Jean de La Fontaine disait : « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes ». C’est vrai, on peut éduquer les peuples et les dirigeants rien qu’avec des fables à condition qu’ils le veuillent bien car il en est qui estiment n’en avoir pas besoin : ni des fables ni de l’éducation.
Ce genre littéraire, écrit ou oral, remonte à la nuit des temps et est particulièrement prisé parce qu’il dispense dans un langage simple, clair et divertissant les plus hautes leçons morales, philosophiques et politiques. Parmi ceux qui ont donné ses lettres de noblesse à cet art on compte Esope, Apulée de Madaure, Ibn Al-Muqaffaâ (qui a laissé la vie dans cet exercice) et Jean de la Fontaine.
Quand la liberté de pensée était encore tolérée en terre d’islam, Ibn Tofaïl (XIIe siècle) a composé le premier roman philosophique en écrivant « Hayy Ibn Yaqdhan » dans lequel il démontre, à travers l’histoire d’un enfant abandonné à sa naissance sur une île déserte et sauvé par une gazelle, qu’il est possible de parvenir à l’idée de Dieu par les seules facultés de la raison, sans l’intervention d’une religion, la médiation d’un prophète ou l’entremise des ulémas.
Ibn Tofaïl n’a pas été déféré devant une juridiction pour blasphème, et aucun ayatollah n’a lancé contre lui une fatwa comme celle que lança Khomeiny contre Salman Rushdie il y a trente ans et qui court toujours. Heureusement pour lui, Rushdie possède la vélocité d’un Forrest Gump.
Le premier roman en prose, lui, est le fait d’un Algérien, Apulée de Madaure (IIe siècle). Il a pour titre « L’âne d’or » et pour héros un homme, Lucius, qui, par suite d’une manipulation magique, se métamorphose en âne et se trouve entraîné dans des aventures extraordinaires. Puisqu’il est question d’ânes, commençons par celui de Djouha.
Ce personnage légendaire présenté comme un sage, un fourbe ou un niais selon la morale qu’on veut tirer de ses histoires, devait se rendre en compagnie de sa femme et de son âne à une destination lointaine. Pour cela, il devait transiter par plusieurs contrées habitées par des gens aux mentalités différentes.
Arrivé à la première, il croise un galant monsieur qui lui fait remarquer : « Mon bon ami, pourquoi obliges-tu ta femme à marcher alors que tu as un âne ? » Honteux, Djouha suivit le conseil et, traversant la contrée suivante, tombe sur un vieil homme moustachu et emburnoussé qui le tance en ces termes : « Depuis quand la femme, hachak, monte-elle à dos d’âne alors que l’homme marche à pied ? Ce n’est pas bien vu par ici, tu sais !» Djouha ordonne alors à sa femme de descendre et prend sa place.
A l’entrée de la dechra voisine, une féministe accourt à la vue du cortège et, scandalisée par ce qu’elle voit, lance avec haine à notre homme : « Espèce d’énergumène ! Tu te prends pour un nabab sur ton bourricot alors que ta pauvre compagne doit avoir les pieds en sang…»
Désarçonné, Djouha saute à terre, se prend la tête entre les mains et se demande ce qu’il pourrait bien faire pour ne plus s’attirer de remarques blessantes. Il décide qu’ils monteraient à deux sur le dos de l’âne, mais ne voilà-t-il pas qu’au moment où il croyait s’en être bien sorti apparaît un précurseur de la SPA (Société de protection des animaux) qui lui dit : « Tu n’as pas pitié de cet animal pour que vous le montiez à deux ? »
Excédé, notre héros s’accroupit devant son âne, le hisse sur ses épaules et reprend le chemin ainsi lesté et sa femme trottinant à sa suite. Mais voilà encore qu’un drôle sort de derrière une haie de roseaux et lui jette, narquois : « Imbécile, va ! Tu portes l’âne alors que c’est lui qui devrait te porter… C’est lui le « dab » ou toi ?»
On ne sait pas si, à la fin, Djouha se suicida, prit la mer comme un harraga, continua à pied ou revint sur ses pas, mais la morale de l’histoire est quoiqu’on fasse on est toujours critiqué, et que si on écoute les autres on ne fait jamais rien.
LES PEUPLES ARABES QUI ONT FAIT LEUR REVOLUTION SE TROUVENT DANS LA SITUATION DE DJOUHA. QUAND ILS PLOYAIENT SOUS LE JOUG DE LA TYRANNIE, ON LES MEPRISAIT ET DISAIT D’EUX QU’ILS NE VALAIENT RIEN ET QU’ILS MERITENT POUR CELA LEUR SORT. QUAND ILS SE SONT SOULEVES POUR ABATTRE LE DESPOTISME, DESTABILISANT INEVITABLEMENT LEURS PAYS, ON EN CONCLUT QU’ILS AVAIENT ETE MANIPULES ET QU’ILS SONT PAR CONSEQUENT SOIT DES ANES QUI NE COMPRENNENT RIEN, SOIT DES TRAITRES. ET QUAND, POUR LA PREMIERE FOIS DE LEUR VIE, ILS ONT LIBREMENT VOTE, ON LES A ACCUSES DE N’AVOIR PAS PRIS LE CHEMIN DU MEILLEUR, LA DEMOCRATIE, MAIS DU PIRE, L’ISLAMISME.
Il y a les vraies questions et les fausses réponses. Les peuples ne seraient-ils bons qu’à faire les révolutions et à verser leur sang pour que viennent des hommes prédestinés en cueillir les fruits ? Ne sont-ils patriotes et intelligents que lorsqu’ils se laissent mener par des dictateurs, des ignorants et des familles rapaces ?
Fallait- il que Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et Saleh demeurent au pouvoir pour que rien de fâcheux n’arrive à ces pays ? Fallait-il que rien ne change au Maghreb et au Moyen-Orient pour que la théorie du complot ne prospère pas comme actuellement ? Fallait-il que les peuples continuent de subir sans broncher les lubies de leurs dirigeants pour ne pas déranger le sommeil des autres ?
C’est évidemment ce que souhaitaient Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et Saleh dans leur obstination à ne pas renoncer au pouvoir, et c’est ce que souhaite toujours le têtu de Bachar.
CES TYRANS N’ONT PAS DIT A LEURS PEUPLES : « OK, ON VA FAIRE LE CHANGEMENT SANS DETRUIRE NOTRE PAYS, SANS NOUS ENTRETUER, SANS FAIRE INTERVENIR L’ETRANGER » ILS LEUR ONT TENU UN DISCOURS OPPOSE : « C’EST NOUS OU LE DELUGE, NOUS OU LE BAIN DE SANG, NOUS OU LA GUERRE CIVILE, NOUS OU LA PARTITION DU PAYS…»
Le mauvais n’incline pas de lui-même à montrer la voie du meilleur, il met d’emblée une croix sur cette direction pour ne laisser ouverte que celle du pire. Les peuples qui se sont soulevés n’avaient pas de solution de rechange toute prête – la meilleure – ils se sont lancés à l’assaut du mauvais en étant persuadés qu’il n’y avait pas pire que ce qu’ils enduraient. N’ayant pas le choix, il fallait ou ne rien faire, ou faire ce qu’ils ont fait.
La révolution est inévitable lorsque le meilleur a disparu des mémoires, et que le mauvais a atteint le seuil de l’intolérable. Quand on est à bout, on s’attaque au mauvais même si on sait qu’on n’a pas préparé le meilleur, même si on ignore de quoi sera fait demain. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, dit l’adage. C’est l’entêtement de Kadhafi et le choix auquel il a contraint les Libyens qui ont conduit à la guerre civile et à l’intervention étrangère. S’ils ont accepté le risque de revenir au point zéro, c’était avec l’espoir de pouvoir construire un jour le meilleur.
L’ANE DE BURIDAN EST MORT DE FAIM ET DE SOIF FAUTE D’AVOIR DECIDE PAR QUOI COMMENCER, L’EAU OU L’AVOINE. LES DESPOTES ARABES VOULAIENT JUSTEMENT ENFERMER LEURS PEUPLES DANS CE QU’ON APPELLE DEPUIS CETTE TRAGEDIE ANIERE LE « PARADOXE DE L’ANE DE BURIDAN » : LES FIGER DANS UNE ACCEPTATION RESIGNEE DU MAUVAIS POUR LES EMPECHER DE TRANCHER ENTRE DEUX ALTERNATIVES, LE MEILLEUR ET LE PIRE.
Jean Buridan est un philosophe français du XIVe siècle qui, comme les ulémas musulmans de son temps, ne croyait pas à la liberté de l’homme et au libre arbitre. Or, comme l’a prouvé l’âne auquel son nom est resté attaché, on peut mourir de ne pas décider, de ne pas choisir, de ne pas prendre de risques. C’est ce qu’ont compris ces peuples.
LES REVOLUTIONS ARABES ONT DEBOUCHE SUR L’ISLAMISME. MAIS LES DESPOTES ONT-ILS DONNE AU COURANT NON ISLAMISTE LA LATITUDE DE SE CONSTRUIRE ET AUX FORCES POLITIQUES DEMOCRATIQUES EMBRYONNAIRES LA CHANCE DE S’ORGANISER ? NON, C’ETAIT EUX OU LE CHAOS, ET LES PEUPLES ONT REPONDU : « VIVE LE CHAOS ! »
JUSQU’A L’AN DERNIER LES TUNISIENS, LES ÉGYPTIENS ET LES LIBYENS AVAIENT UN PROBLEME AVEC LEURS POUVOIRS. DEPUIS LEUR REVOLUTION ET LES ELECTIONS, POUR CEUX QUI LES ONT FAITES, ILS ONT UN PROBLEME AVEC EUX-MEMES. IL FAUT LEUR LAISSER UN PEU DE TEMPS AU BOUT DUQUEL ILS VONT DEVOIR DEMONTRER S’ILS SONT CAPABLES DE RELEVER LE DEFI DE LA MODERNITE, OU S’ILS SE CONTENTERONT DE REMPLACER UNE FAUSSE MONNAIE PAR UNE AUTRE. DE METTRE DES ABOU YAZID («L’HOMME A L’ANE» DONT ON A PARLE DANS UNE PRECEDENTE CONTRIBUTION) A LA PLACE DES ALIBORON QU’ETAIENT LEURS ANCIENS DICTATEURS. S’ILS VOIENT DANS LES NOUVEAUX CHARLATANS APPARUS EN LEUR SEIN DES ALADIN A LA LAMPE MERVEILLEUSE, A CE MOMENT-LA ILS MERITERONT LE SORT QUI LEUR SERA FAIT.
LES PEUPLES QUI ONT FAIT LEURS REVOLUTIONS VONT DEVOIR PROUVER QU’ILS SONT DES NATIONS, DES SOCIETES ET DES ETATS DIGNES DE CE NOM. AU-DELA DE LA POLITIQUE ET DES ELECTIONS, CE QUI EST EN CAUSE C’EST LA CONSCIENCE DES PEUPLES, LA BIOLOGIE DES NATIONS, LES RESULTATS DU TEST DE VIABILITE AUQUEL ON EST SOUMIS LORSQU’ON PRETEND A CES QUALITES.
IL N’EST PAS DE BON TON DE LE DIRE, MAIS BEAUCOUP DE PAYS ISSUS DE LA DECOLONISATION SONT DE FAUX PAYS. UN PAYS, UNE NATION, UN ETAT, NE S’OFFRENT PAS EN CADEAU NI NE S’IMPROVISENT A LA VA-VITE, ON LES CONSTRUIT ET LES ENTRETIENT EN PERMANENCE. L’HISTOIRE A DONNE A BEAUCOUP LA CHANCE DE DEVENIR DES SOCIETES, DES ECONOMIES ET DES ETATS, ILS NE L’ONT PAS TOUS SAISIE. LE MALI A ETE COUPE EN DEUX PAR QUELQUES CENTAINES DE COMBATTANTS EN 72 HEURES. EST-CE NORMAL ? LA LIBYE A EU SON INDEPENDANCE PAR UNE RESOLUTION DE L’ONU EN 1949. KADHAFI L’A MISE A GENOUX, A DETOURNE SES RICHESSES ET L’A FINALEMENT ABANDONNEE DANS L’ETAT TRIBAL OU ELLE ETAIT EN 1949. EST-CE NORMAL ?
LES REVOLUTIONS ARABES SONT DES CYCLES A QUATRE TEMPS : IL Y A EU, COMME ON L’A VU DANS LES PRECEDENTES CONTRIBUTIONS, LE TEMPS DES REVOLTES ET DU REVEIL MAGIQUE, PUIS LE TEMPS DES REVANCHES ET DU VOTE ATAVIQUE. NOUS SOMMES DANS LE TEMPS DES ILLUSIONS ET DE LA « SOLUTION ISLAMIQUE », MAIS CELUI-CI COMMENCE A ETRE BOUSCULE PAR LE TEMPS DU REALISME ET DES SOLUTIONS PRAGMATIQUES.
Ennahda a confirmé qu’elle ne demanderait pas la réécriture de l’article Un de la Constitution tunisienne, et la commission chargée de la rédaction de la nouvelle Constitution égyptienne vient d’être dissoute par une décision du tribunal administratif du Caire.
Dans les deux pays, l’islam institutionnel se tient à distance de l’islamisme politique. Quant à la Libye, il faut attendre que retombent les nuages de poussière des chevauchées tribales pour y voir plus clair. Rien n’est encore joué dans ces pays, et toutes les options sont ouvertes, de la meilleure à la pire.
L’HISTOIRE DU MONDE ARABE CONNAIT DES BOULEVERSEMENTS MAJEURS, ENTRAINEE PAR DES MOUVEMENTS SPONTANES QUI PEUVENT ALLER DANS LA BONNE OU LA MAUVAISE DIRECTION. DANS LE CLAIR-OBSCUR OU ON SE TROUVE, IL EST URGENT, IL EST VITAL DE PARLER, DE CRIER, D’ECRIRE, POUR ORIENTER CEUX QUI SONT DANS LE NOIR, QUI SONT PRIS DANS UN MOUVEMENT QUI PEUT DEVENIR FOU, DANS L’ESPOIR DE LES RAMENER AVEC LA VOIX DU BON SENS SUR LA VOIE DE L’HISTOIRE. UN MOUVEMENT SPONTANE, DECLENCHE DE LUI-MEME, PEUT ALLER DE L’AVANT OU DE L’ARRIERE. Or, il n’y a pas de mouvement en arrière salutaire sauf en sport où, effectivement, on peut reculer pour mieux sauter.
S’IL Y A DES ELITES DANS CES PAYS, C’EST MAINTENANT QU’ELLES DOIVENT JOUER PLEINEMENT LEUR ROLE, APPARAITRE, S’EXPRIMER, EXPLIQUER ET S’EXPLIQUER. PAS APRES, QUAND IL SERA TROP TARD, QUAND LA BETE AURA ECHAPPE A TOUT CONTROLE, QUAND ELLE LES AURA REDUITES AU SILENCE, ECRASEES OU CONTRAINTES A L’EXIL. AINSI QUE DISENT LES PASTEURS AU MOMENT DE PRONONCER LE SACREMENT DE MARIAGE : « SI QUELQU’UN A QUELQUE CHOSE A DIRE, QU’IL PARLE MAINTENANT OU SE TAISE A JAMAIS ».
La comparaison n’est pas abusive, il s’agit bel et bien de mariages dont les préparatifs sont en cours sous nos regards. Ils ne sont pas encore scellés, mais les bans ont été publiés. Il est encore possible de poser des questions et même de les annuler : s’agit-il de mariages civils ou religieux, d’amour ou d’intérêt, forcés ou consentis, naturels ou contre-nature, entre des êtres compatibles ou entre l’eau et le feu, qui finiront par un divorce ou dans le sang ?
NOUS AVONS VU DANS D’AUTRES CONTRIBUTIONS COMMENT L’ISLAM, VENU AVEC UN ESPRIT DEMOCRATIQUE QUI N’A PAS SURVECU UN QUART DE SIECLE A L’ESPRIT TRIBAL ARABE, N’A CONNU QU’UNE SUITE ININTERROMPUE DE DESPOTISMES MONARCHIQUES OU REPUBLICAINS, ET COMMENT, VENU AVEC UN ESPRIT FAVORABLE A LA SCIENCE, A LA CREATIVITE INTELLECTUELLE ET TECHNOLOGIQUE, IL N’A CONNU – APRES L’EXTINCTION DES FEUX AU XIIE SIECLE PAR UN COURANT INTELLECTUEL PORTEUR D’UNE AUTRE COMPREHENSION DE LA RELIGION – QUE LE FATALISME, LE SOUFISME, LE MARABOUTISME, LE WAHHABISME ET ENFIN L’ISLAMISME DE LA RUE ET LE TERRORISME.
Les ulémas ont été engendrés par les «sciences religieuses», les soufis par les fatalistes, les marabouts par les soufis, et les islamistes par l’ibntaïmiyisme et le wahhabisme, selon une logique de régression intello-génétique allant dans le sens opposé à l’eugénisme, le mauvais donnant naissance au pire et le fanatique au terroriste.
EN ENFANTANT ON SE TRANSMET SOI-MEME, ON LEGUE SON STOCK GENETIQUE. ON ENFANTE DE CE QU’ON EST, LUMIERE OU TENEBRES. ET QUAND ON ELEVE SA PROGENITURE, ON LUI INCULQUE LES IDEES QUE L’ON A, DONT ON A HERITE ET QU’ON A PROFESSEES SA VIE DURANT.
QUAND ON RETOURNE EN ARRIERE, DANS LE CAS DE L’ISLAM, ON NE RENCONTRE PAS TOUT DE SUITE SUR SON CHEMIN LA LUMIERE PHILOSOPHIQUE ET SCIENTIFIQUE D’IBN KHALDOUN OU DES MUTAZILA ; ON NE RISQUE PAS DE REMONTER JUSQU’A LA LUMIERE MORALE ET POLITIQUE DE OMAR IBN ABDELAZIZ OU DES «CALIFES BIEN GUIDES», ON EST VITE STOPPE DANS SON ELAN PAR L’HIMALAYA ELEVE PAR LE « ILM». ON TOMBE RAPIDEMENT SUR LA MURAILLE DE CHINE ERIGEE AUTOUR DES SOURCES ISLAMIQUES DEPUIS AL-ACHAARI, IL Y A DOUZE SIECLES. ON N’ATTEINT PAS LA SOURCE DE LA LUMIERE, ON S’ARRETE A LA SOURCE DES TENEBRES QUI, EN TENANT COMPTE DE L’ECART DU TEMPS, DIFFUSE DES TENEBRES ENCORE PLUS TENEBREUSES.
Les feux de bivouac allumés par quelques esprits isolés dans le monde arabo-musulman et en Europe au cours des derniers siècles ne pouvaient éclairer une étendue aussi vaste. On est tombé de Charybde en Scylla comme disent les Grecs qui, eux aussi, après avoir donné au monde la première moisson de la raison et les clés de la pensée scientifique, ont disparu dans les remous de l’Histoire sans que nul ne comprenne pourquoi. Aux dernières nouvelles, ils seraient en faillite au sens juridique du terme et ne survivent que grâce à la solidarité européenne. Il est question qu’ils vendent quelques-unes de leurs îles pour se remettre à flot. L’Histoire est vraiment cruelle.
Que feraient de pauvres diables comme nous qui ne tiennent qu’à un fil, à un mince filet de pétrole en voie d’assèchement ?
Si, au lieu de perdre son temps à écrire les âneries contenues dans son « Livre vert », Kadhafi avait daigné consacrer quelques heures de ses 41 ans de règne à lire les fables dont s’instruisaient les califes au temps d’Ibn Al-Muqaffâa et les vrais rois au temps de La Fontaine, il n’aurait pas connu la fin qu’il a connue : lynché dans la rue, à la sortie d’un égout, par ceux qu’il traitait de rats. S’il avait lu « Le lion et le rat », une fable qu’on aurait dit écrite pour lui par le fabuliste français, il serait encore en vie…
Elle commence par ses mots : « Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde : on a souvent besoin d’un plus petit que soi », et traite du service rendu par le lion à un minuscule rat dans la peine. Vint un jour où le majestueux lion se fit prendre dans un filet contre lequel ses crocs et ses rugissements ne purent rien et dont ledit rat vint à bout, lui sauvant la vie. Si le guide libyen avait « obligé » ses compatriotes (leur avoir fait du bien), ils ne se seraient pas soulevés contre lui. Il serait mort « mouazzaz, moukarram » dans son lit, et reposerait dans un mausolée au lieu d’une tombe anonyme dans le désert.
La diplomatie algérienne est, depuis un moment déjà, dans la posture de Djouha. Le « droit à l’autodétermination des peuples » était à son zénith à l’époque de la décolonisation et en odeur de sainteté dans les coulisses de l’ONU. Aujourd’hui, des minorités ethniques, religieuses ou politiques veulent s’en prévaloir pour demander leur autonomie ou leur indépendance vis-à-vis des États dans lesquels ils ne veulent plus vivre.
Ayant très tôt enfourché ce « principe intangible » qui est le fondement de sa politique dans la question du Sahara occidental, notre diplomatie ne sait plus comment le justifier dans le nouveau contexte mondial sans ressentir de l’embarras ou encourir le mécontentement d’une partie ou d’une autre.
La Bosnie croyait pouvoir s’en prévaloir pour obtenir sa reconnaissance par notre pays, elle en fut pour ses frais. Le MNLA qui vient de prendre possession de la moitié du Mali pour y installer un État espérait pouvoir exciper de ce principe pour obtenir sa reconnaissance, on lui a opposé une fin de non-recevoir. Si notre diplomatie l’avait fait, c’est tout de suite le président Ferhat Mhenni qui, au nom du « Gouvernement provisoire kabyle », se serait élevé contre la politique des deux poids deux mesures du gouvernement algérien, et exigé l’ouverture de négociations immédiates avec le sien.
ON NE SAIT PAS A QUELLE EPOQUE A ETE CREE LE POSTE-FRONTIERE ENTRE LE MAROC ET L’ALGERIE QUI PORTE LE DROLE DE NOM DE « ZOUDJ BGHAL » (LES DEUX MULETS). SI ON CHERCHAIT L’ORIGINE DE CETTE DENOMINATION ON LA TROUVERAIT PROBABLEMENT DANS LE TRAIT D’ESPRIT DOMINANT DANS LA MENTALITE DES DEUX PAYS : L’ENTETEMENT. ON SAIT QUE L’EXPRESSION « NOTRE ANE EST PREFERABLE A VOTRE MULET » EST COURANTE DANS LE MAGHREB. PEUT-ETRE QU’UN SAGE A DU METTRE AUTREFOIS D’ACCORD LES DEUX VOISINS SUR LA DESIGNATION DE CE POINT DE PASSAGE EN LES METTANT A EGALITE.
Actuellement, la frontière est de nouveau fermée à cause du problème sahraoui que l’intransigeance commune n’a pas permis de résoudre depuis quarante ans. Dans l’affaire, suis-je dans le regret de constater, le Maroc a eu la proie et nous l’ombre, et l’ombre s’est avérée coûteuse pour nous et la proie rentable pour le Maroc.
Maâlich, les principes ne payant pas toujours, on se consolera en nous répétant « taghennant, takhassart»…
« Le Soir d’Algérie » du 15 avril 2012
« Oumma.com » du 23 FEVRIER 2018