémoires soit parce qu’il ne le ‎souhaitait plus, soit parce qu’il considérait que leur publication était inenvisageable. Mais il ‎y pensait puisqu’on le voit écrire dans une note du 31 mars 1970 : «Je pense à ces ‎‎«Mémoires d’un témoin du siècle » que je souhaite tant terminer malgré la trahison de la ‎colonisabilité et le machiavélisme du colonialisme».‎J’ai publié en 2007 l’histoire complète de la vie de Malek Bennabi sous la forme d’un livre de ‎‎550 pages paru aux Editions Samar sous le titre de « Mémoires d’un témoin du siècle : ‎l’Enfant, l’Etudiant, l’Ecrivain, les Carnets ». Cette autobiographie, précédée d’une longue ‎présentation de moi, a été soumise à sa famille pour agrément avant publication. ‎Le livre se compose de deux parties connues (« l’Enfant », paru en français en 1965 à Alger ‎et en arabe en 1969 à Damas, et l’ « l’Etudiant », paru en arabe en 1970 à Damas) et de ‎deux parties inédites (« L’Ecrivain » et « les Carnets »). Au total, le lecteur francophone ‎dispose avec ce livre de trois parties inédites sur quatre, encore que la première partie ‎‎(l’Enfant), sortie il y a cinquante ans, n’a pas fait l’objet de réédition ultérieure et a ‎pratiquement disparu du marché. Il manque à cette autobiographie les périodes allant de ‎juin 1954 à janvier 1958, de janvier à juin 1963 et de février 1964 à mai 1965 que nous ‎pensons irrémédiablement perdues. ‎L’existence de « Pourritures » et des « Carnets » nous révèlent un Bennabi qu’il importe de ‎connaître autant que son œuvre publique. C’est là qu’on trouve les idées, les états d’âme, les ‎commentaires, les impressions, les colères que lui inspirent les événements politiques, ‎culturels ou scientifiques. C’est là qu’il note tout ce qui lui traverse l’esprit, y compris ses ‎rêves qu’il s’applique à interpréter à la manière de Jung, les comptes-rendus des livres qu’il ‎lit ou des films qu’il voit car il aimait le cinéma. ‎Le Bennabi qui en surgit est différent de celui qu’on connaît ; il est plus incisif, plus libre, plus ‎vrai… Telle une ombre géante, l’arrière-pensée couvre la pensée proprement dite, lui donne ‎une portée totalement inattendue, notamment sur le plan doctrinal, qui nous révèle la face ‎cachée de la pensée de Bennabi. ‎Pourquoi ces « Carnets » ? Pour lui d’abord, pour ses besoins d’écriture et de repérage ; pour ‎la postérité ensuite à laquelle il ne désespérait pas de faire parvenir son message, fût-ce de ‎l’au-delà. Ils contiennent en vrac les pensées et arrière-pensées qui lui sont passées par la ‎tête tout au long de son existence.Ce sont les éphémérides de son destin, de l’histoire de l’Algérie, de l’actualité mondiale… ‎Les notes portent toutes un titre et ressemblent à des billets de presse. Elles sont rédigées le ‎plus souvent dans le style des « considérations intempestives » de Nietzsche, c’est-à-dire ‎assez courtes mais percutantes. Les plus difficiles à lire, les plus pathétiques, sont celles qui ‎couvrent la dernière partie de sa vie au Caire de septembre 1960 à janvier 1963. ‎Mme Rahma Bennabi a décrit dans sa préface à mon livre (2). les tourments qu’un ‎sentiment de responsabilité morale évoluant avec le temps vers un sentiment de culpabilité ‎a fait vivre à sa famille durant toutes ces années où elle avait sur les bras et la conscience la ‎partie inédite de l’œuvre de Bennabi (manuscrits et Carnets) dont elle ne savait que faire ‎en raison de la sensibilité en même temps que du caractère intime des documents. ‎Comment faire, en effet, pour les porter à la connaissance du public, tout en sauvegardant ‎le caractère privé de la vie de l’homme ? Comment séparer les aspects purement ‎personnels et familiaux de la pensée proprement dite ? La famille ne voyait pas autour d’elle ‎qui pourrait se charger de cette tâche délicate et craignait une utilisation non-conforme à ‎ses attentes. De mon côté, je ne cherchais rien. J’avais entendu parler, comme d’autres, de ‎manuscrits laissés par lui mais personne ne pouvait confirmer ou infirmer leur existence. Il ‎avait été même question de leur disparition du vivant de leur auteur. Je ne pouvais par ‎conséquent vouloir me les procurer ou demander à les consulter.‎Cependant, le destin devait en décider autrement. Une première fois en 1990, quand Mr ‎Habib Mokdad mit entre mes mains le manuscrit de « Pourritures » pour décider de ce qu’il ‎convenait d’en faire. Sa lecture m’avait bouleversé et ma réponse fut de déconseiller sa ‎publication en l’état. Treize années devaient ainsi s’écouler sans que j’aie cessé de songer au ‎sort d’une œuvre qui sombrait dans l’indifférence. Je me tenais informé de ce qui s’écrivait ‎sur Bennabi en Algérie et à l’étranger, mais c’était pour constater que rien d’essentiel ‎n’était dit ou fait à son sujet. ‎Mais voilà qu’en mai 2003, l’ancien ministre algérien Mustapha Chérif vient me trouver ‎pour me parler d’une activité dont l’avaient chargé les organisateurs de « L’année de ‎l’Algérie en France » qui battait alors son plein sur le territoire de l’Hexagone : rendre ‎hommage au siège de l’Institut du Monde Arabe à Paris à un ensemble de figures culturelles ‎des deux pays (parmi lesquelles Malek Bennabi) qui avaient, au siècle dernier, tenté de ‎maintenir au-dessus des conflits et des haines un dialogue entre les peuples algérien et ‎français. Mustapha Chérif voulait que je sois présent au colloque pour présenter Bennabi et ‎que je lui réunisse en attendant ce que je pouvais comme livres et documents pour les ‎besoins d’une exposition. ‎L’occasion m’inspira l’idée d’inviter l’ancien ministre libanais, Omar Kamel Meskawi, à venir ‎à Paris pour dire quelques mots sur le penseur algérien auquel il était lié depuis 1956. Mais ‎j’étais mortifié par le constat : il n’y avait rien, surtout en langue française (lui qui a écrit en ‎français) à proposer à une exposition destinée à faire connaître l’œuvre de Bennabi en ‎dehors de ses propres livres.C’est alors que je me décidai à réaliser un travail pour contribuer à combler ce vide. Lorsque ‎je le terminai six mois plus tard, je le donnai par devoir moral à lire à Mr Habib Mokdad afin ‎qu’il constate et se prononce sur l’utilisation que j’avais fait des éléments puisés dans ‎l’autobiographie intitulée «Pourritures». Encouragé par son approbation, je lui signalai la ‎faiblesse et l’imprécision du récit concernant la période 1954-1963, faute de données sûres. ‎Je lui expliquai que l’occasion s’offrait de proposer une biographie complète et crédible de ‎Bennabi, chose qui ne serait pas possible sans l’appui des documents laissés par le défunt si ‎leur existence était avérée. ‎Gagné à mes arguments, il initia des rencontres avec sa mère (la veuve de Malek Bennabi) ‎que je connaissais bien et sa sœur, Mme Rahma, que je n’avais croisée dans la vie que deux ‎ou trois fois. Cette dernière prit une copie de mon «draft» dont la deuxième partie, « La ‎Pensée », était pratiquement achevée car indépendante de la biographie proprement dite et ‎se donna le temps de la lire et de la donner à lire à sa sœur Imène. ‎De nombreuses discussions devaient nous réunir quelques mois plus tard en Algérie puis aux ‎USA à l’issue desquelles fut prise la résolution de me confier le fonds documentaire légué ‎par Bennabi. C’est donc ce conseil de famille qui m’investit de sa confiance, et c’est sous son ‎égide et son contrôle effectif que j’ai placé la publication de mon livre et des « Mémoires ».‎Aussitôt que je pris connaissance des documents, mon esprit fut assiégé d’appréhensions. ‎D’un côté je relevais dans les manuscrits la volonté clairement affichée de Bennabi de voir ‎sa vie et sa pensée portées à la connaissance de la postérité comme un complément l’une ‎de l’autre. S’il ne l’avait pas voulu, il n’aurait pas écrit ni publié les deux premiers tomes des ‎‎« Mémoires d’un témoin du siècle », ni gardé le manuscrit de « Pourritures » et les ‎‎« Carnets » depuis et pendant plus de vingt ans. ‎Il y voyait le réceptacle de ses pensées les plus importantes, celles qu’il n’a pu formuler ‎publiquement, et nourrissait une grande peur pour leur sort comme on le constate à travers ‎cette note du 09 mai 1969 où il dit : « Je suis certain que la haine bestiale que je sens autour ‎de moi ne s’éteindra pas même avec ma mort. Je sens qu’après ma mort, Mr X cherchera la ‎moindre trace de mes écrits (surtout les carnets dont il connaît l’existence), même dans les ‎tripes de mes enfants pour effacer toute trace de ma pensée. » ‎A huit mois de sa mort, il confiait à la préface d’un texte inédit (3) son espoir que sa pensée ‎et ses travaux lui survivent : «Dans les terribles conditions où je travaille, mon entreprise ‎peut s’arrêter à cette simple préface. Dans ce cas, quelqu’un l’achèvera peut-être un jour en ‎s’aidant de mes carnets et de mes manuscrits». Il est clair que non seulement Bennabi ‎désirait que ses « Carnets » et manuscrits soient portés à la connaissance du public, mais ‎qu’ils servent à la continuation de sa pensée. Ne voyant qui charger de cet office, et ses filles ‎étant en bas âge, il s’en était remis au destin. ‎S’il subsistait encore des doutes sur ses intentions, ils sont dissipés par la lecture de notes ‎comme celles où il dit, songeant aux réactions du lecteur devant leur contenu : « Le lecteur ‎qui lira mes notes de carnets… » (06 février 1970), « Je n’y peux rien si le lecteur de ces ‎carnets y trouvera des contradictions…» (18 août 1970), « ceux qui liront ces notes après… » ‎‎(13 janvier 1972). ‎D’un autre côté, je remarquai en confrontant la partie extraite de «Pourritures» sous le titre ‎‎« L’Etudiant » avec le manuscrit que Bennabi l’avait adapté aux «nécessités» de l’édition. Il ‎en a en effet retranché quelques paragraphes et adouci bien des jugements sur les ‎personnages de son récit, certainement sous l’empire du « réalisme ». C’est cette version ‎qui est donnée ici, à la différence de ce que j’ai fait dans mon livre où j’ai puisé dans la ‎mouture initiale des éléments que j’ai jugés de nature à enrichir le récit. ‎Mais comment faire pour les parties restées inédites, « L’Ecrivain » et surtout les ‎‎« Carnets » ?‎Les questions que se posait la famille de Bennabi se transposaient en moi. Quels doivent être ‎les critères et les limites de mon choix ? Sur quelles bases arbitrer entre ce qui est éligible à ‎la publication et ce qui ne l’est pas ? Ne me reprochera-t-on pas du côté des noms cités une ‎‎«sélectivité» intéressée, du côté de ceux qui ont tenté vainement de mettre la main ‎sur l’héritage au cours des dernières décennies un «exclusivisme» suspect, et du côté des ‎esprits chagrins quelque volonté de «manipulation»? Quoiqu’il en soit, je devais prendre mes ‎responsabilités.‎Je les ai prises en tenant compte d’une donnée évidente, à savoir que Bennabi a vécu et écrit ‎en des temps et des pays où la liberté d’expression et d’édition était fortement restreinte : à ‎l’époque de l’Algérie coloniale, par l’administration française ; au Caire, par la censure ‎officielle d’un Etat dont il n’était même pas un ressortissant ; après l’indépendance de ‎l’Algérie, par le régime du parti unique et du monopole de l’édition qui ne lui a permis ‎d’éditer depuis son retour en Algérie en 1963 à sa mort en 1973 que la partie la moins ‎problématique de ses «Mémoires» («L’Enfant») et trois brochures (4). ‎Aucun de ses livres fondamentaux publiés sous l’occupation (5) ne fut réédité, pas plus que ‎ceux publiés durant sa période d’exil en Egypte entre 1956 et 1963 (6) ou ceux rédigés peu ‎de temps avant sa mort (7).‎L’Algérie importait bien des livres de l’étranger, mais pas ceux qui y paraissaient sous la ‎signature de Bennabi.‎Pour des raisons que l’on peut imaginer, il fallait que je procède moi-même à la saisie des ‎manuscrits inédits, des « Carnets » et même, dans la foulée, du volume paru en français en ‎‎1965. Je m’étais entendu avec la famille que je ne prendrai de «Pourritures» et des ‎‎« Carnets », suivant en cela le propre exemple de Bennabi, que ce qui a un rapport avec la ‎pensée et les conditions dans lesquelles il a réalisé son œuvre, et laisserai de côté tout ce ‎qui ne représente pas d’intérêt pour leur connaissance. ‎Toutes les notes qui ne sont pas liées à une idée, une pensée, une situation ou à son parcours ‎intellectuel et professionnel ont été écartées comme étant «hors sujet». ‎Par contre, rien de ce qui importe pour une connaissance exigeante de sa vie et de sa ‎pensée n’a été retranché, pas même ce qui peut être considéré comme susceptible de le ‎desservir. Jamais je n’ai modifié une rédaction, altéré un sens, déformé un fait, ou voulu ‎porter atteinte à l’honorabilité ou à la mémoire d’une personne. Au contraire. Les noms ‎cités sont ceux de personnages publics, de protagonistes, de repères dans l’histoire récente ‎du monde arabe et de l’Algérie et dans la vie personnelle de Bennabi. Ne sont évoqués que ‎ceux des personnages auxquels il a eu affaire.‎J’ai estimé que ses analyses, ses réflexions et ses pensées comptaient plus que les opinions, ‎fondées ou non, qu’il a pu se former sur les hommes, ces acteurs d’un moment rencontrés ‎sur son chemin. Il importait peu pour moi de savoir si ses appréciations sur les personnes ou ‎ses interprétations des faits recoupaient la vérité historique ou morale ou si elles n’étaient ‎que des points de vue subjectifs. En tout état de cause, je me suis efforcé de mener ce ‎travail en conscience, avec le maximum de rigueur et d’objectivité, tout en préservant selon ‎le vœu de la famille l’intimité de l’homme. ‎Le lecteur doit savoir que mon livre renseigne davantage sur la vie de Malek Bennabi que ‎les « Mémoires » car outre les éléments pris de cette autobiographie ou des autres ‎documents où Bennabi parle de lui, j’ai utilisé des données étrangères à ses propres sources, ‎émanant des témoignages écrits de ses amis et du courrier échangé avec eux. ‎De sa vie, la seule période qui restait problématique était celle allant de juillet 1954 à ‎janvier 1958. Bennabi nous a lui-même instruits sur le sort des « Carnets » afférents à cette ‎période : devant quitter précipitamment le Caire en 1963, il les a confiés à Omar Kamel ‎Meskawi. Quand celui-ci les lui restitua en juin1969, il se rendit compte qu’il en manquait ‎quelques-uns et écrit dans une note du 23 juin 1969 : « Omar Meskawi me renvoie avec ‎l’ingénieur Nadhir En-Nadjar les papiers que je lui avais confiés en 1962 ou 1963 au Caire, ‎au moment où je me sentais traqué de toutes parts. Je voulais au moins sauver mes ‎documents personnels : carnets et manuscrits ». ‎Dans une note du lendemain, il revient sur le sujet avec plus de précisions : « En-Nadhir m’a ‎déposé le paquet d’Omar Meskawi avec un mot de ce dernier alors que j’étais à Batna. Et ‎naturellement, il n’a pas songé à joindre à son mot un état des papiers qu’il me renvoyait. ‎Or je constate qu’il manque 3 ou 4 carnets de notes. Je ne reçois en effet que 3 seulement ‎sur les six ou sept que je lui avais confiés. Mes mémoires sont donc amputés d’une partie. Et ‎j’ai l’impression que la main qui les a amputés a fait un choix judicieux. Je suis sûr cependant ‎que cette amputation n’a pas eu lieu chez Meskawi mais durant le voyage de Nadhir En-‎Nadjar, et très probablement à Alger, car je ne lui ai pas fait recommandation d’apporter ‎directement les papiers chez moi à son arrivée. Il a dû les déposer à son arrivée dans son ‎appartement, où il n’y a personne, avant de me les rapporter. Et le reste s’ensuit. Le reste, je ‎le vois clairement puisque dans le paquet Mr X a eu soin de glisser la 4è partie de ‎‎« Pourritures » qui avait disparu de chez moi, ici, il y a plus de deux ans ». ‎J’ai fait de mon mieux pour combler ce déficit en m’aidant des archives et des fréquents ‎flash-back qui jalonnent les écrits de Bennabi, comme par exemple quand il se réfère à un ‎carnet de septembre 1954 où il avait noté quelque chose à propos de la «pomme de ‎Newton», ou à cette note du 31 mars 1970 où il dit : «Une pensée que j’avais inscrite dans ‎mon carnet le 22 juin 1956 et qui traduisait mon sentiment au début de mon expérience au ‎Caire me revient à l’esprit : «Je suis un atome engagé entre des forces colossales, mais un ‎atome nécessaire au mouvement de la roue de l’histoire… Si l’atome n’est pas réduit en ‎poussière de la poussière, ce sera miracle. Je l’ai échappé belle au Caire. Echapperai-je ‎encore cette fois aux forces colossales qui m’écrasent en ce moment ? C’est l’objet de mon ‎dialogue, en cet instant, avec le Ciel ». ‎J’ai présenté les « Carnets » à part dans les Mémoires parce qu’ils ne font pas ‎matériellement partie de « Pourritures ». Ils doivent être regardés comme la suite logique ‎et historique de l’ « Ecrivain ». Bennabi voulait que ses mémoires paraissent en trois parties ‎qu’il voyait en mars 1951 selon les délimitations suivantes : « L’Etudiant » de 1931 à 1936, ‎‎« Le Paria » de 1936 à 1945 et « L’Ecrivain » de 1946 à « nos jours ». C’est qu’au moment où ‎il posait ces démarcations il n’était pas question de « L’Enfant », et ne pouvait être question ‎des « Carnets ». ‎Au nombre de 19, de format 11cm X 16cm et de volumes divers (de 74 à 360 pages), ils ‎couvrent la période s’étalant de février 1958 à juillet 1973. Ils comportent un nombre total ‎de 2211 notes qui vont d’une ligne à plusieurs pages sur lequel j’ai retenu moins de la ‎moitié. ‎Bennabi, comme on s’en doute assez maintenant, n’a pas eu toute latitude de publier son ‎œuvre. Et même dans la partie qui l’a été, il ne s’est exprimé que dans les limites permises ‎par le système du parti unique et la lutte idéologique. ‎De son autobiographie, seuls les deux premiers volumes couvrant la période 1905-1939 ont ‎été publiés, le premier en français (1965) et en arabe (1970), le second seulement en arabe ‎‎(1970) malgré l’existence de la version française. ‎L’œuvre autobiographique non publiée se compose de « Pourritures » qui couvre la période ‎de 1939 à juin 1954 et des 19 Carnets, numérotés et datés feuillet par feuillet, écrits recto-‎verso, dans lesquels on découvre un homme aux prises avec les faits brûlants de l’actualité, ‎enregistrant à chaud ses réactions qui, examinées avec le recul de cinq décennies, ‎apparaissent comme de fines analyses, des saisies fulgurantes et des prémonitions qui se ‎sont pour la plupart réalisées.‎On se rend compte au fil de la lecture des « Carnets » qu’ils constituent la mine où il a puisé ‎les matériaux premiers de certains livres ou articles de presse, qu’ils sont l’atelier où a été ‎déposée la matière brute avant traitement, qu’ils sont le champ où ont été plantées les ‎semences qui ont levé et donné lieu à la conception cohérente qui se dégage de son œuvre. ‎Forcément, on ne manque pas d’y rencontrer aussi tout le registre des réactions humaines : ‎la joie, la colère, la déception, le désespoir, l’exaltation, exprimés sans fard ni apprêt car ‎c’est là qu’il rangeait les vases débordants et les coupes pleines, c’est là qu’il déversait son ‎trop plein et laissait libre cours à sa hargne, c’est là qu’il jetait l’écume des jours et réglait ‎ses comptes dans un flot cathartique ininterrompu. Ces Carnets, c’est une espèce de «kitab ‎al-ayyam» (livre des jours) tenu dans un enchaînement tel qu’une fois une note rédigée, ‎aucun retour en arrière ni correction n’est possible. C’est un brouillon devenu un propre.‎‎ ‎Dans la même journée plusieurs notes aux thèmes différents, soigneusement datées et ‎même minutées, sont composées qui se croquent comme des douceurs. C’est un ‎impressionnant chapelet de petits textes bien ramassés, au sujet délimité avec une précision ‎chirurgicale et au titre judicieux. Il en est qui sont amères comme des amandes, chargées de ‎fureur comme de gros et méchants nuages, ou franchement hilarantes. Lourdes de sens, ‎cinglantes ou déchirantes, elles sont aussi illuminantes que des fusées éclairantes. Ce sont ‎les coulisses de la pensée bennabienne. ‎NOTES :‎ ‎ En effet, on relève sur la page où figure le titre «Pourritures» : «Commencé au Luat le 1er mars 1951 à 11h du ‎matin». En haut de la page de l’ «Avant-propos», on lit : «01.03.51, 5h du soir » et en bas «01.03.51, 5h55». A la ‎fin de la «Préface», on lit «Luat, 01.03.51, 5h du soir ». Le premier chapitre, «L’Etudiant», a été commencé le ‎‎02.03.51 à 11h30 et achevé le 19.04.51 à 15h. Le deuxième chapitre, «Le Paria», a été commencé le 19 à ‎‎15h45 et achevé le 13.05.51 à 15h45. Ce sont ces deux chapitres, qui couvrent la période septembre 1930-‎septembre 1939, qui forment le tome 2 paru en arabe. Le troisième chapitre, «L’Ecrivain», a été commencé au ‎Luat-Clairet (Dreux) le 02.02.1952 à 12h25 et achevé le 24.02.1952. Le quatrième et dernier chapitre, «Le ‎Muhadjer», a été commencé, sans indication d’heure, le 22.09.1953. C’est celui-là qui s’arrête abruptement le ‎‎20 juin 1954. Dans les «Mémoires d’un témoin du siècle : l’Enfant, l’Etudiant, l’Ecrivain, les Carnets » que nous ‎avons édités en 2007 le «Paria» a été intégré à «L’Etudiant» et le « Muhadjer» à «L’Ecrivain». ‎‎2 « L’Islam sans l’islamisme : vie et pensée de Malek Bennabi », Ed. Samar, Alger 2006.‎‎3 «Le pipe-line de la trahison ou le biberon qui allaite les traîtres», février 1973» ‎‎4 «Perspectives Algériennes», «Islam et Démocratie» et «L’œuvre des orientalistes».‎‎5 «Le phénomène coranique», «Lebbeik», «Les conditions de la renaissance», «Vocation de l’Islam».‎‎6 «L’Afro-Asiatisme», «Le problème de la culture», «Idée d’un Commonwealth islamique», «La lutte idéologique ‎en pays colonisés», «Naissance d’une société»…‎‎7 «Le problème des idées» et «Le musulman dans le monde de l’économie».

‎Le soir d’Algérie du 17/12/2015

Oumma.com 16 Mai 2016

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