Il est venu, il a vu et il est reparti en nous laissant en proie à des interrogations : pourquoi est-il venu, qu’a-t-il vu et qu’a-t-il emporté en dehors de l’accord sur le gaz de schiste ?
Comme si ces mystères ne suffisaient pas, François Hollande a ajouté à notre incompréhension un problème lexical avec cette histoire d’ « alacrité » dont nous n’étions pas très nombreux ici et en France, hors les gens de l’Académie française, à connaître la signification.
Célérité oui, plus ou moins, mais alacrité c’est carrément du latin pour le commun des deux peuples.
Le mot est venu dans la déclaration faite par le président français après son entrevue avec son homologue algérien : « Le président Bouteflika m’a donné une impression de grande maîtrise intellectuelle, et même c’est rare de rencontrer un chef d’Etat qui a cette alacrité, cette capacité de jugement… »
Les mots célérité (de « celeritas ») et alacrité (de « alacritas ») partagent la même origine, le latin effectivement, riment et comportent tous deux l’idée de vitesse, de mouvement. Célérité veut dire rapidité, promptitude, et alacrité « gaieté entraînante ».
Personnellement, j’ai pris la seconde pour la première jusqu’à ce qu’il me soit venu la curiosité d’aller vérifier dans le dictionnaire et, là, je me suis demandé s’il n’est pas arrivé à Hollande ce qui m’est arrivé car en remplaçant « alacrité » par « gaieté entraînante » la phrase devient boiteuse : « Un chef d’Etat qui a cette gaieté entraînante, cette capacité de jugement… » non, ça ne tient pas la route.
Sauf s’il y a eu durant l’entretien un moment d’hilarité à l’initiative de notre président qui n’ignore pas le penchant facétieux du chef d’État français. Mais si tel avait été le cas, Hollande aurait mis une conjonction de coordination, une liaison entre les mots alacrité et capacité. Or il ne l’a pas fait d’après ce qu’en a rapporté la presse.
Il se serait aussi gardé de commettre un impair sachant que s’il est malséant de parler de corde dans la maison d’un pendu, il est tout aussi malséant de parler d’ « entrainement » à propos d’un homme qui n’est plus capable de mouvement.
Laissons là les aspects de forme pour nous occuper maintenant du fond.
A quels chefs d’État n’ayant pas la « capacité de jugement » de notre président aurait pu penser Hollande si on lui avait posé la question à brûle-pourpoint ?
A l’un d’entre ceux en fonction en Europe, en Amérique, en Asie, en Australie ou en Afrique noire ? Il n’y en a aucun qui soit dans son état.
On peut songer à Castro que le président français a visité à la Havane il y a quelques semaines, mais il a renoncé à toute fonction officielle depuis plusieurs années.
Je ne vois qu’un cas où Hollande aurait parlé juste en tenant les propos qu’il a tenus lors de sa conférence de presse à Alger : à la sortie d’une rencontre avec Stephen Hawking, l’astrophysicien britannique qui a prouvé l’existence des « trous noirs » et qui a été atteint d’une maladie rare dans sa jeunesse qui lui a fait perdre toutes ses fonctions physiologiques. Depuis, il vit sur un fauteuil roulant aménagé et branché à un ordinateur conçu pour lui.
Stephen Hawking est un génie encore actif dans la communauté scientifique, et peu d’êtres humains sur la planète peuvent rivaliser avec son intelligence, sa « maîtrise intellectuelle » et sa « capacité de jugement ».
Pourquoi n’a-t-on des nouvelles de Bouteflika que par ouïe dire, par messagers interposés, intéressés ou en service commandé ?
Pourquoi trouve-t-il convenable de se montrer dans son état aux étrangers, et honteux de se montrer aux siens autrement que de loin ou au moyen d’images traficotées ?
Pourquoi ne nous parle-t-il pas à la télévision pour que nous nous soyons aussi rassurés que François Hollande sur sa célérité d’esprit et son alacrité ?
Nous n’avons pas plus de raisons de croire Hollande que nous n’avions de croire Ouyahia quand il nous apprenait la semaine dernière que le président avait récupéré « 150% de ses capacités ».
Le premier l’a fait pour les intérêts de son pays qui ne peuvent pas être mieux servis que par un président diminué au possible et tenant à pareil témoignage flatteur, et le second par simple intérêt personnel.
Ça me rappelle des scènes de la vie coloniale que je préfère ne pas vous rappeler pour ne pas vous pousser au suicide.
(« Le soir d’Algérie » du 18 juin 2015)