Home ARTICLESLa problématique algérienne2011-2016 POURQUOI FAIRE COMPLIQUE QUAND ON PEUT FAIRE SIMPLE ? ‎

POURQUOI FAIRE COMPLIQUE QUAND ON PEUT FAIRE SIMPLE ? ‎

by admin

‎ « Que celui qui se sent la vocation du Christ se fasse crucifier mais ne crucifie pas les ‎autres » (L. S. Senghor).‎

Un climat de déliquescence s’est installé dans le pays, alimenté depuis quarante jours par les ‎spéculations sur l’état de santé du président de la République.

C’est vrai qu’aux termes de la Constitution l’essentiel des pouvoirs exécutifs est concentré ‎entre ses mains, et qu’une vacance prolongée (aucune limitation n’est indiquée par la ‎Constitution) induirait des dysfonctionnements importants dans la conduite des affaires de la ‎nation, dont le moindre n’est pas le blocage à plus ou moins court terme de toutes les ‎institutions faute de signature des décrets présidentiels qui permettent leur fonctionnement.

Mais cherche-t-on à trouver une solution à un problème qui enfle jour après jour, ou à ‎évincer à tout prix le président quitte à sombrer dans l’inconnu ?

Or, qu’entend-on depuis quelque temps ? Les uns en appellent à la mise en œuvre de ‎l’article 88 de la Constitution pour déclarer l’incapacité du Président et organiser une ‎élection anticipée au terme des trois mois et demi prévus par la Constitution. ‎

D’autres, balayant d’un revers de main cette même Constitution, prônent une « période de ‎transition de deux ans » sous la houlette d’une personnalité nationale prestigieuse, en ‎l’occurrence l’ancien président Liamine Zéroual, période qui déboucherait sur un nouvel ‎ordre constitutionnel échafaudé par une Assemblée constituante à élire.

Le président Zéroual est connu pourtant pour son légalisme, sa foi en la démocratie, son ‎hostilité à l’idée de l’homme providentiel et son désintéressement personnel. Je ne crois pas ‎d’ailleurs qu’on lui ait demandé son avis avant de l’impliquer dans ce fourvoiement.‎

L’estimé politologue Chafik Mesbah qui a animé à lui tout seul l’actualité de la semaine ‎dernière par l’écrit et l’oral, avec le brio qu’on lui connait, nous a cependant surpris avec ce ‎qui nous semble être des incohérences peu fréquentes chez lui.‎

En effet, à peine a-t-il écarté l’idée d’un « coup d’Etat militaire » pour faire partir le ‎Président, qu’il lui substitue quelques lignes plus loin une « transition » qui ne vise pas moins ‎qu’à renverser l’ordre constitutionnel en vigueur puisqu’il propose le plébiscite d’un homme ‎en guise d’élection présidentielle et la mise en place d’une Assemblée constituante, ce qui ‎entrainerait ipso facto la suspension de la Constitution actuelle, la dissolution du parlement ‎avec ses deux chambres et d’autres institutions (comme le Haut conseil de sécurité, par ‎exemple, à un moment où nos frontières sont menacées) et la désignation d’un ‎gouvernement provisoire pour expédier les affaires courantes.‎

Pourquoi faire compliqué, en préconisant une improbable et non moins dangereuse ‎transition, quand on peut faire simple en appelant franchement à un coup d’État ?

N’est-ce pas sous cet emballage que tous les coups d’État ont été vendus aux peuples ‎africains, à commencer par les Algériens ? On a pas mal de fois lu au cours des deux ‎dernières années des appels à l’armée pour déposer le chef de l’Etat.

Cette fois-ci, c’est à un coup d’État civil, placé de surcroit sous l’égide morale d’un ex-‎président de la République, doublé d’un général à la retraite, qu’un intellectuel de renom ‎fait appel. Est-ce le soldat qui dort en lui qui a divagué en plein jour ?‎

Pourquoi le choix du président Zéroual ? Parce que ni les partis politiques, ni la société ne ‎recèleraient, selon Mr Mesbah, de personnalités charismatiques dignes de se présenter à la ‎prochaine élection présidentielle. Et pourquoi deux ans ? Parce qu’après ce court délai, ‎estime-t-il, les personnalités charismatiques inexistantes actuellement apparaitraient ‎subitement et peut-être même abondamment. ‎

Le mot charisme est un nom qui s’applique, selon le dictionnaire, aux « personnes ‎exceptionnelles jouissant d’un grand prestige, d’un ascendant sur autrui, qui savent séduire ‎les foules… ». Chez nous, malheureusement, on a plus souvent eu affaire depuis 1926 au ‎djouhaisme (du nom du mythique Djouha) qu’au charisme des préposés à notre guidance, LE ‎‎« DJOUHAISME » ETANT, POUR CEUX QUI L’IGNORERAIENT, L’ART DE DUPER LES FOULES ‎AVEC LEUR CONSENTEMENT EN PRIME.

Et puis, naît-on charismatique ou le devient-on ? Est-on charismatique par le verbe ou par ‎les œuvres, par l’apparence ou par le contenu (vision, compétence, courage de tenir un ‎langage de vérité au peuple pour redresser le pays…) ?

L’est-on par la capacité réelle à faire face à une situation critique, comme celle que ‎connaîtra très probablement notre nation au cours des prochaines années, ou par le soutien ‎intéressé de certains médias et le discours populiste et démagogique ? ‎
Peut-on le devenir en vertu d’une courte période de temps, sachant par ailleurs que celle-ci ‎sera dominée, à suivre le raisonnement du célèbre politologue, par un homme déjà ‎charismatique et faisant donc nécessairement de l’ombre à ses accompagnateurs dans la ‎galère qu’il propose ? ‎

Car Mr Mesbah s’est rendu au Forum du journal « Liberté » mardi dernier muni d’une short-‎list des personnalités qu’il a choisies pour épauler l’ancien président dans l’aventure ‎suggérée, c’est-à-dire les candidats présomptifs dont les noms reviennent à chaque ‎échéance présidentielle et dont l’âge tourne pour la majorité d’entre eux autour de 70 ans. ‎

Il a même quantifié les chances des uns et des autres et donné à chacun une note alors que ‎sur la dizaine de noms qu’il a sélectionnés un seul, jusqu’à présent, a fait œuvre de ‎candidature et bat la campagne depuis.‎

Si l’Algérie ne recèle pas en son sein des hommes et des femmes capables d’assurer la ‎relève de la génération de la Révolution, ce n’est certainement pas en deux ans qu’elle les ‎verra apparaître car un grand homme (ou une grande dame) ne peut pas être formé (e) en ‎un laps de temps aussi réduit. On n’improvise pas un grand homme ou une grande dame. Ou ‎il (elle) l’est en soi, et les circonstances ne manqueront pas de le (la) révéler, ou il (elle) ne ‎l’est pas et le jugement a priori de Mr Mesbah n’y pourra rien, ni dans un sens ni dans ‎l’autre.

Pourquoi faire compliqué quand on est sûr du diagnostic et des remèdes, en poussant en ‎avant les autres, alors qu’on peut faire simple en y allant soi-même, c’est-à-dire en se ‎portant candidat ? En effet, qu’est-ce qui empêcherait Mr Mesbah de se présenter à ‎l’élection présidentielle ? Pas la compétence et l’expérience, je suppose. Le charisme alors ? ‎Au pire il l’obtiendrait après le délai d’acquisition auquel il croit dur comme fer.

Il a textuellement demandé au président Zéroual de se « sacrifier ». Pourquoi ne s’offrirait-il ‎pas, lui, en holocauste sur l’autel de la patrie ? Parce qu’il ne serait qu’un ‎‎« analyste » comme il se définit lui-même alors qu’il est largement sorti cette fois de ce ‎rôle ? ‎

L’analyste est celui qui s’emploie à éclairer des situations confuses, à démêler des ‎écheveaux inextricables pour le commun des mortels, à lire pour le compte des autres des ‎données obscures et disparates, cherchant à établir entre elles les rapports non décelés par ‎eux et en en tirant les déductions qui leur ont échappé.

Un analyste ne donne pas de feuille de route pour un coup d’Etat, ne choisit pas les conjurés, ‎n’établit pas de short-list des acteurs, ne prescrit pas de délais d’exécution…

S’il le fait, il devient immédiatement un homme d’action, de faction, un politicien intéressé ‎ou quelque chose comme un Qaradhaoui appelant au meurtre d’un chef d’État. S’il dicte ce ‎qui doit être fait et en donne le modus-operandi, il n’est plus dans la posture de l’analyste ‎mais dans celle du conspirateur, du partisan ou du « décideur ».

Des données visibles de tous et augurant de la mise en œuvre d’un scenario précis et ‎cohérent (même si la logique interne et la signification de ces données n’apparaissent pas à ‎tout le monde) n’ont pourtant pas retenu l’attention de Mr Mesbah, malgré leur relation ‎patente avec la prochaine élection présidentielle, qu’elle se déroule avant ou à son terme. ‎

Ces données sont apparues bien avant la maladie du Président. On peut citer dans le ‎désordre l’inattendue victoire législative du FLN en 2012 qui avait surpris le parti lui-même ‎qui n’en espérait pas tant, le brusque départ de plusieurs leaders de partis, le ‎renouvellement générationnel qui s’est effectué au RCD, au FFS et au MSP, les mouvements ‎de « redressement » ayant touché les directions du FLN et du RND restés depuis en stand by, ‎l’abandon par le FFS du dogme de l’Assemblée constituante (que récupère Mr Mesbah) et de ‎son ralliement à la doctrine du « consensus national »…

Tout cela en moins d’un an. Il y a ‎aussi les nombreux agréments donnés à de nouveaux partis et l’entrée en force au ‎parlement de quelques-uns d’entre eux à peine nés…

Ces données, ces faits, ces évènements, sont annonciateurs d’une reconfiguration encore en ‎cours de la scène politique, et constitutifs d’un avenir en train d’advenir. Leur dénouement ‎est-il compatible avec un coup d’État qui leur ferait perdre toute signification ?

C’est la question que devrait se poser Mr Mesbah. Je crois pour ma part qu’un certain ‎‎« changement » est déjà en route, qu’il ne s’arrêtera pas en si bon chemin, et qu’il n’a pour ‎justification que la prochaine élection présidentielle.‎

Par ailleurs, cela fait au moins un an que le nom du président Zéroual est épisodiquement ‎cité pour jouer un rôle en 2014. Un rôle que d’aucuns voudraient le voir tenir en se portant ‎candidat, d’autres en le voyant soutenir le moment venu un candidat et, depuis quelques ‎jours, Mr Mesbah qui l’exhorte à piloter une transition dont l’Algérie ne sortira pas indemne ‎ne serait-ce qu’à cause de cette histoire d’ « Assemblée constituante » qui n’a de sens que si ‎elle doit écrire une nouvelle Constitution avec les empoignades et l’impossibilité d’accords ‎sur certains points qu’il est facile d’imaginer.

Sans parler de l’apparition d’un phénomène inédit mais en constante expansion : l’intrusion ‎dans la vie des partis, les scrutins électoraux et les assemblées élues des porteurs de ‎‎« chkara », des « habba wa dab », DES DETENTEURS D’ARGENT SALE QUI, A CETTE ALLURE, ‎FINIRONT PAR ACHETER LES INSTITUTIONS LES UNES APRES LES AUTRES, ET PEUT-ETRE ‎MEME UN JOUR L’ETAT DANS SA GLOBALITE.‎

Il se trouve que le président Zéroual a déjà été associé à une « transition » entre 1993 et ‎‎1995 et qu’y ayant goûté, il n’éprouve certainement pas l’envie d’y goûter de nouveau. Il a ‎vu ce qu’il en coûte de gérer une « Conférence nationale », de rétablir le processus ‎électoral, d’amender la Constitution (et non d’en rédiger une nouvelle), d’exercer le pouvoir ‎avec une dette colossale et un baril du pétrole à 9 ou 10 dollars, de faire face à un ‎terrorisme génocidaire, de recevoir des émissaires de l’ONU qui envisageait sérieusement la ‎mise sous tutelle de l’Algérie…‎

L’élection d’une Assemblée constituante implique la dévolution des pouvoirs législatifs et ‎exécutifs à ladite Assemblée qui aura alors à désigner un président de la République par ‎intérim et un gouvernement provisoire (de quoi faire saliver tous les Bouchakara d’Algérie ‎et de Navarre !) ‎

Le vide politique et juridique ainsi instauré pourrait durer au-delà du souhaitable et s’enliser ‎dans des débats sur des questions non consensuelles comme on l’a vu en Tunisie, ou laisser ‎le pays aller à vau-l’eau comme on le voit en Libye. Et cela, sans égard pour les périls qui ‎nous environnent.

Comment peut-on prendre le risque de superposer de nouvelles incertitudes aux ‎vulnérabilités déjà recensées par Mr Mesbah, toutes aussi plausibles les unes que les autres ‎‎?‎

Il est indéniable que la Constitution algérienne a été une nouvelle fois prise en défaut par un ‎impondérable, la maladie du président. On n’a pas tiré les enseignements de 1978 (maladie ‎puis décès de président Boumediene) ni de 1992 (démission du président Chadli). Mais cela ‎justifie-t-il qu’on cherche à compliquer le problème en proposant non pas une, mais deux ‎élections présidentielles en l’espace de deux années, la première le plus tôt possible selon ‎Mr Mesbah, et la seconde au terme de la transition ?‎

Pourquoi faire compliqué en appelant à une transition aléatoire, quand on peut faire simple ‎en sollicitant les ressources de la Constitution en vigueur et en cours d’amendement ? Faire ‎compliqué, c’est chercher à sortir des clous de la légalité comme le ferait un conducteur ‎pressé qui grille feux rouges et ligne jaune au motif qu’on l’a prévenu d’un péril en sa ‎demeure.

Faire simple, c’est chercher la solution en restant dans les clous de la légalité, sans ajouter à ‎la légitime inquiétude le saut dans l’inconnu.‎

Tout le monde sait que juste avant de tomber malade le Président avait confié à un comité ‎d’experts le soin de mettre en forme, « dans les plus brefs délais », les propositions ‎d’amendement contenues dans la plateforme issue de la consultation en 2011 et 2012 des ‎partis politiques, d’organisations de la société civile et de personnalités nationales. Dans ces ‎amendements réside peut-être la clé du problème qui se pose, je veux dire l’instauration du ‎poste de Vice-président de la République (si elle a été retenue).

En une ou quelques semaines l’affaire pourrait être bouclée : adoption en Conseil des ‎ministres du projet de loi organique portant amendements, convocation du parlement avec ‎ses deux chambres pour son adoption, promulgation de la nouvelle Constitution et, enfin, ‎nomination du Vice-président. Il ne serait dès lors plus besoin de réclamer l’application de ‎l’article 88, ni question d’élection anticipée.‎

L’intérêt du pays est que le Président de la République se remette complètement, ou pour ‎l’essentiel, de l’accident dont il a été victime, qu’il procède aux démarches qu’on vient de ‎résumer, puis nomme le Vice-président qui l’assisterait dans sa tâche et poursuivrait sous ‎son autorité la réalisation de son programme jusqu’au terme de son mandat.

Ce qui rassure, en conclusion, dans la théorie de la « succession pacifique » de Mr Mesbah, ‎c’est qu’elle tenait dès le départ à un fil, ou plus exactement à deux « si » : si le conseil ‎constitutionnel consent à proclamer l’ « empêchement » et si le président Zéroual accepte.

Or un adage français nous a appris ce qu’on pouvait faire avec des « mais » et des « si » : ‎Rien !‎

‎« Le Soir d’Algérie » du 09 juin 2013‎

You may also like

Leave a Comment