TEMPS ET LIEUX

by admin

Dans les cafés du temps de Mme Graffigny les gens du monde se rencontraient pour discuter littérature, philosophie, mode ou tout autre sujet intéressant la vie de l’époque. On les appelait les ‘’bureaux d’esprit’’ car c’est là que se faisaient les renommés et succès ainsi que s’y formaient les jeunes « précieux ».

Dans les cafés de nos grandes artères, par contre, il se rassemble de toutes autres préoccupations et il n’en est pas encore sorti un seul bel esprit qui défraierait la chronique. On peut sans grands risques confier l’espoir aux calendes grecques. De ces hauts-lieux de la paresse, il en est plutôt sorti un archétype de mauvais aloi qui, avec des oh ! et des ah ! désapprouve à longueur de repos ce qui se rapporte à notre pays au travail. Ils trouvent toujours à redire, ont immanquablement quelque chose à reprocher et se délectent à être contre. Contre tout et rien. ‘’Ya khouya, ch’uis contre !’’ est la formule lapidaire qui sanctionne leurs ‘’analyses’’ savantes, et plus ils sirotent de nectar, plus l’inspiration leur vient à profusion.

S’il vous plait un jour de faire la tournée des grands ducs pour voir de près nos baladins, je vous aide à leur identification : air dolent, accent rafistolé, mise « yé-yé ». Ne craignez pas de les rater. Choisissez votre moment et ne vous pressez point. Ce sont des « séjourneurs » qui se signaleront eux-mêmes à votre attention par leur mine, leur jactance et leur œil mécontent. Autre signe particulier : la présence d’une psyché qui aurait, elle aussi, jeté son bonnet par-dessus les moulins les stimule diablement.

Nos bonshommes donc, lorsqu’ils ne sont pas à faire quelque procès, c’est leur folle du logis qui vagabonde aux quatre points cardinaux. Ils se plaignent alors du « manque de loisirs », de « l’absence de liberté dans ce foutu pays », des « autorisations de sortie » ou de je ne sais quoi d’autre. De toute façon ils trouvent toujours pâture. Ils évoquent Paris, Londres, Venise, dans un tableau paradisiaque, s’exaltent, s’éloignent, s’emportent, soupirent puis se récupèrent avec des apitoiements sur leur sort malheureux. Les pauvres voudraient être ailleurs parce qu’ici « c’est pas ça ».

Il aurait fallu le mot d’un Diderot ou d’un chateaubriand pour vous décrire d’un trait de plume nos forts-en gueule. Celui du premier aurait été dit avec plus de justesse et de raison s’il était destiné à l’un d’eux. C’est pour cela, qu’à les observer et les écouter, il nous revient tout de go à l’esprit. En effet, « Notre homme parla et ce fut le bouquet » est la constations la plus honnête et la plus vraie car dès qu’un de ces échantillons prend la parole on a envie de quitter sa table. Quant au mot du second, il leur serait magnifiquement allé tellement il les concerne. Vraiment ‘’Ils se tiennent à quatre pour n’être pas bête, mais ils ne peuvent s’en empêcher’’ ces critiqueurs de mince étoffe.

N’est-elle pas malheureuse cette mentalité à goûts exotiques et petits-bourgeois qui prédomine dans les antres du repos ? On ne parle que de « sortir », de « faire sa vie ailleurs », de « vivre la classe » et le cœur perpétuellement branché sur l’éternel ailleurs. Où exactement ? L’Europe et ses fausses illusions, pardi ! Il y a bien pourtant d’autres ailleurs, mais nos « touristes » ne tournent jamais leur envie de ce côté. Il y a les pays arabes, la Chine, le Vietnam, Cuba, l’Afrique… Mais il faut dire, ces coins du monde ne sont pas connus part le rythme, la facilité et les « Folies bergères ».

Pourquoi ces inclinations, pourquoi cette hantise du luxe, du plaisir, des voyages, au moment où la triade révolutionnaire requiert volontés et efforts ? Peu de jeunes sont fiers et heureux de travailler pour ce « désir de vivre ensemble » qu’est la patrie, bien autrement plus cher que quelques années de lucre et d’égoïsme car c’est la vie vraie. Dans un pays qui se veut révolutionnaire il est étonnant de rencontrer ce genre de termites qui vivent en marge et qui ne peuvent ni nuire ni servir. Il est temps de cesser de faire ses calculs de la sorte : « J’ai vingt ans. Je terminerai probablement mes études de médecine à vingt sept. Ajoutons deux ans de service national, ce qui fait que je ne commencerai à vivre qu’à trente ans », et retenons le langage que tenait Che Guevara aux jeunes cubains (1) : ‘’Vous devez être l’avant-garde de tous les mouvements : les premiers dans les sacrifices qu’exige la révolution, les premiers dans le travail, les premiers dans l’étude, les premiers dans la défense du pays… Une jeunesse doit créer, une jeunesse qui ne crée pas est une anomalie’’. La bagnole, les centres de loisirs et les choses en grand sont à ce prix. Il faut ce qu’il faut pour « vivre bien », c’est-à-dire le travail, la conscience et le sacrifice.

  1. Che Guevara : ‘’ Le Socialisme et l’homme’’.

                               « El-Moudjahid » du 10 mai 1972

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