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LA VIE DE MALEK BENNABI (11)‎

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Le passage à vide de Bennabi conséquent à la perte de sa mère, à la précarité de sa ‎condition matérielle et aux déceptions politiques se prolonge. Il vit à la campagne dans le ‎calme champêtre qui lui fait tant de bien. Il ne va plus à l’Ecole, préférant travailler chez lui. ‎Le week-end, il se rend à Paris. ‎

Massignon doit donner un jour une conférence au siège de l’UCJG. Bennabi décide d’y ‎assister avec les frères Ben Saï et son cousin Ali Ben Ahmed. A la fin de la conférence, ce ‎dernier demande la parole et traite Massignon de « menteur ». C’est le scandale dans la ‎salle.‎

Bennabi intervient pour calmer les esprits et, ce faisant, en profite pour commenter en des ‎termes courtois certains jugements de Massignon sur le wahhabisme : « Mr le professeur, je ‎crois qu’il faut considérer le wahhabisme dans l’islam comme le protestantisme dans le ‎christianisme : c’est une Réforme. » Il conclut son intervention en proclamant qu’il est lui-‎même wahhabite. La salle l’applaudit mais le conférencier devient livide. Il a reçu les ‎arguments de Bennabi avec plus de froideur qu’il n’avait reçu les outrances de Ben Ahmed ‎‎(1). ‎

L’année universitaire s’achève. Bennabi n’envisage pas de rentrer à Tébessa et passe ses ‎vacances en Normandie comme surveillant dans une colonie de vacances. C’est dans ce petit ‎village du Luat-Clairet (2) où il vit avec sa femme dans une seule pièce mais au milieu de la ‎généreuse nature de Normandie qu’il prend la décision de tout laisser tomber pour partir en ‎Orient. Il sollicite des visas à l’ambassade d’Egypte. ‎

Tout est prêt : les passeports, les bagages, l’argent des billets de bateau, les projets, les ‎rêves, mais on lui refuse les visas. Il a été jugé « indésirable en Egypte pour les intérêts ‎français ». Complètement désenchanté il sort de la chancellerie, interprétant ce refus qui ‎chamboule ses plans comme une trahison arabe à l’instigation de l’administration coloniale. ‎Il se résigne à rester en France et, comme pour relever le défi, reprend fermement ses ‎études. Il retourne à Paris et loue une chambre à cinq minutes de l’Ecole. Le propriétaire lui ‎fait payer deux années de loyer d’avance. ‎

Au Quartier latin il retrouve Hamouda qui travaille comme manœuvre à l’usine « hispano-‎suiza » de Bois-Colombes (3). En Allemagne, Hitler dénonce le Traité de Versailles. Les noms ‎de Bendjelloul en Algérie et de Messali Hadj dans les milieux algériens en France sont au ‎firmament… de la « boulitique ». Bennabi pense en lui-même qu’« il est infiniment plus ‎difficile de former un seul homme que d’ébahir des milliers d’auditeurs avec des discours ‎patriotiques ». Salah Ben Saï termine brillamment ses études en agronomie, un organisme le ‎recrute et l’envoie en Guyane.‎

La situation de l’Algérie désespère Bennabi : d’un côté une administration déterminée à ‎maintenir le pays dans l’ignorance et la misère, de l’autre le verbiage et le revendiquisme ‎stérile des partis. Le problème de l’analphabétisme le hante en particulier, car il est à ses ‎yeux la clé du problème de la renaissance. ‎

Il rédige un article dans lequel il expose une possibilité de le résoudre par les propres ‎moyens de la société algérienne : répartir le nombre d’analphabètes sur le nombre de ‎lettrés. Il le propose à « La Défense » de Lamoudi et à l’ « Entente franco-algérienne » de ‎Bendjelloul qui ne le publient pas car jugé « subversif ». Un peu plus tard, il rédige un autre ‎article qu’il signe « Les compagnons de l’islam » et le fait parvenir au journal « L’Entente » ‎qui ne le publie pas non plus. ‎

En Algérie, une nouvelle affaire retient l’attention des médias. La population a décidé de ‎boycotter une marque de cigarettes (JOB) réputée pour son engagement en faveur du ‎sionisme. Elle prend la dimension d’une affaire d’Etat car chaque fois qu’une action ‎collective est entreprise, l’administration coloniale s’en alarme et devient capable de toutes ‎les extrémités. Bennabi le sait autant que le colonialisme. Il n’y a que le mouvement ‎national qui l’ignore, ou fait semblant de l’ignorer. ‎

En été, il rentre à Tébessa. Sa famille lui propose de se remarier avec une Algérienne qui lui ‎donnerait des enfants. Larbi Tébessi, revenu de Sig, dirige l’ « Islah » local. Le disque ‎égyptien a évincé des cafés populaires Aïssa Djermouni (1886-1946). Son père s’est détaché ‎du monde et ne s’intéresse plus à rien. ‎

On lui présente un jour au café le « Hoggar » un couple de Français convertis à l’islam, M. ‎Anacléto Cyril et sa femme qui, emportés par leur nouvelle foi, se croient obligés d’adopter ‎jusqu’aux aspects les plus superficiels de la vie des musulmans, liquidant leur ameublement ‎moderne pour le remplacer par des tapis et des divans, et troquant leur habillement ‎occidental contre « chéchia » et « séroual » pour l’homme, et foulard nord-africain pour la ‎femme. ‎

Bennabi ne comprend pas cet excès de zèle mais devient ami avec Anacléto dont il dit dans ‎ses Mémoires inédits : « Je lui dois beaucoup. Non seulement de m’avoir mis sur la voie de ‎certains problèmes ; il a souvent aussi contribué à leur solution dans mon esprit tant par sa ‎propre érudition qui n’était pas négligeable, que par sa bibliothèque islamique qui était ‎importante. » ‎

C’est à la même époque qu’il rend visite à Eugène Jung dont il dira : « Le vieil homme, le ‎vaillant lutteur qui initia ma génération, usé et désabusé, s’éteignait doucement comme la ‎chandelle qui éclairait ses derniers instants dans cette mansarde qui n’était pas même ‎éclairée à l’électricité » (« MTS » II). ‎

Un jour qu’il est attablé à une terrasse de café parisien vers la fin du mois de février 1936, ‎lisant le journal « L’Entente », il tombe sur un article de Ferhat Abbas au titre inattendu : ‎‎« La France c’est moi ! ». Il le parcourt et manque d’étouffer. Les jours suivants il apprend ‎que l’article, une réponse à un écrit publié par un journal parisien, « Le Temps », a ‎commotionné le pays. ‎

Dans ce brûlot devenu historique, Ferhat Abbas écrit : ‎

‎« Avec cette légèreté du geste et de la pensée des gens mal informés, le journal « Le ‎Temps », inspiré sans doute par la haute finance coloniale ou la démence de quelques ‎hommes politiques, reprend les hostilités contre l’Algérie musulmane en lui jetant à la face ‎toutes les vieilleries que l’arsenal colonial utilise périodiquement depuis une cinquantaine ‎d’années : nationalisme, fanatisme religieux, wahhabisme… ‎

La question qui m’intéresse est celle de l’enseignement de l’arabe posée par « Le Temps ». ‎Cette langue est pour la religion musulmane ce que l’Eglise est pour la religion catholique. ‎Elle ne saurait vivre sans elle… Wahhabisme et panarabisme sont des paravents fragiles ‎derrière lesquels s’abritent les véritables desseins de nos gros éducateurs coloniaux. La ‎masse à laquelle ils ont refusé l’école française doit être privée de l’enseignement arabe. Ni ‎culture française, ni culture arabe… Si les oulémas étaient des « racistes », des ‎‎« panislamistes », nous, amis politiques du Dr. Benjelloul, nous serions des nationalistes. ‎L’accusation n’est pas nouvelle… ‎

Mon opinion est connue. Le nationalisme est ce sentiment qui pousse un peuple à vivre à ‎l’intérieur de frontières territoriales, sentiment qui a créé ce réseau de nations. Si j’avais ‎découvert la « nation algérienne », je serais nationaliste et je n’en rougirais pas comme d’un ‎crime. Les hommes morts pour l’idéal national sont journellement honorés et respectés. Ma ‎vie ne vaut pas plus que la leur. Et cependant, je ne ferai pas ce sacrifice. ‎

L’Algérie en tant que patrie est un mythe. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’histoire ; ‎j’ai interrogé les morts et les vivants… j’ai visité les cimetières : personne ne m’en a parlé. ‎Sans doute ai-je trouvé « l’Empire arabe », « l’Empire musulman », qui honorent l’islam et ‎notre race, mais ces empires se sont éteints. Ils correspondaient à l’Empire latin et au Saint-‎Empire romain germanique de l’époque médiévale. Ils sont nés pour une époque et une ‎humanité qui ne sont plus les nôtres… Ce que l’on veut combattre derrière ce mot, c’est ‎notre émancipation économique et politique. Et cette double émancipation, nous la voulons ‎avec toute la force de notre volonté et de notre idéal social. ‎

Six millions de musulmans vivent sur cette terre devenue depuis cent ans française, logés ‎dans des taudis, pieds nus, sans vêtements et sans pain. De cette multitude d’affamés, nous ‎voulons faire une société moderne par l’école, la défense du paysannat, l’assistance sociale… ‎Sans l’émancipation des indigènes, il n’y a pas d’Algérie française durable. La France, c’est ‎moi parce que moi je suis le nombre, je suis le soldat, je suis l’ouvrier, je suis l’artisan, je suis ‎le consommateur. Ecarter ma collaboration, mon bien-être et mon tribut à l’œuvre ‎commune est une hérésie grossière. Les intérêts de la France sont nos intérêts dès l’instant ‎où nos intérêts deviennent ceux de la France… (4) ». ‎

Bennabi en délibère avec ses amis et décide de riposter à cette négation de la nation ‎algérienne. Rentré chez lui, il se met au travail. Le titre qu’il choisit à son article, ‎‎« Intellectuels ou intellectomanes», introduit le premier néologisme de la terminologie ‎bennabienne. Le lendemain, il le montre à ses amis. Hamouda Ben Saï le recopie pour le lire ‎partout, tandis que l’original est envoyé à Lamine Lamoudi en vue d’être publié dans « La ‎Défense ». Celui-ci refuse sa publication (5).‎

La lecture de cet article nous révèle un Bennabi plus sensible aux questions idéologiques ‎qu’aux questions politiques puisque c’est à la première partie de l’éditorial de Ferhat Abbas ‎qu’il semble répondre, montrant combien il a été heurté dans ses convictions « salafistes ». ‎

Par la même, il rapporte dans ses Mémoires inédits les sensations qu’éprouve l’écrivain en ‎herbe devant son premier essai : « Pour la première fois de ma vie, je faisais un effort ‎d’accouchement intellectuel. Chaque problème pratique ou théorique en exige un. Mais ‎pondre un article, c’était nouveau pour moi. Je lui avais donné pour titre « intellectuels ou ‎intellectomanes ? » Le néologisme (6) avait jailli dans mon esprit comme un dard que je ‎plantais fougueusement dans l’orgueil des nouveaux « zaïms »… Quand je l’eus lu le ‎lendemain au repas de midi à ma femme, elle me dit : « Ça, ce n’est pas de toi, c’est de ‎l’inspiration. » C’était en effet de la prose de haute volée. » ‎

Voici dans son intégralité l’écrit en question : ‎

‎« Est-ce un enterrement que l’Algérie doit célébrer ? Après le faux miracle maraboutique, le ‎mirage intellectuel doit-il se dissiper à son tour ? Notre « élite » se meurt ! … Notre ‎‎« élite »… a vendu son âme. C’eut été un sujet pour Goethe. Malheureusement, ce n’est ‎qu’une farce triviale. Jusqu’ici, nous avions cru que nos « intellectomanes » se ‎contenteraient de monnayer leurs talents de bouffons dans la foire politique. Mais la ‎parodie ne suffit plus.. Car voici que la farce se hausse au mélodrame et que les polichinelles ‎se prennent soudain au sérieux.‎

C’est Abbas Ferhat qui se découvre une vocation d’archéologue et va fouiner dans « les ‎cimetières ». Je le connaissais déjà comme farceur depuis « Le jeune Algérien ». Ne nous a –‎t-il pas indiqué dans son livre un régime de larmes comme remède à nos maux ? « Pleurer ‎comme la fille d’Hamilcar », c’est bien de lui. ‎

Parmi tant de déchéances, l’Algérie connaît un mal nouveau : l’ « intellectomanie ». La ‎zaouia et l’imprimerie ont fait les mêmes ravages. L’ignorance du peuple et « l’instruction » ‎des « intellectomanes », voilà nos deux fléaux. Hier, l’amulette et aujourd’hui le bouquin. ‎Quel est le pire, Abbas, où est la différence ? ‎
Hier les pachas de Constantine, vos aïeux, obligeaient les Juifs de se déchausser pour passer ‎devant eux. C’était odieux. Aujourd’hui, pour répondre au « Temps », la feuille juive devenue ‎la mieux camouflée et la plus vénale, tu déchausses pour ainsi dire ton âme et tu bafoues ‎ton passé. C’est ignoble.On nous accuse de « panislamisme » ? Et pourquoi pas d’islam tout ‎court ?‎

La presse stipendiée du veau d’or sait créer astucieusement les mythes qui font peur. C’est à ‎dessein que notre islam est affublé de ce « pan » qui sème la panique dans les rangs de nos ‎valeureux « intellectomanes » ! Mais toi Abbas ? Tu te trompes ou tu nous trompes. Hier ‎n’est pas notre passé ! Notre passé est avant le narguilé et le harem, avant les courtisans et ‎les favoris, les marabouts et les « intellectomes ». Notre passé, c’est notre âme trempée ‎dans le sang versé à Siffin. C’est aussi notre avenir » (7). ‎

La riposte de Ben Badis à l’article de Ferhat Abbas paraît, elle, en avril dans le journal de ‎l’ Association des Oulamas, « ach-Chihab », où on peut lire :‎

‎ « Vous ne nous représentez point. Vous ne parlez pas en notre nom, et vous ne traduisez ni ‎notre sentiment, ni notre pensée. Nous, nous avons scruté les pages de l’histoire et la ‎situation présente. Et nous avons trouvé la nation algérienne et musulmane, formée et ‎existante, comme se sont formées et ont existé toutes les nations du monde. Cette ‎communauté a son histoire, pleine de hauts faits. Elle a son unité religieuse et linguistique. ‎Elle a sa culture propre, ses habitudes et ses mœurs, bonnes ou mauvaises, comme chaque ‎nation ici-bas. ‎

De plus, cette nation algérienne et musulmane n’est pas la France. Elle ne saurait être la ‎France. Elle ne veut pas devenir la France. Elle ne pourrait pas le devenir, même si elle le ‎voulait. C’est une nation que la langue, les mœurs, la race et la religion distinguent de la ‎France. Elle ne veut pas s’y intégrer. Elle a une patrie définie et limitée : c’est l’Algérie dans ‎ses frontières actuellement reconnues et dont l’administration est confiée à M. le ‎Gouverneur général désigné par l’Etat français. De plus, cette patrie algérienne musulmane ‎est pour la France une fidèle amie. Sa fidélité est celle du cœur et non point une fidélité ‎apparente. Elle lui offre la sincérité de l’ami pour son ami et non point celle du domestique ‎pour son maître.‎

Dans la paix et la sécurité, elle demande à la France de respecter sa langue et sa religion, ‎de lui aplanir la voie du progrès dans le cadre de sa religion, de sa langue et de sa morale ‎propres. Elle lui demande de la gratifier de la liberté, de la justice et de l’égalité, afin de ‎devenir un modèle de progrès, d’égalité et de bien-être et pour l’administration française et ‎pour la coopération franco-indigène… ‎

Dans une situation de crise mondiale, au moment où les choses s’aggravent, où la poudre a ‎la parole et où l’épée de Damoclès menace, le musulman algérien s’éveille, tel le lion dans ‎sa tanière pour protéger le sol français, tout comme il défendrait sa terre algérienne, sa ‎femme et ses enfants. ‎

Aussi, nous, Algériens musulmans qui vivons dans notre patrie algérienne à l’ombre du ‎drapeau tricolore français et unis solidement avec les Français, dans une union que ‎n’affectent ni les petits évènements ni les crises superficielles, nous vivons avec les Français ‎en amis fidèles. Nous respectons leur gouvernement et leurs lois, nous obtempérons à leurs ‎impératifs et à leurs interdits. Et nous voulons qu’ils respectent notre religion et notre ‎langue, qu’ils protègent notre dignité et qu’ils nous guident dans la voie de la renaissance ‎politique, sociale et économique. Ainsi, nous vivrons ensemble comme de fidèles amis, et, si ‎l’heure de mourir au service de la défense de la patrie française ou algérienne venait ‎jamais, elle nous trouverait au premier rang, prêts à mourir côte à côte, en amis ‎fidèles. » (8). ‎

Au printemps 1936, Léon Blum forme le gouvernement du Front Populaire. A Alger, un grand ‎événement se prépare qui comble Bennabi de joie : les Oulamas, les Elus et les ‎Communistes décident de se regrouper au sein du « Congrès Musulman Algérien ». Pour lui, ‎c’est un signe de maturité et l’augure d’une action politique décisive pour l’avenir du pays. ‎Seule fausse note, l’Etoile Nord-Africaine de Messali refuse de se joindre à la réunion qui se ‎tient le 07 juin 1936 dans une grande salle de cinéma à Bab El-Oued. Quatre mille ‎personnes y participent. ‎

Le Congrès débouche sur une « Charte revendicatrice du peuple algérien musulman » qui ‎demande la fin du Code de l’indigénat, le rattachement de l’Algérie à la France, ‎l’indépendance du culte et l’officialisation de la langue arabe. ‎

A deux ou trois jours de l’examen final devant lui permettre d’obtenir son diplôme, Bennabi ‎apprend la venue à Paris d’une délégation du Congrès présidée par le Dr. Bendjelloul. Elle ‎est reçue le 23 juillet par le chef du gouvernement Léon Blum et par le sénateur Maurice ‎Viollette.‎

Bennabi et ses amis sont étonnés de cette démarche. Ils décident d’aller voir la délégation ‎descendue dans un grand hôtel de Paris où la « abaya » (tunique) blanche des « chouyoukh » ‎‎(pluriel de « cheikh ») leur semble tout à fait déplacée en ces lieux où se bousculent les ‎vedettes et les soubrettes de Paris. Ils trouvent là Ben Badis, Bachir al-Ibrahimi, Tayeb al-‎Okbi, Ferhat Abbas, Lamine Lamoudi et Bendjelloul. ‎

Bennabi aborde les Oulamas et leur exprime la déception de son groupe qui ne comprend ‎pas que ce rassemblement de partis qui a soulevé une immense espérance politique dans le ‎pays retombe dans les revendications et les suppliques. « Que venez-vous faire ici ? la ‎solution est en Algérie ! elle est entre vos mains et non entre celles du gouvernement ‎français. » Puis il prend en aparté Lamoudi et lui demande pourquoi il n’a pas publié sa ‎réponse à Ferhat Abbas. Celui-ci lui dit : « Nous avons trop peu d’hommes politiques pour les ‎détruire ». ‎

C’est en de pareils moments que Bennabi perd complètement foi en l’ « Islah », et ces ‎moments seront nombreux ; c’est en ces occasions qu’il a pour les Oulamas les jugements ‎les moins amènes. Il confie à son journal : « Dès cette année 1936, j’avais fait pratiquement ‎mon deuil des oulamas qui me paraissaient aussi bien incapables de comprendre une idée ‎ou de la créer, que de l’appliquer. »‎

Ils s’en vont, ses deux compagnons et lui, la mort dans l’âme, se consolant mutuellement ‎avec le rappel d’un hadith : « L’islam est né dans l’exil et il reviendra à l’exil. Oh ! que la paix ‎de Dieu soit alors sur les exilés » (9).‎
‎ (A ‎SUIVRE) ‎
‎ ‎

NOTES : ‎

‎1 Celui-ci mourra dans des circonstances non élucidées en 1942. Bennabi dit à son propos dans ses Mémoires ‎inédits : « Ali Ben Ahmed doit rester dans l’histoire algérienne comme l’initiateur de l’expression révolutionnaire ‎dans son journal « La voix du peuple ». C’est le premier qui appela le voleur, un voleur, même quand il s’agissait ‎du tout puissant Mirante ou de Massignon lui-même » Pour lui, c’est le « psychological service » qui aurait ‎organisé son meurtre par empoisonnement. (M. Mirante était directeur des affaires indigènes au ‎Gouvernement général).‎

‎2 Village près de Dreux, dans le département d’Eure-et-Loir qui porte actuellement le nom de Luray. ‎

‎3 Se rappelant ses souffrances de l’époque, HBS écrit dans « Au service de ma foi » : « Ayant appris cela, Cheikh ‎Ben Badis avait eu des larmes aux yeux. Au camarade étudiant qui lui avait parlé de moi, il avait dit : « Pourquoi ‎ne nous a-t-il pas écrit ? Nous avons une caisse pour aider les étudiants pauvres. »‎

‎4 « On peut pendre n’importe qui avec des extraits » dit-on. Et de fait, Ferhat Abbas le sera haut et court pour cet ‎article et surtout les extraits qui en seront faits, tant par les Algériens, sa vie durant et au-delà, que par les ‎Français, à partir de 1943, quand il se mettra à revendiquer une nation algérienne et un Etat souverain. Un ‎militant pur et dur du PPA aux antipodes des idées de Ferhat Abbas, Ahmad Mahsas, écrit dans son livre : « Sur ‎le plan individuel, certains de ces élus comme F. Abbas, en dépit de ses déclarations, avaient le comportement d’un ‎nationaliste qui s’ignore. » (op.cité). ‎

‎5 L’article de Ferhat Abbas a été publié dans le journal « L’Entente » de la « Fédération des élus », et le ‎lendemain dans « La Défense », journal francophone de l’Association des Oulamas. L’article de Bennabi quant à ‎lui ne sera publié en version arabe qu’en novembre 1991 dans une revue paraissant à Batna, « El Raouassi », qui ‎pourrait l’avoir obtenu de HBS qui vivait à Batna.‎

‎6 Bennabi l’utilise pour la première fois dans « Le phénomène coranique » (1947).‎

‎7 Bennabi poursuivra longtemps de ce reproche Ferhat Abbas, puisqu’on le voit le fustiger encore en 1970 à ‎propos de cette « négation qui jeta l’effroi » (cf. « A la mémoire de Ben Badis », op.cité).‎

‎8 « Ach-Chihab », avril 1936. ‎

‎9 Dans son témoignage de 1984, HBS donne une version d’une tonalité différente, écrivant : « En 1936, une ‎délégation d’Elus à laquelle participaient les Oulémas vint à Paris. Représentant le « Congrès Musulman ‎Algérien » qui avait réalisé la quasi-unanimité de nos populations, elle présenta un cahier de revendications qui ‎méritaient d’être prises en considération. Au « Grand hôtel », près de la place de l’Opéra, je vis le cheikh Ben Badis ‎en compagnie de cheikh al-Okbi et du cheikh Bachir Brahimi. Je le revis encore au café « Le Hoggar » où je lui ‎présentai des camarades égyptiens qui préparaient des thèses de doctorat en droit. Content de voir ces jeunes ‎intellectuels arabes, il nous tint durant près d’une heure sous le charme de sa parole… ». ‎

Puis HBS ajoute : « La délégation algérienne, n’ayant rien obtenu, rentra en Algérie. Le cheikh Ben Badis, ulcéré et ‎comprenant que le socialisme du Front Populaire n’était qu’un mirage trompeur et que le colonialisme français, ‎plus intraitable que jamais, demeurait sourd aux appels de l’humanisme et de la raison, écrivit un article ‎admirable sous ce titre saisissant : « Confions notre cause à Dieu et comptons sur nous-mêmes ». Je ne devais plus ‎le revoir vivant. » ‎

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