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LA VIE DE MALEK BENNABI (5) ‎

by admin

Alors qu’il est en proie à ses interrogations sur son avenir, le jeune Bennabi fait la ‎connaissance d’un jeune Européen qui s’intéresse à l’islam. Il se rend rapidement compte ‎que ce Français qu’il venait à peine de connaître le comprenait mieux que ses amis dont ‎l’esprit ne saisissait pas son obsession de l’efficacité qui lui apparaissait comme ce qui ‎manquait justement le plus à la tournure d’esprit de ses coreligionnaires. ‎

Exalté, il lui dit un jour : « Si, en cette minute, nous décidons de monter vers la lune, il faut ‎tout de suite appliquer contre ce mur une échelle et commencer à grimper… Mon ami tout ‎de suite m’appuya : oui ! c’est comme cela qu’il faudrait faire, dit-il. Peut-être, ou même ‎certainement, n’avais-je pas compris toute la signification de cette remarque. Mais, ‎aujourd’hui, je sais qu’elle émanait d’un homme de civilisation » (« MTS »). Le jeune ‎Français s’islamisera à quelque temps de là et émigrera en Orient avec une ‎recommandation auprès de Rachid Ridha remise par Ben Badis. ‎

L’année scolaire 1925 se termine, ajoutant aux angoisses de Bennabi. Un jeune leader ‎algéro-tunisien, Tewfik al-Madani, vient d’être expulsé de Tunis par les autorités coloniales ‎après l’interdiction du parti « Destour » dont il a été un des fondateurs. Il n’est que de ‎passage à Constantine sur son chemin pour Alger. Bennabi le rencontre chez Mami Smaïl, le ‎directeur du journal « En-Nadjah ». A la gare où il raccompagne le fougueux politicien, il est ‎interpellé par des policiers français qui relèvent son identité. Il est désormais fiché.‎

Il est loin de se douter des conséquences de cette interpellation dans la gare de Constantine ‎où il raccompagnait celui qui deviendra le premier ministre des affaires religieuses de ‎l’Algérie indépendante. Bennabi sera surveillé, poursuivi, persécuté, et ce jusqu’à la ‎libération du pays, non en raison de ce fait, mais à cause de ce qu’il est en train de devenir. ‎

A la veille des examens finaux, il n’est toujours pas fixé sur ce qu’il fera. Il pense à fuir au Rif ‎ou à « faire sauter la poudrière de Constantine sans même savoir où elle est nichée pour y ‎accéder » (« MTS »). Il songe aussi à imiter l’exemple de quelques condisciples qui, l’année ‎d’avant, avaient fait le grand saut : partir en France. ‎

A la medersa, M. Dournon proclame les résultats de fin d’année. Bennabi a réussi. Il est ‎néanmoins triste car il ne veut pas rentrer à Tébessa. Avec son ami Gaouaou, il décide de ‎franchir le Rubicon. Il n’a jamais vu la mer.‎

Il la découvre à Philippeville (Skikda) où les deux aventuriers en herbe sont venus prendre le ‎bateau pour Marseille après avoir vendu leur literie d’internat pour accroître leurs moyens ‎financiers : « Dans notre esprit, aller en France c’était simplement nous ouvrir une porte sur ‎le monde car en Algérie les portes étaient closes. Au fond, nous pensions passer seulement à ‎Paris pour aller ensuite découvrir d’autres mondes… Ce n’était pas dans mon esprit une ‎traversée, mais un voyage à peu près comme celui de Christophe Colomb quand il allait à la ‎découverte du nouveau monde. » note-t-il dans ses Mémoires.‎

Le navire « Gouverneur général Lépine » prend le large. Les deux amis font la traversée sur ‎le pont. A bord, ils font la connaissance d’un Juif de Constantine et d’un jeune Français ‎animés de la même intention : aller travailler en France. Ils font bande commune : « Et le ‎Juif eut tôt fait de devenir le chef du groupe. On décida de former une sorte d’association de ‎travailleurs qui mettraient leurs payes chaque semaine dans la main de notre compagnon ‎juif qui monterait ainsi une affaire de primeurs dans un des marchés de la ville » (« MTS »). ‎Mais il est au fond sceptique sur les chances de Gaouaou et les siennes de trouver du travail. ‎

De fait, ils sont bientôt sans le sou. Il lui faut vendre son manteau neuf pour continuer le ‎voyage vers Lyon. Leur compagnon juif les a convaincus de ne pas rester à Marseille où il y ‎avait déjà trop de chômeurs en attente d’un emploi. Bennabi relève sans ironie qu’« un Juif ‎sait tout. Il connaît les issues de la vie misérable quand il porte son baluchon sur le dos, et ‎les portes des grands palaces quand il devient milliardaire comme Stavisky » (« MTS »). ‎

Le lendemain de l’arrivée du quatuor à Lyon, le chef de groupe trouve à s’employer à ‎Berliet, son ami Français devient traminot chez Zénith, tandis que les deux « Indigènes » ‎restent sur le carreau. Leurs papiers d’identité parlent contre eux. Ils sont partout refoulés. ‎Au bout de six jours, leur pactole fond. Aux heures de repas, ils vont à la soupe populaire. ‎Notre héros doit encore vendre sa « chéchia » pour dix francs à un compatriote. ‎

C’est dans un pré où ils se préparent à passer la nuit que vient les surprendre un soir un ‎jeune garçon qui leur raconte tout de suite son histoire en guise de présentation : il était ‎cireur place de la Brèche (Constantine), puis un jour il prit clandestinement le bateau à ‎Philippeville pour aller chercher du travail en France. L’enfant a sur lui quelques francs qu’il ‎met aussitôt à leur disposition, puis les oriente sur la ville de Lorette où une cimenterie ‎embauchait à ce que l’on disait. En effet, ils y trouvent à s’employer. Bennabi est brouettier ‎et en veut aux Chinois, quand il doit convoyer des sacs de cinquante kilos, de ne pas avoir ‎doté la brouette, en l’inventant, de deux roues. ‎

Ereintés au bout de quelques semaines, ils décident d’aller tenter leur chance à Paris où les ‎cieux pourraient être plus cléments. Faute d’argent, Bennabi y va finalement seul. Là, il ‎trouve un travail de manutentionnaire dans une brasserie. La tâche est si harassante qu’il ‎jette l’éponge au bout d’une semaine. Il écrit à ses parents pour lui envoyer l’argent du ‎retour. ‎

Nous sommes en août 1925. L’équipée s’est terminée sur un échec. En Algérie, un nouveau ‎gouverneur général vient d’être nommé, Maurice Viollette, auquel aura affaire Bennabi ‎dans des circonstances stupéfiantes quinze ans plus tard. Le fugueur est obligé de rentrer à ‎Tébessa où il va vite s’ennuyer. Les nombreuses demandes d’emploi qu’il rédige ‎n’aboutissent à rien. Il échappe au service militaire qui était à l’époque tiré au sort pour ‎les « Indigènes ». ‎

L’action islahiste a porté ses premiers fruits dans la ville : construction d’une mosquée libre, ‎actions de salubrité publique, lutte contre l’ignorance et l’alcoolisme… Bennabi contribue à ‎l’expression de cet esprit social. Un jour, il rédige un tract qui est collé vers minuit sur la ‎porte de la mosquée. C’était une manière de répondre à une campagne d’intoxication ‎déclenchée par l’administration coloniale à propos de la guerre du Rif, car les craintes de ‎contagion étaient devenues perceptibles dans le pays ‎. ‎

En découvrant le tract, l’administration s’inquiète. Des policiers viennent de Guelma prêter ‎main forte à la police locale : « Tous les talebs, les alems et les demi-alems de la ville furent ‎interrogés » se rappelle Bennabi. Un suspect est roué de coups, puis les choses se tassent.

Pour tromper son ennui, notre héros décide d’accompagner dans ses tournées hors de ‎Tébessa un ami à lui, « adel » (traducteur des tribunaux) à la « mahkama » (tribunal ‎musulman) de Tébessa. Il découvre ainsi la région et les mœurs bédouines qui l’envoûtent, ‎tout en se frottant au métier d’exécuteur des décisions de justice auquel sa formation le ‎destine. ‎

Deux longues années s’écoulent ainsi pendant lesquelles il rédige des dizaines de demandes ‎d’emploi avant que le parquet général ne daigne lui répondre pour l’informer qu’un poste de ‎adel s’est libéré à la « mahkama » d’Aflou. Il saute sur l’occasion. Il y arrive en mars, après ‎un crochet par Alger qu’il voit pour la première fois. Il n’en est pas enchanté : « On ne s’y ‎sentait pas chez soi, à vrai dire. On y parlait surtout le sabir de la Casbah à Bab-el-Oued, et ‎le français depuis le haut de la rue d’Isly. D’ailleurs, l’Algérien étranger à la ville dépassait ‎rarement dans sa promenade la Grande-poste. C’était le terminus des indigènes comme ‎moi. » ‎

Par contre, le Sud l’enchante tout de suite. En fait, c’est plutôt la steppe. En tout cas, il est ‎immédiatement à son aise dans ces étendues infinies et parmi ces gens de l’arrière-pays que ‎n’a pas encore « indigénisés » le colonialisme. Il se sent en phase avec cet univers marqué ‎par la nature et les traditions pastorales, ainsi que par la piété et le sens de l’hospitalité de ‎ses habitants dont il observe les gestes et les attitudes avec sympathie. ‎

Il élit domicile à la « mahkama » où il installe le matelas et les couvertures ramenés de ‎Tébessa : « Aflou a été pour moi l’école où j’ai appris à connaître davantage les vertus du ‎peuple algérien encore intactes, comme elles étaient certainement dans toute l’Algérie ‎avant la dépravation colonialiste… Je m’y trouvais en quelque sorte dans le musée où se ‎conservaient encore ces vertus perdues ailleurs au contact avilissant du fait colonial » ‎‎(« MTS »). ‎

Dans l’exercice de ses fonctions, il est conduit à se déplacer dans les tribus, parcourant les ‎prairies verdoyantes, les pacages abondants, les plaines couvertes d’alfa. Les gens vivent de ‎leurs élevages, gros ou petits. Leur fortune est leur bétail. Ils vivent sous leurs tentes, des ‎tentes parfois majestueuses « pouvant recevoir un cavalier sur sa monture, et recevoir sous ‎leur dôme pyramidal des dizaines d’invités ». Ce sont ces tableaux qui lui inspireront les ‎pages lyriques qu’on lira plus tard dans « Les conditions de la renaissance » (1949) sur le ‎‎« Stade épique » et « l’Homo-Natura ».‎

Il est amusé d’apprendre que les bergers passent la nuit debout au centre de leurs ‎troupeaux : « Appuyé sur son bâton, le berger dort debout, et le plus imperceptible ‎mouvement à la périphérie du troupeau se transmet comme une onde à ses jambes et lui ‎fait instantanément ouvrir les yeux ». Il arrive que la « mahkama » ait à se déplacer tout ‎entière sous la conduite du « cadi » (juge) cheikh Ben Azzouz. Partout elle est reçue ‎princièrement autour d’un « méchoui ». Les imposants cortèges des « Kadirias » sillonnent ‎les points habités, lui démontrant que le maraboutisme se portait bien. ‎

Bennabi passe une année environ à Aflou. En mars 1928, il prend son congé annuel. Sur le ‎chemin du retour, il s’arrête à Constantine, décidé cette fois à aller voir Ben Badis pour lui ‎faire part de certaines observations qui lui tenaient à cœur. Une fois en sa présence, il lui ‎parle du problème des terres à Aflou : celles-ci n’étant pas protégées par des actes de ‎propriété, les colons finiraient par s’en emparer, « d’autant plus que la région, ‎admirablement dotée par la nature en prairies verdoyantes, en pacages abondants, n’était ‎pas défendue par la pauvreté contre les convoitises du colonialisme. Si le colon arrivait ici, ‎ce serait la fin. Le musée se viderait aussitôt de son contenu déposé par les siècles, comme ‎cela s’est passé ailleurs en Algérie… La légende d’Abel et de Caïn se répète chaque fois que ‎dans une société le stade pastoral et le stade agraire coexistent comme en Algérie en 1927‎ ‎. ‎La propriété de l’homme sur un bout de terre crée en lui des instincts sociaux dont le ‎pasteur est exempt. » (« MTS »). ‎

Bennabi s’était employé à communiquer ses appréhensions aux braves gens d’Aflou, leur ‎disant : « Vous devez créer votre droit social sur le sol qui deviendra ainsi votre propriété ‎personnelle, une chose transmissible à vos enfants ! Il faut labourer le maximum de ‎superficies pour créer votre droit sur le sol dont vous êtes propriétaires du seul fait de la ‎nature qui fait pousser l’herbe nécessaire à vos troupeaux… ! Sinon, le colon viendra ‎occuper le sol sur lequel est votre tente, puisqu’aux yeux du droit français vous n’en êtes pas ‎propriétaires. » Le contact avec Ben Badis se passe plutôt mal et Bennabi sort déçu de ‎l’entretien, le cheikh n’ayant accordé à ses idées qu’un intérêt poli. ‎

Notre malheureux ami prend l’autocar pour Tébessa où il va constater de nouvelles ‎transformations. Le théâtre algérien vient de faire son apparition ainsi que le cinéma ‎égyptien. Il fréquente le cercle culturel et le café où la musique égyptienne distillée à ‎longueur de journée apaise les angoisses et accroît le vague à l’âme des désœuvrés qui y ‎passent leur temps. ‎

Quand il abordera dans « Les conditions de la renaissance » (1949) la question de l’art, son ‎avis a changé sur la question. Dans un style où l’humour le dispute à la rigueur il écrit : ‎‎« L’art est éducateur ou corrupteur. Quand l’éthique a fixé son idéal et l’esthétique son ‎inspiration, il lui reste à fixer ses moyens, ses formules. C’est précisément par le choix de ses ‎moyens que l’art devient une éducation ou une corruption… ‎

Regardons l’art dans ses manifestations conventionnelles les plus communes à tous les pays ‎musulmans. Regardons-le principalement dans la musique et dans le film qui représentent ‎incontestablement aujourd’hui deux puissants moyens d’éducation populaire. Or, sous ce ‎rapport, l’Algérie est tributaire de l’Egypte. En somme, il s’agit de savoir ce que valent la ‎musique et le film égyptiens. ‎

Vous avez entendu sans doute ce larmoiement nasillard, ce hoquet mille fois répété qu’on ‎appelle la musique égyptienne. Est-ce de la musique, tout d’abord, ce quelque chose qui ‎ignore l’espace, le temps et les saisons ? Rien n’y rappelle en effet le bruissement léger du ‎printemps dans les bois, ni la chute pathétique de la feuille à l’automne, ni l’ardente ‎pâmoison de l’été, ni le déchaînement d’une tempête, ni le coup de tonnerre, ni l’enfer, ni le ‎paradis. ‎

Où est le monde dont nous parle la musique égyptienne qui ignore aussi le pas martial et ‎cadencé du soldat ? Il n’est ni du ciel, ni de la terre, il n’existe nulle part. La musique ‎égyptienne n’est pas l’art de quelque chose, mais l’art du néant (ceci est valable aussi pour ‎la musique dite andalouse). Dès lors, quelle valeur éducative peut-on lui reconnaître dans ce ‎monde ? » ‎

Comme pour le costume, il reviendra également sur cette question dans « L’Afro-‎Asiatisme » (1956) où on peut lire : « Il est assez caractéristique que la musique arabe ‎‎« moderne » ne cherche pas son inspiration dans les maîtres classiques de l’Occident mais, ‎plus ou moins bien, dans ses « chanteurs de charme ». Il n’est pas besoin d’analyser le ‎répertoire radiophonique, il suffit de prêter l’oreille à quelques émissions de quelque ‎capitale arabe pour s’en convaincre. Par effet de contraste, on doit souligner combien le ‎goût occidental était sûr de son « orientalisme », c’est-à-dire de sa connaissance de l’Orient ‎quand il s’en inspire. Et cette partie de son répertoire musical comprend des morceaux ‎comme « Sur un marché persan », par exemple, qui traduisent réellement l’atmosphère ‎particulière, la nostalgie de leur source d’inspiration. Par contre, la « couleur locale » de la ‎vie occidentale fait défaut dans la musique « moderne » arabe, sauf dans quelques-unes de ‎ses tonalités excentriques… Le goût arabe n’est donc pas sûr de son « occidentalisme », ‎parce qu’on n’a pas pensé et posé le problème du modèle. » ‎

Bennabi lit de temps à autre « La Voix des humbles » dont le titre lui déplaît ‎souverainement. La polémique entre le courant islahiste et le courant maraboutique bat son ‎plein dans les journaux arabophones ; cheikh Tayeb al-Okbi a quitté Biskra pour Alger où il ‎fonde le célèbre « Nadi Taraqi » (Cercle du progrès) ; Larbi Tébessi est invité par les ‎habitants du Sig (région oranaise) à diriger la medersa qui vient de s’y ouvrir. Son congé ‎prenant fin, Bennabi doit retourner à Aflou, mais sans grand enthousiasme. La question ‎lancinante qui le torture depuis un certain temps refait surface : « Que faire ? » Aflou était ‎une étape, sans doute très attachante, mais néanmoins une simple étape dans sa vie. ‎

Un mois environ après son retour dans cette ville, il reçoit du parquet un courrier par lequel ‎on lui apprend qu’un poste de « adel » est vacant à Châteaudun (Chelghoum al-Aïd), un ‎bourg colonial près de Constantine. Il y arrive à la fin du printemps, son matelas sous le bras, ‎et prend ses quartiers dans la salle des archives de la « mahkama ». L’horizon de cette ‎carrière ? Cadi. ‎

Très vite il déteste ce village où il découvre le visage hideux de la colonisation. Le nombre ‎d’ivrognes « indigènes » le stupéfie. Au bout d’un mois, une incompatibilité d’humeur ‎l’oppose au greffier, un Corse plein de morgue. Bennabi l’affronte et démissionne de ses ‎fonctions : « L’incident prit la dimension d’atteinte à la souveraineté nationale » écrit-il dans ‎‎« MTS ». L’affaire vient épaissir son dossier au fichier de la police et de l’administration. ‎

De retour à Tébessa, il est tenté par les affaires. Avec son beau-frère et un ami, il se lance ‎dans la minoterie et le transport. Les choses s’annoncent bien au début mais voilà que ‎survient le Krach boursier de 1929, et avec lui la catastrophe économique qui va se propager ‎au monde entier, n’épargnant pas la petite ville de Tébessa où un homme est aux prises ‎avec son destin. ‎

L’affaire s’écroule. Des mois d’incertitude passent. L’administration coloniale est affairée à ‎préparer la célébration du centenaire de l’occupation de l’Algérie. Un jeune nationaliste du ‎nom de Messali Hadj (1898-1974) adresse à la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU, un ‎mémorandum dans lequel il dénonce les méfaits du colonialisme français en Algérie dont il ‎exige l’indépendance au nom de « l’Etoile Nord-Africaine ». ‎

Bennabi se morfond dans sa petite ville. Il se réfugie dans la lecture et lit « Un homme se ‎penche sur son passé », prix Goncourt de l’année 1930, et « Partir, c’est mourir un peu » ‎dont il a oublié les noms des auteurs ‎. Le jour du défilé du 14 juillet il s’enferme à la maison. ‎Trois jours après il prend le bateau à Bône (Annaba) pour Marseille. ‎

Cette fois, il est déterminé à ne pas revenir en arrière. Il a vingt-cinq ans, la tête bien faite ‎et bien pleine et un physique avantageux. Cependant, une ombre demeure au tableau : ‎juridiquement, il n’est ni Français, ni rien d’autre. Psychologiquement, c’est un homme ‎sensible, émotif, qui, conscient du poids du « coefficient réducteur » du colonialisme sur la ‎condition de l’« Indigène », doute de lui parfois. Socialement, il ne peut compter que sur lui-‎même pour se frayer un chemin dans la vie.‎
‎ (A ‎SUIVRE) ‎
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NOTES : ‎

‎ Après les Espagnols, l’Emir al-Khettabi eut à affronter les Français (200.000 hommes) commandés par le ‎maréchal Pétain. Au total, 800.000 soldats entre Espagnols et Français furent mobilisés contre l’Emir dans la ‎guerre du Rif qui dura de 1921 à 1926. ‎

‎2 La bible présente Caïn, premier fils d’Adam, comme un agriculteur sédentaire et Abel, son second fils, comme ‎un berger nomade. Caïn ayant tué Abel par jalousie, il est condamné à vivre en nomade errant. La Bible à ‎laquelle nous nous référerons tout au long de ce travail est celle publiée par l’ « Alliance Biblique Universelle » ‎en 1977 sous le titre de « Traduction œcuménique de la Bible comprenant l’Ancien et le Nouveau Testament, ‎traduits sur les textes originaux hébreu et grec ». ‎

‎3 Le premier, Maurice Constantin – Weyer, a été lauréat du Prix Goncourt en 1928. Quant au second, il doit ‎s’agir, plutôt que du titre d’un livre, du refrain d’un poème d’Edmond Haraucourt figurant dans un de ses livres, ‎‎« L’âme nue », paru en 1885 :‎

‎« Partir, c’est mourir un peu,‎
C’est mourir à ce qu’on aime
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu.‎

Et l’on part, et c’est un jeu,‎
Et jusqu’à l’adieu suprême
C’est son âme que l’on sème,‎
Que l’on sème à chaque adieu : ‎
Partir, c’est mourir un peu…‎

C’est toujours le deuil d’un vœu,‎
Le dernier vers d’un poème :‎
Partir, c’est mourir un peu.‎
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