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LA VIE DE MALEK BENNABI (22)‎

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Au début de l’année 1952 Bennabi reçoit au Luat-Clairet une convocation de la préfecture de ‎police de Paris. Il lui vient une idée singulière : simuler la folie pour faire tomber l’intérêt de ‎la police pour lui. Sa femme écrit à Khaldi une lettre dans laquelle elle lui annonce la ‎‎« nouvelle », sachant que le courrier sera lu par l’administration. La simulation ne dure pas ‎longtemps. Il rentre en Algérie et se rend à Skikda où s’est établi Khaldi. Après quelques ‎jours de repos, il rejoint Tébessa et là se met à fomenter un plan d’évasion. ‎

Avec un compagnon de Canrobert (Oum al-Bouaghi), Kalli Tayeb, il échappe un soir à la ‎vigilance policière et va battre la campagne pendant un mois, parcourant à pied quelques ‎soixante-dix kilomètres avant de se résoudre à l’abandon de sa tentative. C’était en juillet ‎‎1952. Il appelle cette aventure sa « hidjra » (1). Il se place comme précepteur dans une ‎famille de Skikda. C’est dans cette ville qu’il voit le célèbre film égyptien « l’Aurore de ‎l’islam » qui le fait pleurer d’émotion. De temps à autre, la police le convoque et lui fait du ‎chantage.‎

En septembre il publie, en réponse à une critique de Rolland Miette de la politique agraire ‎décidée par le nouveau pouvoir en Egypte, un article pour défendre celle-ci (2). Le ‎colonialisme français étant extrêmement contrarié par ce qui se passe en Egypte où la ‎monarchie vient d’être renversée, Bennabi multiplie les écrits favorables au pouvoir ‎révolutionnaire incarné par le général Néguib. Il publie « Corso Fleuri » (3) en hommage à ce ‎dernier. Il voit dans la politique égyptienne une application des idées mises en avant dans ‎‎« Les conditions de la renaissance ». ‎

Il retourne en France et va déposer des exemplaires de ses livres aux ambassades des pays ‎musulmans à Paris, dont celle de la nouvelle Egypte où, reçu par l’attaché culturel, il lui ‎remet son œuvre dédicacée accompagnée d’une lettre à Néguib. Il ne recevra aucune ‎réponse. ‎

En mars 1953 il publie « La fin d’une psychose » (4) où il salue la mise en place d’une ‎nouvelle Constitution en Egypte dans laquelle il voit « le simple apprêt des pays musulmans ‎pour faire dignement leur entrée dans l’évolution générale qui semble devoir ‎prochainement aboutir à l’avènement de la famille humaine, unifiée, pacifiée, sans ‎complexes de supériorité ou d’infériorité parmi ses membres ». En avril, il publie un article ‎au titre éloquent, « Le devoir est aussi une politique » (5) où il lui semble que l’humanité ‎‎« est saisie d’un balancement hallucinant entre le passé et l’avenir ». ‎

Comme à son habitude, il ne sort de chez lui quand il est à Tébessa que le soir. La ‎surveillance de la police ne se relâche pas sur lui. Il écrit dans ses Mémoires : « Je n’éprouve ‎plus ce désespoir sombre, sans horizon que j’avais connu durant l’été. Et malgré la ‎formidable pression de la police, je suis animé d’un esprit de résistance que je dois sans ‎doute à la tranquillité morale que donne la prière ». ‎

En juillet, il est auprès de sa femme au Luat-Clairet. Il tombe malade et reste alité pendant ‎un mois. C’est alors qu’il décide de cesser de fumer. Khaldi est désigné pour accompagner ‎les pèlerins algériens à la Mecque. Bennabi compte sur lui pour diffuser ses livres en Orient, ‎mais il n’en aura aucun écho. ‎

Après une longue période d’incertitude, le PPA-MTLD arrive à organiser son congrès en avril ‎‎1953 à Alger en l’absence de Messali, assigné à résidence à Niort mais dont l’ombre plane ‎sur les travaux. Benkhedda écrit : « Faute d’une doctrine suffisante, nous en étions arrivés à ‎faire du « messalisme », et ce messalisme nous tenait lieu de crédo. » Mais les évènements ‎exercent une très lourde pression sur les congressistes sommés de bouger, de se déterminer ‎dans le jeu politique, de clarifier la position de leur parti par rapport aux attentes ‎populaires. ‎

A l’opposé de la version des faits rapportée par Benkhedda, Mahsas pense, lui, que la ‎‎« tendance modérée » (Lahouel, Benkhedda, Kiouane…) empêcha ceux qui étaient parmi les ‎responsables en désaccord avec elle de prendre part au congrès » (6). La crise larvée qui ‎mine le PPA-MTLD depuis 1951 ne peut plus être dissimulée. La direction du parti est ‎réaménagée et les proches de Messali écartés. Celui-ci réagit en désavouant le secrétaire ‎général, Benkhedda, et demande « les pleins pouvoirs pour redresser le parti ». La demande ‎est jugée « anti-statutaire » et rejetée par les Centralistes, ce qui est pour lui un véritable ‎sacrilège. ‎

A l’occasion de la parution d’un « Appel » pour la création d’une association, « France-‎Maghreb », Bennabi rédige « Un dialogue implique deux consciences » (7). Il est convoqué ‎sous n’importe quel prétexte et interrogé à plusieurs reprises au commissariat de police de ‎Skikda. ‎

De temps à autre il publie en arabe des articles dans « Al-Bassaïr », l’organe des ‎Oulamas, comme il lui arrive d’utiliser le pseudonyme de « Ben Kebir » pour signer certains ‎articles dans « La République algérienne ». Il note dans ses Mémoires à propos des Oulamas ‎‎: « Un fait est à retenir à l’actif de la renaissance du pays pour cette période, c’est la ‎parfaite réussite du Cheikh al-Ibrahimi dans son séjour en Orient où il vient d’organiser, ‎notamment, la mission scolaire. Grâce à ses efforts, pas mal de jeunes Algériens ont pris ‎déjà le chemin, qui de Baghdad qui du Caire, pour entreprendre ou achever des études. ‎L’administration semble bien ennuyée de ce côté-là. » ‎

Il suit la mission de l’expert allemand, le Dr. Schacht, à travers le monde musulman et ‎formule sur les questions stratégiques et économiques internationales des points de vue qui ‎deviendront des thèses dans « L’Afro-Asiatisme ». Il est très attentif à l’actualité mondiale et ‎aux informations scientifiques. ‎

Le 20 août, le souverain marocain est déposé par le gouvernement français. Bennabi publie ‎une série d’articles de soutien au monarque (8). Il fait de nouveau allusion à la pression ‎colonialiste exercée sur lui dans un article où il s’attaque au mythe du « colonialisme ‎civilisateur » (9). ‎

Se référant à son propre cas, il écrit : « Non seulement on ne lui (l’« Indigène » instruit) ‎accorde pas de droit au travail dans l’institution publique, mais on le poursuit même s’il le ‎faut sur le plan privé, allant jusqu’à faire opposition sur les moyens d’existence qu’il peut ‎arriver à se constituer… Là-dessus, je ne me réfère pas à de simples opinions, mais à des ‎faits très précis de mon expérience sociale personnelle qui embrasse maintenant un quart ‎de siècle… Aujourd’hui, je sais à quel prix on « civilise » un peuple » (10). ‎

Il ajoutera quelques mois plus tard : « Pour ma part, je puis affirmer que le moindre effort ‎d’auto-civilisation que j’aie pu faire depuis vingt ans ne m’a jamais valu sur le plan ‎administratif que de bien amères déceptions » (11).‎

Dans un tout autre registre, il note dans ses Mémoires inédits que son chat meurt le 1er ‎novembre à l’âge de treize ans : « Ce matin, mon chat est mort : une petite ombre noire est ‎passée sur la terre ; elle se nommait Puce ». On ne sait plus en fait, ce chat ayant été signalé ‎par lui dans son Journal sous le nom de Louise, à moins qu’il ne s’agisse d’un autre… ‎

A la date du 30 décembre 1953, il note : « Il est curieux que la mort d’Ibn Séoud m’affecte ‎comme un événement de ma vie personnelle. C’est que j’ai été sûrement le premier ‎intellectuel algérien qui ait suivi passionnément l’épopée séoudienne depuis 1925. Et le seul ‎certainement qui ait payé de tant de manières la fidélité au wahhabisme. » ‎

En parcourant l’édition du 14 janvier 1954 du « Figaro », il apprend la dissolution de ‎l’association des « Frères Musulmans » par le gouvernement égyptien et note : « Quant à ‎moi, j’en suis atterré tant la chose me paraissait impensable. Je comprends parfaitement ‎que Farouk ait fait assassiner Hassan al-Banna. Je comprends également que le Shah d’Iran ‎ait limogé Mossadegh. C’est dans l’ordre des choses que la pourriture réagisse contre tout ‎ce qui tend à la propreté, mais quand c’est un honnête homme qui lutte contre un honnête ‎homme… je comprends moins. Or, c’est le cas aujourd’hui de Néguib et de Hodeibi…L’unité ‎de la révolution égyptienne vient de se briser. Que va-t-il en résulter ? » ‎

Il en veut aux Oulamas de ne pas lui accorder leur représentation à Paris, ce qui lui aurait ‎permis de se stabiliser et de travailler à son oeuvre près des bibliothèques parisiennes : « Ils ‎m’ont délibérément sacrifié…J’ai trouvé en tant qu’intellectuel plus d’hostilité, plus ‎d’indifférence, plus de sabotage de la part de messieurs les oulamas que je n’en ai trouvé de ‎la part des Français » note-t-il amèrement dans ses Mémoires. ‎

Dans un article publié un an plus tard dans la « République algérienne », il écrit : « J’ai ‎consacré une grande partie de ma vie à l’action islahiste ; j’ai rendu témoignage en de ‎maintes occasions à l’œuvre d’enseignement de l’Association des oulamas. J’ai pris la parole ‎dans ses établissements à Constantine et ailleurs sans être cependant membre de cette ‎Association. Il serait plus juste de dire qu’elle ne m’a pas invité à participer à sa gestion ‎administrative, même si je leur en avais fait la demande lors des difficiles circonstances de ‎la joute dans l’arène de la lutte idéologique » (12).‎

A partir de son exil, Messali retire sa confiance à la direction du PPA-MTLD et s’érige en ‎‎« Comité de salut public » pour sauver « son » parti. Contournant les textes réglementaires, ‎il désigne de nouveaux responsables. La crise est maintenant sur la place publique. Messali ‎est la proie d’une mégalomanie sans limite, se voyant en père de la nation, du militantisme, ‎de la révolution… Il pense sincèrement être l’incarnation des idéaux nationalistes. ‎

Benkhedda écrit : « Voilà où nous avait conduit le culte de la personnalité. Nous avions érigé ‎une idole de nos propres mains, nous en étions les premières victimes et nous n’allions pas ‎tarder à subir la colère de Dieu. Le mythe Messali, c’est nous qui l’avions fabriqué, et ‎Messali en a été grisé jusqu’à sombrer dans les abîmes de la mégalomanie. Si nous avons ‎projeté en lui toute la force de notre idéal, c’est que nous-mêmes étions limités ou ‎insuffisants » (13).‎

En février 1954, un médecin français de solide culture scientifique se présente à la mosquée ‎de Paris pour proclamer sa conversion à l’islam. C’est le Dr. Emmanuel Benoist. Il confie au ‎journal « Al-Bassaïr » : « L’élément essentiel et définitif de ma conversion à l’islam a été le ‎Coran. J’ai commencé à l’étudier avant ma conversion, avec le regard critique d’un ‎intellectuel occidental, et je dois beaucoup au magnifique travail de M. Bennabi, intitulé ‎‎« Le phénomène coranique », qui m’a convaincu que le Coran était un livre divin. Il y a ‎certains versets qui enseignent exactement les mêmes notions que les découvertes les plus ‎récentes et les plus modernes. Cela m’a définitivement convaincu ». ‎

En Algérie, des affrontements éclatent dans toutes les villes entre les partisans du comité ‎central et les inconditionnels de Messali. Le parti est désormais irrévocablement divisé. On ‎en vient à utiliser des armes et à se disputer les locaux du parti. ‎

En mars, un « Comité Révolutionnaire pour l’Unité et l’Action » (CRUA) apparaît, formé d’un ‎certain nombre de cadres du parti et de l’OS qui ne veulent suivre ni les « Centralistes » ni ‎les « Messalistes », mais cherchent à réunifier les rangs du PPA-MTLD en vue de le lancer ‎dans l’action armée contre le colonialisme français. ‎

Au Luat-Clairet où il s’est fixé, Bennabi réagit aux écrits d’universitaires français sur l’Algérie ‎ou le monde musulman, ainsi qu’à des livres comme celui de Mannoni sur « La psychologie ‎de la colonisation » (14). Il note que « l’indigène n’a pas encore opéré sa révolution ‎cartésienne et n’a pas de ce fait transféré sa confiance du domaine de la providence à celui ‎de la technique » (15). ‎

Il croise la plume avec des intellectuels, des hommes politiques, des spécialistes français, ‎apportant aux uns une réfutation et aux autres la contradiction. Il demande de nouveau ‎aux Oulamas de l’aider à partir pour Médine où il a, depuis vingt ans, entretenu l’espoir de ‎s’établir. Il saisit les directions de l’UDMA et du MTLD pour une aide financière. Pas de ‎réaction. Il note dans ses Mémoires inédits pour la journée du 10 mai 1954 : « Dieu seul sait ‎quand je pourrai enfin respirer un air pur, loin du « patriotisme » et de l’ «islamisme » ‎algériens. » ‎

Il sollicite des visas pour l’Egypte et l’Arabie saoudite. Nouveaux refus. Il ne décolère plus. Il ‎se sent pris en tenaille entre « le colonialisme machiavélique » et la « colonisabilité ‎maléfique ». Mais son rendement intellectuel n’est nullement amoindri. Il commente dans la ‎presse les enjeux géostratégiques discutés aux conférences internationales de Colombo et ‎de Genève. ‎

Tandis qu’à Genève les puissances occidentales mettent au point une stratégie périphérique ‎pour soustraire le Sud-Est asiatique à l’influence communiste, à Colombo les pays asiatiques ‎proclament le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Bennabi y voit l’affrontement ‎entre la « volonté de puissance » et la « volonté de libération » (16). ‎

Il s’informe par les journaux sur les suites du renversement du chef du gouvernement ‎iranien, Mossadegh, qui a eu le courage de nationaliser le pétrole mais qui n’a pas été ‎soutenu par le président de l’Assemblée nationale, l’Ayatollah Kachani. Il lui consacre un ‎article (17).‎

Il écrit à un compatriote pour lui demander un vieux pardessus et des vêtements pour passer ‎l’hiver, mais ne reçoit pas de réponse. Des mouvements de libération apparaissent en ‎Tunisie et au Maroc. L’Amérique procède à deux essais de la bombe H. Dien Bien Phu ‎tombe (3500 Français sont tués par l’armée vietnamienne et 10.000 faits prisonniers). ‎L’empire colonial français est ébranlé. Mendès-France est désigné à la tête du ‎gouvernement… ‎

Le CRUA se dote d’un journal, « Le Patriote », dont les premiers articles sont signés par ‎Hocine Lahouel, Sid-Ali Abdelhamid et Mohamed Boudiaf. Ce dernier se rend en France pour ‎gagner à la cause du CRUA des militants comme Didouche Mourad. ‎

Les « Messalistes » interprètent la création du CRUA comme une diversion de la part des ‎‎« Centralistes ». Les affrontements fratricides se généralisent. Les anciens de l’OS qui ont ‎échappé à la répression des autorités coloniales rallient le CRUA : Bitat, Boussouf, Ben ‎Mhidi, Benabdelmalek, Zighoud, Bentobbal, Benaouda, Ben Boulaïd, Chihani… Les membres ‎de la Délégation extérieure au Caire (Ben Bella, Khider, Aït Ahmed) les rejoignent. ‎

En juin, vingt-deux membres de l’OS, et maintenant membres du CRUA, se réunissent à ‎Alger pour préparer l’insurrection. Ils chargent Boudiaf de désigner une direction collégiale ‎qui sera composée de Ben Boulaïd, Didouche, Ben Mhidi, Bitat, Krim Belkacem et lui-même. ‎Le comité central du MTLD apporte son aide matérielle et financière au CRUA selon ‎Benkhedda. ‎

Au Luat-clairet, Bennabi lit beaucoup et dresse une fiche de chaque ouvrage étudié : ‎‎« L’histoire » de Toynbee, « L’Asie du Sud-Est entre deux mondes » et « Entre la peur et ‎l’espoir » de Tibor Mende, « Géopolitique de la faim » de Josué de Castro… Sa revue ‎préférée est « Diogène ». ‎

‎« Pourritures », titre de son journal intime à l’état de brouillon, se termine sur une ‎importante information : Bennabi a en poche un billet de bateau pour l’Egypte ! Le 12 juin, il ‎avait obtenu le précieux visa contre 50.000 francs de cautionnement : « J’ai l’impression que ‎mon projet de voyage entre dans une phase nouvelle, comme l’impression de l’aviateur qui ‎passe des conditions du vol ordinaire à celles du vol supersonique en traversant le mur du ‎son. Moi, j’ai traversé le mur de la colonisabilité que le colonialisme croyait suffisant – il y a ‎tant de trahison, de complicité parmi les colonisables – pour m’empêcher de quitter la ‎France… En tout cas, si je partais, ce serait non seulement malgré le colonialisme, mais ‎malgré l’Association des Oulamas, le MTLD, l’UDMA et les B.S.M.A » (18). ‎

Comment cela se fait-il ? On ne le sait pas. Le récit s’arrête définitivement le 24 juin 1954. ‎

Le dernier paragraphe de cette autobiographie inédite est le suivant. Bennabi est au Luat-‎Clairet : « Une course de cyclistes passe et repasse devant ma porte pour faire ses huit tours. ‎La côte qui aboutit devant chez moi est rude et les coureurs y arrivent essoufflés. Les ‎derniers qui passent sont peut-être à bout d’espoir. Mais les spectateurs qui sont rangés au ‎bord du chemin, à cet endroit, manifestent leur enthousiasme, leur sympathie à tous les ‎coureurs indistinctement. Je songe aux réactions qu’aurait notre foule vis-à-vis des derniers, ‎des moins chanceux : j’entends notre foule crier sa grosse moquerie, sa décourageante ‎hostilité. Je réalise dans un instantané d’ordre sportif la psychologie d’une civilisation où ‎chacun semble jouer un rôle appris et bien appris. Mais le rôle est dans la nature de chacun, ‎dans son éducation. Je rentre les larmes aux yeux… » ‎

En juillet 1954, une réunion a lieu en Suisse, regroupant Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben Bella, ‎Khider, Lahouel et Mhamed Yazid pour arrêter les mesures à prendre sur le plan extérieur : ‎saisine de l’ONU, propagande diplomatique, ravitaillement en armes…. ‎

Le Comité central qui dispose dans ses caisses de dix millions de francs en verse la moitié au ‎CRUA. Dans le même temps, les fidèles de Messali tiennent en Belgique un congrès et ‎prennent la décision de dissoudre le Comité central d’Alger, d’exclure la plupart de ses ‎membres et d’accorder la présidence à vie à Messali ainsi que les pleins pouvoirs… En ‎réaction, ces derniers tiennent un « congrès extraordinaire » en août et proclament la ‎‎« déchéance de Messali » et de ses compagnons. ‎

Ahmad Mahsas écrit : « Le PPA-MTLD, instrument et espoir de libération nationale, édifié ‎grâce à un effort gigantesque, aux innombrables sacrifices, à l’abnégation de dizaines de ‎milliers de militants au cours de longues années, était détruit. Ce que n’avait pu atteindre le ‎colonialisme par la violence et la répression, les dirigeants devenus impuissants et aveuglés ‎l’ont accompli au-delà de toutes les espérances de ce dernier ». ‎

Bennabi écrira plus tard dans « Le problème des idées dans la société musulmane » (19) : ‎‎« On peut comprendre bon nombre de désastres qui eussent été évités si l’on n’avait pas ‎aliéné des idées-forces en les incarnant… Le culte de « l’homme providentiel», comme celui ‎de la «chose unique» se manifeste partout dans le monde musulman actuel où il est parfois ‎la cause de faillites politiques spectaculaires… L’individu le moins convaincu de la valeur ‎sociale des idées, c’est bien souvent l’intellectuel musulman. C’est ce qui explique en Algérie ‎que bon nombre d’intellectuels, depuis une trentaine d’années, aient préféré graviter autour ‎de quelques idoles plutôt que se mettre au service de quelques idées… Le « Zaïm » ne sert ‎pas seulement à dévier les énergies révolutionnaires mises en mouvement ; il sert aussi ‎d’interrupteur dans un courant idéologique unificateur incompatible avec la politique de ‎morcellement appliquée au monde musulman. Au demeurant, il n’est pas nécessaire que le ‎‎« zaïm » soit dans le coup. Messali Hadj a sûrement joué son rôle innocemment. Son ‎comportement a été simplement conforme au fichier du colonialisme. Il a formé à son école ‎une multitude de « zaïmillons » qui l’a finalement tué lui-même et trahi la révolution qu’il ‎renia lui-même par orgueil… »‎

Le 10 octobre, les cinq chefs de zone (le CRUA avait divisé l’Algérie en cinq zones : la I, ‎confiée à Mostefa Ben Boulaïd, la II à Didouche Mourad, la III à Krim Belkacem, la IV à ‎Rabah Bitat, la V à Larbi Ben Mhidi) se retrouvent avec Boudiaf qui est, lui, chargé de la ‎coordination entre les Zones et des relations avec la Délégation extérieure, pour se ‎prononcer sur le texte de la Déclaration du 1er Novembre. Ils se rencontreront une dernière ‎fois le 25 octobre à Alger. A la veille du 1er Novembre, Boudiaf part pour le Caire pour une ‎courte mission, mais il ne devait revoir l’Algérie qu’après l’indépendance. ‎

Le 1er Novembre 1954 le monde apprend, surpris, le déclenchement de la lutte de libération ‎en Algérie. La proclamation diffusée au nom du Front de Libération Nationale (FLN) par le ‎CRUA appelle à l’action armée pour redonner à l’Algérie la souveraineté perdue en 1830. ‎C’est un coup de tonnerre, un séisme. Un nouveau langage fait son apparition dans la ‎bouche des Algériens : la lutte armée, le combat, l’action concrète pour abattre le ‎colonialisme par la force. ‎

En décembre, Messali Hadj créé un nouveau parti, le « Mouvement National Algérien » ‎‎(MNA) et ordonne des actions contre ceux qui ont déclenché la lutte armée sans son ‎consentement. ‎

Ainsi, la Révolution algérienne commence en laissant derrière elle Messali Hadj, la majorité ‎des militants du PPA-MTLD rivés de bonne foi au mythe de Messali, les « Centralistes », ‎l’UDMA, les Oulamas, le PCA…. Elle faisait irruption dans l’Histoire sans moyens, sans ‎direction, sans programme et sans organisation.‎
‎ (A ‎SUIVRE) ‎
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‎ NOTES :‎

‎1 Dans une lettre au président Boumediene datée du 10 décembre 1969, Bennabi déclare qu’il a pris en juillet ‎‎1952 « le chemin de Tébessa au Djebel Aurès pour rejoindre le maquisard Grine Belgacem », ajoutant : « Les ‎raisons qui dictaient alors ma conduite étaient d’ordre moral : depuis ma sortie de prison en avril 1946, on voulait ‎monnayer ma libération sur le plan politique et, du même coup, démonétiser mon nom et ma plume sur le plan ‎national. Mais je n’étais pas né homme à laisser mettre en laisse ma conscience et ma plume. J’ai préféré ‎m’évader. »‎
‎ ‎
‎2 « La réforme agraire en Egypte » (« La République Algérienne » du 26 septembre 1952).‎

‎3 « Le Jeune Musulman » du 13 mars 1953.‎

‎4 « Le JM » du 27 mars 1953.‎

‎5 « La RA » du 03 avril 1953.‎

‎6 Op. cité.‎
‎ ‎
‎7 « La RA » du 10 juillet 1953.‎

‎8 « L’anti-islam » (« La RA » du 11 septembre 1953), « Sans peur et sans reproche » (« La RA » du 02 octobre ‎‎1953), « Sidi Mohamed Ben Youcef passe aux aveux spontanés » (« La RA » du 14 mai 1954). ‎
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‎9 En février 2005, l’Assemblée nationale française a adopté une loi sur les « rapatriés » où il est encore ‎question de la « mission civilisatrice du colonialisme ».‎

‎10 « Marchands de civilisation », « Le JM » du 16 avril 1954. ‎

‎11 : ibid‎
‎12 « De la critique… mais constructive », op.cité. ‎

‎13 Op.cité.‎

‎14 Ed. du Seuil, Paris 1948. ‎

‎15 « Une thèse sur la colonisation », « La RA » des 19 et 26 mars 1954.‎

‎16 De Genève à Colombo », op.cité.‎

‎17 « L’étincelle d’espérance », « La RA du 28 mai 1954.‎

‎18 Boys scouts musulmans algériens.‎

‎19 Ed. Dar-al-Uruba, le Caire 1971.‎

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