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‎4e MANDAT : LES PEUPLES D’ALGERIE

by admin

Je ne crois pas, malgré tout ce que j’en ai dit, que Bouteflika soit un monstre de narcissisme ‎surgi d’un épisode cauchemardesque de notre histoire, ou constitue une exception unique en ‎son genre et en son nombre dans notre passé institutionnel.‎

Né au Maroc où il a passé sa vie jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, il a dû être marqué ‎jusqu’à la fascination par le pouvoir absolu de la monarchie alaouite. Rentré en Algérie pour ‎aussitôt siéger dans son gouvernement à l’âge de vingt-cinq ans alors qu’il n’avait jamais ‎travaillé, il s’est trouvé au bon endroit et au bon moment pour apprendre le métier de ‎despote en observant simplement les pratiques de Ben Bella puis de Boumediene, lesquels ‎n’auraient jamais quitté le pouvoir si le premier n’avait été renversé par un coup d’État, et ‎le second inopinément rappelé par le Seigneur.

Tous deux ont été à l’école du zaïm Messali Hadj qui a condamné la Révolution et la ‎combattit parce qu’il n’en avait pas été l’initiateur et le chef. Après eux, Chadli, Boudiaf et ‎Kafi n’auraient sans doute pas quitté le pouvoir de leur plein gré. Même ceux qui ont rêvé ‎d’y être mais n’ont pu, comme Abassi Madani qui a humé un temps le musc du califat, ‎auraient trouvé des raisons de ne pas le quitter…‎

Pourquoi ce qui est évident ne saute-t-ils pas toujours aux yeux de tous ? ‎

On ne sort pas de siècles de colonisation pour s’installer tranquillement dans des formes de ‎vie modernes empruntées à d’autres nations et sans en avoir préalablement assimilé l’esprit ‎et les codes d’utilisation. On ne peut pas être la réplique exacte de citoyens «normaux» ‎quand on n’a pas été formaté par une longue expérience sociale, une culture du droit et de ‎l’Etat, une éducation civique et politique. Il y a un héritage sociologique et culturel, comme il ‎y a un héritage biologique et génétique.

En ce qui nous concerne, les représentations mentales transmises par nos aïeux, la culture ‎orale et rurale, des pratiques sociales soumises à des traditions obsolètes et une religiosité ‎ne laissant que très peu de place à la rationalité, imprègnent encore nos modes de pensée ‎et président à l’essentiel de nos comportements, les défendant d’une influence trop ‎importante des apports de la modernité qu’elles filtrent comme les rayons solaires nocifs ‎sont filtrés par la couche atmosphérique qui protège la planète.‎

L’absence de self-government durant des siècles, l’inexistence de liens sociaux, économiques ‎et politiques entre les individus composant la collectivité et l’insignifiance de la production ‎intellectuelle ne favorisent pas l’installation en cinquante petites années dans des systèmes ‎d’organisation sociale et politique modernes et développés.

Cette analyse n’a pas été faite en profondeur, on n’a pas mis au jour cette face cachée de ‎nous-mêmes dont surgissent les idées et les comportements qui nous poussent, comme avec ‎le phénomène islamiste hier, à vouloir aller à contre-sens de l’évolution humaine, ou comme ‎avec le 4e mandat aujourd’hui, en acceptant de rentrer dans une phase de précarité qui ‎pourrait nous être fatale.

ON FAIT COMME SI DE RIEN N’ETAIT, COMME SI NOUS ETIONS AUSSI « NORMAUX » QUE ‎LES AUTRES, COMME SI UN HOMME QUI N’A JAMAIS ETE COLONISE ET UN AUTRE QUI A ‎SUBI DIVERSES OCCUPATIONS POLITIQUES, MILITAIRES ET CULTURELLES SE VALENT ET ‎SONT INTERCHANGEABLES.

Là, je vais user d’une image qui choquera peut-être mais éclairera ces propos : au temps de ‎la colonisation, l’Algérie était pour les Français une colonie et pour les Algériens une prison ‎de la taille d’un pays. Après plus d’un siècle d’enfermement ponctué de mutineries, les ‎prisonniers en vinrent à s’organiser et à convenir d’une conjuration qui les libérera de ‎l’administration pénitentiaire et des geôliers.

La révolte éclata un jour dans tous les quartiers et toutes les parties de la prison et dura plus ‎de sept ans au terme desquels l’administration et ses forces armées capitulèrent et prirent ‎le large. Les prisonniers s’évadèrent en masse. Ils étaient dix millions. Se prendre en charge ‎était une nécessité vitale à leur survie, et ils entreprirent alors de se doter d’organes de ‎direction. ‎

Or les évadés, à part un petit nombre d’entre eux qui s’étaient instruits durant ‎l’incarcération, ne savaient pas grand-chose de ce qu’était un État et comment le fabriquer. ‎Dans leur imaginaire dominé par une vision de l’univers mi-théocratique, mi-moderne, cette ‎notion renfermait tout à la fois Dieu, le Prophète, les califes « bien guidés » et ceux mal ‎guidés. L’État se présentait à leur entendement comme une figure d’autorité, de ‎commandement, de force qui plie les autres à sa toute-puissance. ‎

Tout ce qu’avait recensé la mémoire politique des prisonniers nouvellement souverains ‎confirmait cette vision absolutiste du pouvoir : Aguellids et rois de l’Antiquité, sultans et ‎Émirs des dynasties arabo-berbères du Moyen Âge, deys et beys de la période ottomane, ‎bachaghas et caïds de la période carcérale, zaïms et cheikhs du Mouvement national apparu ‎durant la détention… ‎

Pour mieux se légitimer, le nouvel Etat devait se doter d’une autre facette, d’une trompeuse ‎façade : assurer le couscous et le burnous aux anciens détenus et répartir rentes et ‎privilèges entre ses serviteurs.

L’Etat algérien né de cette conception et de ces circonstances n’a pas émané du collectif des ‎évadés, mais de lui-même. La perpétuation de l’ancien mode de pouvoir absolutiste allait ‎être assurée par le pouvoir personnel de Ben Bella et de ses successeurs jusqu’à la ‎présidence à vie de Bouteflika.

VOILA LES ARCHETYPES QUE CONNAISSENT LES ALGERIENS, ET TELLE EST LA CULTURE ‎POLITIQUE DANS LAQUELLE ILS ONT TOUJOURS BAIGNE.

Entre 2011 et 2013 j’ai publié une quarantaine de contributions liées au printemps arabe. Ce ‎qui m’intéressait dans le phénomène était moins ses apparences ou ses conséquences ‎politiques, que ses soubassements culturels et psychologiques. Mon regard sur lui était ‎essentiellement culturaliste. Derrière les mouvements de foules et les discours politiques, ‎j’étais particulièrement attentif aux courants d’idées qui les irriguaient.

J’OBSERVAIS DU PLUS PRES POSSIBLE L’HOMME ARABO-MUSULMAN HESITANT ENTRE ‎DEUX DIRECTIONS DE L’HISTOIRE, DECHIRE ENTRE LE CHOIX DEMOCRATIQUE ET LA ‎TENTATION THEOCRATIQUE.

Quand vint le moment des élections, j’ai essayé d’expliquer pourquoi un « réveil magique » ‎devait fatalement se traduire par un « vote mécanique ». Avec les régimes qui tombaient, je ‎voyais surtout s’effondrer une culture despotique portée aussi bien par les despotes que par ‎les «despotisables».‎

La lutte contre la culture du despotisme vient de s’ouvrir chez nous où une poignée ‎d’Algériens ont commencé à s’insurger contre une anomalie politique et morale, la ‎candidature d’un homme de 77 ans gravement atteint par une maladie invalidante ; contre ‎la résurgence d’un mythe, celui de l’homme providentiel même impotent ; contre un des ‎derniers cultes de la personnalité en vigueur dans le monde ; contre un règne marqué par la ‎corruption et la promotion des corrompus ; CONTRE LE RISQUE QUE LE 4E MANDAT SERVE ‎A INSTALLER A LA TETE DU PAYS UNE MAFIA POLITICO-FINANCIERE…‎

Au sein de notre peuple, beaucoup portent la «despotisabilité» comme ils portaient jadis la ‎‎«colonisabilité». Même ceux qui ont fait des études ici ou à l’étranger, même ceux qui ‎paraissent rationnels et modernes entonnent en ce troisième millénaire la vieille chanson de ‎l’homme unique qui, même à 77 ans, paralysé et aphone, est présenté comme ce qu’il y a de ‎mieux pour l’avenir du pays et sa stabilité.

Qui est responsable de cette situation qui perdure à travers les âges ? Dieu ? L’Histoire ? La ‎main de l’étranger ? OU TOUT SIMPLEMENT NOUS-MEMES, DE PERE EN FILS, A TRAVERS ‎LES IDEES FAUSSES QUI NOUS ANIMENT ET NOUS GOUVERNENT SANS QUE NOUS EN ‎SOYONS CONSCIENTS.

En termes juridiques, pour l’ONU et le reste du monde, nous sommes un seul peuple. Mais à ‎nos propres yeux nous apparaissons dans certaines circonstances comme si nous étions deux ‎peuples (car d’autres subdivisions, moins importantes, existent).

Deux peuples qui peuvent ‎en arriver aux pires extrémités comme en 1992 où il y avait grosso-modo les islamistes et ‎les non-islamistes. Pour les islamistes, les laïcs et les démocrates sont des apostats, des ‎ennemis de l’islam qui ne méritent pas d’être enterrés dans les cimetières des musulmans ‎comme vient de le proclamer cheikh Hamadache. Pour leurs adversaires, les islamistes ‎devraient être jetés au milieu de l’océan comme ont fait les Américains avec Ben Laden.‎

Dans le contexte que nous vivons, il y a une nouvelle fois plusieurs peuples en un seul : au ‎centre, le gros de la population happée par son quotidien difficile, pour qui aucune élection ‎n’a changé quelque chose à sa condition et qui s’en fiche de savoir qui va être président en ‎avril prochain ; d’un côté ceux qui s’opposent au 4e mandat, s’expriment et se montrent dans ‎les partis, les associations et la société civile, et d’un autre côté ceux qui soutiennent le 4e ‎mandat, membres de l’establishment politique et économique et des partis administratifs.

Partisans et adversaires se revendiquent tous deux du peuple, un peuple qui n’est plus un ‎bloc monolithique, une masse compacte, mais est devenu des courants d’idées, des couches ‎sociales, des habitants des villes et des campagnes, des jeunes et des adultes, des citoyens ‎qui voient dans le président-candidat un messie et d’autres qui voient en lui un malade et un ‎mégalomane qui a fait énormément de mal au pays, aux institutions et aux hauts cadres ‎compétents et honnêtes.

Ses inconditionnels voient en Bouteflika le « moudjahid » qui a pris part à la libération du ‎pays, le Talleyrand de Boumediene, le Kissinger de Nixon, le Chou En Laï de Mao, le ‎Adenauer qui a reconstruit l’France, le Den Xiao Ping qui a réformé la Chine, le Mandela qui ‎a réconcilié les Blancs et les Noirs… ‎

Ils aiment l’exagération, les contes et légendes, et voient volontiers en lui un homme ‎prodigieux qui a effacé la dette extérieure, porté à leur sommet les réserves de change, ‎payé de ses deniers autoroutes, métro et barrages, et clament que s’il quittait son poste les ‎réserves de change fondraient, la guerre civile reprendrait, les revenus du pétrole ‎cesseraient de rentrer, les puits de pétrole tariraient et que la pluie ne tomberait plus…

PARMI CEUX-LA, BEAUCOUP SONT LES COLONISABLES D’HIER ET LES « DESPOTISABLES » ‎D’AUJOURD’HUI ET DE TOUJOURS. C’EST DANS CETTE CATEGORIE DE CITOYENS ‎IGNORANTS, CYNIQUES, CANDIDATS A L’ASSISTANAT, A L’EFFACEMENT DES DETTES ET ‎AU LOGEMENT GRATUIT QUE LES PARTISANS DU 4E MANDAT TROUVENT LEURS ‎SOUTIENS.

La vérité qui vient de loin, celle qui émerge du fond des âges, est toujours la meilleure. Si ‎elle est arrivée jusqu’à nous, c’est qu’elle est vraiment vraie.‎

Ainsi, le stratège militaire chinois dont je vous rebats actuellement les oreilles et dont les ‎idées sont encore enseignées dans les académies militaires disait il y a vingt-cinq siècles ‎cette toute simple évidence : « Le nombre à lui seul ne donne nullement l’avantage ».

Cette vérité militaire vaut aussi pour la science et la politique où c’est toujours une minorité, ‎une infime minorité même qui prend au bon moment les bonnes décisions qui font avancer ‎le progrès moral et matériel et dénouent les nœuds gordiens.‎

L’ALN n’a pas vaincu l’armée française avec le nombre, la qualité de la formation des ‎combattants, son armement ou même la connaissance du terrain. Elle l’a vaincue parce que ‎sa cause était juste. Le peuple algérien défendait sa terre, sa liberté, sa dignité, son ‎indépendance, alors que l’armée française est venue sur l’ordre de la IVe République pour ‎garder une colonie où résidait un million de Français contre neuf millions d’Algériens. ‎

Les effectifs de l’armée française engagés dans cette guerre ont frisé le million alors que le ‎nombre des moudjahidine ne dépassait pas les 30.000. Par contre, le nombre d’Algériens qui ‎combattaient du côté français, les fameux harkis, était supérieur à 100.000.

Cette même Révolution n’a pas été déclenchée par le peuple algérien ni par les partis ‎politiques du Mouvement national, mais par 22 Algériens réunis au sein du CRUA. Ce n’est ‎qu’ensuite que la masse a été secouée, obligée parfois sous la menace de cotiser, ‎d’approvisionner et d’héberger les combattants. C’est au moment du référendum sur ‎l’indépendance le 3 juillet 1962 que presque tous les Algériens majeurs sont allés voter en ‎faveur de l’indépendance.

C’est une notion très ardue que celle de «peuple». C’est l’un des termes les plus confus qui ‎soient et celui qui se prête le plus à la manipulation, voire à l’escroquerie. Théoriquement ‎un peuple c’est tout le monde, sans aucune exception, mais l’utilisation qu’en fait le discours ‎politique convient aussi bien à une infime quantité de personnes qu’à leur totalité. ‎

Les despotes qui se vantent d’avoir le peuple de leur côté ont toujours joué sur le flou de ce ‎terme générique. Le chef est un seul homme et le peuple une masse compacte, insécable. Si ‎quelqu’un sort du rang, de la masse, il n’est plus un membre du peuple mais un adversaire, ‎un ennemi.‎

Aucune lutte de libération ou révolution sociale de toutes celles qu’a connues l’humanité n’a ‎mobilisé l’ensemble du peuple. Non pas que tous ne pensaient pas la même chose mais ‎parce que toute la population ne réside pas dans la même ville, n’est pas prête au même ‎moment, n’a pas la même information sur la situation, n’a pas le même niveau de ‎conscience ou d’engagement, n’a pas intérêt à voir cette révolution réussir, et une foule ‎d’autres raisons. ‎

En face de ceux qui veulent changer le régime, il y a forcément, partout et toujours ceux qui ‎soutiennent le régime et ont intérêt à son maintien.‎

Ce sont toujours ceux qui sont contre quelque chose qui sortent manifester, pas ceux qui sont ‎pour. Mais ça ne veut pas dire que ceux qui ne sortent pas sont d’accord avec le régime. ‎Parmi eux, il y a ceux qui ne savent pas ce qui se passe, ceux qui savent mais s’en foutent, ‎ceux qui craignent de recevoir un coup de matraque ou une balle, ceux qui ont peur pour ‎leur pain, ceux qui ne voient pas ce qu’ils ont à gagner dans l’affaire…‎

Donc une révolution populaire ou un changement de régime peut se faire non pas par une ‎minorité, mais par une infinitésimale fraction de cette minorité, 1, 2 ou 3% tout au plus.‎

Il n’est pas besoin que tout le peuple se soulève pour satisfaire une revendication populaire ‎ou abattre un mauvais pouvoir. Dans ce cas, ce n’est plus la révolution mais le déluge, la fin ‎du monde. Combien étaient les Tunisiens qui ont renversé Benali ? Quelques centaines de ‎milliers tout au plus sur un total de dix millions de Tunisiens. Combien étaient les Égyptiens ‎qui ont fait partir Moubarak ? Un ou deux millions sur un total de plus de 80.

Lorsque le mouvement «Barakat» a aligné sur le trottoir cinq personnes devant l’entrée de ‎l’université de Bouzaréah pour dire non au 4e mandat, ça a fait sourire le pouvoir mais ne l’a ‎pas empêché d’envoyer sur place dix ou vingt fois plus d’agents des forces de l’ordre pour ‎les contenir.

Mais à partir de quel seuil une opposition au 4e mandat aurait fait mouche ? 1% du peuple, ‎c’est déjà 380.000 personnes…‎

Le soir d’Algérie du 19 mars 2014‎
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