Le président Liamine Zéroual s’est donc exprimé, et c’est tout à son honneur car il a réagi à la sollicitation des Algériens qui attendaient de lui, dans leur désarroi actuel, un mot sur la situation que vit le pays.
En fai,t ils attendaient beaucoup plus qu’un mot de la part d’un homme jouissant d’un respect national et dont la parole pèse. Ils attendaient de lui une prise de position claire, avec des mots clairs et, pour beaucoup, une direction claire.
Il vient de leur donner beaucoup plus qu’un mot, mais ce qu’on relève à la lecture des commentaires de la presse qui a retourné dans tous les sens son communiqué c’est qu’il a donné lieu à des interprétations différentes et parfois divergentes, ce qui signifie qu’il était suffisamment équivoque pour que chacun y trouve ce qu’il espérait.
Question : était-il involontairement équivoque ou sciemment énigmatique ?
Le président Zéroual a parlé mais à la manière de Nostradamus, ce visionnaire qui, au XVIe siècle, a écrit des prophéties que quatre siècles après on n’a pas encore totalement déchiffrées.
Le sieur Nostradamus, apothicaire de son état et qui voyait à des siècles au-delà de son époque en vertu d’un don inexpliqué, n’a pas enveloppé ses visions dans des quatrains indéchiffrable pour embarrasser ses contemporains mais parce qu’il avait peur que l’Église, venant à saisir le sens de ce qu’il écrivait, se saisisse de sa personne et le jette au bûcher où beaucoup de savants et de devins avant lui ont laissé leurs cendres, faute d’avoir suffisamment enveloppé dans l’équivoque des idées suspectées d’hérésie.
Le président Zéroual, eu égard à sa stature, son âge et son désintéressement, n’a rien à craindre ou à espérer de personne. Mais il craint pour son pays et partage les craintes de ses concitoyens ainsi qu’il l’a écrit.
Il a dit ce qu’il pensait de la « crise de confiance structurelle » qui ronge le pays, du « scepticisme exacerbé de l’opinion nationale exsangue », de « l’effervescence citoyenne que connaît la scène politique nationale » et dont il reconnaît la légitimité, de l’erreur d’avoir levé la limitation des mandats présidentiels en 2008, des exigences physiques, morales et protocolaires de cette haute charge, de son rejet du mythe de l’homme providentiel et de la nécessité de mettre à profit le prochain mandat pour faire entrer l’Algérie dans l’avenir avec une nouvelle gouvernance et une nouvelle génération.
Quand on compare sa déclaration à celle faite par Mouloud Hamrouche il n’y a pas longtemps (à laquelle elle s’oppose dans l’esprit et la lettre) et qui s’ouvrait ex abrupto sur la promesse de garanties à de mystérieux « groupes d’intérêts », « minorités » et « régions » que lui seul a vus, elle apparait comme lumineuse.
La première lecture m’ayant laissé sur ma faim, j’en ai réexaminé le contenu de plus près pour chercher entre les lignes ce que le président n’a pas mis dans les lignes.
J’en suis sorti avec l’impression que sa déclaration recèle un mystère : le constat sévère qu’il fait du présent et les critiques voilées qu’il adresse à son successeur ne concordent pas avec l’optimisme avec lequel il appréhende l’après-17 avril.
Il y a comme une incohérence entre l’état des lieux alarmant qu’il dresse et les perspectives rassurantes qu’il entrevoie pour au moins une raison : c’est que l’homme qui est à l’origine de l’état des lieux décrié va être l’architecte du « nouvel ordre politique » esquissé.
J’en ai déduit que si le président Zéroual a parlé à la manière de Nostradamus, c’est parce qu’il sait quelque chose que nous ne savons pas ou qu’il n’est pas temps que nous sachions.
Pourquoi le président Zéroual n’a-t-il pas publié ce texte avant que Bouteflika n’annonce sa candidature ou tout juste après, et préféré attendre la veille de l’ouverture de la campagne électorale, c’est-à-dire une fois que tout est plié ?
S’il l’avait fait, tout le monde en aurait inféré que le Sage de Batna se rangeait parmi ses compatriotes qui pensent que le président Bouteflika, compte tenu de son état de santé et de son âge, pour ne rien dire du bilan de ses quinze ans de règne, ne devait pas postuler à un quatrième mandat.
Le président Zéroual s’est-il résigné à l’idée que son successeur postule à une charge qu’il n’a plus les moyens d’assumer au risque d’exposer le pays à l’inconnu ? Quels arguments sont venus à bout de la réticence qu’on devine dans son texte ?
Il écrit à un endroit de sa déclaration : « Indépendamment de ce qui va résulter du scrutin du 17 avril prochain, il faudra surtout retenir que le prochain mandat présidentiel est le mandat de l’ultime chance à saisir pour engager l’Algérie sur la voie de la transition véritable ».
Une ambiguïté entoure le mot « indépendamment », sachant que tout dépend précisément du président-candidat, lequel a mis en place le dispositif nécessaire pour que l’élection ne se déroule que « dépendamment » de lui.
Le président Zéroual donne à penser ici qu’avec ou sans Bouteflika il y aura une « transition véritable ». Sur quoi repose cette certitude, sachant les inclinations naturelles du président-candidat, qu’un « nouvel ordre politique » va vraiment voir le jour après le 17 avril ?
Autre question : d’où le président Zéroual tient-il que « le prochain mandat présidentiel doit s’inscrire dans le cadre d’un grand dessein national et offrir l’opportunité historique d’œuvrer à réunir les conditions favorables à un consensus national autour d’une vision partagée sur l’avenir de l’Algérie ; une vision partagée par les principaux acteurs de la vie nationale et que doit nécessairement couronner, en dernière instance, l’assentiment souverain de l’ensemble du peuple algérien ».
On devine qu’il s’agit dans ces lignes de la prochaine Constitution qui « doit » émaner d’un « consensus national » puis être couronnée, « nécessairement », par un référendum.
Or le projet d’amendement de la Constitution dont personne ne connait les tenants et les aboutissants est entre les mains du président qui le garde jalousement au secret comme on garde un testament ou un titre de propriété.
Ce passage n’exprime pas un souhait puisque c’est le temps de l’impératif qui est employé. Si le président Zéroual avait été candidat, on aurait pris ces affirmations pour des engagements pris devant les électeurs ; or il n’est pas candidat. Sauf à déduire de ce paragraphe l’invraisemblable : que Bouteflika ne soit pas élu !
Comment cela se pourrait-il alors que si tel avait été son vœu, il aurait pu y contribuer en amont. Il aurait pu rendre le 4e mandat aléatoire en se présentant lui-même, en parrainant un candidat ou en appelant le peuple à boycotter l’élection. Il aurait pu aussi appeler ouvertement au soutien d’un rival.
Le président poursuit dans son texte : « Ce mandat-transition constituera la première étape sérieuse d’un saut qualitatif vers un renouveau algérien, plus conforme aux aspirations légitimes des générations postindépendance et en harmonie avec les grandes mutations que connait le monde. Il est temps d’offrir à l’Algérie la République qu’elle est en droit d’exiger de son peuple et de son élite éclairée ».
Ce langage, là aussi, est celui d’un candidat qui annonce des choses que nous n’avons pas entendues dans la bouche du candidat Bouteflika.
Cette « transition » au profit du pays, ce dernier pouvait la faire en 2008 quand il en avait la force, ou cette fois-ci en s’abstenant de se présenter à l’élection, mais il ne l’a pas faite il y a cinq ans et n’a encore rien dit de ses intentions pour l’avenir. Là, le président Zéroual n’a pas utilisé l’impératif mais le futur, comme s’il en était certain. Sur quoi s’appuie son assurance ?
L’idée de transition pouvait se concevoir dans le cas où le président aurait été défaillant. Elle n’est envisageable désormais que si Bouteflika est réélu car tout autre candidat qui serait élu à sa place se considèrerait sui generis comme la « transition », le « renouveau », la « deuxième République », et estimerait qu’ayant été élu contre le « candidat du pouvoir », il n’a rien à faire d’un compagnonnage encombrant.
La question qui s’impose alors est : pourquoi est-ce au président-candidat Bouteflika qu’il revient de tracer notre avenir ?
Quant à l’appréciation qu’ « il est temps d’offrir à l’Algérie… », elle n’engage que son auteur car Bouteflika peut estimer qu’il n’a rien à offrir d’autre à l’Algérie que son auguste personne puisque, à entendre ceux qui parlent pour lui, il lui a déjà tout offert.
J’ajouterais que notre mère-patrie l’Algérie n’a jamais été en droit d’exiger quoique ce soit, et que si elle avait disposé d’un tel droit elle se serait tournée vers le « système » et non vers le pauvre peuple dépourvu de tout pouvoir ou son élite, peut-être « éclairée », mais absolument impuissante. Ça rappelle l’histoire du muet qui demande à sa femme sourde de fermer la fenêtre parce qu’un aveugle les regarde.
Si mystère il y a, si le 4e mandat se décline en deux volets dont nous ne connaissons que le premier, de nouvelles questions surgissent : n’y avait-il que ce chemin sinueux et périlleux pour aller vers une transition ?
N’était-ce pas un pari extrêmement dangereux que celui de miser sur un homme qui pouvait rechuter ou, à Dieu ne plaise, mourir avant l’arrivée au complet des échéances prévues par le mystérieux scenario (17 avril, amendement de la Constitution, etc) ? Bouteflika en aura-t-il la force et le temps ?
Le président Zéroual a aussi parlé de « contre-pouvoirs forts ». Où sont-ils, d’où vont-ils sortir dans l’état actuel du champ politique laminé par quinze ans de fermeture ? Est-il, comme Nostradamus, seul à voir ce que les autres ne voient pas ?
Le seul contre-pouvoir dont personne n’a jamais douté de son existence est celui constitué par l’Armée qui, tout en étant la source du pouvoir, pouvait s’ériger en contre-pouvoir en cas de péril imminent comme en 1992 quand elle a divergé avec Chadli.
Or certains indices montrent qu’elle a tourné le dos à la politique et s’en lave les mains dorénavant, soulevant du même coup L’INQUIETUDE DES CITOYENS OPPOSES AU 4E MANDAT QUI VOIENT DANS CE RETRAIT LE RISQUE QUE LA MAFIA POLITICO-FINANCIERE NE S’EMPARE « DEMOCRATIQUEMENT » DU POUVOIR.
C’EST CE QUI EXPLIQUE LEUR PEUR MAIS AUSSI LEUR DETERMINATION A DENONCER ET A S’OPPOSER A UNE TELLE PERSPECTIVE. C’EST CE QUI DECLENCHERAIT AUSSI UN DEUXIEME 1ER NOVEMBRE…
En conclusion, formulons le vœu en ce début de printemps algérien (je vise la saison, pas la « main de l’étranger ») que les prédictions du président Zéroual, au milieu de tant de mystères et de misères, ne mettront pas plusieurs siècles à se vérifier comme avec Nostradamus, et qu’on sera encore en vie pour assister à l’ « apocalypse » (le mot signifiait à l’origine « révélation ») annoncée. Nous sommes nombreux à lui faire confiance et à prier le Ciel qu’il en ira ainsi.
(Le soir d’Algérie du 23 mars 2014)