« Voilà bien de la diplomatie dépensée en pure perte ! »
Le fabuliste français Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794) est l’auteur d’une fable célèbre intitulée « L’aveugle et le paralytique » qui se décline ainsi : « Dans une ville de l’Asie il existait deux malheureux, l’un perclus, l’autre aveugle, et pauvres tous les deux. Ils demandaient au Ciel de terminer leur vie, mais leurs cris étaient superflus. Le paralytique, couché sur un grabat dans la place publique, souffrait sans être plaint. L’aveugle, à qui tout pouvait nuire, était sans guide, sans soutien, sans même un chien pour l’aimer et le conduire. Un certain jour il arriva que l’aveugle à tâtons, au détour d’une rue, se trouva près du malade. Il entendit ses cris, son âme en fut émue. Il n’est tel que les malheureux pour se plaindre les uns les autres : – « J’ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres. Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux ». – « Hélas ! dit le perclus, vous ignorez, mon frère, que je ne puis faire un seul pas. Vous-même vous n’y voyez pas. A quoi nous servirait d’unir notre misère ? » – « À quoi ? répond l’aveugle : Écoutez, à nous deux nous possédons ce dont l’autre a besoin. J’ai des jambes et vous des yeux. Moi, je vais vous porter. Vous, vous serez mon guide. Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés, mes jambes à leur tour iront où vous voudrez. Ainsi, je marcherai pour vous et vous verrez pour moi… »
L’histoire serait d’origine chinoise, son rapporteur Confucius lui-même, et se termine sur cette morale : « Aidons-nous mutuellement, la charge de nos malheurs en sera plus légère… »
Si elle se déroulait de nos jours et avait pour cadre le Maghreb, et que les dirigeants marocains avaient été à la place de l’aveugle et les dirigeants algériens à celle du paralytique, ou vice versa, le paralytique aurait cherché par tous les moyens à faucher les jambes de l’aveugle, tandis que l’aveugle n’aurait eu de cesse d’ôter la vue au paralytique. C’est à quoi se livrent les deux pays en ce moment sur les réseaux sociaux, ce qui les conduira inévitablement certain jour à leur perte s’ils ne changent pas d’attitude l’un envers l’autre.
La diplomatie des causes perdues suivie par l’Algérie dans sa politique avec bon nombre de pays du Tiers-monde sur la base de la philosophie de « ma andnach w ma ykhasssnach ! » (Nous n’avons rien et ne manquons de rien !) et la diplomatie des causes injustices suivie par le Maroc au nom du principe de « andna wi khassna ! » (Ce que nous avons, jamais ne nous suffit !) pour arriver à ses buts au Sahara occidental par exemple, quitte à trahir la Palestine, ont rendu les deux pays sourds et aveugles l’un à l’autre.
Je le dis d’abord puis le démontrerai ensuite : je tiens la décision algérienne de rompre les relations diplomatiques avec le Maroc pour une décision ni pesée, ni pensée, ni même « souveraine ». J’ai de fortes raisons de croire qu’elle a été télécommandée avec habileté par le Maroc qui a opposé l’intelligence froide de la diplomatie des causes injustes à l’amateurisme de la diplomatie des causes perdues.
Les causes énumérées par le MAE algérien pour justifier sa décision sont justes, fondées et conformes à l’histoire, mais personne au sein du Haut Conseil de Sécurité, à la présidence de la République ou au MAE ne s’est demandé si ces provocations n’étaient pas voulues, calculées et enfilées les unes dans les autres pour amener précisément l’Algérie à cette initiative qui la ferait passer aux yeux de l’opinion marocaine, arabe et internationale pour un Etat impulsif et belliqueux qui a refusé la main tendue marocaine, l’invitation au dialogue sans conditions préalables et même l’aide pour lutter contre les incendies.
La goutte destinée à faire déborder le vase a été programmée pour tomber en pleine visite du MAE israélien à qui revenait le rôle de confectionner publiquement la nouvelle fiche signalétique de l’Algérie présentée sous les traits d’un Etat nourrissant de « noirs desseins » et affilié à l’axe formé de l’Iran et du Hezbollah déjà accusé d’entraîner le Polisario.
Le pouvoir marocain connaît la nature profondément conservatrice de son peuple qui, s’il ignore l’antisémitisme à l’instar du peuple algérien, rejettera le sionisme tant que l’État palestinien n’aura pas vu le jour sur sa terre conformément au plan de partage de l’ONU de 1948, reconnu et endossé avec quelques retouches par le Sommet arabe de Beyrouth en 2002.
La « normalisation » avec Israël a été menée par le PJD, un parti islamiste qui a été chargé de cette besogne avant de partir, mais surtout pour qu’il ne revienne jamais au pouvoir car la tâche indélébile de la trahison de la cause palestinienne restera poinçonnée sur son front. C’est probablement l’une des raisons de son échec magistral aux dernières élections.
Pour aller plus loin dans son alliance stratégique avec Israël, le pouvoir marocain a besoin de l’assentiment de son peuple afin de ne pas se retrouver un jour face à une « intifada » menaçant sa stabilité.
Comment l’obtenir ? Procéder à une opération de substitution de l’ennemi absolu dans l’esprit des Marocains en reportant ses peurs et ses reproches sur le voisin algérien « militarisé et surarmé », en associant cette peur au besoin d’une protection extérieure disposant des moyens nécessaires d’intervenir sans se soucier de l’ONU ou craindre des sanctions internationales.
S’il fallait encore une preuve, la voici : à quelques jours de quitter le pouvoir, le Premier ministre marocain a fait une curieuse déclaration où il avait l’air de retirer la caution de l’État aux propos tenus par l’ambassadeur marocain à New York sur la Kabylie deux mois plus tôt. S’il avait ne serait-ce que fait semblant de recadrer l’ambassadeur AVANT la prise de la décision de rupture, l’Algérie aurait été obligée d’y voir un geste conciliant et d’y renoncer.
Mais l’intention du Maroc était de pousser à bout les Algériens pour les amener à l’erreur, ce pourquoi le Premier ministre a fait sa déclaration APRES la rupture dans un seul but : ne pas laisser de place au soupçon que le Maroc aurait été pour quelque chose dans la décision de l’Algérie. Il fallait un seul coupable dans l’affaire, et pour cela toute trace de provocation marocaine devait être effacée. Le semblant de désaveu était un coup d’éponge.
Le plan, probablement conçu en concertation avec Israël, a fonctionné. Il ne faut pas beaucoup pour comprendre la psychologie impulsive et épidermique du pouvoir algérien et anticiper ses réactions. Au point de pouvoir les provoquer à distance, de les susciter à volonté et même de les minuter. Effectivement, il est tombé dans le piège en pensant in petto qu’il allait gagner en popularité par ce qu’il prenait pour de l’héroïsme diplomatique mais qui n’était qu’une bouderie de fillettes provoquée à dessein, une fâcherie de gamins commanditée.
En la circonstance l’Algérie n’a pas fait que rompre avec le Maroc qui s’en tape royalement, elle s’est ridiculisée en rompant avec la notion même de diplomatie par la bouche du très peu diplomate MAE qui a tenu des propos éminemment anti-diplomatiques il y a une semaine au Caire que n’aurait pas tenus un élève de sixième : « La décision de rompre les relations diplomatiques avec le Maroc est une décision souveraine, DEFINITIVE ET IRREVERSIBLE » a-t-il déclamé en bombant le torse. Il lui a manqué d’ajouter : « Ni ici-bas, ni dans l’au-delà ! » Quelle honte !
Jamais de tels mots n’ont fait partie du lexique diplomatique. En aucun pays, aucun temps, aucune matière ou manière. Le summum de l’ignorance et du « khéchinisme » a été atteint sous le regard ébahi des diplomates du monde entier.
C’était vraiment une première car nul gouvernement n’a jamais insulté l’avenir et condamné le futur avec une telle inconscience. Il ne reste à l’Algérie qu’à construire un mur haut de cent mètres, supprimer des quatre points cardinaux la direction « ouest », vendre les locaux et le mobilier de notre ambassade à Rabat, supprimer le Maroc des cartes géographiques et des livres scolaires et peut-être même de la planète. Encore une cause perdue, et c’est loin d’être fini…
Et ça ose prétendre avoir une « initiative » pour régler le problème de la distribution des eaux du Nil entre l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte. Si ces pays écoutent notre MAE, il n’y aura plus aucune goutte pour personne. L’Algérie souffre cruellement de l’absence d’eau dans les robinets, d’oxygène dans les poumons et de bon sens dans les têtes, « grâce » justement au génie de ses dirigeants.
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