LA FASCINATION FRANÇAISE

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‎« Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit et qu’ensuite on mesure le succès et ‎qu’on le trouve si énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve pas quelque surprise. On ‎se demande : comment a-t-il fait ? On décompose l’aventure et l’aventurier… On ne trouve ‎au fond de l’homme et de son procédé que deux choses : la ruse et l’argent… » Victor Hugo ‎‎(« Napoléon le Petit »).‎

La révision d’une constitution n’est pas une fin en soi, c’est par ce que visent à travers elle ‎ses initiateurs qu’elle peut avoir ou non un sens. La prochaine révision constitutionnelle ‎devrait pouvoir tirer les enseignements des erreurs et abus du passé, et anticiper autant que ‎possible les risques et périls du futur.

Il faudrait s’inspirer dans cette tâche du corpus des constitutions passées et des textes ‎fondateurs de l’Etat algérien, reprenant ce qu’il y a de bon dans l’une et corrigeant dans le ‎sens du meilleur celle qu’on se propose d’amender.‎
Il faut aussi s’intéresser à ce qu’ont fait, il y a longtemps ou tout récemment, les autres, ceux ‎qui nous sont proches par maintes ressemblances comme la Tunisie postrévolutionnaire, ou ‎par la culture politique comme les Français dont nous nous sommes notamment inspirés ‎jadis pour la rédaction de nos textes fondateurs et, en partie, de nos constitutions.‎
Une constitution peut en effet être révisée dans le but d’apporter un plus, COMME ELLE ‎PEUT L’ETRE POUR APPORTER UN PLUS A UN HOMME ET UN MOINS A UNE NATION. ‎
Après la Révolution française et la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de ‎‎1789 », puis la proclamation de la première République en 1793, la France n’a pu éviter par ‎la suite un retour à la monarchie et à l’autoritarisme sous différentes appellations (Consulat, ‎restauration, Empire). ‎

Jusqu’en 1870, elle aura connu trois monarchies constitutionnelles, deux républiques et deux ‎Empires. Ce n’est qu’en 1879 qu’elle a définitivement tourné le dos à la royauté et consacré ‎la République telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Avec la IIIe République fondée par les Lois constitutionnelles prises entre 1875 et 1879, elle ‎a posé durablement le socle démocratique de la France avec les lois sur la liberté de la ‎presse, l’école gratuite et obligatoire, l’enseignement public et laïc, la légalisation des ‎syndicats et des associations, la séparation de l’Église et de l’État, les congés payés, les ‎conventions collectives, la semaine de 40 heures… Née de la défaite de Sedan (1870) face ‎aux Prussiens, elle est morte de la débâcle de 1940 face à l’France. ‎

La constitution qui sera adoptée en 1946 donnera naissance à la IVe République dont ‎s’inspireront les textes fondateurs de notre lutte de libération et les organes qui la ‎dirigeront. Elle tombera à son tour en 1958, emportée par les remous de la guerre ‎d’Algérie.‎

Les Français ont mis près d’un siècle pour entrer définitivement en République et en ‎démocratie, deux choses qui vont de pair en principe sauf dans le monde arabe où aucune ‎république n’est démocratique à l’exception, depuis peu, de la Tunisie. Ils ont consommé ‎quatorze constitutions et laissé des dizaines de milliers de cadavres tout au long de ce ‎parcours.

Si nous devions les prendre pour étalon de mesure, le temps qui nous reste serait de trente-‎quatre ans. Mais il n’y a pas que le facteur temps, il y a surtout la délicatesse du choix de la ‎direction à prendre.

ENCORE FAUT-IL DONC, COMME EUX, SUIVRE LA VOIE LUMINEUSE DU CHEMIN DU ‎PROGRES AU LIEU DE CHERCHER A PRENDRE A LA PREMIERE OCCASION VENUE LA ‎TANGENTE QUI MENE A KABOUL.‎

Des régressions similaires ont été observées dans d’autres pays comme l’Allemagne qui est ‎passée d’un régime démocratique (la république de Weimar instituée en 1919) à un régime ‎autocratique (le troisième Reich à partir de 1933) et en Algérie où la révision de 2008 a ‎supprimé la limitation des mandats et la répartition du pouvoir exécutif entre le président ‎de la République et le chef du gouvernement.

Les textes fondateurs de l’Etat algérien sont l’ « Appel du 1er novembre 1954 », la ‎‎« Plateforme de la Soummam » (1956) et le « Programme de Tripoli » (1962). De ces trois ‎documents, seul le premier jouit d’une reconnaissance unanime et d’une certaine sacralité, ‎quand les deux autres restent l’objet de controverses.

Ces documents peuvent être consultés sur le site de la présidence de la République, mais il ‎est regrettable de constater que personne n’a pensé à les débarrasser des nombreuses ‎fautes de saisie, vocabulaire, orthographe, grammaire et ponctuation dont ils sont entachés ‎dans la version française.

J’en signale une seule ici : la confusion systématique entre « décade » (dix jours) et décennie ‎‎(dix ans) qu’on retrouve dans l’ « Appel du 1er novembre » et le « Programme de Tripoli ». ‎N’y a-t-il personne là-haut pour se dévouer à cette humble tâche qui sauverait un peu de ‎notre dignité ?‎

L’ « Appel du 1er novembre » a défini les buts de l’indépendance nationale avec à leur tête ‎‎« la restauration de l’État algérien souverain démocratique et social dans le cadre des ‎principes islamiques ».

Cette formule n’est pas de l’invention du CRUA ou du duo constitué de Mohamed Boudiaf et ‎de Didouche Mourad à qui est attribuée sa rédaction. On la trouve dans la « Résolution de ‎politique générale » adoptée par le 3e congrès du parti de Ferhat Abbas (l’UDMA) en ‎septembre 1951 où il était déjà question de « l’instauration d’une République algérienne ‎démocratique et sociale ».

Le PPA-MTLD dirigé par Messali Hadj est alors en pleine crise. Les membres du Comité ‎central refusent de céder à ses exigences de gérer le parti à sa guise, et convoquent un ‎congrès en avril 1953 au cours duquel un débat est ouvert sur la nature du futur État ‎algérien.

Parmi les congressistes, il en est qui envisagent le système monarchique et d’autres la ‎République islamique, mais les deux propositions sont écartées. La définition du futur État ‎qui sera retenue finalement est celle qui sera mentionnée dans « L’Appel du Comité central ‎du MTLD pour un congrès national algérien » en date du 10 décembre 1953 et qui ‎recommande un « Etat républicain, démocratique et social ».‎

Ces cogitations sur le devenir de la nation algérienne et la terminologie utilisée ne sont pas ‎le fruit d’une réflexion algérienne, mais le produit de l’influence de la culture politique ‎française de gauche sur les nationalistes algériens.‎
En effet, la constitution qui a fondé la IIIe République, de même que celle de la IVe, ‎instaurée en octobre 1946, comportent la mention : « La France est une république ‎indivisible, laïque, démocratique et sociale ». L’ajout de « dans le cadre des principes ‎islamique » a été conçu comme une réplique au mot « laïque » que les leaders algériens de ‎l’époque ne pouvaient endosser. De même qu’on trouve dans ces deux constitutions mention ‎de la devise qui figure dans les constitutions algériennes de 1963 à nos jours : « Son principe ‎est : par le peuple et pour le peuple ».‎

On décèle cette fascination pour la culture politique française, consciente ou inconsciente, ‎de façon encore plus marquée dans le choix des dénominations données aux organes ‎dirigeants de la Révolution algérienne entre 1954 et 1962 (« Front de Libération Nationale », ‎‎« Gouvernement Provisoire de la République algérienne » et « Conseil National de la ‎Révolution Algérienne »).

C’est ainsi que le premier n’est que la reprise de CFLN (« Comité Français de Libération ‎Nationale » créé par de Gaulle et Giraud en 1943), le deuxième la reprise de GPRF ‎‎(« Gouvernement Provisoire de la République Française », créé en 1944 en remplacement ‎du CFLN), et le troisième la reprise de CNRF (« Conseil National de la Résistance ‎Française »).‎

Charles de Gaulle, malgré la consonance de son nom, ne descend pas de l’ancienne noblesse ‎française. Mais toute la noblesse et la grandeur dont peut s’enorgueillir la France du XXe ‎siècle tiennent de lui, de sa vision du monde et de ses décisions qui ont sauvé par deux fois la ‎France : pendant la seconde guerre mondiale et durant la guerre d’Algérie.

Ses idées et son héritage intellectuel et politique continuent d’inspirer la classe politique de ‎l’Hexagone, de gauche comme de droite, à nos jours. C’était un grand homme au sens ‎propre (il mesurait plus de deux mètres) et figuré. Il était lui-même rempli de cette ‎certitude et n’hésitait pas à rappeler à l’ordre les oublieux. Ses biographes rapportent des ‎anecdotes à ce sujet dont celle-ci : alors qu’il était en déplacement dans un département ‎français, un proche osa attirer son attention sur le fait que le préfet du département venu à ‎leur accueil était plus grand que lui. Offensé, de Gaulle le cingla de cette mise au point : ‎‎« Dîtes plus long ! »‎

Moqué un jour par un média français sur sa taille, Bouteflika répondit en évoquant la taille ‎de Napoléon le Grand. Il ne dit pas qu’il était « plus long » ou « plus grand » que lui mais, ‎par une circonvolution, qu’il le dépassait d’un ou de deux centimètres. La question ne devait ‎pas avoir surpris Bouteflika mais la réponse, elle, a dû surprendre le journaliste qui a dû se ‎dire qu’elle ne pouvait pas avoir spontanément fusé. EN TOUT CAS, DANS LA PREMIERE ‎COMME DANS LA SECONDE HISTOIRE, LE PLUS LONG N’ETAIT PAS LE PLUS GRAND.‎

Il est curieux que dans l’histoire de la France deux membres d’une même famille aient ‎commis à un demi-siècle d’intervalle les deux seuls coups d’État qu’elle connaisse. Ne ‎pouvant se revendiquer d’un sang royal, ils n’instituèrent pas des monarchies, mais des ‎Empires.

Napoléon Bonaparte commit le premier en 1799 (18 Brumaire) en étendant le mandat du ‎Consulat dont il était membre à dix ans puis à vie une fois devenu Premier consul, avant de ‎se proclamer en 1804 « Empereur des Français ».‎

Louis-Napoléon Bonaparte que Victor Hugo a surnommé dans un pamphlet célèbre ‎‎« Napoléon le Petit », est l’auteur du second. A la faveur de la Révolution de 1848, il s’est ‎fait élire député puis, après l’adoption d’une nouvelle constitution rétablissant la République, ‎comme premier président de la République de l’histoire de France avec le soutien de Victor ‎Hugo, notamment, qu’il va le payer de vingt ans d’exil. Il se revendiquait de la descendance ‎de son oncle, Napoléon le Grand, mais de récentes analyses d’ADN ont démenti cette ‎filiation.

La constitution de 1848 à créé la fonction de président de la République éligible à un mandat ‎de quatre ans et posé la règle que la rééligibilité n’est envisageable qu’après un intervalle ‎de quatre ans. Elle a aussi institué le poste de vice-président. Elle affirme dans son ‎préambule : « La France s’est constituée en République. En adoptant cette forme définitive ‎de gouvernement, elle s’est proposée pour but de marcher plus librement dans la voie du ‎progrès et de la civilisation… » ‎
Dans l’article 1er, et comme pour conjurer tout risque de retour en arrière, elle avait disposé ‎que « la souveraineté réside dans l’universalité des citoyens français. Elle est inaliénable et ‎imprescriptible. Aucun individu, aucune fraction du peuple ne peut s’en attribuer ‎l’exercice ». A l’article 51 il est précisé que le président « ne peut suspendre en aucune ‎manière l’empire de la constitution et des lois ».

C’est pourtant ce que Louis-Napoléon Bonaparte va faire malgré d’autres protections dont la ‎constitution a cru s’entourer comme l’article 110 où il est stipulé que « l’Assemblée ‎nationale confie le dépôt de la présente constitution et des droits qu’elle consacre à la garde ‎et au patriotisme de tous les Français ».

Ces derniers étaient alors au nombre de 37 millions d’habitants, soit autant que nous ‎actuellement. Le serment d’investiture prêté par Louis Bonaparte, conformément à l’article ‎‎43 est : « Je jure de rester fidèle à la République démocratique une et indivisible et de ‎remplir tous les devoirs que m’impose la Constitution ».

Début 1951, il change la hiérarchie militaire pour placer des hommes dévoués à sa cause. Le ‎coup d’Etat est en marche. Son plus proche conseiller, son éminence grise, est son frère, ‎Charles de Morny, un affairiste dont il fera son ministre de l’Intérieur puis le président du ‎parlement pour s’assurer de sa servilité.

A l’approche de l’expiration de son mandat, il entreprend de changer la Constitution pour ‎pouvoir se représenter à l’élection présidentielle. Le 14 janvier 1852, il adresse une ‎proclamation au peuple français dans laquelle il déclare : « Je me suis dit : Puisque la France ‎ne marche depuis cinquante ans qu’en vertu de l’organisation du Consulat et de l’Empire, ‎pourquoi n’adopterons-nous pas aussi les institutions politiques de cette époque ?… C’est ‎pour cela que j’ai soumis à votre jugement les bases principales d’une Constitution ‎empruntée à celle de l’An VIII ».‎

Le texte qu’il présente fait passer le mandat présidentiel de quatre à dix ans, mais il doit ‎être approuvé par la majorité des deux-tiers des membres de l’Assemblée nationale. Il lui ‎manque 94 voix (446 pour, 278 contre).

Le 2 décembre 1852, il dissout l’Assemblée et proclame le second Empire après l’avoir fait ‎plébisciter par un vote populaire. Les députés qui s’opposent à son coup de force sont mis ‎aux arrêts. Le 4, l’armée réprime la foule sortie manifester. La répression s’étend à tout le ‎pays et on comptera des milliers de morts. Dans la nouvelle constitution confectionnée à ses ‎mesures, la justice est rendue en son nom propre et non au nom du peuple (art 7), il a le ‎monopole de l’initiative des lois (art 8), les ministres, sénateurs, députés, magistrats, ‎fonctionnaires et officiers doivent lui prêtent serment de fidélité (art 15)…‎

C’est, signalons-le, cette Constitution qui a décidé que « le territoire de l’Algérie et des ‎colonies est déclaré territoire français » (article 109)

Voilà le portrait moral que dresse de lui Victor Hugo dans le pamphlet dont il l’a honoré en ‎‎1852 depuis son exil :

« Que peut-il ? Tout. Qu’a-t-il fait ? Rien. Avec cette pleine puissance, ‎en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l’Europe peut-être. ‎Seulement voilà, il a pris la France et n’en sait rien faire. Dieu sait pourtant que le Président ‎se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il ‎décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c’est le mouvement perpétuel ; mais ‎hélas ! cette roue tourne à vide… Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui ‎sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir.
Il a pour lui l’argent, l’agio, la banque, ‎la bourse, le coffre-fort… Cet homme ne raisonne pas ; il a des caprices, il faut qu’il les ‎satisfasse… Faites des affaires, gobergez-vous, prenez du ventre ; il n’est plus question d’être ‎un grand peuple, d’être un puissant peuple, d’être une nation libre… On y ajoutera le ‎cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, l’insulte et la bafoue ! ‎Triste spectacle que celui du galop, à travers l’absurde, d’un homme médiocre échappé ».‎

Après les lois constitutionnelles qui ont façonné la IIIe République et lui ont assuré le record ‎de longévité depuis 1789, la Constitution de 1958 n’est pas loin de lui ravir cette distinction ‎car elle a été régulièrement adaptée aux évolutions de la société française et du monde à ‎travers les 24 révisions qui l’ont touchée jusqu’en 2008, date à laquelle le nombre de ‎mandats présidentiels a été ramené à deux par le président Sarkozy après que le président ‎Chirac eut ramené, avant lui, leur durée du septennat au quinquennat.

Elle est aujourd’hui composée de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de ‎‎1789, du « Préambule » de la constitution de 1946, d’un bloc de 106 articles et, après ceux ‎de l’homme, consacre les droits de la nature par l’incorporation d’une Charte de ‎l’environnement tenant en 10 articles.‎

Le fondateur de la Ve République, De Gaulle, a quitté ses fonctions avant la fin de son ‎deuxième mandat et après avoir rendu d’éminents services à son pays, modernisé son ‎économie et transformé le visage de la France sur tous les plans. Il disait : « Toute grande ‎construction humaine serait arbitraire et fragile s’il y manquait le sceau de la France » ‎‎(« Mémoires de guerre : le Salut »).

Dans la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » rédigée en 1789 par ses aïeux ‎révolutionnaires on peut lire à l’article 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des ‎droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de ‎constitution ».

IL EN DECOULE POUR NOUS QUE SI NOUS AVONS LE CONTENANT, NOUS N’AVONS PAS ‎LE CONTENU. NOUS N’AVONS PAS DE CONSTITUTION ET CE QU’ON VA REVISER, C’EST LE ‎VIDE, LE NEANT, LE MENSONGE. LES GOUVERNANTS PASSENT MAIS LEURS ŒUVRES ‎RESTENT, SURTOUT LES MAUVAISES, SURTOUT LES PRECEDENTS NEFASTES QU’ILS ‎LAISSENT DERRIERE EUX COMME LES MINES ENFOUIES PAR UN ENNEMI POUR PUNIR ‎CEUX QUI HERITERONT DE LA TERRE DONT IL A ETE CHASSE. ‎
‎(« LE SOIR D’ALGERIE » DU 25 MAI 2014)‎

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