« Quelques fois, on peut tuer un Etat sans tuer un seul de ses membres ». (J.J Rousseau)
Pour survivre face aux périls provenant de la nature ou des agressions de leurs congénères, les individus doivent s’organiser en communautés. A un certain stade de leur évolution, ici ou là, ils ont commencé à élaborer des systèmes de vie collectifs à l’intérieur desquels étaient répartis les rôles pour répondre à leurs besoins de sécurité et d’entraide face à la famine ou la maladie.
Les règles de vie qu’ils se sont données à travers les âges ont porté divers noms comme code, table des lois, charte ou constitution, et été améliorées au fil du temps après des ruptures dans les rapports sociaux, d’évènements extérieurs, comme les guerres, ou à l’initiative de chefs exceptionnels.
Ces règles de droit, orales ou écrites, d’origine sacrale ou humaine, ont été à l’origine des cités, empires, civilisations et États décrits dans les livres d’histoire ou qui s’offrent à nos yeux sous différentes formes et nuances dans le monde actuel.
Les constitutions, ou lois fondamentales dont découlent toutes les autres, ont fait leur apparition dans l’Antiquité là où la richesse et le savoir ont atteint un niveau exigeant des modes de gestion de la cité élargis au plus grand nombre pour donner plus de légitimité aux décisions de l’autorité, accroître la prospérité générale, imposer l’égalité en droits et en devoirs, et résoudre les conflits par des procédures consensuelles convenues à l’avance.
Depuis notre apparition sur la terre, la première Constitution dont nous nous sommes dotés pour gérer nos affaires, nous autres Algériens, est celle que Ben Bella a imposée en 1963 à l’Assemblée nationale constituante élue en septembre 1962 pour un mandat d’un an en vue de doter l’Algérie d’une constitution démocratique.
Alors qu’elle étudiait en commission deux projets de constitution, Ben Bella, président du Conseil du gouvernement, l’a dessaisie de cette mission. A un mois de la fin de son mandat, un projet de Constitution rédigé par le Bureau politique du FLN lui est envoyé pour adoption, entraînant la démission de son président, Ferhat Abbas, le 12 août 1963.
C’était le troisième coup de force après l’abandon de la réunion du CNRA à Tripoli en juin 1962 et la prise du pouvoir par la force quelques mois plus tard.
Si, comme on dit en littérature, le style fait l’homme, le caractère de l’homme qui les a inspirées a fait les constitutions algériennes. Il y a en effet une psychologie des Constitutions algériennes comme il y a un style d’écriture, d’architecture ou de mise en scène cinématographique auquel on reconnaît tel auteur, designer ou cinéaste même s’il n’a pas signé son œuvre.
Chaque Constitution algérienne semble, à travers ses choix, refléter la psychologie de l’homme qui l’a initiée. A l’exception de celle de 1963, toutes portent la patine du moi de leur initiateur.
1) LA CONSTITUTION DE 1963 est la seule à n’avoir pas été l’œuvre d’un homme en particulier car aucun ne s’était suffisamment imposé au sortir de la Révolution pour prétendre même au titre de « Primus inter pares ». Les équilibres étaient mouvants, les ambitions masquées et les conflits de tempérament feutrés.
Au-delà de ses rédacteurs proprement dits, cette Constitution a été un compromis provisoire sur le partage du pouvoir entre les figures de la Révolution réunies au sein de l’Assemblée nationale, et le clan qui s’est emparé du Bureau politique du FLN.
Ben Bella, à l’instar de la plupart de ses compagnons issus de l’école de Messali Hadj, rêvait d’un pouvoir absolu alors qu’il n’avait pas le niveau requis par une telle fonction, ne portait aucune vision d’avenir pour l’Algérie, et n’était embarrassé par aucun scrupule légaliste. Il avait besoin du soutien du chef d’état-major de l’armée des frontières et vice-versa, et c’est sous les auspices de cette conspiration inaugurale que s’est engagé le destin de l’Algérie qui n’allait plus, à ce jour, retrouver ses marques.
Ben Bella s’était en apparence résigné au partage du pouvoir avec l’Assemblée nationale, mais dans les faits il allait très vite contourner la Constitution et la transgresser chaque fois qu’elle le gênait. S’il l’avait respectée, s’il en avait fait jouer les mécanismes, s’il en avait exploité les ressources, il n’aurait peut-être pas été renversé par un coup d’Etat le 19 juin 1965.
Cette Constitution, la plus courte de toutes (78 articles), apparait rétrospectivement comme le lieu d’une surprenante synthèse entre l’essence totalitaire du parti unique et l’essence démocratique du régime parlementaire, aboutissant, sur le papier, à un équilibre inattendu des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.
On peut même affirmer qu’elle a fondé un régime (fictif) plus parlementaire que présidentiel puisque le président de la République, chef du gouvernement et du parti, est responsable devant l’Assemblée nationale, que cette dernière l’astreint à prendre les quatre-cinquièmes de ses ministres parmi ses membres (art. 47), qu’il prête serment devant elle, qu’elle partage avec lui l’initiative des lois (art. 36) et de la révision constitutionnelle (art. 71), que le président de l’Assemblée nationale peut promulguer les lois si le président de la République ne le fait pas dix jours après leur transmission (art. 51), etc.
Quelle autre Constitution algérienne a donné, ne serait-ce que théoriquement, autant de pouvoirs à l’organe législatif ? Aucune.
Celle-ci lui a donné même le droit de destituer le président de la République en cas de désaccord ainsi que le prévoient les articles 55 et 56 : « L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du président de la République par le dépôt d’une motion de censure qui doit être signée par le tiers des députés composant l’Assemblée » ; « Le vote d’une motion de censure à la majorité absolue des députés de l’Assemblée nationale entraine la démission du président de la République et la dissolution automatique de l’assemblée nationale ».
Le président de la République ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale mais, elle, peut le renverser et s’auto-dissoudre du même coup alors qu’il est élu au suffrage universel direct. Dans ce cas de figure, l’intérim du président de la République est assuré par… le président de l’Assemblée nationale.
A toutes les époques de l’Histoire, les constitutions que se sont données les pays régis par une loi fondamentale écrite se sont heurtées au problème de la stabilité de leur contenu, de leur pérennité.
Cette crainte trouve sa justification dans le risque évident que ce qu’un homme ou une assemblée a fait, un autre homme ou une autre assemblée peut le défaire, et que ce qu’une révision a réalisé, une autre peut l’annuler et ce en vertu du principe que nul n’est fondé à légiférer pour l’éternité, et qu’un pouvoir constituant en vaut un autre.
Le 19 juin 1965 le colonel Houari Boumediene renverse le président élu Ahmed Ben Bella et le jette en prison sans jugement où il restera au secret jusqu’à sa libération par le président Chadli Bendjedid en 1980.
Le voit-on accepter les dispositions de la Constitution ? Consentir à être responsable devant elle ? Prendre ses ministres sur ses bancs et s’exposer à être démis de ses fonctions par la moitié de ses députés +1 ?
L’homme dont le psychiatre Frantz Fanon avait signalé bien avant l’indépendance l’amour « pathologique » du pouvoir voulait de toute la force de ses passions un pouvoir sans partage d’aucune sorte et avec personne.
Aussi suspendit-il sans état d’âme la Constitution pour gouverner et légiférer par ordonnances jusqu’en 1976, année où il fit voter une Charte nationale dans la ligne des grands textes du totalitarisme marxiste-léniniste puis une Constitution-programme, la plus pléthorique (199 articles) et la plus antidémocratique de toutes les constitutions algériennes. Il en a profité peu de temps puisqu’il est décédé en décembre 1978.
IMAGINONS UN INSTANT QU’AU LIEU DE S’INTRONISER LUI-MEME, BOUMEDIENE AVAIT PROPOSE UN HOMME DE LA TREMPE ET DE LA PSYCHOLOGIE DE FERHAT ABBAS POUR SORTIR LE PAYS DE L’AVENTURISME OU L’AVAIT MIS BEN BELLA : NOTRE DESTIN N’AURAIT-IL PAS ETE AUTRE ? MAIS BOUMEDIENE N’AIMAIT ET NE CONCEVAIT L’ALGERIE QUE DIRIGEE PAR LUI-MEME.
Plusieurs héros de la Révolution, tombés au champ d’honneur ou assassinés par leurs « frères », ont mis en garde contre la tendance au « sultanisme », héritée du messalisme, notée notamment chez Ben Bella et Boumediene, tendance dénoncée dans des textes fondateurs de la Révolution comme la Plateforme de la Soummam (1956) où on peut lire : « La psychologie de Messali s’apparente à la conviction insensée du coq de la fable qui ne se contente pas de constater l’aurore, mais proclame « qu’il fait lever le soleil »… Le soleil se lève sans que le coq soit pour quelque chose, comme la Révolution algérienne triomphe sans que Messali y ait aucun mérite ».
Ou de cette annexe de la Charte d’Alger de 1964 où Ben Bella dit : « Il faut combattre sans répit la tendance de ceux qui affirment que la construction de l’Etat est un préalable à la révolution. Une telle voie est fausse. ELLE ABOUTIRAIT, SI ON LA PRENAIT, A REMETTRE LE POUVOIR ENTRE LES MAINS DE CEUX QUI ACTUELLEMENT POSSEDENT LA CULTURE ET L’EXPERIENCE POLITIQUE, C’EST-A-DIRE EN GROS AUX ELEMENTS LIES A LA BOURGEOISIE… Dans ce pays, les hommes qui occupent les premières places ne doivent pas être les fonctionnaires ou les intermédiaires de toutes sortes, mais les paysans et les ouvriers. Tous les autres sont à leur service car ils vivent de leur travail… ».
Ben Bella était à la première place sans avoir été un paysan ou un ouvrier, pas plus que ne le seront ses successeurs, et n’a pas vécu de leur travail ni été à leur service. Ce n’était que de la démagogie qui a fait écrire à Ferhat Abbas dans « L’indépendance confisquée » : « Après l’OAS, Ben Bella et Boumediene ont été les seconds fléaux de l’Algérie… Pourquoi ont-ils choisi le modèle de société communiste ?… Parce que l’un et l’autre étaient rongés par l’amour du pouvoir personnel et qu’ils voulaient conserver ce pouvoir à l’ombre d’un régime communiste qui le leur garantirait mieux que tout autre. Un Fidel Castro ou un Brejnev ont plus de pouvoir qu’un monarque d’un autre âge et sont inamovibles. C’est l’attrait du pouvoir absolu qui a déterminé le choix de nos dirigeants. Installés sur leur « trône », ils se sont entourés, l’un et l’autre, de courtisans plus prompts à se servir qu’à servir ».
CETTE PSYCHOLOGIE A FAIT ECOLE ET TOUCHE LES PROFONDEURS MENTALES DE TOUT DETENTEUR D’UNE PARCELLE D’AUTORITE DANS NOTRE PAYS. ELLE EST ENCORE A L’ŒUVRE AUJOURD’HUI, SOUS NOS YEUX, ET NE SEMBLE PAS VOUEE A LA DISPARITION PUISQU’ON A VU PIRE ENCORE EN MATIERE DE SULTANISME. LE NEPOTISME, LE REGIONALISME, LE CLANISME, L’IGNORANCE CRASSE ET LA CORRUPTION N’AVAIENT PAS ETE ERIGES EN LEVIERS DE COMMANDE VISIBLES DE LOIN COMME AUJOURD’HUI.
CERTAINS DE CEUX QUI SE SONT POSE COMME DES « PERES FONDATEURS » N’ETAIENT EN REALITE QUE DES « PERES DEVASTATEURS », DES DEGENERES QUI ONT FORME DES ADEPTES A LEUR IMAGE ET DONT L’ALGERIE NE CESSERA PAS DE PATIR AVANT LONGTEMPS.
2) LA CONSTITUTION DE 1976 marque un recul énorme par rapport à la précédente. Nous sommes toujours dans le système du parti unique mais tous les pouvoirs sont désormais concentrés entre les mains du président de la République. Le parti unique, source théorique des options politiques du pays et pourvoyeur des postes de responsabilité de haut en bas de la hiérarchie, n’a ni prérogatives, ni présence autre que folklorique dans la vie nationale
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D’ailleurs il n’est pas question de «pouvoir» législatif ou judiciaire, mais de «fonction» pour l’un et l’autre. L’âge du candidat à l’élection présidentielle est monté de 35 à 40 ans et le mandat présidentiel de cinq à six ans ; le président peut nommer et déléguer une partie de ses pouvoirs au Vice-président et au Premier ministre mais il n’en nomme pas dans les faits ; les membres du gouvernement engagent leur responsabilité devant lui ; il peut dissoudre l’APN et possède l’initiative de la révision constitutionnelle ; le décès et la démission du président sont prévus, mais pas la maladie alors qu’il en était question dans la précédente. Or c’est justement de maladie que mourra Boumediene en décembre 1978 à l’âge de 46 ans.
Les Constitutions vivent et meurent par le fait des hommes qui détiennent le pouvoir ou de ceux qui le leur contestent ; elles subissent des révisions pour les adapter aux besoins de la société ou satisfaire aux desiderata d’un potentat. C’est en proportion de ces évènements qu’on peut juger de la stabilité d’une Constitution et donc d’un pays. La France a eu seize constitutions en deux siècles, quand les Etats-Unis d’Amérique n’ont eu qu’une seule (amendée 27 fois entre 1791 et 1992 dont les 10 premiers amendements forment la « Déclaration des droits des citoyens », « Bill of Rights »).
LA REVISION DE JUILLET 1979 : le président Chadli Bendjedid succède au président Boumediene en février 1979 et va appliquer cette Constitution mieux que ne l’aura fait son concepteur. N’étant pas tenaillé par le démon du pouvoir et respectueux de la légalité, c’est avec le parti unique qu’il va chercher à le partager en accord avec l’esprit et la lettre de la Constitution. Il le mettra au-dessus de toutes les institutions de l’Etat et ira même jusqu’à expulser du siège actuel du gouvernement l’ensemble des ministères qui y étaient domiciliés, de même que le Chef du gouvernement et ses services, pour installer à leur place le siège du FLN et sa direction. Toute fonction d’autorité, tout haut responsable, tout « cadre de la nation » se devait de compter parmi les membres du Bureau politique ou du comité central du FLN.
En juillet 1979, il initie une révision constitutionnelle pour ramener le mandat présidentiel à cinq ans, introduire la possibilité de nommer non pas un, mais plusieurs Vice-présidents de la République (sans le faire en acte toutefois), rendre obligatoire (et non possible) la nomination d’un 1er ministre qui « assiste le président dans la coordination de l’activité gouvernementale et la mise en œuvre des décisions prises en conseil des ministres », rétablir l’empêchement pour cause de maladie.
Cohérent avec sa démarche c’est, le cas échéant, « le comité central du FLN qui se réunit de plein droit et, après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose à la majorité des 2/3 de ses membres et charge le président de l’APN de l’intérim ». Le conseil constitutionnel n’existait pas, il faudra attendre encore dix ans.
UNE AUTRE REVISION INTERVIENT EN JANVIER 1980 pour élargir les prérogatives de la Cour des comptes.
LA REVISION PAR REFERENDUM DE NOVEMBRE 1988 : A deux mois de la fin de son deuxième mandat qui devait expirer en décembre 1988, Chadli est confronté à la plus sanglante explosion populaire de l’histoire du pays. On dénombre des centaines de morts, mais il parvient à amadouer l’ire publique en promettant d’importants changements à travers une révision constitutionnelle qu’il initie par voie référendaire le 3 novembre 1988.
Dans la nouvelle mouture, le chef de l’État incarne l’unité de la nation (et non du parti et de État) ; il s’adresse directement à la nation (au lieu de l’APN) ; le poste de chef du gouvernement est créé ; « le programme de gouvernement est arrêté, coordonné et exécuté par le chef du GV, responsable devant l’APN » (art. 113) ; « pour former son gouvernement, le chef du GV procède à de larges consultations et présente les membres du gouvernement qu’il a choisis au président de la République qui les nomme ; le chef du GV présente son programme à l’APN en vue de son approbation ; l’APN ouvre à cet effet un débat général ; le chef du GV peut adapter son programme à la lumière de ce débat ; en cas de non approbation, il présente la démission de son GV au président de la République qui nomme un autre chef du GV selon les mêmes modalités, si l’approbation de l’APN n’est de nouveau pas obtenue, elle est dissoute de plein droit ; de nouvelles élections législatives sont organisés dans les trois mois (art. 114) ; l’initiative des lois appartient concurremment au chef du GV et aux membres de l’APN (art. 148).
Cette révision n’a pas néanmoins répudié le socialisme comme option « irréversible », ou démantelé le parti unique.
On sent à travers cette révision qui ouvre la voie au multipartisme un Chadli soucieux de se protéger et de se défausser, en cas de nouvelle secousse, sur le chef du gouvernement. Elle trahit une indécision entre un parlementarisme franc et un présidentialisme qui ne veut pas s’afficher ; le président cherche visiblement à installer un « fusible » à un mois de l’élection présidentielle.
Il appelle au poste de Chef du gouvernement l’ancien chef des services de renseignements, le colonel Kasdi Merbah, avec lequel un conflit de caractère ne tarde pas à éclater. Réélu par un score confortable et retrouvant sa confiance en lui-même, Chadli limoge brutalement Merbah et le remplace par l’un de ses proches, Mouloud Hamrouche, lui-même ancien militaire, qui va le desservir plus que Kasdi Merbah en s’entêtant à imposer un projet de loi électorale favorable au FLN.
Une coalition des partis d’opposition dite « les 7+1 » et une grève sauvage du FIS précipiteront sa chute. L’état de siège est proclamé le 4 juin 1991 et lui renvoyé.
3) LA CONSTITUTION DE 1989 : composée de 167 articles, elle consacre les innovations venues dans la révision de 1988. Préambule très court ; apparition des notions de « pouvoirs » exécutif, législatif et judiciaire ; autorisation d’ « associations à caractère politique » et d’associations de la société civile ; reconnaissance du droit syndical et du droit de grève ; création du conseil constitutionnel qui remplace le Comité central du FLN dans la prérogative de constater l’empêchement du président… Mais la révision constitutionnelle demeure une prérogative du président de la République.
La crise juridique qui survient en janvier 1992 dans les institutions algériennes a pour origine l’arrêt du processus électoral législatif de décembre 1991, suivi de la démission du président Chadli alors que celui-ci venait de dissoudre l’APN. La vacance simultanée des fonctions présidentielle et législative amène le Haut conseil de sécurité, une instance à compétence consultative, à s’investir des pleins pouvoirs avant de les confier à un Haut Comité d’État créé dans la précipitation et dont la présidence est confiée à un leader de la Révolution, Mohamed Boudiaf, qui sera assassiné dans des conditions troubles six mois plus tard.
4) LA CONSTITUTION DE 1996 est un toilettage de celle de 1989, mais va surtout apporter des changements dans l’exercice du pouvoir législatif qui devient bicaméral (création d’une deuxième chambre dite « Conseil de la nation »). Elle compte 182 articles. L’expression « associations à caractère politique » est remplacée par « partis politiques » ; les mandats présidentiels sont limités à deux pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie ; l’initiative des lois est partagée avec les députés comme en 1963 ; la révision constitutionnelle reste l’apanage du président de la République ; le président peut être jugé pour trahison.
Ces innovations tendent à faire barrage à la victoire électorale d’un courant extrémiste pouvant mettre en danger le régime républicain, mais constituent aussi des avancées démocratiques notables sur plusieurs plans.
L’homme qui est derrière ces innovations, le président Liamine Zéroual, est connu pour être indemne de toute pathologie de pouvoir et il va d’ailleurs le prouver une fois encore en démissionnant de ses fonctions avant la fin de son premier mandat.
De tous les présidents algériens, lui et Chadli auront été les moins intéressés par le pouvoir qu’ils ont tous deux quitté de leur gré. Ils sont aussi les seuls à avoir cru peu ou prou à la démocratie et essayé de pousser les pas du pays dans cette direction.
Mais les progrès acquis avec eux vont être annulés par l’arrivée aux responsabilités d’un homme qui était aux avant-postes du pouvoir entre 1962 et 1980, synthèse psychologique de Ben Bella et de Boumediene. Il a déjà battu le record de longévité à ce poste, il a ramené les institutions à une existence purement formelle comme sous Ben Bella et Boumediene mais, surtout, il a posé des précédents que ni l’un ni l’autre n’aurait commis.
LA REVISION DE 2002, initiée par Bouteflika, a touché à l’article 5 de la Constitution pour rendre immuables l’emblème national et l’hymne national. Mais celle DU 15 NOVEMBRE 2008 va réaliser la plus grande régression connue dans l’histoire des révisions constitutionnelles algériennes en ce qu’elle a effectué un retour à la situation antérieure à octobre 1988.
Le président Bouteflika s’est plaint dès son arrivée au pouvoir en 1999 de ce que la Constitution de 1996 ne lui plaisait pas, mais ce n’est que dix ans plus tard qu’on a compris pourquoi : il a réduit à néant le rôle du chef du gouvernement, devenu Premier ministre sans prérogatives en dehors de la coordination, et levé la limitation des mandats présidentiels à deux. Il en est aujourd’hui à son quatrième malgré la menace que constitue son état de santé pour le pays.
LES CONSTITUTIONS ALGERIENNES ONT TOUTES EU A SUBIR LES OUTRAGES DE PRESIDENTS QUI ONT PRIS EN CONSIDERATION AVANT TOUTE AUTRE CHOSE LEURS CALCULS DE POUVOIR ET LEURS INTERETS PERSONNELS.
Elles ont souffert du non-respect de leurs dispositions par le président Ben Bella, du coup d’Etat et de la maladie de Boumediene, de révisions improvisées pour assurer la continuité sous un déguisement ou un autre (Chadli), de la démission de Chadli au moment où l’APN a été dissoute, de la maladie du président Bouteflika et du refus des « institutions » de lui appliquer les dispositions pertinentes de la constitution…
On en est là avant la découverte d’autres « failles » dans l’économie de la Constitution, d’autres « cas » imprévus par les spécialistes du droit constitutionnel, alors qu’en réalité les premières ne sont que les cavités creusées par les coups de force de forcenés politiques comme les cratères laissés par des météores, et les seconds les trous percés par les caprices d’un malade comme les trous noirs laissés dans l’espace par l’explosion d’étoiles en fin de vie.
Comment espérer comprendre quelque chose à la courbe erratique suivie par les Constitutions algériennes si on confie le soin de leur étude à la science du droit constitutionnel au lieu de les ramener à la psychologie de dirigeants qu’un sort vengeur a infligés à l’Algérie comme si c’est elle qui s’est dressée à la place d’Iblis (Satan) contre le Seigneur à la veille de la Création du monde, qui a mangé la pomme à la place d’Adam et d’Eve au paradis, ou tué Abel à la place de Caïn par jalousie.
CELA N’ETANT PAS VRAI, IL FAUT CHERCHER NOS « PECHES » AILLEURS. ET CET AILLEURS N’EST PAS LOIN : IL EST JUSTE EN NOUS, DANS NOTRE BOITE CRANIENNE, DANS LES FAUSSES IDEES SUR NOUS-MEMES, LES CHOSES ET LE MONDE QUE NOUS TRAINONS DEPUIS DES MILLENAIRES, DANS NOTRE TOURNURE D’ESPRIT, NOS COMPORTEMENTS ET NOS US ET COUTUMES. NOUS CONTINUERONS A SUBIR LE SORT DU TROUPEAU QUE DES BERGERS INCULTES OU FOUS CONDUISENT AU GRE DU HASARD ET CELA JUSQU’AU JOUR IMPROBABLE OU NOTRE PAYS NE SERA PLUS UNE TERRE DE NOMADISME, DE PACAGE, DE GAZ DE SCHISTE ET DE KHECHINISME.
(« LE SOIR D’ALGERIE » DU 18 MAI 2014)