J’ai lu avec un plaisir quelque peu gâté par une pointe de regret votre réponse à mon interpellation des responsables actuels et passés de l’ANP après les évènements choquants qui nous ont été donnés à vivre le mois dernier. Je n’aurais rien ajouté à ce que vous avez écrit s’il n’y avait ces compléments à vous proposer pour la justesse de votre idée sur ma démarche.
Cette pointe de regret est apparue en moi dès les premières lignes en découvrant qu’il y avait erreur sur la personne. Vous avez en effet construit votre texte sur un malentendu. En affirmant « De ceux-là, les « ex-ceci et cela », je fais partie et je vous réponds en tant que tel », vous vous êtes placé parmi la poignée d’ex-hauts responsables alors que vous n’en faisiez notoirement pas partie. Rassurez-vous, vous êtes innocent. Estimez-vous heureux, votre honneur est sauf et personne ne vous demandera de comptes.
Je n’ai pas visé les « retraités de l’ANP », quel que fut leur grade, mais les anciens hauts responsables de l’ANP qui ont ramené l’actuel Président qui ne veut plus partir quoiqu’il arrive au pays. Vous avez écrit : « J’ai estimé qu’il fallait répondre sur certains points qui me concernent es-qualité », sans nous révéler cette qualité ni répondre en fait à ces points. Quelques lignes plus loin, pourtant, vous vous ravisez en notant : « Quant à l’ANP, j’aurais aimé ne pas en parler. Elle a ses tuteurs… », reconnaissant que vous n’avez pas été un de ces « tuteurs ».
Mais là où vous glissez sans vous en rendre compte dans… comment dirais-je… une forme de… disons « déformation des faits », c’est lorsque vous enchaînez insidieusement : « Elle a ses tuteurs que vous semblez avoir pris grand soin (à) ménager, préférant vous attaquer aux « ex »… Il vous suffisait de simplement lire le texte pour constater que c’est le contraire que j’ai fait.
J’ai nominativement cité le Vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP, pour lui reprocher le manque de pertinence qui a caractérisé ses dernières déclarations. Y a-t-il plus élevé que lui dans l’Armée, général ? Le Président de la République ? Il en a pris pour plus que son grade dans cet écrit et d’autres.
Voici les passages en question qui vous ont, je ne sais comment, échappé :
(Début de citation) : « Il importe en effet de préciser que lorsqu’on évoque cette institution, c’est son haut-commandement qu’on vise et non l’ensemble des forces terrestres, aériennes et maritimes avec leurs effectifs, leur encadrement, leurs équipements et les services de sécurité qui en dépendent…
On ne peut pas dire qu’elle soit muette car elle s’exprime régulièrement surtout quand il s’agit de rappeler, comme vient de le faire le général Gaïd Salah à Constantine, qu’elle est une « armée républicaine ». Faut-il encore que nous nous entendions sur le sens de cette expression, général, car « hnayekhtalfou-l-oulama »…
Dans la réalité, l’Armée algérienne est devenue sous la chefferie du général Gaïd Salah l’Armée du Président, lequel président et ministre de la Défense nationale a changé la Constitution plusieurs fois durant ses quatre mandats pour en faire un habit sur-mesure, un justaucorps qui lui colle à la peau comme l’habit porté par certains artistes ou sportifs. Quel sens peuvent revêtir des déclarations d’allégeance à la République quand cette allégeance ne va pas au « peuple souverain » mais à un homme invisible, inaudible et notoirement dépourvu de ses moyens physiques et intellectuels ? Quand le haut-commandement de l’Armée, à la suite d’un enchaînement de décisions et de restructurations, est devenu le bras armé et ponctuellement menaçant d’un régime moribond, d’un pays sans gouvernance et d’un État qui n’est plus Gérant ou Garant, mais tout simplement Errant ?
Le chef d’état-major de l’ANP affirmait récemment avec une autosatisfaction qui m’a rappelé Saddam Hussein que notre Armée comptait parmi les plus puissantes au monde. Là ausssi « yekhtalfou-l-oulama », général !
Car le savoir universel enseigne et l’expérience des dernières guerres montre qu’une armée qui n’est pas adossée à une économie et des technologies indépendantes et performantes, qui ne produit pas les matériels requis par la guerre moderne mais les achète, qui ne possède pas une industrie capable de produire de l’armement conventionnel et stratégique, est une armée juste bonne à réprimer le petit peuple pour qu’il plie devant le despotisme d’un tyranneau de douar ou d’une smala… » (Fin de citation).
Il apparaît donc clairement que c’est à tort que vous avez écrit à mon sujet : « Il est plus aisé de tirer à boulets rouges sur des « ex » que sur les maîtres du moment. Où est l’honneur et où est le courage dont vous avez pourtant dénoncé l’absence chez les « ex » ? »
Il vous a inexplicablement échappé, une fois encore, que dans le même article j’ai évoqué le procès que m’a intenté le ministère de la Défense nationale en 1991. Ne s’agissait-il pas des « maîtres du moment » ? Vous en connaissez beaucoup qui ont « osé » à ce point par écrit, pas de bouche à oreille ? Montrez-les.
Vous-même, vous vous y êtes essayé ?
Vous voulez d’autres preuves, liées à un autre contexte ? Elles sont, notamment, dans cet article que j’ai publié dans « Le Soir d’Algérie » du 10 juin 2015 sous le titre de, ô coïncidence ! « Ne serions-nous plus que des lâches ? »:
(Début de citation) : « Si Gaïd Salah n’avait été qu’un maréchal-ferrant veillant au bon état des sabots des mulets de son douar, personne ne se serait intéressé au message d’allégeance qu’il vient d’envoyer à Amar Sâadani qui est le dernier « bounadem » en Algérie à mériter d’être placé à la tête d’un FLN même avili et traîné dans la boue par des décennies de servilité, car ce sigle reste quand même celui sous lequel sont tombés un million et demi de chouhada.
Mais il se trouve que Gaïd Salah est général de corps d’armée, chef d’état-major de l’ANP et vice-ministre de la Défense nationale, et qu’à ce triple titre il n’avait pas le droit d’adresser ce message au chef imposé du FLN ou de tout autre parti. Le droit n’étant pas de son côté, il ne reste que le mépris du droit pour expliquer cet acte sans pareil depuis 1989, année où l’armée s’est retirée officiellement de la vie partisane.
Auprès de qui peut-on se plaindre de cet attentat contre la morale publique, le droit, la démocratie et l’intérêt du pays ? Auprès de Dieu ? Il faudra attendre la fin du monde pour connaître sa décision. Auprès de l’Armée ? C’est lui l’Armée et elle est très disciplinée, assure-t-il. Auprès du « premier magistrat du pays » ? Il est depuis le viol de la constitution en 2008 le maître d’œuvre de tous les complots contre la morale publique, le droit, la démocratie et l’intérêt du pays, sans dire que le général en question est son adjoint préposé à la répression.
S’il n’y a rien à attendre de Dieu dans l’immédiat, si l’Armée reste muette devant les atteintes à la morale publique, au droit, à la démocratie et à l’intérêt du pays, si le « premier magistrat » n’est pas un recours mais la source de tous les problèmes, il reste l’ultime solution qui est nous-mêmes, le peuple qui, selon les termes mêmes de la constitution en vigueur, est le détenteur de la souveraineté nationale et du droit constituant… » (fin de citation).
Cela vous suffit-il comme preuves de courage, mon général ? Car je peux remonter à l’affaire Betchine en 1998 qui m’a valu d’être embarqué par la police et interrogé pendant deux jours au commissariat central.
Vous étiez alors bien placé pour savoir qu’il était au faîte de sa puissance et l’histoire m’a consacré, à mon corps défendant d’ailleurs, comme son « tombeur »…
Je peux remonter aussi aux années 1980 où j’écrivais déjà dans « Le socialisme de la mamelle » paru dans « Algérie-Actualité » du 10 octobre 1985 :
« Jusqu’à une date récente, pourquoi le cacher, on ne parlait pas à l’étranger de l’ « Algérie du FLN » mais de l’ « Algérie des colonels ». C’était surement une manière de piquer les Algériens, de les assimiler à ces nombreux pays africains prisonniers de la fatalité du coup d’Etat. Mais c’était aussi parce que le Parti du FLN n’apparaissait concrètement que comme un cadre théorique, une ombre fantomatique, une sorte de « ministère de la parole » aux missions irréelles qu’on sollicitait pour orchestrer une campagne de reboisement ou expédier une élection communale »
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Vous avez également écrit dans votre volonté de me réduire à un couard ou à un opportuniste : « Nous sommes tous responsables devant l’histoire d’avoir accepté, car qui ne dit (rien) consent… ».
Non mon général, moi je n’ai pas accepté et j’ai dit, ou plutôt écrit, NON ! Depuis 1971, et mes écrits des années 70, 80 et 90 sont pour la plupart sur ma page Facebook. Ils vous étonneront !
Voici quelques autres « preuves » qui, je l’espère, vous édifieront mieux sur mon compte que la rumeur et les approximations :
a) Dans « El-Moudjahid » du 15 avril 1981, j’ai publié « L’Algérien et le sens du monde » où je dénonçais le despotisme en ces termes : « L’euphorie des premières années de l’indépendance passée, et en butte à une réalité d’année en année plus difficile, les peuples de l’hémisphère Sud supportent de moins en moins le « droit divin de mal gouverner » de leurs dirigeants, ayant fini par comprendre la vanité des personnes, et par contre coup la nécessité d’institutions « capables de survivre aux évènements et aux hommes ». Échaudés par l’expérience du culte de la personnalité, de l’homme providentiel ou de la présidence à vie, ayant appris à leur détriment qu’un chef d’Etat pouvait ne se trouver être qu’un dément ou un sinistre bandit, persuadés enfin que « là où un homme est beaucoup, le peuple est peu de chose », ils abattent qui son Shah, qui son Somoza, qui son Bokassa ».
Ça ne vous rappelle pas quelque chose dans le présent, général ? Ça remonte pourtant à 36 ans !
b) Dans « Algérie-Actualité » du 4 octobre 1984, j’ai publié « Notre triangle des Bermudes » où j’écrivais : « Il faut craindre le jour où il n’y aura plus rien à dire, où aucune épithète ne conviendra pour traduire les formes de scepticisme ou de désespoir ressenti, où personne ne pourra plus rien reprocher à personne, où la force de l’inertie aura eu raison de la dernière énergie…
Notre pays est passé par une période de « delirium tremens » dont nos représentations mentales sont sorties profondément affectées. Nous en gardons encore des séquelles. Durant cette période, nous nous sommes imaginés devenus la Prusse de la Méditerranée. Nous avons pensé que la prospérité définitive n’était qu’à quelques barils de pétrole, juste à la sortie du deuxième plan quinquennal.
Nous avons compris la notion d’indépendance nationale comme autant d’indépendances qu’il y avait d’individus. On s’est gonflé la gandoura, on s’est monté le bourrichon, à tel point que nous avons basculé dans la mégalomanie. C’est ainsi que nous nous sommes inconsciemment (?) corrompus.
Entre l’épicurisme de quelques hauts responsables et le freudisme de beaucoup de dirigés, un modus vivendi s’est de lui-même établi, selon lequel la richesse nationale était à partager en fonction de modes d’appropriation particuliers à chaque catégorie. C’était presque de la rapine concertée.
Le choix du coupable n’est pas à faire entre le « système » et les hommes, si tant est que l’on puisse séparer le premier des derniers et l’habit du moine…
L’influence des hommes a pesé d’un poids trop lourd sur les affaires de la nation à toutes les échelles. La plus grande faute que l’on ait commise dans ce pays a été de méconnaître dans la pratique un postulat fondamental dans la vie des nations : les principes sont plus sacrés que la vie d’un homme ou d’un groupe d’hommes.
Si la prééminence qui doit en toutes circonstances revenir aux principes, aux valeurs, aux idées, aux lois, est dévolue à la seule personne des hommes, rien ne pourra empêcher que tout le « système » soit grevé de leur marque propre et, partant, de leurs erreurs… Ce sont les édifices bâtis sur de telles confusions qui sont les plus prompts à s’écrouler. Ce sont les nations qui confient leurs destinées aux principes et aux lois qui perdurent… »
c) Le 1er novembre 1984, l’Algérie célébrait dans un faste dont vous vous souvenez peut-être, mon général, le trentième anniversaire du déclenchement de la révolution de novembre. Ce jour-là paraissait aussi un article de moi intitulé « Peuple et Histoire » dans « Algérie-Actualité » où, tempérant quelque peu l’enthousiasme qui s’était emparé de nous, je vous donnais rendez-vous, à vous et aux Algériens en … 2014 ! J’écrivais en effet :
« Que sera l’Algérie dans trente ans, en l’an 2014 du troisième millénaire ? Nul ne saurait répondre à pareille question, certes, mais quand on connaît les règles d’airain et les théorèmes de la vie active dans l’Histoire, on peut se hasarder quelque peu et prononcer au moins sur l’essentiel… Puissions-nous mériter du noble sacrifice de nos chouhada et de nos moudjahidine, et figurer en ces temps-là parmi ceux qui ne seront pas les damnés de la terre ou les déshérités de l’espace intergalactique ».
La divine surprise est sous vos yeux, général, le 4e mandat et ses conséquences…
d) Dans « L’obligation des vivants », un article du 6 décembre 1984 dans « Algérie-Actualité », je revenais sur le sujet du despotisme : « Que de millions de vies humaines ont été sacrifiées sur l’autel de l’erreur par des dirigeants qui, se trompant sur l’art de gouverner ou de conduire les révolutions sociales, ont «polpotisé » leurs peuples à coups de sabre.
L’ère des « Zaïms », des « Guides » et des « Petit père de la nation », n’est malheureusement pas close sur cette terre où l’on voit encore se lever des hommes leurrés se préparant à fourvoyer leur peuple dans des aventures comme celles qu’ont connues les peuples d’Égypte, de Guinée, ou du Chili ».
GENERAL, VOUS VOUS ETES TROMPE SUR MOI ET J’ESPERE QUE VOUS ALLEZ VOUS CORRIGER.
Non pas pour moi, je suis habitué, mais pour mieux documenter les réponses que vous pourriez encore vouloir m’adresser à l’avenir. J’ai donné l’exemple comme le recommandait Camus, sauf qu’il n’y avait personne pour me comprendre dans mon pays et encore moins pour prendre exemple sur moi. Même aujourd’hui…
Je n’ai pas été au bout du passage que vous avez commencé par « Nous sommes tous responsables devant l’histoire… » car j’avais hâte de vous démontrer que là aussi vous commettiez une erreur sur la personne, mais cette fois sur moi.
Vous reconnaissez avoir « accepté » et ça vous honore, mais NE M’INCLUEZ PAS DANS VOTRE « TOUS », S’IL VOUS PLAIT, JE N’Y AI PAS MA PLACE.
Vous avez un sérieux problème de géolocalisation, général : vous ne vous placez là où personne ne vous met, et placez les autres là où ils ne sont pas…
Je continue maintenant la citation : « …responsables devant l’histoire d’avoir accepté l’accaparement de notre identité nationale par une minorité, de notre religion par une bande d’illuminés enragés, de notre histoire par une génération… ».
Voulez-vous que je vous montre les centaines de fois où j’ai écrit et parlé de ce que j’ai appelé les « açabiyates » que j’ai définies justement comme étant l’accaparement, etc ? Et cela dès 1989…
Si quelqu’un d’autre prétend l’avoir fait exactement en ces termes, à commencer par vous, qu’il se fasse connaître. JE DIS BIEN 1989.
Je n’ai pas abordé un volet que vous avez ouvert, ma participation au gouvernement – qui est distinct du « pouvoir » – et j’espère que vous ne l’ignorez pas. C’est parce qu’il me faudrait plusieurs pages de ce journal.
J’en ai parlé par bribes dans mes écrits depuis 2011 ainsi qu’en réponse aux questions des amis de ma page Facebook à qui j’ai promis de le faire. Je crois que le moment approche…
Dans mon dernier article, J’AI INTERPELLE LES MILITAIRES-DECIDEURS POLITIQUES, PAS TOUS LES GENERAUX.
Comme vous devez le savoir, on les comptait sur les doigts d’une main. Moi j’en ai connu un seul, le plus important, je l’ai nommé dans cet article, il a lu ce que vous avez lu, et sachez encore que je lui ai dit de vive voix plus que ce que vous avez lu.
Alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
« EL WATAN » du 06/09/2017