Home ARTICLESLa problématique algérienne2011-2016 ÊTES-VOUS SÛRS DE VOULOIR LA VERITE ?

ÊTES-VOUS SÛRS DE VOULOIR LA VERITE ?

by admin

‎« Win rahi la verité ? » s’interrogeait Bâaziz dans une chanson de 1990. « On s’en fout ! » ‎est-on tenté de lui répondre en restant dans l’air et les paroles de sa chansonnette alors que ‎le pays est pris dans une furie de déballage allant de la bataille d’Alger aux tortures ‎d’octobre 88, du départ de Chadli aux grandes affaires de corruption, de Toufik « éplucheur ‎de patates » avant l’indépendance à « rab dzaïr » il n’y a pas longtemps… ‎
Quand on voit à quoi se rapporte la question, on a envie de dire: « On n’en a que faire de la ‎vérité, Bâaziz, elle est trop sale !»‎

Elle pleut ces jours-ci, la prétendue vérité, elle nous inonde en ces temps de sècheresse, elle ‎tombe du ciel, monte de la terre, sort de l’oubli, rentre d’exil… Elle est sur toutes les ‎bouches, dans les cafés, les chaumières, à la une des journaux, sur les réseaux sociaux et les ‎plateaux de télévision. Elle pousse toute seule, comme le chiendent et le « cactus berberus » ‎‎(hendi).

On ne pensait pas la connaître de notre vivant, la voilà courant les rues comme si elle était ‎plus pressée de se montrer que nous de la voir.

On voulait bien être édifié sur deux ou trois évènements, prendre connaissance de quelques ‎hauts faits cachés par modestie, deviner de l’intelligence derrière les décisions prises à ‎certains moments cruciaux, mais c’est au plus dégueulasse qu’on a eu droit : des révélations ‎sordides, de la pure délation, des accusations mutuelles de trahison, des raisonnements ‎enfantins, des comportements de brutes épaisses… ‎
Qu’est-ce qu’il leur a pris à ces « déballeurs » avares de mots durant leur vie active de devenir ‎d’intarissables perroquets à un âge où on est généralement peu causeur ?‎

Nezzar a longtemps été seul sur le créneau des scoops, mais le voilà rejoint par une flopée ‎de compétiteurs rappelant les célèbres marionnettes du Muppet Show : le colonel ‎Benaouda, le général Betchine, l’ancien Premier ministre Abdelhamid Brahimi qui n’a pas ‎pu patienter jusqu’à sa sortie de l’aéroport pour nous apprendre que Nezzar est un agent des ‎services français et Toufik un ancien aide-cuisinier. ‎

On ne sait pas ce qu’il est arrivé à madame l’Histoire en Algérie, mais on dirait qu’elle a ‎jailli des boîtes d’archives classées « top secret » pour ne laisser personne frustré de la ‎connaissance de la vérité. Elle s’est emparée d’un mégaphone et poussé devant elle les ‎derniers témoins en vie qu’elle a trouvés sur son chemin pour les forcer à dégurgiter ce ‎qu’ils ont longtemps caché les uns sur les autres.‎

Un proverbe algérien dit : « Sdour al-ahrar, qbour al-asrar » (poitrines de nobles, tombeaux ‎des secrets). Cette belle parole valait peut-être au temps de l’Emir Abdelkader, cheikh al-‎Mokrani, Fatma Nsoumer ou Bouamama, elle ne convient pas à la triste époque que nous ‎vivons et aux petits « haggarin » qui l’ont souillée de leurs vilénies.

C’est pour vous dire, messieurs les généraux à la retraite, anciens chefs de gouvernement et ‎anciens maquisards que nous ne voulons pas de vos vérités vengeresses, de vos ‎dénonciations tardives, de vos haines séniles, car vous avez achevé de détruire le respect ‎que nous vous accordions bien que nous ne fussions pas dupes. Nous préférons ne rien savoir ‎sur vous ou venant de vous.‎

Nous nous doutions à la seule vue de vos personnages mal fagotés, de votre langage de rue, ‎de ce qu’on a appris sur vous, qu’il y avait plus de mensonge que de vérité dans ce que vous ‎nous racontiez ou que vous vous prêtiez mutuellement pour entretenir vos légendes. Que la ‎Révolution a été faite par ceux qui sont morts, plutôt que par ceux qui y ont survécu. Que ‎quelques-uns de ces derniers ont aidé quelques-uns des premiers à rejoindre le paradis ‎auquel ils ont préféré les richesses terrestres et le pouvoir qui les permet et les sécurise.‎

Mais, à bien y réfléchir, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas encourager ce désir de se confesser, ‎même si on sait que sa motivation n’est pas le témoignage mais la vengeance : « a’mili aïn » ‎pour que mon ennemi perde les deux.

C’est peut-être nous qui ne comprenons pas ces vocations tardives, cette illumination de la ‎vieillesse, ce feu d’artifices, et continuons à voir du mal là où il n’y a plus que rémission et ‎résilience.‎

Oui, effectivement, pourquoi Zéroual ne nous apprendrait-il pas lui-même, au lieu de ‎compter sur l’Histoire, dans quelles conditions il a abandonné ses fonctions moins de trois ‎ans après que le peuple lui eut accordé sa confiance dans une ambiance patriotique ‎mémorable ?

Yacef Sâadi, malgré le grand film réalisé, le paquet de livres écrits et les interviews données ‎tout au long de sa vie, est revenu ces jours-ci sur l’ouvrage à quatre-vingt-dix ans.‎

La vérité, braves Algériens, est dans l’étalage de médiocrité qui nous a dirigés en vertu ‎des aberrations de notre histoire où la mauvaise monnaie a de toujours chassé la ‎bonne, les voyous les fils de famille et les analphabètes les hommes de pensée, pendant ‎la Révolution comme après l’indépendance.

Elle est dans le niveau intellectuel de notre leadership de 1926 (création de l’Etoile ‎Nord-africaine ») à février 2016 où viennent de se jouer, avec la dernière révision ‎constitutionnelle et dans l’inconscience la plus totale, les 5e et 6e mandats au profit ‎d’un homme disqualifié physiquement et moralement et dont on ne voit la silhouette ‎tassée que de loin en loin.

Si le « faiseur de rois » épluchait jadis patates et carottes à en croire les révélations ‎d’ « Abdelhamid la science », le « zaïm » du mouvement national, Messali Hadj, les ‎vendait sur une charrette à en croire ses biographes.

Près d’un siècle plus tard, nous sommes dirigés par un homme qui a mis le pays à plat ‎ventre comme personne avant et lui roule dessus comme on passe le fer à repasser sur ‎un linge.

La vérité, braves Algériens, est que tout cela ne date pas d’hier.

Si on remonte plus haut dans notre histoire, on tombe sur « l’homme à l’âne », Maysara ‎‎« le porteur d’eau » ou le rusé Djouha. Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre.‎

Il ne pouvait qu’en être ainsi après 1962, un ignorant succédant à un autre, s’entourant ‎de plus illettré que lui pour les postes de confiance, de légèrement plus compétent pour ‎les postes techniques mais le compensant par une servilité illimitée, et de corrompus ‎pour gérer les affaires du « système ».‎

On veut des preuves « alternatives » ? Si le FIS, les GIA, l’AIS, le GSPC et AQMI avaient ‎gagné la partie dans les années 90, on aurait aujourd’hui à la tête du califat ou de l’Etat ‎islamique d’Algérie moult marchand de volaille, tôlier, maître d’école coranique, imam ‎et « faqih » de rue, vite promis au despotisme et à l’enrichissement sans cause qui va ‎avec. Ce n’aurait pas été l’un ou l’autre, mais les uns et les autres.

On voudrait des preuves plus récentes ? A l’élection présidentielle de 2014 il y avait parmi ‎les candidats, entre pelés et tondus, un marchand de légumes prospère dont le programme ‎était de… déléguer son mandat à Ali Benhadj.

Il y a même des preuves « d’à-venir » si vous voulez : un Belahmar ne sera-t-il pas élu haut ‎la main par l’esprit du douar s’il se présentait en 2029 ? Un Benouari, ou un autre « Suisse » ‎de ce temps-là, aura-t-il une chance devant un autre Benhadj en 3029 ou en 3979 pour être ‎fidèle à notre vieux calendrier berbère ?‎

En réalité, braves Algériens, ni le pouvoir, ni personne d’entre nous, ne voudra de la ‎vraie vérité, de toute la vérité. Un morceau, quelques lambeaux par-ci par-là, de temps ‎en temps, celle des autres, oui, c’est acceptable. La nôtre, celle de chacun de nous, non, ‎il n’en est pas question sinon tous les tribunaux du monde ne suffiraient pas pour nous ‎juger, le siècle s’avérerait trop court, les prisons de toute la planète n’offriraient pas ‎assez de places pour nous héberger, les sabres d’Arabie saoudite et les pierres de son ‎désert ne feraient pas le compte pour nous décapiter et nous lapider pour nos fautes et ‎nos crimes cachés, non avoués et non expiés.‎

‎« Win rahi la vérité ? » Il vaut mieux ne pas le savoir car elle serait trop honteuse pour ‎nous, trop accablante pour notre soi-disant dignité. Elle ressemble au voleur du dernier ‎billet de Saïd Mekbel se faufilant dans l’obscurité pour déposer son sachet-poubelle ‎devant la porte du voisin ; elle a les traits du conducteur regardant à droite et à gauche ‎avant de jeter quelque chose de son véhicule sur la voie publique ; elle est dans la ‎discrétion de ce resquilleur volant avec sa progéniture sa consommation d’électricité à ‎Sonelgaz ou d’eau à Seal avant d’aller accomplir les « tarawih »; elle est dans l’élégance ‎des hommes d’affaires maquillant leurs chiffres pour ne pas payer ce qu’il doivent au ‎fisc; elle est dans chaque construction illicite, dans l’absence de toilettes publiques dans ‎l’ensemble du pays, dans l’irrespect mutuel dans lequel nous nous tenons, dans la ‎culture de « takhti rassi », dans les viols incessants de la Constitution…‎
Qu’enseigne-t-on à nos enfants à la maison ? ‎

De laisser passer quelqu’un devant soi ? De céder le passage à un autre ? D’aider un vieillard ‎à traverser ? De se lever pour laisser s’asseoir une vieille ? D’être poli avec les autres ? De ‎ne pas escroquer autrui ? ‎

On ne sait même pas ce que c’est tant que ces règles ne sont pas estampillées d’un verset, ‎confirmées par un hadith « çahih » ou imposées par la loi moyennant sanctions. ‎
C’est la « kfaza », la « chtara », la débrouille, la méfiance des autres et leur mépris qu’on ‎leur apprend : « tag âla man tâg », « adarbou ya’raf madarbou » et autres directives du ‎même genre ponctuent le langage quotidien.

On n’est pas content de se l’entendre dire ? Ce n’est pourtant que la vérité.‎
Nous sommes tous, de haut en bas de l’échelle sociale, de petits, moyens ou grands ‎criminels, permanents ou intermittents.

Nous sommes tous, d’une façon ou d’une autre, des voleurs, des menteurs, des ‎transgresseurs des lois, des corrompus ou des corrupteurs, réguliers ou occasionnels. ‎
Le tout est de ne pas être vu, surpris, arrêté ou tué, sinon nous sommes prêts à tous les ‎attentats civiques, à tous les terrorismes intellectuels et religieux, à toutes les trahisons ‎politiques et lâchetés sociales.

En suivant à la télévision le vote de la Constitution, je me suis demandé combien de députés ‎et sénateurs auraient voté en sa faveur si le scrutin avait été réellement secret.

Car les Algériens sont très rarement les mêmes selon qu’ils agissent en secret ou en ‎public. ‎

Notre vie nationale telle que faite, notre mentalité et nos traditions telles que nous en ‎avons hérité, nous portent, nous obligent, nous condamnent à ces maladies sociales. On ‎ne résiste pas à la force gravitationnelle, on n’échappe pas à son naturel et à son ‎patrimoine génétique.‎

Ce qu’on reproche aux autres, ce pour quoi nous les haïssons et les insultons dans leur dos, ‎c’est d’avoir pris au-delà de ce que nous avons pu prendre nous-mêmes parce que nous n’en ‎avons pas eu la possibilité ou l’audace : « alli ykhaf, razkou klil » dit un adage algérien, et ‎c’est pourquoi il y a plus de pauvres que de riches.

Un autre proverbe atteste de l’ancienneté de notre inclination à la cachotterie et à la ‎duperie: « Qui t’aime voilera tes défauts » (elli ihebak yastor aybek), il faut laisser « lbir ‎baghtah »… ‎

La culture étatique et politique du secret remonte, pense-t-on, à la Révolution. En effet il ‎fallait se cacher pour ne pas être pris, ne pas laisser de traces, brouiller les pistes, masquer ‎la vérité…

Quelques-uns, arrêtés dans le souffle de la bataille, ou pour éviter de l’être, ont été ‎contraints de « donner » leurs frères.

D’autres, venus à la Révolution dans on ne sait quels buts et circonstances et ayant ‎donc plus de raisons de dissimuler leur itinéraire et leurs « faits de guerre », y ont ‎trouvé un prétexte inespéré.‎

Lorsqu’on réfléchit un peu plus, qu’on relie le présent au passé, on s’aperçoit que la ‎tendance à la dissimulation, à la fourberie, au « dribblage », plonge ses racines dans ‎notre inconscient collectif millénaire.

Et si nous creusons davantage, on le trouve intriqué avec la culture religieuse : un péché ‎caché est à moitié pardonné ; « essatra mliha ! », « astar ma star Allah » et autres ‎sentences, surtout quand elles arrangent nos petits calculs, sont pieusement ‎recommandées. ‎

Lorsque le projet de révision de la Constitution avait été rendu public, j’avais compris ‎comme tout le monde que la langue tamazight avait définitivement conquis son statut de ‎langue nationale et officielle, mais qu’il faudrait du temps pour uniformiser son usage et son ‎écriture (dix à quinze ans a dit Ouyahia), ce qui était compréhensible.

Puis il m’a paru incongru, incompréhensible, de donner d’une main ce que de l’autre on ‎retirait car, dans la même Constitution, il était dit une chose et son contraire, à savoir que ‎tamazight était langue officielle mais que l’arabe demeurerait l’unique langue officielle de ‎l’Etat.

Où était le problème, me suis-demandé ? Dans la conception des amendements ou dans les ‎mots utilisés ? ‎

Comme il est plus facile d’entrer dans un dictionnaire que dans la tête de l’auteur des ‎amendements, je me suis précipité sur le Larousse pour m’assurer du sens du mot ‎‎« officiel » et j’ai lu, comme je m’y attendais : « Qui a un caractère légal, qui émane du ‎gouvernement, de l’administration ». Mais en descendant plus bas dans la note de ‎définition je suis tombé sur un autre sens : « Qui est donné pour vrai mais qui laisse ‎supposer une autre réalité ».

Là j’ai compris que Djouha venait encore de frapper : tamazight sera officielle sans être ‎utilisée par l’Etat et l’administration. ‎

Comme pour notre système politique, notre économie, notre culture : la forme ne ‎correspond pas au fond, la lettre au fait, l’étiquette à la marchandise, le discours à la ‎réalité, le promis au tenu : tout est faux et usage de faux, apparences et artifices, ruses ‎et tromperies…

Je retrouvais la patine qui a laissé sa trace sur tout ce qui s’est fait depuis 1999. Je me suis ‎imaginé la scène : « Et les Kabyles, qu’est-ce qu’on va leur donner pour les calmer ? » ‎Réponse : le mot mais pas la réalité !‎

Il n’y a plus rien à faire ou à attendre quand c’est du plus haut niveau de l’Etat que ‎viennent les pires exemples, les atteintes à l’unité nationale, à l’intérêt général, à la ‎morale publique, à l’échelle des valeurs…

Que retiendront les nouvelles générations de cette attitude systématique de mépris et de ‎ruse fourbe envers la nation ? De leur Président recevant n’importe quel quidam étranger ‎de passage, et refusant de dire le moindre mot à son peuple depuis plusieurs années ?

De telles attitudes incitent-elles au respect de l’Etat et des dirigeants, au bon exemple et à ‎l’amour du pays ? Et ces scandales incessants, quotidiens, ce viol permanent de la ‎souveraineté populaire, cet abaissement systématique des institutions ?‎

Au regard de ce qui précède, braves Algériens, les carottes sont bel et bien cuites. ‎
Il n’est plus possible dans notre pays de croire à la Constitution, aux promesses ‎publiques, d’espérer du bien des politiques suivies, de filer droit en tant que citoyen, de ‎respecter la loi par conviction et non par peur d’être pris, d’être honnête, bien éduqué, ‎propre au physique et au moral. Il n’y a plus comment… ‎

‎(« Le Soir d’Algérie » du 09 février 2016)‎

You may also like

Leave a Comment