La déclaration que le général Toufik a rendu publique se veut un témoignage visant à disculper son ancien bras droit et souhaite ne pas la voir exploitée à d’autres desseins puisqu’il la termine sur ces mots : « J’ose espérer que mon intrusion médiatique, même si elle constitue un précédent, ne suscite pas les commentaires qui risquent de la dévoyer et de la détourner du but recherché ».
N’ayant pu produire son témoignage devant le tribunal, et « après avoir usé de toutes les voies réglementaires et officielles », l’ancien chef du DRS prend à témoin l’opinion publique tout en la priant de ne pas spéculer sur sa démarche comme s’il voulait rester à équidistance entre le corps social dont il ne s’est jamais revendiqué et le « système » qui l’a éjecté de si peu élégante manière et fait montre d’« injustice » envers ses proches compagnons d’arme.
Ignorant le sens et l’étendue du « but recherché », il ne nous est pas possible de restreindre la lecture de la déclaration au souhait de son auteur, et jouer à l’aveugle dans le cas où l’on tombait sur un message niché entre les lignes, car celle-ci en dit plus entre les lignes qu’explicitement. Elle confirme que la condamnation du général Hassan est un acte de vengeance ou un abus de pouvoir.
Rentré de France où il se soignait des suites de son AVC de 2013, Bouteflika risque un deuxième AVC avec cette sortie du général Toufik qui, d’un trait de plume, a dissipé le brouillard qui enveloppait le sommet de l’État.
Tout est devenu brusquement clair : les affaires de corruption, le cas Chékib Khelil et le quatrième mandat ont effectivement divisé le sommet de l’État et le haut-commandement militaire, et c’est à une décantation lourde de sens qu’on assiste à l’intérieur d’un « système » qui nous a habitués aux luttes feutrées, jamais par médias interposés.
Le général Toufik ne s’est pas contenté d’apporter la preuve de l’innocence du général Hassan en mettant en avant sa responsabilité hiérarchique, élément essentiel dans le droit militaire. Il récuse aussi qu’il y ait eu faute motivant des poursuites contre quiconque.
En assurant qu’« il n’y a pas eu d’infraction aux consignes générales », il retire ipso facto à l’affaire (dont on ne sait rien) tout fondement juridique. Ce n’est pas la « dévoyer » que de traduire cette idée en langage limpide : « Si on cherche un coupable dans l’affaire, c’est à moi qu’il faut s’adresser et non au général Hassan. Je suis le donneur d’ordres auxquels il a déféré dans le plein respect des consignes générales ».
Cette façon de faire, qui n’est pas dépourvue de panache, rappelle un peu les films où un innocent paye pour un coupable avant que celui-ci, dans un élan de bravoure, ne se dénonce spectaculairement.
Le « but recherché » par le général Toufik tient dans ce passage : « Le plus urgent aujourd’hui est de réparer une injustice qui touche un officier qui a servi le pays avec passion, et de laver l’honneur des hommes qui, tout comme lui, se sont entièrement dévoués à la défense de l’Algérie ».
En termes crus, il demande la libération immédiate du général Hassan et, dans la foulée, celle d’autres officiers de haut rang dont l’honneur a été sali. Qui sont ces hommes ? Le général Benhadid ? Le général Medjdoub ? Les charretées de généraux et de colonels anonymes éjectés du DRS depuis son départ ?
Si la déclaration du général Toufik renseigne sur l’existence d’un « but recherché », elle n’indique pas comment faire pour y arriver. Quelles options se présentent dès lors à l’esprit ? Un verdict de non-lieu bientôt prononcé par une juridiction de recours ? Une grâce présidentielle ? Une amnistie ?
En regardant les choses du strict point de vue judiciaire, la première qui s’offre à l’attention est de libérer le général Hassan et d’inculper à sa place le général Toufik qui, en blanchissant son subordonné, assume les fautes à l’origine du procès et de la condamnation.
La deuxième est que l’accusation soit abandonnée, auquel cas c’est la partie plaignante qui serait en défaut.
Cette partie étant selon toute vraisemblance le vice-ministre de la Défense, Gaïd Salah risque de se retrouver derrière les barreaux pour « complot ».
Mais lui-même étant le subordonné du ministre de la Défense nationale qui se trouve être le président de la République, ce dernier pourrait se retrouver dans la position du général Toufik : revendiquer avec panache sa responsabilité et accepter d’en subir les conséquences.
Le « système » qu’il a grandement contribué à mettre en place a donc fini par se séparer du général Toufik.
Il s’est retourné contre lui en vertu de son implacable logique interne, et c’est par la grâce du petit réduit vaillamment défendu depuis 1990 par la corporation des journalistes, la liberté de la presse, qu’il a trouvé le moyen de protester contre l’injustice qui a frappé un proche ET LE FRAPPERA PEUT-ETRE LUI-MEME UN JOUR.
C’est ce même petit réduit qui, si on l’avait laissé grandir en même temps que la démocratie naissante, serait venu à bout de ce « système » hideux.
Si petit que soit ce réduit, c’est lui qui empêchera demain que ne se réalise le souhait de Saadani de livrer le général Toufik au TPI sous l’accusation d’assassinat de Boudiaf, des moines de Tibhirine et de je ne sais qui et quoi d’autre.
Les survivants d’entre les architectes du « système » (Nezzar, Toufik, Zeroual, et beaucoup d’autres, y compris en tenue civile) doivent méditer sur leurs fautes envers le pays et les retours de manivelle de l’histoire.
Ils doivent reconnaitre leurs erreurs et s’amender par des actes honorables transcendant leurs intérêts propres ou ceux de leur caste
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Ils n’ont pas le droit de se taire en profitant d’une « retraite paisible », car le pays ne coule pas des jours heureux et n’est pas paisible, lui.
Il est en danger de liquidation définitive par des bandits ramenés par eux, qu’ils ont laissé faire, auxquels ils nous ont livres pieds et poings liés sous la menace de leurs baïonnettes et de leurs geôles.
ILS DOIVENT DIRE LA VERITE A LA NATION FUT-CE AU PRIX DE LEUR VIE ET DE LEUR FORTUNE S’ILS VEULENT PRETENDRE A QUELQUE RESPECT AUJOURD’HUI OU DEMAIN, QUAND ILS NE SERONT PLUS LÀ.
Ils sont maintenant deux anciens hauts responsables militaires, Nezzar et Toufik, à s’être élevés contre une décision de la justice militaire et à risquer des poursuites pour atteinte à « l’autorité de la chose jugée ». Il peut aussi leur être reproché d’avoir manqué à l’ « obligation de réserve ».
Cette notion est devenue un argument dans la bouche des imposteurs et des bandits, une astuce pour neutraliser les témoignages, un bâillon sur les consciences, un moyen d’empêcher de porter assistance à un pays en danger…
Maintenant qu’ils ont franchi le pas, surmonté leurs inhibitions, ils doivent aller plus loin.
Le « but recherche » ne doit pas être de sauver les soldats Hassan ou Hocine, mais de sauver l’Algérie et tous ses enfants du satanisme qui la tient entre ses serres. Il ne s’agit pas de rendre seulement justice a un innocent, mais a une nation opprimée, humiliée, meurtrie.
Quiconque possède une once d’autorité morale, de crédibilité politique, de patriotisme sincère doit dénoncer la politique actuelle comme étant néfaste à l’intérêt national, préjudiciable au pays et a son avenir.
Mes écrits d’hier et d’aujourd’hui sont, pour ma part, ma contribution à cette œuvre de sauvetage.
Aujourd’hui, la ligne de démarcation est claire : le patriotisme contre le banditisme, le sentiment national contre la trahison, la dignité contre l’indignité.
Il y a quelques jours, un ministre s’enorgueillissait dans l’hémicycle de l’APN d’être « un bandit siégeant dans un gouvernement de bandits ». Prenant publiquement sa défense, le président de l’Assemblée nationale s’est écrié en séance publique : « Un bandit, mais un bandit d’honneur ! ».
Voilà où en est arrivée l’Algérie, ce qu’est devenu son parlement où s’élaborent les lois du pays. Chakib Khélil a été réhabilité et pourra demain revenir au gouvernement ou même ETRE PLACE A LA TETE DE L’ETAT.
LES HAUTS RESPONSABLES MILITAIRES QUI ONT MIS LE PAYS DANS CETTE SITUATION UBUESQUE ET PERMIS QU’IL SOIT PLACE DANS UNE TOTALE DEPENDANCE DE L’ETRANGER DOIVENT ASSUMER LEURS RESPONSABILITES MAINTENANT, SANS DELAIS, JUSQU’AU BOUT, MEME AU PERIL DE LEUR « RETRAITE PAISIBLE ».
ILS N’ONT PAS LE DROIT D’ETRE LACHES, DE CONTINUER A SE PREVALOIR DE L’ALN OU DE LA REVOLUTION DE NOVEMBRE TOUT EN SE TAISANT DEVANT LA MORT DE L’ALGERIE LIVREE A L’INDIGNITE, LA VOYOUCRATIE ET LA TRAHISON. ILS N’ONT PAS LE DROIT DE « LA FERMER » EN CONTREPARTIE DES AVANTAGES CONSERVES.
La loi, nul n’est censé ignorer la loi, la loi est au-dessus de tous… Elles signifient quelque chose ces affirmations entendues tous les jours dans la bouche de responsables politiques et militaires en exercice ?
Tout le monde sait dans quels pays la loi est effectivement la loi, comment elle est respectée, où nul ne peut la violer impunément, où elle est réellement au-dessus de tous, et d’abord de ceux qui la font et de ceux chargés de son application.
En Algérie, ce sont les despotes, les voleurs, les incompétents qui parlent au nom de la loi et l’actionnent pour imposer leurs quatre volontés. La loi est entre leurs mains une muselière pour faire taire les objecteurs, les opposants et les victimes.
Il existe dans presque toutes les langues une expression pour désigner ceux qui ne respectent pas la loi, grands bandits ou despotes : « Ils font la loi ! ». C’est dans ce sens qu’il faut entendre la loi algérienne, une loi appliquée au cas par cas, à la carte, à la tête du client, une arme entre les mains des uns pour tenir à distance les autres, assurer l’impunité aux uns et se venger des autres. On l’appelle aussi la « loi des barbeaux ».
Les lois qui découlent d’un viol de la mère des lois, la Constitution, ne sont pas des lois mais des diktats, des oukases, des lettres de cachet.
Où habite la loi ? Qui la met en mouvement ? Pourquoi a-t-elle été appliquée pour arrêter le général Benhadid mais pas Madani Mazrag ou les responsables dont les noms hantent les colonnes des journaux depuis des années en liaison avec des affaires de corruption ?
La loi n’habite pas dans les palais de justice, là on la met seulement en œuvre selon les vœux du « système ».
Elle n’est pas déposée a la présidence de la république comme l’étalon-or était déposé jadis à Genève.
Elle n’est pas de l’encre sur du papier qui s’appellera code de procédure civile, pénale ou militaire.
Elle habite dans l’esprit des citoyens là où il y en a, dans l’inconscient des nations qui en sont véritablement, dans les gènes des peuples qui méritent ce nom.
Le meilleur sanctuaire pour la loi n’est ni le papier imprimé des codes de justice ou du journal officiel, ni les locaux de l’État, ni le ministère de la Justice, mais la conscience des hommes et des femmes, civils et militaires. Quand elle loge là elle devient inexpugnable, inviolable, réfractaire à toute velléité despotique ou djouhaïenne.
C’est l’opinion publique qui fait la loi à travers les vrais élus qu’elle envoie au parlement ; c’est elle qui s’élève contre ses abus en manifestant dans les rues ; C’EST ELLE QUI RENVERSE LES LOIS DES BARBEAUX PAR DES REVOLUTIONS.
C’est au nom du droit d’initier une révision constitutionnelle, confondu avec le pouvoir constituant du peuple, que le président de la République a violé la mère des lois en 2008 pour s’octroyer un troisième mandat que la Constitution lui interdisait.
Si la loi peut interdire une chose à quelqu’un et lui rendre possible son contraire le lendemain, satisfait-elle à la définition de la loi qui est d’être générale, universelle, au-dessus de l’intérêt particulier et au seul service de l’intérêt général ?
IL FAUT, AU NOM DE LA LOI, DE DIEU OU DU PEUPLE, ARRETER A N’IMPORTE QUEL PRIX LA DERIVE MORTELLE QUI EST EN TRAIN D’EMPORTER LE PAYS
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Ces idées, mes idées de toujours, le général Toufik les connaît très bien pour les avoir entendues de ma bouche dans le secret de son bureau dans les années 1990, ou lues sous ma signature avant et après.
Il peut témoigner qu’au moment où il était au sommet de son pouvoir je lui parlais comme je parle ici, dans d’autres écrits ou à la télévision, pour lui marquer mon désaccord avec les choix et les politiques du « système » que lui et d’autres « décideurs » incarnaient.
Il se rappelle peut-être de ce que je lui ai dit sur la décision d’introniser Abdelaziz Bouteflika, comme il sait pourquoi j’ai accepté d’intégrer son gouvernement
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La fable de La Fontaine intitulée « Le lion devenu vieux » met en scène le roi lion devenu si vieux et si faible que ses anciens sujets se délectaient à se venger de lui en lui portant qui un coup de dent, qui une griffure, qui une morsure, qui un coup de corne.
Quand arriva le tour de l’âne de donner son coup de sabot, le lion s’adressa à lui dans un râle : « Ah ! c’est trop : je voulais bien mourir, mais c’est mourir deux fois que souffrir tes atteintes ».
C’est de cette fable qu’est née l’expression « donner le coup de pied de l’âne », exprimant l’idée qu’à leur déchéance ce sont leurs anciens serviteurs que les puissants voient accourir en premier pour les achever.
C’est très probablement ce qui va arriver à « Rab Dzaïr » dans notre douar de pays où l’espèce ânière est si florissante que le maréchal-ferrant du village ne sait plus où donner de la tête, à moins que…
(« Le Soir d’Algérie » du 08 décembre 2015)