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PENSEE DE MALEK BENNABI : ‎LES DERNIÈRES ANNEES‎

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Entre 1964 et 1968, Bennabi publie une grande quantité d’articles dans l’hebdomadaire ‎‎« Révolution africaine ». Il forme avec le Dr Khaldi un pôle qui fait front à l’autre pôle, ‎d’inspiration marxiste. Il est conscient que l’Algérie est en train de s’engager dans une ‎fausse direction et tente de mettre en garde les élites politiques et intellectuelles contre le ‎‎« risque de se laisser entraîner dans les idéologies modernes (le marxisme) juste au moment ‎où elles consomment leur faillite en Occident ».

Il consacre aux questions idéologiques et politiques une série d’articles : « Sociologie de ‎l’indépendance » (26-09-1964), « Politique et sagesse populaire » (18-09-65), « Politique et ‎Boulitique » (25-09-65), « Politique et idéologie » (09-10-65), « Politique et culture » (16-10-‎‎65), « Changer l’homme » (14-05-67)…

Les questions de développement et d’édification constituent des sujets récurrents dans ses ‎interventions. Il les aborde en particulier dans « Les conditions d’une dynamique sociale » ‎‎(28-05-67), « Travail et investissement » (04-06-67), « Les idées et l’édification sociale » (11-‎‎06-67), « Economie de subsistance et économie de développement » (20-12-67), « Le facteur ‎démographique et le sous-développement » (27-12-67), « Acheter ou faire ? » (14-02-68), ‎‎« Planification et micro-planification » (20-03-68)…‎

Les évènements internationaux le tiennent en haleine : conflit israélo-arabe, causes ‎palestinienne et vietnamienne, mouvements de décolonisation en Afrique… Il est sur tous les ‎fronts. Il consacre des articles à des figures emblématiques de l’époque : Castro (« Morale ‎et révolution », 13-03-68), Che Guevara (23-10-67), Mossadegh (« Le testament de ‎Mossadegh », 02-04-67)… ‎

Après l’agression israélienne contre les pays arabes de juin 1967, il veut attirer l’attention ‎des dirigeants arabes sur les causes « civilisationnelles » de la débâcle et propose la mise en ‎chantier d’un marché commun arabe et d’une union politique et économique des Etats du ‎Maghreb.

Il consacre à la défaite arabe de juin 1967 plusieurs articles : « Le prix de l’union ‎arabe » (18-06-67), « Le moment du flash » (25-06-67), « Le moment de réflexion » (02-07-‎‎67), « Le pétrole round » (09-07-67), « L’ONU condamne le peuple palestinien » (23-07-67)… ‎Deux semaines avant la guerre de juin 1967, il envoie un télégramme à l’ambassadeur ‎d’Egypte à Alger pour l’informer qu’il se met à la disposition de l’Egypte comme volontaire.

Le 21 juillet 1967 il termine la rédaction du tome 2 de ses Mémoires (« L’Etudiant ») en ‎français. En août, il rédige un article, « Retour aux sources » qui est censuré. En septembre, ‎il se rend à Moscou pour le cinquantenaire de la révolution d’octobre. C’est Chérif Belkacem ‎que l’a désigné en qualité d’écrivain. Il assiste au Bolchoï à la représentation ‎d’« Esmeralda ». Il passe trois semaines en Union soviétique. En décembre, il est invité à ‎donner des conférences en Allemagne et en Angleterre.

De retour au pays, il envoie une lettre au responsable du Parti FLN, Kaïd Ahmed, où on peut ‎lire ces lignes provocatrices : « En principe, en tant que simple intellectuel, je ne suis ni ‎contre ni pour l’idée du parti unique. Je suis un pragmatiste. Mais quand mon pays adopte ‎une formule, en tant que citoyen discipliné, je la respecte. Je la respecte tant qu’elle gardera ‎sa respectabilité. Mais si honnêtement je me demande si l’Algérie est un pays à parti ‎unique, j’hésiterais à répondre… De même que j’ai l’impression qu’avec le pouvoir officiel, il ‎existe un pouvoir parallèle qui neutralise le premier et utilise parfois ses sceaux et sa ‎signature comme je l’indique dans ma seconde lettre à Si Boumediene ». ‎

‎1er février 1968, il est reçu en audience privée par le président Boumediene. Le 16, il reçoit ‎une citation à comparaître pour le 22 devant la chambre administrative de la Cour d’Alger, ‎à la requête d’un ressortissant français agissant en qualité de séquestre judiciaire d’une ‎compagnie d’assurances domiciliée à Paris. La procédure vise à l’expulser de son logement.

Voici donc Bennabi avec « un caillou dans la chaussure » depuis plus d’un an et contraint de ‎jouer le rôle d’un avocat dans un procès kafkaïen. En sus du tribunal, il saisit le président de ‎la République. Dans le double de la lettre nous pouvons lire :

« L’autre jour, dans votre ‎discours au Club des Pins, vous avez parlé des harkis que le colonialisme a laissés dans la ‎place en se retirant. Vous avez fait allusion aussi au travail de sape de ces harkis contre la ‎vie nationale dans tous les domaines. Permettez-moi d’ajouter seulement deux précisions ‎que mon expérience personnelle m’a permis d’acquérir depuis mon retour en Algérie. Ces ‎harkis ne représentent pas simplement un ensemble d’individus répartis dans le pays ou ‎dans l’Etat d’une façon fortuite, mais représentent au contraire un système parfaitement ‎encadré par une pensée supérieure étrangère qui l’utilise dans des tâches minutieusement ‎planifiées. Ils constituent en fait, grâce à cette pensée directrice, un véritable pouvoir ‎parallèle dans le pays. Naturellement, je ne suis pas renseigné sur le travail de ce pouvoir ‎parallèle dans tous les domaines de la vie nationale. Mais je suis certainement le mieux ‎renseigné sur sa technique dans le domaine du travail intellectuel dans lequel se situe ‎précisément mon activité personnelle… »‎

Cette lettre d’un intellectuel placé dans des conditions psychologiques propres à faire perdre ‎la raison se termine sur ces lignes : « Monsieur le Président, en vous adressant ce mot, ce ‎n’est pas un problème personnel que j’expose, mais un cas d’intérêt général qui peut ‎intéresser même, j’en suis convaincu, la sécurité de l’Etat. Car il est évident que le système ‎auquel je fais face n’est pas dans le pays pour s’occuper de moi seulement… » Qu’est-il ‎arrivé après ces démarches ? Rien. ‎

‎« Islam et démocratie » : Confronté au problème de l’édification de l’Algérie et devant les ‎tentatives de l’aliéner au marxisme et au baâthisme, il édite en 1968 « Islam et ‎démocratie ». ‎

Dans ce texte, il commence par proposer une définition de chacun des deux concepts : ‎l’islam, c’est la foi en Dieu, la pratique de la prière, le versement de la Zakat et ‎l’accomplissement du jeûne et du pèlerinage ; c’est donc un ensemble de devoirs. ‎La démocratie c’est, étymologiquement, le pouvoir du peuple ; elle désigne un ensemble de ‎droits.

Elargissant la définition de cette dernière, il y voit un sentiment envers soi, un ‎sentiment envers autrui et un ensemble de conditions sociales et politiques nécessaires pour ‎la formation et l’épanouissement de pareils sentiments chez l’individu et écrit : « La ‎démocratie ne peut se réaliser en tant que fait politique – pouvoir du peuple – si elle n’est ‎pas d’abord imprimée dans l’individu, si elle n’est pas imprimée dans son « moi », dans les ‎structures de sa personnalité, si elle n’existe pas dans la société comme un ensemble de ‎conventions, d’habitudes, d’usages, de traditions ».

Il en découle une conséquence : « Le sentiment démocratique n’est pas inhérent à n’importe ‎quelles conditions morales et sociales… C’est l’aboutissement d’une culture, le ‎couronnement d’un humanisme, c’est-à-dire d’une certaine évaluation de l’homme à son ‎échelle personnelle et à l’échelle des autres ». ‎

Dans l’histoire de l’Occident, explique-t-il, la formation de ce sentiment a suivi un lent ‎cheminement, passant de la Grèce à Rome, puis a été porté par la Réforme et la ‎Renaissance avant d’aboutir à la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » en ‎France : « Le sentiment démocratique en Europe fut l’aboutissement normal d’un double ‎courant culturel, le résultat d’une libération de l’esprit par la Réforme et de la raison et du ‎goût par la Renaissance ».‎

Mais, indépendamment de son histoire dans le contexte européen, le sentiment ‎démocratique a une réalité intrinsèque que Bennabi traduit comme à son habitude en ‎termes de psychologie et de sociologie.

Il le définit comme « une certaine limite psychologique au-dessous de laquelle apparaît le ‎sentiment de l’esclave, et au-dessus de laquelle apparaît le sentiment du despote. L’homme ‎libre, le citoyen d’une démocratie, est une affirmation entre ces deux négations. C’est cela la ‎réalité intrinsèque à laquelle on peut référer n’importe quel processus de démocratisation. ‎Elle s’insère entre deux réalités qui la bordent et constituent en quelque sorte ses ‎‎« négatifs », c’est-à-dire la négation du « moi » chez l’esclave, et la négation de « l’autre » ‎chez le despote ».

Par voie de conséquence, un processus de démocratisation doit d’abord éliminer par des ‎moyens éducatifs ces tendances antidémocratiques. Puis il passe à l’examen de l’islam et se ‎demande s’il contient les trois éléments du problème : « Autrement dit, on doit se demander ‎s’il peut augmenter le sentiment envers soi et envers les autres, compatible avec le ‎fondement de la démocratie dans la psychologie de l’individu, et s’il peut créer les ‎conditions sociales générales favorables au maintien et au développement du sentiment ‎démocratique ainsi qu’à son efficacité… Avant de répondre à la question – l’islam produit-il ‎le sentiment démocratique ?- il y a lieu de se demander d’abord s’il réduit effectivement la ‎somme et la portée des sentiments négatifs qui se manifestent chez le despote et chez ‎l’esclave ». ‎

Pour lui, c’est le Coran qui « donne à l’homme une valeur qui transcende toute valeur ‎politique et sociale. C’est Dieu lui-même qui lui accorde cette valeur : « Nous avons honoré ‎l’homme » … La conception démocratique islamique voit en l’homme la présence de Dieu, ‎les autres conceptions voient en lui la présence de l’humanité et de la société. On a d’un ‎côté un type démocratique sacral, de l’autre un type laïque ».

Bennabi cite un autre verset qui joue le rôle de « garde-fou » contre le despotisme : «Nous ‎réservons la demeure éternelle à ceux qui ne se laissent pas tenter par l’esprit de ‎domination ».

Revenant aux faits de l’histoire, il reconnaît que « l’entreprise de démocratisation mise en ‎marche par l’islam aura duré environ une quarantaine d’années ». Pourtant, le Coran était ‎riche de dispositions garantissant la liberté de conscience, la liberté de déplacement, la ‎liberté d’expression, l’inviolabilité du domicile…

En conclusion, Bennabi note : « Il y a lieu de considérer toute entreprise de démocratisation ‎et surtout son origine comme une entreprise d’éducation à l’échelle d’une population ‎entière et sur un plan général : psychologique, moral, social et politique… La ‎démocratisation n’est pas une simple transmission des pouvoirs entre deux parties, un roi et ‎un peuple par exemple, mais la formation de sentiments, de réflexes, de critères qui ‎constituent les fondements d’une démocratie dans la conscience d’un peuple, dans ses ‎traditions. Une constitution démocratique n’est l’expression authentique d’une démocratie ‎que dans la mesure où l’entreprise de démocratisation l’a précédée. On peut saisir par là le ‎caractère superficiel de ces emprunts constitutionnels qui se font de nos jours par ces pays ‎jeunes voulant édifier un ordre nouveau, à des pays d’ancienne tradition démocratique. Ces ‎emprunts sont peut-être nécessaires, mais ils ne sont certainement pas suffisants s’ils ne ‎sont pas accompagnés des mesures propres à les infuser dans la psychologie du peuple qui ‎les emprunte ».

‎« L’œuvre des orientalistes et son influence sur la pensée musulmane moderne» : l’idée ‎de rédiger cette étude est venue à Bennabi quand il a appris que lors d’un congrès des ‎travailleurs algériens à Paris où sa brochure « Islam et démocratie » avait été distribuée, on ‎avait invité l’écrivaine allemande Sigrid Hunke à présenter son livre qui venait d’être traduit ‎en français, « Le soleil d’Allah brille sur l’Occident » pour, dit-il, « transporter l’assistance ‎des problèmes cruciaux du présent aux splendeurs et aux fastes du passé ». ‎
Il y voit un épisode de la lutte idéologique.

Dans cette étude, il commence par distinguer les ‎orientalistes en anciens et en modernes et apologétistes et contempteurs de la civilisation ‎musulmane, pour déclarer ne s’intéresser qu’aux apologétistes qui exercent une influence ‎sur la pensée musulmane moderne et tendent à l’anesthésier.

Pour lui, ce travail d’apologie correspond aux finalités poursuivies par la lutte idéologique. Il ‎rend hommage à Sedillot, Gustave Le Bon et Asin Palacios, critique Maxime Rodinson et ‎conclut sur la nécessité pour le monde musulman de retrouver son indépendance dans le ‎domaine des idées comme dans le domaine économique et politique.

En avril 1968, il se rend avec le Dr Khaldi à Bou Saâda où ils se recueillent sur la tombe du ‎célèbre peintre converti à l’islam, Etienne Dinet. En mai, il se rend à Ghardaïa pour des ‎conférences. Il rentre à Alger fatigué et déprimé et confie à ses Carnets en date du 10 août :

‎‎« J’attends depuis 32 ans – depuis juin 1936 – une éclaircie dans ma vie. Jusqu’en 1939, j’ai ‎attendu l’éclaircie de la guerre. La guerre est venue et elle est partie avec mes espoirs. Et le ‎brouillard s’est épaissi à mon horizon. J’ai cru qu’en me lançant comme écrivain avec « Le ‎phénomène coranique », je parviendrai à le dissiper, mais le brouillard s’est au contraire ‎épaissi davantage. La Révolution est venue pour moi comme un signe de délivrance. Elle a ‎emporté dans son tourbillon mes illusions et les espérances du peuple. Elle a débouché sur ‎une indépendance plus désespérante que l’ère coloniale… Et dans ce tableau noir, mon ‎problème personnel est le plus sombre car j’ai le plus à payer au colonialisme, au sionisme, ‎aux traîtres que je démasque. Où est la solution ? Elle n’est plus dans une nouvelle guerre ‎mondiale, dans une nouvelle révolution, dans une nouvelle « hidjra ». Car j’ai vu tout cela, je ‎l’ai vécu sans trouver de solution à mon problème ».

De fin août à fin septembre 1968, il passe un mois en montagne en Kabylie chez un disciple ‎puis se rend en Egypte où il a été invité par l’université d’al-Azhar à un colloque sur le ‎‎« djihad ». Il présente un exposé et accorde des interviews à la télévision et à la radio ‎égyptiennes.

Pendant le mois de ramadhan, il anime une dizaine de conférences dans des ‎établissements scolaires et religieux en Algérie. Il propose aux autorités que soit organisé ‎chaque année en Algérie un séminaire international sur la pensée islamique. L’idée est ‎retenue et la première édition de ce séminaire se tient en décembre 1968 au Lycée Amara ‎Rachid à Alger. J’y ai assisté, et c’est là que je l’ai vu et entendu pour la première fois.‎

En janvier 1969, il achève la traduction en arabe de « L’œuvre des orientalistes » en vue du ‎congrès des écrivains maghrébins qui doit se tenir à Tripoli (Libye). En février, il se rend à ‎Khartoum où il a été invité à un congrès d’ulémas. Il donne cinq conférences et est reçu par ‎le chef de l’Etat. C’est au cours de ce voyage qu’il fait la connaissance des éditeurs de « Dar-‎al-fikr » de Damas à qui il va confier l’édition de ses livres en arabe. ‎

De retour à Alger, il donne le 7 mars une conférence à la salle des Actes sur « L’influence ‎des orientalistes ». Le 27 mai 1969, la mosquée de l’Université d’Alger est inaugurée en ‎présence de Bennabi. Il donne des conférences à l’Ecole Nationale d’Administration et à ‎l’Ecole Normale Supérieure.

Le 1er juillet, il note dans ses Carnets en suivant les informations ‎relatives à l’alunissage d’Apollo 10 : « L’évènement a sa signification pour chaque catégorie ‎de gens. Il en a une pour moi : au moment où des hommes attendent sur terre leur salut du ‎ciel, ce sont d’autres hommes qui montent au ciel. »

Le 12 novembre, il note : « Il est 23h je ‎viens de terminer avec l’aide de Dieu la traduction du 2° volume des « Mémoires d’un ‎témoin du siècle : l’Etudiant ».‎

En février 1970, il est au Caire pour participer à un congrès islamique. Nasser vient le saluer ‎et lui déclare qu’il a lu tous ses livres. En mai, Khaldi et lui sont désignés par le ‎gouvernement pour représenter l’Algérie à la conférence mondiale des chrétiens pour la ‎Palestine qui se tient à Beyrouth. Il note en date du 05 mai : « J’ai le sentiment que la ‎conscience chrétienne inaugure une étape nouvelle dans son histoire terrestre… La ‎conférence a été marquée par des interventions bouleversantes, notamment celles de ‎Georges Montaron et de l’abbé Pierre. »

Cette même année, la mosquée d’Alger entreprend ‎la réédition en polycopiés de ses principaux ouvrages : « Le phénomène coranique », « Les ‎conditions de la renaissance », « Vocation de l’islam » et « Idée d’un Commonwealth ‎islamique ». Elle lance également un périodique, « Que sais-je de l’islam ? », dans lequel ‎Bennabi publie à chaque parution un ou plusieurs articles.

Le premier numéro de cette revue de fortune semi clandestine sort en février 1970. Il y ‎signe l’Avant-propos ainsi que deux articles : « Que sais-je de l’islam ? » où il cite la fameuse ‎phrase du général de Gaulle (« On voit que tout se tient dans l’univers islamique, et que le ‎problème des problèmes est le destin de l’islam »), et « L’islam, facteur de libération et de ‎désaliénation de l’esprit humain ». Le deuxième numéro sort en avril 1970 ; il y signe ‎‎« L’islam et le mythe du XX° siècle ». Le troisième numéro sort en mai 1970 ; il y signe un ‎hommage « A la mémoire de Ben Badis ». Le quatrième numéro sort en octobre 1970 ; il y ‎signe « Al-Azhar et la lutte idéologique ». Le cinquième numéro sort en novembre 1970 ; il y ‎signe « Le musulman et le problème de l’homme ». Le sixième numéro sort en décembre ‎‎1973 ; il y signe l’éditorial (sur le ramadhan). Le septième numéro sort en juin 1972 ; il y ‎signe « Spiritualité et socio-économie ». Le huitième numéro sort en mai 1973 ; il y signe ‎l’éditorial (« La promesse de l’islam ») et « Inadéquation du musulman et son adéquation ‎nécessaire dans le monde moderne», ainsi qu’un commentaire d’une citation d’Abou Bakr ‎Essedik. Le neuvième numéro sort en juin 1973 ; il y signe « Le livre conservé », dans lequel ‎il condamne l’agression par les étudiants marxistes de la mosquée de l’Université d’Alger au ‎cours de laquelle des exemplaires du Coran ont été brûlés. Le dixième numéro sort en ‎octobre 1973, il y signe son dernier article, « Le droit du pauvre ».

En juin 1970, il est invité en Libye pour une série de conférences. Il est longuement reçu par ‎Kadhafi. Il remet au leader libyen un ensemble de documents composé d’un « Historique » ‎‎(de la Libye), de « Le Pétrole et la base de Wheelus », de « L’exemplarité », de « Vigilance ‎nécessaire » et d’une « Conclusion ».

Dans le texte intitulé « L’exemplarité », on peut lire : « Dans les pays arabes, le politique ‎parle le langage du diplomate : il évite de dire la vérité ou bien il l’enrobe. Or, si on ‎définissait par antithèse la diplomatie, par rapport à la politique, on dirait de la première ‎que c’est l’art de dire ce qui endort la conscience, tandis que la seconde consiste à dire ce ‎qui la réveille ». Il appelle cette attitude qui a conduit maint pays arabe à la débâcle le ‎‎« complexe diplomatique ».

Il faut savoir que Kadhafi avait un très grand respect pour Bennabi et qu’il sollicitait ‎fréquemment ses analyses. Il l’a aidé autant de son vivant qu’après sa mort, entourant sa ‎veuve et ses filles de toutes les prévenances. Deux autres libyens, des disciples, ont ‎également aidé Bennabi de son vivant : Mohamed Dakhil et Mohamed Haouissa. Bennabi ‎vouait pour sa part à Kadhafi une grande affection et voyait en lui un espoir pour le monde ‎arabo-musulman. En septembre, il est nommé par Nasser membre de l’Institut des Etudes ‎Islamiques du Caire. ‎

‎« Le problème des idées dans la société musulmane » : A la demande du Dr Ammar Talbi, ‎un de ses anciens disciples au Caire, Bennabi reprend la rédaction du « Problème des idées » ‎interrompue en janvier 1960 au Caire. Le 04 octobre 1970, il termine le premier chapitre, le ‎‎14 il en est au quatrième, le 22 novembre, il peut noter dans ses Carnets : « Il est 20h30. Je ‎viens d’écrire la dernière ligne de ce livre ».

En décembre 1970 il se rend en Libye avec le ministre Chérif Belkacem. En mars, il est au ‎Caire. Il donne des conférences et y reste pendant plus d’un mois. De là, il se rend à Tripoli ‎où l’a demandé Kadhafi qu’il rencontre plusieurs fois et à qui il remet un nouveau travail sur ‎‎« La mission de l’islam dans le monde ». Fin mai, il s’envole pour Beyrouth et passe ‎quelques semaines chez Omar Meskawi. Il lui établit une procuration l’habilitant à publier ‎ses livres en arabe.

C’est là qu’il rédige « la crise culturelle », nouveau chapitre annexé au « Problème de la ‎culture », ainsi que la préface à la deuxième édition. Il retourne au Caire où il va passer un ‎autre mois pour superviser l’édition du « Problème des idées dans la société musulmane ». ‎Cela fait maintenant quatre mois qu’il a quitté Alger. Le livre sort le 10 juillet. Il en offre le ‎premier exemplaire à Amin Mançour, rédacteur en chef de « Akhbar al-youm ». Le même ‎jour, il donne une conférence au foyer des étudiants malaisiens. Il rentre en Libye le 16 ‎juillet où il est reçu par Kadhafi.

Le 15 septembre, il prend l’avion pour les Etats-Unis. Il atterrit à Chicago où l’attendent les ‎étudiants qui l’ont invité. Il donne quelques conférences dans cet Etat puis poursuit son ‎périple à Detroit, Michigan, Madison, Los Angeles, New Orleans, Bâton Rouge, Washington, ‎Philadelphie…

Rentré en Algérie début novembre, il donne une conférence à Constantine sur ‎‎« Le rôle du musulman dans le dernier tiers du XX° siècle ».

Le 1er janvier 1972, il adresse une lettre au président Boumediene dans laquelle il lui ‎rapporte les faits suivants : le 22 décembre précédent, il s’est rendu à l’aéroport pour ‎prendre un vol à destination de Djeddah où l’avait invité l’Université Abdelaziz pour des ‎conférences, et accomplir le pèlerinage, accompagné de son épouse et de sa fille Rahma.

Ayant souscrit à toutes les formalités et après même que ses bagages eurent été embarqués ‎dans l’avion, voilà qu’un élément de la police vient lui signifier qu’il n’est pas autorisé à ‎quitter le territoire national. Bennabi retourne à son domicile avec sa famille et essaye de ‎s’informer sur les raisons de cette mesure qui le privait de l’exercice d’un droit religieux (le ‎pèlerinage) ainsi que de ses activités intellectuelles. Il dit dans sa lettre au président qu’il est ‎obligé d’interpréter cette interdiction comme « un placement en résidence surveillée ».

Le ‎‎21 janvier, soit un mois après, il est enfin autorisé à prendre l’avion pour l’Arabie saoudite. Il ‎accomplit son troisième pèlerinage après ceux de 1954 et de 1961, et donne une série de ‎conférences à Djeddah, à la Mecque, Médine et Riyad.‎

‎« Le musulman dans le monde de l’économie » : Il est avec sa femme et sa fille à Beyrouth ‎quand, dans une note du 07 mars, il écrit : « L’idée d’un nouveau livre, « Le musulman dans ‎l’univers économique », m’est venue à la suite de mes conférences sur l’économie à ‎l’Université du roi Abdelaziz Ibn Séoud à Djeddah ». Il se met aussitôt à l’ouvrage et en ‎termine la première partie ; le 17, il achève la deuxième.‎

Le 19, il se rend à Damas ; le 26, il est au Liban où il reçoit le télégramme annonçant la mort ‎de Khaldi (il accuse sévèrement le coup et, de ce jour, rapporte sa famille, il n’a plus ‎regardé la télévision jusqu’à sa mort). Il donne une dizaine de conférences. Le 10 avril, il ‎retourne à Beyrouth, puis revient à Damas une nouvelle fois pour d’autres conférences dans ‎les universités syriennes. ‎

Cela fait trois mois qu’il a quitté l’Algérie. Le 18 mai 1972, paraît en arabe à Beyrouth « Le ‎musulman dans le monde de l’économie ». C’est un condensé des vues économiques qu’il a ‎développées dans ses livres et articles. La version française sortira en 1996 avec une préface ‎de Nour-Eddine Boukrouh.

Il se compose d’une Introduction datée du 07 mars 1972, de trois ‎parties (Fondements des relations économiques actuelles dans le monde, Cartes de ‎répartition des potentialités dans le monde et Les conditions de démarrage) et d’une ‎conclusion. ‎

Le 7 mars 1973, un peu avant 18h 00, Bennabi et sa femme sont agressés par leurs voisins ‎du dessous devant la porte de leur immeuble, avenue Roosevelt. Trois hommes et deux ‎femmes le battent sur le trottoir jusqu’à ce qu’il tombe par terre. Il est roué de coups ainsi ‎que sa femme. Son burnous blanc lui est arraché et ses lunettes brisées.

Début mai 1973, il part en tournée de conférences à Batna et Biskra. Le 17 juin, il rédige les ‎célèbres lignes : « Je salue ma fin. De plus en plus, cette année qui marque la 69° boucle de ‎mon âge, je me surprends à éprouver comme un sentiment de soulagement. Je suis comme ‎l’homme chargé d’un lourd fardeau pour lequel il remercie le Ciel de lui avoir permis de le ‎porter aussi loin et aussi longtemps, mais qui attend tout de même le moment de le ‎déposer. Ma vie a été très lourde à porter. Et près de ma soixante-dixième année, j’en ‎entrevois la fin avec soulagement ».

Le lendemain il reçoit une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel. Sa femme ‎est accusée de « tentative de meurtre » sur la voisine qui l’avait agressée un mois plus tôt. ‎Le 27, il est à Oran, pour une conférence. Le 06 juin, il est de nouveau à Batna pour des ‎conférences, puis se dirige sur Laghouat où il doit donner trois conférences et inaugurer le ‎‎« Nadi Taraqui ». ‎

Rentré chez lui le 14 juillet, il note dans ses Carnets : « C’est en arrivant chez moi que je pris ‎conscience seulement de mon état de santé alarmant, surtout grâce aux angoisses que mon ‎état de santé donnait à ma femme qui n’eût de cesse avant que le docteur ne vînt la ‎rassurer un petit peu. »‎

Ce sont les dernières lignes du dernier carnet de Bennabi ; un carnet de couleur bleue, ‎portant le numéro 19. L’arrêt est brusque, abrupt, sans préavis. Son auteur, affaibli et ‎malade, n’y mettra plus un mot et le carnet restera éternellement vide pour la partie non ‎utilisée.

Le soir d’Algérie du 10/12/2015.‎
Oumma.com du 01/05/2016.

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