L’ENTV nous a honorés jeudi de quelques minutes nous montrant en son et images notre président en conversation joviale avec John Kerry. Nous avons entendu le ministre américain lui demander ce que l’Amérique pouvait faire concrètement et immédiatement pour aider l’Algérie (notre raison d’être sur la Terre et celle de notre diplomatie est de toujours quémander de l’aide aux uns ou aux autres), et notre président répondre : « de la technologie » ; puis, un instant après, « de l’intelligence ». Je n’ai pas saisi, en dépit de mes efforts, le reste des brefs moments de la discussion diffusés, ni donc la réponse du ministre américain qui ne pouvait être, s’agissant d’un homme intelligent, qu’embarrassée.
Et que font les Américains quand ils sont embarrassés ? Ils se laissent aller à un rire aux éclats, histoire de se donner le temps de trouver la parade. Car si le président avait à l’esprit la technologie, civile ou militaire, Kerry aurait immédiatement compris la nature de sa demande. Mais comment ferait-il pour lui donner, vendre ou prêter de l’intelligence ? S’il n’avait été un bon diplomate et un homme bien élevé, il aurait pu lui rétorquer : « Et le 4e mandat, c’est intelligent » ?
Notre président disait en quelque sorte au secrétaire d’Etat : « Il nous reste un peu de pétrole à vendre mais nous n’avons jamais eu d’idées ». Il a raison en cela car si nous en avions eu de bonnes, cela se serait vu et il en serait resté quelque chose car l’intelligence ne s’évapore pas comme les hydrocarbures, elle se renouvelle par sa propre dynamique. Tout peut disparaître dans un pays, sauf l’intelligence quand elle existe et tant qu’il y a de la vie pour la porter. Par contre nous avons souvent eu de très mauvaises idées, comme Bouteflika avec le 4e mandat : un véritable attentat contre l’intelligence nationale et la sûreté mentale de l’Etat, crime malheureusement non répertorié dans notre code pénal.
Les Etats-Unis ont beaucoup plus de pétrole et de gaz non conventionnel que nous, et bien sûr infiniment plus d’idées puisqu’on leur en quémande. Les deux pays ont en commun d’avoir eu à des moments différents de l’Histoire la même bonne idée : celle de conquérir leur indépendance. Nous avons tout loisir d’admirer ce qu’eux ont fait de cette idée – la plus grande puissance du monde dans tous les domaines sans exception – et pas assez de toutes les larmes de la planète pour pleurer sur ce que nous avons fait de la nôtre. Pourquoi ?
Parce que leur indépendance a été prise en charge par l’intelligence, quand la nôtre a été brutalement confisquée par l’ignorance qui nous gouverne à ce jour, nous ramenant au stade colonial. Et si l’on voulait fouiner un peu plus dans l’histoire de l’intelligence politique américaine pour savoir ce qui a poussé les Américains à se révolter contre la couronne britannique, on trouverait que, plus qu’une question d’impôts ou de coton, c’était une idée-force véhiculée par un livre intitulé « Common Sense » (« Le Sens commun ») paru en 1776 et rédigé par un… Anglais du nom de Thomas Paine, qui les avait exaltés. Ils ne voulaient plus d’un nouveau mandat britannique !
L’intelligence ne fait pas partie des marchandises et des services échangeables entre les nations. Elle n’est pas un produit fini prêt à l’emballage et à la consommation. Elle se dispense dans les établissements d’enseignement et les écoles d’excellence, et des milliers d’Algériens en ont reçu aux Etats-Unis et ailleurs, et la fructifient là-bas ou ailleurs. Très peu en ont fait profiter leur pays à cause de l’inintelligence qui le dirige. L’intelligence est produite aussi chez nous, cahin-caha, mais elle est méprisée et découragée par toutes sortes de voies et moyens.
La mentalité des dirigeants de notre pays n’a jamais toléré l’intelligence qu’à des niveaux subalternes. L’ignorance se pavane et affiche son faste à la tête de l’Etat quand l’intelligence rase les murs, vit parquée dans les cités-dortoirs et tire le diable par la queue pour boucler les fins de mois.
Pendant la Révolution, c’est d’abord elle qu’on a pourchassée et quelques fois assassinée. A l’indépendance, c’est d’abord elle qu’on a chassée, éloignée des fonctions de direction, emprisonnée ou exilée. Et sous le règne de Boutef, elle a été bannie au profit de l’obséquiosité et de la corruption. Tout le monde peut apprécier le niveau intellectuel et la qualité de langage des hommes de son staff : de l’intelligence à l’état pur !
Il n’y a pas plus passionnant que la recherche du sens des choses, l’explication des mystères de l’univers et de la vie, de la croissance des nations et de leur régression, de ce qu’on ne comprend pas comme en ce moment le 4e mandat et les requêtes de notre président. C’est à quoi se sont attelées depuis plusieurs millénaires les sciences et la philosophie, et moi, sur le dernier sujet, dans cette onzième contribution depuis le 10 mars.
La théorie du «dessein intelligent» (« intelligent design ») postule que l’univers obéit à un sens, qu’il a été conçu avec une précision qui défie l’imagination et travaille à une fin : la formation et la promotion de la vie intelligente sur la Terre et peut-être en d’autres endroits du Cosmos. La vie n’est pas un accident, elle n’est pas une composante de l’univers, mais la raison d’être de sa phénoménale complexité. Depuis la formation de la Terre et l’apparition de la vie bactérienne, un processus de perfectionnement pousse l’intelligence et son unique vecteur connu jusqu’ici, l’homme, à prendre la suite de l’œuvre de Dieu, une idée qui n’est pas étrangère au Coran selon lequel « l’homme est le vicaire de Dieu sur la terre » (sourate « al-Houmaza, verset 9).
C’est là que la théorie du « dessein intelligent », bâtie sur les progrès de la biologie mais considérée comme faiblement scientifique, fait jonction avec le « principe anthropique » énoncé en 1973 par l’astrophysicien Brandon Carter, un siècle après que la même idée ait été formulée sous le nom d’ « argument de l’intentionnalité » par le révérend William Paley dont les idées ont influencé son compatriote Charles Darwin. Selon ce principe, tout dans les lois de l’univers et la nano-structuration de la matière et des organismes vivants se présente comme s’il était agencé en vue d’une finalité : générer la vie intelligente, lui assurer les conditions de sa préservation et la doter de moyens de développement infinis.
C’est le contraire qu’on observe dans notre histoire naturelle et sociale où il n’y a pas d’indices d’un « dessein intelligent » ni de flèche du temps indiquant le sens de l’évolution et du progrès, mais un mouvement erratique, des avancées et des reculs, des fuites en avant ou en arrière, des rétropédalages du mauvais vers le pire et des dégringolades de charybde en scylla.
L’intelligence n’a jamais été honorée chez nous comme la meilleure qualité à laquelle pouvait aspirer un être vivant, mais juste reconnue comme gagne-pain. C’est la ruse, la débrouille, la « chtara » et la « hila » qui, à sa place, ont de tout temps été louées et recommandées comme le plus haut niveau auquel pouvait aspirer l’homme, et même la femme.
Les gens instruits, polis, éduqués (oserai-je dire « raffinés » ?) se faufilent incognito dans la masse ; ils sont timides dans les cités où ils habitent et se gardent d’élever la voix de peur d’être ostracisés ou de voir les pneus de leurs véhicules crevés ; on les regarde comme des curiosités dans la société et s’en méfie au motif qu’ils ne sont pas tout à fait « comme les autres », alors qu’eux baissent le regard quand ils se heurtent à la muflerie d’un voisin ou la malhonnêteté d’un commerçant qui les floue ; ils ne font pas assez « populo » alors que notre âme populiste incline naturellement vers ce qui est grossier, rugueux, terre-à-terre, sans gêne, violent.
Si vous n’êtes pas ainsi, vous ne faites pas assez « peuple » mais plutôt « étranger », « kafer », c’est-à-dire « ennemi du peuple ». Pour bien en être, il faut dans certaines situations se forcer à paraître non-éduqué, débraillé et même sale pour mieux faire « monsieur-tout-le-monde ». Le charlatanesque n’indigne pas mais amuse car il présente quelques traits de ressemblance avec le savoir religieux, seule forme d’« intelligence » à avoir été constamment reconnue et honorée chez nous. L’intelligence, elle, dérange et blesse.
Non, l’échelle des valeurs n’a pas été renversée un jour par un malheureux concours de circonstances, mais délibérément installée à l’envers dès l’origine. On sait intuitivement que l’intelligence singularise alors qu’il faut rester agrégé au groupe ; qu’il y a peu de chances qu’elle enrichisse son homme alors que le commerce si , surtout s’il est informel ; que si on veut monter haut il faut se montrer moins intelligent qu’on est, etc.
Par qui est entouré en termes de QI, d’éducation et de propreté morale ce président qui cherche l’intelligence même en Amérique ? A-t-il jamais décerné une médaille du mérite à quelque professeur, chercheur, ingénieur, écrivain ou artiste ? Ne trouve-t-on pas dans presque toutes les institutions l’ignorance en haut et l’intelligence en bas ou contrainte à faire prématurément « valoir ses droits à la retraite » ?
Viendra-t-il jamais des temps meilleurs pour cette nation qui aime se réfugier dans le conformisme, l’oubli et l’insouciance ? Feu Boumediene voulait construire l’Etat qui survive aux évènements et aux hommes, mais a tout fait pour qu’il ne lui survive pas puisqu’il était président, chef du gouvernement, ministre de la défense, chef d’état-major des armées et qu’il ne lui est jamais venu à l’idée de quitter le pouvoir.
Puis il y a eu une baisse de niveau avec feu Chadli et ceux qui l’ont amené, faisant perdre au pays treize longues années qui se sont terminées dans le sang.
Feu Boudiaf voulait créer un rassemblement national « apolitique », mais n’a pas eu le temps de finaliser ce projet bizarroïde que récupérera le RND.
Zéroual a abandonné la partie à mi-chemin pour des raisons encore inconnues (certains adeptes du conspirationnisme, persistent à mêler mon nom à son départ).
Bouteflika, quant à lui, nous a ramenés à l’ère de feu Messali Hadj et de la présidence à vie.
L’intelligence et la ruse découlent toutes deux de l’observation attentive et de la réflexion aigue. La première est droite et claire, alors que la seconde est oblique et tortueuse. L’intelligence se forme en pleine lumière et se transmet par la rationalité, alors que la ruse nait dans l’obscurité et se transmet par l’initiation secrète. L’une œuvre à l’intérêt public, l’autre à l’intérêt personnel. L’intelligence fait le bonheur des peuples qui la cultivent, la ruse le malheur des peuples qui s’y font prendre, comme nous en ce moment avec le 4e mandat. La première guide les USA, la seconde la RADP. Mais ce n’est pas l’intelligence américaine qui demande de l’aide à la ruse algérienne, c’est la ruse qui supplie l’intelligence de venir à son secours. Elle n’aura rien, cependant, car elle peut rouler les Algériens mais pas l’intelligence.
Lorsqu’un président doit ou est sur le point de partir, on se demande tout de suite avec anxiété « qui » mettre à sa place ? Avant de décider, dans le cas de Bouteflika, qu’il vaut mieux le garder même « mort », sur une « louha » ou « yahbou » comme vient de surenchérir le dernier converti en date à un des dogmes fondamentaux de notre pensée nationale, celui de la « chèvre qui vole ». Beaucoup dans le paysage politique, ayant été à bonne école, ont appris l’astuce et compris les déterminants mentaux de notre peuple. Aussi sont-ils nombreux à faire la queue pour, le cas échéant, prolonger à l’infini le règne de la ruse et de l’esbroufe.
Il n’y a pas longtemps on pensait chez nous, comme dans quelques autres pays dans notre cas, que ce qui nous distinguait des pays développés c’était telle quantité de temps, estimée en siècles ou décennies, , et qu’après l’écoulement de cette durée on atteindrait nécessairement le niveau mental, moral, intellectuel, social, politique, économique, technologique et militaire de ces derniers.
Les Algériens de ma génération portés par cet espoir et cette vision optimiste se souviennent de cette époque où l’élite politique, universitaire, intellectuelle, journalistique et économique était sûre qu’au bout de quelques « plans quadriennaux » menés à la trique par Boumediene nous allions surpasser l’France et le France et devenir la Prusse ou le Japon de la Méditerranée.
Demandez à Belaïd Abdesslam, il est encore de ce monde. J’étais parmi les rares qui n’y croyaient pas, et parmi les plus rares encore qui osaient l’écrire dans les années 1970 et 1980. Parmi ceux qui y croyaient et le disaient, par contre, il y avait Abdelaziz Bouteflika et beaucoup d’intellectuels passés aujourd’hui à d’autres convictions.
Dans cette conception enseignée alors dans les universités et défendue par les philosophies gauchistes on classait les peuples du monde en pays développés et sous-développés. Mais comme les pays développés se divisaient eux-mêmes en pays capitalistes et socialistes, on a rassemblé les autres sous l’étiquette de « tiers-monde » qu’on subdivisa ensuite en « pays en voie de développement » (PVD) et « pays moins avancés » (PMA). Cette idée, généreuse mais simpliste, provenait de l’observation de la nature où on naît effectivement faible et dépendant puis, au fur et à mesure de l’écoulement du temps, grandit et s’autonomise grâce au durcissement des os, au développement des muscles, des griffes et des crocs et à l’affinement des instincts. Or le temps ne joue aucun rôle dans le développement des nations.
Cette idée est vraie pour le règne animal et végétal où il n’y a effectivement pas d’espèces de plantes et de bêtes développées et d’autres sous-développées. Mais elle est fausse pour le règne humain où on peut consommer une même quantité de temps et vivre sous un même climat sans atteindre le même niveau de développement. Pour ne pas s’égarer dans des théories aussi nombreuses que discutables comme la sélection de la nature, le racialisme, la sociobiologie, la théorie de l’évolution socioculturelle ou la génétique, disons que ce qui différencie la croissance des nations des espèces végétales et animales ce sont les idées ou, comme les appelle le biologiste britannique Richard Dawkins, les « mèmes ».
Cet opposant au « dessein intelligent » et au « créationnisme » définit le « France » comme étant l’équivalent culturel du gène. Si l’évolution biologique est basée sur les gènes, l’évolution socioculturelle est basée sur les « mèmes ». Vingt ans avant Dawkins, Malek Bennabi avait développé cette thèse dans « Le problème des idées dans la société musulmane », mais le monde musulman est passé a côté de cette idée car son infrastructure intellectuelle est extrêmement indigente.
Il y a des idées « bonnes » qui mènent au développement, des idées « qui n’en sont pas » (comme celles qui émanent de la ruse) qui condamnent au sous-développement, et des idées « fausses » qui peuvent rétrograder un pays du stade de pays en voie de développement à celui de pays en voie de sous-développement tant sur le plan économique que mental, moral, intellectuel, politique et social. Les idées fausses chassent les bonnes et les peuples en question renoncent au mode de pensée rationnel pour retourner au mode de pensée magique qui peut être de caractère religieux ou laïc.
En ce mois d’avril 2014, nous sommes dans le mode de pensée magique-laïc. Cette régression survient alors que nous ne sommes pas encore totalement sortis de la précédente, dominée par le mode de pensée magique-religieux. Apparue à la faveur de l’ouverture démocratique de 1989, cette dernière a ouvert la boîte de Pandore dont ont jailli Aladin et Djouha : le premier avec sa lampe magique, le second avec sa besace de ruses.
Si l’islamisme est une régression, un retour non pas aux origines de l’islam mais à sa phase décadente, à l’époque du maraboutisme et du charlatanisme combattus par Ben Badis et les Oulama, le 4e mandat est un retour non pas à l’esprit de Novembre mais à la même période décadente, à la philosophie de Djouha et à l’histoire d’Ali Baba et les 40 voleurs.
Peut-on parler de développement quand on sort d’une régression pour plonger dans une autre ? N’est-on pas en train de remonter le temps ?
Nous sommes « créationnistes » jusqu’à l’excès puisque nous voyons la main de Dieu même là où elle n’est pas, comme dans la vie partisane ou naguère au stade du 5 juillet. Nous sommes croyants même si nous n’avons pas été destinataires es-qualité d’un Envoyé de Dieu comme je le disais dans la précédente contribution. A vrai dire, je n’ai pas voulu faire état d’un hadith (« çahih », « dha’if » ou apocryphe, je ne saurai trancher) car il fallait préparer le terrain pour ne pas choquer : selon ledit hadith, le Seigneur aurait envoyé, probablement au Néolithique, un prophète aux Berbères, donc à l’un des cinq pays du Maghreb, mais ceux-ci l’auraient tué, cuit, puis mangé.
Le soir d’Algérie du 06 avril 2014