‏PEUPLES ET ARMEES

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‎ « Je conduirai mon peuple par la main, jusqu’à ce que ses pas soient assurés et qu’il ‎connaisse la route. A ce moment, il pourra choisir librement son guide et se gouverner lui-‎même. Alors mon œuvre sera accomplie et je pourrai me retirer. Mais pas avant ! » ‎‎(Mustapha Kemal Atatürk, discours du 08 août 1926 devant l’Assemblée Nationale).

Cette fin de semaine, le soleil d’Allah s’est couché maussade sur l’Occident et levé radieux ‎sur l’Orient. Qu’il est poignant ou agréable, selon la nature des faits, de regarder l’Histoire ‎se faire en mal ou en bien !

Avec le progrès des technologies de la communication, nous avons la chance de pouvoir ‎suivre les évènements marquants de notre temps et de les vivre comme si nous étions sur ‎place. On assiste en direct à l’Histoire se faisant sur le vif, et voit les acteurs agir et parfois ‎mourir sous nos yeux incrédules. On peut même choisir la lorgnette par laquelle regarder ‎‎(la chaîne tv et sa ligne éditoriale) et la langue qu’on préfère. ‎

Ce week-end, l’actualité a été cruelle et généreuse à la fois, offrant successivement au ‎monde deux spectacles de l’extrême, l’un inouï en horreur, le massacre de Nice, l’autre ‎exaltant en la forme d’un compte-rendu minuté de l’échec de ce qui est probablement le ‎dernier coup d’État militaire de l’histoire de la Turquie.

Si le premier nous a atterrés et lessivés, le second nous a ramenés à la conscience et ‎ragaillardis.

Aussitôt m’est apparu le point commun entre ces deux pôles de l’émotion : l’islamisme. ‎Dévastateur dans le premier exemple, en voie de normalisation dans le second puisque le ‎gros de l’armée et surtout l’opposition laïque qui aurait pu profiter de l’élimination de l’AKP ‎par la violence ont tous deux rejeté cette « opportunité », préférant miser sur la compétition ‎démocratique à la loyale.‎

Dans le premier cas, j’ai passé la nuit à espérer que ce ne soit pas un Algérien quoique ‎sachant que ça n’y changerait rien au fond : il suffit que ce soit un « Mohamed » pour que ‎nous le payions cash ou à crédit, directement ou indirectement.

Dans le second cas, j’ai été frappé par l’intelligente riposte du président Erdogan et ‎davantage encore par la réactivité du peuple turc qui a tout de suite envahi les espaces ‎publics et encerclé vaillamment les chars et les troupes déployés par les putschistes, ‎craignant pour la démocratie davantage que pour sa vie.

Nous autres Algériens cumulons beaucoup de raisons d’être à tout le moins tenus en ‎suspicion dans le monde : en raison de notre guerre de libération dont les plaies sont encore ‎vives en France, à cause de notre singularisation dans la barbarie terroriste dans les années ‎‎90, au vu de notre forte implantation en France, pour notre classement dans les dernières ‎places en tous domaines et, enfin, en vertu de notre « qualité » de musulmans capables de ‎basculer à n’importe quel moment ou endroit dans la radicalisation sous une brusque ‎impulsion, celle d’aller sans tarder jouir des félicités du paradis. ‎

Peu importe alors le mobile : prêter allégeance à « Daech » ou venger, au choix et selon ‎l’inclination de chacun, les Beurs, les Palestiniens, les Syriens, les Libyens, les immigrants ‎illégaux, Kunta Kinté ou les Peaux-Rouges.

S’agissant des Turcs, ils traversaient une phase difficile conséquente aux errements de la ‎politique d’Erdogan envers Daech, la Syrie, la Russie, les Kurdes, les immigrants illégaux et ‎l’Union européenne, errements qui se sont soldés par un fléchissement économique et une ‎vague d’attentats massifs.

C’est au moment où Erdogan montrait une volonté de redresser la barre, signant un accord ‎avec l’Union européenne sur la question des immigrants, présentant des excuses à Poutine ‎pour relancer des secteurs de son économie touchés par la brouille, et rétablissant ses ‎relations avec Israël avec la bénédiction de Hamas, qu’est survenue la tentative de coup ‎État qui croyait mettre à profit ces lacunes pour se débarrasser de celui en qui on voyait ‎un nouveau calife ottoman.

LE PRESIDENT TURC A EU BEAU MULTIPLIER LES ERREURS EN MATIERE DE POLITIQUE ‎INTERIEURE ET EXTERIEURE, LE PEUPLE, ET NON SEULEMENT L’ELECTORAT DE L’AKP, ‎N’ENTENDAIT PAS LAISSER L’ARMEE LE RENVERSER. C’ETAIT A LUI D’EN JUGER ET D’EN ‎DECIDER SELON LES VOIES DEMOCRATIQUES, ET NON A L’ARMEE OU UNE FACTION DE ‎CELLE-CI. ‎

MEME LES ADVERSAIRES DE L’AKP QUI AURAIENT PU TIRER QUELQUE GAIN D’UN ‎REBATTAGE DES CARTES, ONT REFUSE LA PERCHE TENDUE PAR LES MILITAIRES. ILS ONT ‎CONDAMNE SANS TERGIVERSATIONS LE COUP DE FORCE ET SONT SORTIS DANS LA RUE ‎POUR DEFENDRE AU PERIL DE LEUR VIE LA DEMOCRATIE QUI DOIT ETRE ARBITREE PAR ‎LES URNES ET NON LES ARMES.‎

L’armée, prétendant dans le communiqué diffusé dans la soirée de vendredi voler au ‎secours de l’ordre démocratique et garantir le respect des droits de l’homme et de la laïcité, ‎constitua dans cette perspective un « Conseil » pour diriger le pays. ‎
Aussitôt le peuple sortit en masse et se dirigea vers les positions occupées par les ‎factieux autour des aéroports et sur les places des grandes villes pour leur jeter au ‎visage avec aplomb : « RENTREZ DANS VOS CASERNES, ON N’A PAS BESOIN DE VOUS ! »

Si on ne voit dans certains évènements décisifs que leur aspect informationnel au lieu d’une ‎avancée humaine, d’une matière à réflexion ou d’un exemple utile à sa propre gouverne, si ‎on ne regarde l’Histoire au moment où elle se fait qu’à la manière de vaches affalées dans ‎un pré, ruminant et regardant les trains défiler sous leur regard éteint, sans émotion ni ‎interrogation sur le rapport avec leur condition, on n’est pas meilleur que ces vaches.

Mais si l’on est des êtres humains conscients et responsables, on doit rabattre les ‎évènements de Nice et d’Istanbul sur notre propre situation pour en tirer les enseignements ‎utiles au drame de la populace tenue en laisse depuis notre indépendance par des garde-‎chiourmes que nous sommes.

Les évènements d’avant-hier nous ont démontré une fois encore que LA OU EXISTE UN ‎PEUPLE, L’ARMEE N’A RIEN A FAIRE DANS LA POLITIQUE, LA PROTECTION DE LA ‎CONSTITUTION ET LES DROITS DE L’HOMME.

Le peuple et ses inépuisables ressources humaines y suffisant amplement. Mais il y a peuple ‎et peuple, armée et armée, chaque pays ou semblant de pays ayant celui et celle qu’il ‎mérite.‎

FAUT-IL QU’UN PEUPLE PERDE POUR QUE SON ARMEE GAGNE, OU QU’UNE ARMEE ‎PERDE POUR QUE SON PEUPLE GAGNE ? IL N’Y A QUE DANS LES PAYS SOUS-DEVELOPPES ‎SUR TOUS LES PLANS QU’EXISTE CETTE PERCEPTION DIALECTIQUE, CE CLIVAGE, ET NOUS ‎EN SOMMES UN.

AUCUN REGIME MILITAIRE N’A DEVELOPPE SON PAYS COMME L’ONT ATTESTE LES ‎DIZAINES D’EXPERIENCES TENTEES SOUS TOUTES LES LATITUDES AU SIECLE DERNIER, ET ‎LES ARMEES LES PLUS FORTES SONT INDUBITABLEMENT CELLES DES ETATS DE DROIT ET ‎DES REGIMES DEMOCRATIQUES.‎

Le peuple turc n’a pas tué son armée ni ne l’a licenciée, il l’a renvoyée à ses missions ‎naturelles après lui avoir donné une bonne leçon, comme l’avait fait avant lui le peuple ‎burkinabé il y a un an dans des circonstances similaires. Et en tête de ces missions, il y a la ‎défense du territoire contre les menaces extérieures.

ELLE NE LE FERA QUE MIEUX QUAND ELLE SE CONCENTRERA SUR SON METIER DE BASE ‎AU LIEU DE CONSPIRER EN PERMANENCE POUR MAINTENIR SOUS SA TUTELLE PAR ‎L’ABRUTISSEMENT ET LA PEUR LE PEUPLE VIA DE FAUX PARTIS ET LA FRAUDE ‎ELECTORALE.‎

IL N’Y A PLUS QUE DANS LE DOUAR ALGERIEN OU L’ON PENSE QUE SANS L’ARMEE LE ‎PAYS EST PERDU. SI C’ETAIT VRAI, ALORS NOUS MERITERIONS DE DISPARAITRE LE PLUS ‎VITE POSSIBLE DE LA SURFACE DE LA TERRE POUR N’ETRE NI UN PEUPLE, NI UNE ‎SOCIETE, NI UNE NATION MAIS UN TROUPEAU HUMAIN, UNE VEGETATION (PUISQU’ON ‎SE PLAIT A SE DEFINIR AVEC ORGUEIL COMME ETANT UNE « HCHICHA TALBA M’ICHA ») ‎ACCEPTANT DE VIVRE DANS N’IMPORTE QUELLES CONDITIONS POURVU QU’ON AIT UNE ‎‎« LOQMAT-AL-AÏCH » ET LE LOISIR DE SE REPRODUISE SANS RAISON, FONCTION OU BUT.‎

L’ARMEE, LE PEUPLE ET LES PARTIS POLITIQUES ALGERIENS COMMUNIENT ‎‎« PATRIOTIQUEMENT » DEPUIS TOUJOURS DANS LE DOGME QUE L’ANP EST LA GARANTE ‎DE LA CONSTITUTION, DE LA SOUVERAINETE NATIONALE, DE L’UNITE DU PEUPLE ET DE ‎L’INTEGRITE DU TERRITOIRE, CE QUI EST UNIVERSELLEMENT FAUX, CONCRETEMENT ‎IRREALISABLE ET NEFASTE A NOTRE SANTE MENTALE, INTELLECTUELLE ET MORALE. ‎

La dernière preuve nous a été administrée en quelques heures avant-hier par la Turquie.

CES CHOSES-LÀ, CES RESPONSABILITES-LA, SONT DU RESSORT DE L’ENSEMBLE DE LA ‎COMMUNAUTE ET NON D’UNE INSTITUTION QUELLE QU’ELLE SOIT : ARMEE, ‎PRESIDENCE, HOMMES D’AFFAIRES, SYNDICATS, OPPOSITION…‎

C’EST A L’ENSEMBLE DES FORCES VIVES DE LA NATION, A LA « SOUVERAINETE ‎POPULAIRE » COMME C’EST ILLUSOIREMENT AFFIRME DANS NOTRE CONSTITUTION, ‎QU’IL INCOMBE DE PROTEGER LA CONSTITUTION ET L’ORDRE LEGAL COMME VIENT DE ‎LE FAIRE LE PEUPLE TURC. ‎

Aucun peuple au monde ou dans l’Histoire n’a jamais porté atteinte à sa Constitution, à la ‎légalité de ses institutions politiques quand elles sont légitimes, justes et efficaces. ‎
Ce sont toujours des individus assoiffés de pouvoir et de richesses, des despotes ‎mégalomanes ou des comploteurs à la courte vue qui, profitant de leur position de ‎détenteurs des moyens militaires mis entre leurs mains par la collectivité pour la ‎protéger d’agressions extérieures, les retournent contre elle pour satisfaire leur ego et ‎leurs intérêts personnels ou claniques comme c’est le cas chez nous depuis l’origine.

Qui a jamais violé la Constitution en dehors de Ben Bella, Boumediene et Bouteflika, non ‎dans l’intérêt du peuple mais du leur, prioritairement et exclusivement ? Quand est-ce que ‎le peuple algérien a été impliqué ou consulté dans la rédaction des dispositions ‎constitutionnelles ?

A quand l’heure de sa délivrance du despotisme et de l’offense permanente qui lui est ‎faite en le maintenant de force dans la culture du douar sous la menace de gardes-‎champêtres sans vergogne et aux appétits insatiables ?‎

En 1979 je me suis rendu en Iran pour vivre la révolution iranienne de l’intérieur et, de ‎retour au pays, j’ai publié un long reportage à l’intention de mes compatriotes pour partager ‎avec eux les impressions ramenées de mon séjour et de mes contacts avec les acteurs et les ‎dirigeants de la révolution. L’année d’après je me suis rendu en Turquie juste après le ‎coup d’État, mais je n’ai rien écrit à mon retour car il n’y avait rien à dire sur un pays ravagé ‎par la misère et la terreur et où les mosquées, laminées par Mustapha Kemal, étaient aussi ‎vides que des lieux hantés par des esprits frappeurs.

Entre le dernier en date des coups d’État turcs réussi (1997) et celui qui a avorté avant-hier, ‎il s’est écoulé une vingtaine d’années durant laquelle s’est développée une expérience ‎démocratique originale qui vient de prouver sa fiabilité. ‎

Ce laps de temps a vu naître aussi une société civile, une société politique et un peuple ‎de citoyens patriotes et travailleurs conformément à l’espérance du fondateur de la ‎Turquie moderne exprimée dans l’extrait mis en exergue de cet article. Quel est le ‎dirigeant algérien qui a tenu de tels propos, se voyant pour la plupart comme l’ombre ‎de Dieu sur la terre alors qu’ils n’étaient que de pauvres bougres en termes d’équation ‎personnelle ?‎

C’est le premier coup d’État militaire que l’armée turque ne réussit pas et ce sera très ‎probablement le dernier car, dans le même laps de temps, la vieille idée que l’armée est la ‎‎« garante » des intérêts supérieurs de la nation est progressivement sortie de l’esprit de ‎l’encadrement militaire. ‎

Elle est en voie d’effacement de leur culture personnelle et disparaîtra avec l’épisode ‎sanglant d’avant-hier et l’arrivée au commandement de nouvelles générations élevées ‎dans le respect de la démocratie.‎

A l’avenir, c’est l’armée turque qui sera aux ordres du peuple souverain qui n’a que l’urne ‎pour champ de manœuvre mais qui, quand il vote, fait respecter son choix par tous les ‎moyens. Ce n’était finalement qu’un accroc : quelques centaines de victimes, ‎malheureusement, mais la Turquie peut reprendre son chemin, sûre de ses pas et du cap ‎jadis tracé par Atatûrk.

IL N’Y A QUE NOUS QUI EN SOMMES ENCORE A L’EPOQUE DES JANISSAIRES QUI ‎FAISAIENT ET DEFAISAIENT LES CALIFES A ISTANBUL ET LES DEYS A ALGER, ALORS ‎PROVINCE OTTOMANE TENUE PAR QUELQUES MILLIERS DE JANISSAIRES, CEUX-LA ‎MEMES QUE L’ARMEE FRANÇAISE A BALAYES EN TROIS SEMAINES EN JUILLET 1830. ‎
Le coup d’État, chez nous, a été fait contre le peuple qui a été disqualifié, exclu, humilié, ‎réprimé une fois pour toutes, avant même d‘avoir respiré profondément l’air de ‎l’indépendance. A la première inspiration on lui a fermé le clapet.

‎« ON », C’EST-A-DIRE LE « SYSTEME », A DECIDE QU’IL NE CHOISIRA JAMAIS SES ‎DIRIGEANTS, QU’IL NE SAURA RIEN DE LA GESTION DE SES AFFAIRES, QU’IL NE ‎CONNAITRA EN AUCUN CAS LES VRAIS RESULTATS DE SON VOTE ET QU’IL NE ‎CONTROLERA PAS L’UTILISATION DES DENIERS PUBLICS.‎

L’ALN n’était pas une organisation tombée du ciel pour sauver le peuple algérien, elle a ‎été formée par le peuple algérien avec des moyens de fortune et un idéal sain, celui ‎d’une Algérie où régneraient la justice, la dignité, le mérite, la démocratie et les valeurs ‎sociales comme c’est écrit dans la Proclamation du 1er novembre 1954.

Une fois devenue une organisation militaire, c’est encore le peuple qui l’a financée, ‎nourrie, renseignée, protégée et sauvée des ratissages ennemis.‎

La différence entre nous et le peuple turc était visible, éclatante, attristante, gênante même.

NOUS SAVONS TOUS QU’ON PEUT, EN 2019 OU AVANT, METTRE A NOTRE TETE UN ‎VOLEUR PAR CENTAINES DE MILLIONS DE DOLLARS, PAR MILLIERS DE MILLIARDS EN ‎MONNAIE ALGERIENNE, UN IGNORANT DONT LA SEULE VUE FAIT HONTE, UN ALIENE ‎INCONSCIENT DE SON HANDICAP ET SE PRENANT POUR UNE LUMIERE UNIQUE, UN ‎VALET DE CHAMBRE DE NAISSANCE OU UN FANTOME SANS REALITE PHYSIQUE, SANS ‎QUE RIEN N’ARRIVE ET QUE PERSONNE NE BOUGE.

Jusqu’au jour où Dieu héritera de sa terre comme le dit le Coran…‎

‎(« Le Soir d’Algérie » 18 JUILET 2016)‎

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