Quand Tebboune a déclaré après son limogeage « Ma fidélité au Président reste entière », certains y ont vu un signe de veulerie alors que c’était peut-être un petit geste de bravoure pour nous dire en langage sibyllin que ce n’est pas le Président qui l’a démis de ses fonctions, mais Saïd et Haddad. Ou un geste de remerciement en direction de la mafia politico-financière qui l’a épargné, qui ne l’a pas fait partir les pieds devant comme Boudiaf… Qu’est-ce qu’on en sait ? Pas plus que ce qui s’est passé.
L’orage d’été qui a éclaté au sommet de l’Etat vient donc de connaître son épilogue, et cet épilogue inédit dans l’histoire de l’Algérie indépendante ouvre des brèches béantes DEVANT UN PAYS DEVENU UN BATEAU IVRE APRES SA PRISE PAR DES CORSAIRES AU BEAU MILIEU DU TRIANGLE DES BERMUDES.
Ainsi, l’homme qui était apparu à l’imaginaire national dominé par l’émotivité sous les traits d’un Zorro bolivarien en sombrero, surgi miraculeusement en Algérie pour défendre les pauvres contre les riches, a été capturé au lasso en pleine chevauchée par Haddad qui l’a fait tomber de sa monture de jais et lui a fait mordre la poussière.
Non ! a-t-on tranché en haut lieu, pas de rabibochage avec quelqu’un dont le nom a été cité en rapport avec la présidentielle de 2019. Non ! il n’est pas question d’ « éloigner l’argent de la politique » ou de réduire sa principale source, L’IMPORT-IMPORT.
Qui a tranché ? S’il subsistait un doute, il a été levé au cimetière d’ « al-Alia ».
Que l’on me permette ici une petite digression pour signaler une injustice à mon égard : quand le mot « ghâchi » est prononcé, personne n’omet d’y associer mon nom alors que je ne suis pas son inventeur. Mais lorsque l’expression « import-import » est utilisée, personne ne dit que j’en suis l’auteur. Si l’autorité en charge des droits d’auteur veut bien ouvrir une information judiciaire là-dessus, je lui indiquerais que j’ai utilisé pour la première fois cette formule en juin 1998, dans un écrit en rapport avec « l’affaire Betchine »…
La foule superstitieuse a donc vite vu en TEBBOUNE LE PRESIDENT IDEAL POUR 2019, et a commencé à ouvrir des pages Facebook à son effigie et à pétitionner en sa faveur, alors que le pauvre homme qui a blanchi sous le harnais du « système » n’en demandait pas tant.
Abasourdi, hagard, la tête entre les mains, il ne comprenait pas d’où est venu le quiproquo, pourquoi ça lui est tombé sur la tête et, surtout, pourquoi on persistait à l’offrir en holocauste en criant « Vive Tebboune ! ».
Des partis politiques se sont aussi engouffrés dans cette kermesse émotionnelle où ils ont vu avec la même propension à la superstition les signes avant-coureurs de la réédition de la révolte d’octobre 1988 ou celle, plus ancienne, des Circoncellions à l’époque de la colonisation romaine.
Flairant l’aubaine, ils ont vaillamment tiré quelques communiqués en direction de la Maison de la presse, allant, ce faisant, plus loin que les menaces de Kim Jong Un de faire tomber ses missiles à tête nucléaire sur l’île de Guam. Ratant leur cible, c’est sur la tête de Tebboune qu’ils sont tombés, la lui coupant du coup.
Tout le monde sait maintenant ce qui s’est passé : Tebboune n’a pas touché Haddad, c’est à peine s’il a allusivement louché sur ses milliards. En représailles, Haddad a touché Saïd Bouteflika. Bouleversé par ce qu’il a entendu, Saïd a touché Abdelaziz Bouteflika. Fou furieux de ce que lui a raconté son frère, le Président en touche un mot à Ouyahia qui en touche un autre à « Ennahartv », et le voilà touché par la grâce de redevenir Premier ministre !
La chaîne de commandement est apparue clairement : Haddad tient Saïd, car en politique il n’y a pas d’amitié mais seulement des intérêts. Saïd tient son frère dont il est l’unique interface avec le monde. Ouyahia est là pour, comme à son habitude, accomplir ce qu’on lui demande d’accomplir en parfait « homme d’État », et vogue la galère jusqu’en 2019 où nous avons un cinquième rendez-vous avec notre destin, rendez-vous qui nous enfoncera aussi sûrement que les précédents.
Voilà le sens et les conséquences des révisions constitutionnelles opérées par Bouteflika par touches successives : être seul aux commandes, même absent, même invisible, même en état de mort clinique, après avoir vidé toutes les institutions de leur substance et pour pouvoir nommer et limoger qui il veut, utiliser à sa guise les ressources financières publiques, et organiser sa succession comme il l’entend.
En tant que Premier ministre, Tebboune, ou un autre, ne peut pas se prévaloir de la Constitution pour défendre des prérogatives illusoires, et les partis politiques et les citoyens qui l’ont appelé à la « résistance » ne savent rien du travail gouvernemental et de la Constitution.
LE PAYS EST LIVRE A LA CORRUPTION, AUX FORCES DE L’ARGENT, AUX EBOUEURS DE SERVICE ET LE SERA ENCORE DAVANTAGE DANS LE PROCHE AVENIR.
IL N’Y A JAMAIS EU EN ALGERIE DE « PEUPLE SOUVERAIN », D’« ETAT DE DROIT », D’ « INSTITUTIONS DEMOCRATIQUES », DE « PARLEMENT REPRESENTATIF DE LA VOLONTE POPULAIRE », DE « CONSEIL CONSTITUTIONNEL », D’ « ELECTIONS », D’ « OPPOSITION ».
IL N’Y A QU’UN SYSTEME DE PROTECTION DE LA PERSONNE DU PRESIDENT, DE SES AFFIDES ET DE SES FANTAISIES. NOUS NE SOMMES PAS DANS UN ORDRE CONSTITUTIONNEL, MAIS DANS UN DESORDRE INSTITUTIONNALISE.
Bouteflika est malade d’on ne sait quoi, ni jusqu’à quel degré, mais l’Algérie est malade de lui, de sa maladie physique, de sa maladie psychologique du pouvoir. Cet homme est une entrave à la formation d’un État de droit et à l’impulsion d’une politique saine pour bâtir une Algérie solide.
Rien que ces derniers jours il a provoqué une émeute au sommet de l’État, incité les ministres à la mutinerie et livré l’économie à de faux hommes d’affaires… Lui ou en son frère, peu importe.
L’import-import va reprendre ses droits malgré la crise pour que le peuple ait de quoi manger et ne se rebelle pas. Cela seul compte, et au besoin on recourra à l’endettement extérieur lorsque les réserves de change auront été épuisées. Ce ne sont pas eux qui rembourseront la dette.
Nous, Algériens, venons de démontrer une fois encore à quel point nous étions des instinctifs, des émotifs, des réactifs. Nous sommes commandés par notre sentimentalisme inné comme les marées par la lune. Nous ne prévenons pas le mal, nous attendons qu’il soit dans la place pour nous démener dans tous les sens.
Nous ne réfléchissons pas longtemps, nous explosons soudainement. Nous n’agissons pas à froid, nous réagissons à chaud. Nous nous allumons comme une allumette et nous éteignons comme des « nouwalat ». Nous sommes capables de tuer pour un rien, et l’instant d’après éclater en sanglots dans un geste d’attendrissement étonnant.
Nous recevons les atteintes à notre vie nationale à la manière de l’éponge qui absorbe l’eau déversée sur elle, avant de recommencer quand elle a été essorée.
Nous sommes prisonniers de ce fonctionnement mental depuis des millénaires, comme les hindouistes de leur croyance au cycle des réincarnations depuis l’apparition des Védas.
C’est à croire que nous avons été conçus en même temps que les éléments de la nature, sujets à des mouvements imprévisibles et parfois catastrophiques. « Hchicha talba maïcha » écrivais-je déjà dans « Le génie des peuples » et « Le khéchinisme » en 1979.
PAS D’ENSEIGNEMENTS TIRES DES EXPERIENCES PRECEDENTES, PAS DE VISIBILITE NI DE PREVISIBILITE CONCERNANT L’AVENIR, PAS DE RESOLUTIONS DEFINITIVES, PAS D’ACTIONS COLLECTIVES PLANIFIEES ET REALISEES SUR LE LONG TERME, MAIS TOUJOURS DES TEMPETES DANS DES VERRES D’EAU, DES ORAGES D’ETE VIOLENTS, DES GREVES SECTORIELLES, DES EMEUTES ICI OU LA…
On élève le ton dans les « dwas » entre voisins ou formations politiques, on augmente parfois le son pour faire peur au pouvoir, mais tout peut se terminer miraculeusement avec un simple « djabha chitan ! », suivi d’une franche accolade et de l’oubli de part et d’autre, oubli qu’on se dépêche de recouvrir du suaire religieux de la « rahma » ou de la « réconciliation nationale ». Octobre 88 a commencé le 5 et s’est terminé le 8 avec le discours de Chadli Bendjedid en larmes.
Imaginons que Bouteflika, son frère, Haddad ou Ouyahia vienne à la télévision, dise quelques mots, puis éclate en sanglots… Nous sortirions en larmes, lui céderions le pays par devant notaire et lui ajouterions la chemise qu’on a sur le dos…
C’est comme ça qu’a prospéré Djouha autrefois, et c’est l’arme fatale que gardent bien au chaud les Djouha qui nous tiennent.
Vous avez aimé Tebboune ? Vous allez adorer Ouyahia. Vous avez chassé Borgeaud ? A vous Haddad. Vous étiez dans la « colonisabilité » ? Vous voilà dans l’encanaillement.
Et c’est moi, bien sûr, qui vais encore être traité de tous les noms, dont celui de récidiviste parce que j’aurais fait « tomber » Betchine en 1998. C’est moi qui avais été embarqué par la police sur son ordre, mais pour la postérité c’est moi le coupable et lui la victime. C’est moi le « système » et lui, Haddad et vous les anges…
POUR ETRE AUSSI A L’ENVERS, C’EST QUE VRAIMENT « NASTAHLOUHA ! »
(« TSA » du 17 aout 2017)