Home ARTICLESLa problématique algérienne2011-2016 CONFLIT SUNNITES-CHIITES : DE QUEL CÔTÉ PENCHERA ALLAH ?

CONFLIT SUNNITES-CHIITES : DE QUEL CÔTÉ PENCHERA ALLAH ?

by admin

L’administration Obama et les cinq puissances qui l’ont accompagnée dans la gestion du ‎problème du nucléaire iranien se sont montrées plus intelligentes et efficaces que le ‎gouvernement israélien et les milieux républicains américains qui piaffaient d’impatience ‎d’attaquer l’Iran pour tuer dans l’œuf la présumée menace nucléaire qu’il représenterait.

Les 5+1 ont obtenu que l’Iran renonce définitivement au supposé volet militaire de son ‎programme nucléaire, qu’il transfère en Russie les tonnes d’uranium déjà enrichi, qu’il ‎réduise le nombre de ses centrifugeuses, qu’il adapte son réacteur à eau lourde d’Arak aux ‎besoins exclusifs d’un usage civil, et qu’il accepte le contrôle inopiné de ses installations.

C’est à partir de l’exécution pleine et entière de ces conditions, consignées dans l’Accord du ‎‎14 juillet 2015, et de la vérification de leur effectivité par les experts de l’AIEA, que les ‎sanctions économiques seront progressivement levées.

Qu’a gagné de son côté l’Iran au terme d’une décennie de palabres, de sanctions et de ‎négociations ? Rien.

Il est retourné à la situation d’avant ce feuilleton qui a fait passer le monde par des pics de ‎tension dangereux avec la remarque que ce pays atypique a dépensé des dizaines de ‎milliards de dollars dans la poursuite d’un objectif interdit par les conventions ‎internationales, mais surtout par la loi du plus fort, et perdu des centaines d’autres milliards ‎au titre du manque à gagner généré par les sanctions dont il attend encore la levée.

Il est redevenu un acteur ordinaire des relations internationales et se prépare à ‎commercialiser de nouveau son gagne-pain dans une conjoncture marquée par un excédent ‎de l’offre sur la demande qui a déjà fait chuter les cours du baril de pétrole de moitié.

D’ennemi de l’Occident, la théocratie chiite est curieusement en train de se muer en l’un de ‎ses plus importants partenaires dans le Golfe. Qu’est-ce qui expliquer un tel revirement ?

On se demande si l’Iran lui-même le sait, s’il est en mesure de faire la part des choses entre ‎sa propre volonté et celle des autres, Israël et l’Occident, qui sont habitués à planifier des ‎stratégies des décennies avant que leurs effets n’apparaissent clairement aux Arabes et aux ‎musulmans comme on l’a vu avec les Accords Sykes-Picot (mai 1916) et la Déclaration ‎Balfour (novembre 1917). ‎

A s’en tenir aux seuls aspects visibles, l’Iran est en train de changer de politique vis à vis de ‎l’Occident dont il se rapproche à grande vitesse. Il lui a ouvert son économie en échange de ‎la fin de sa mise en quarantaine et l’espoir d’accéder prochainement aux technologies ‎industrielles et aux équipements militaires nécessaires à la modernisation de son économie ‎et de son armée dont il a urgemment besoin pour régler de vieux comptes avec ses voisins ‎arabes et sunnites, des comptes qui remontent à l’époque des quatre premiers califes.

Si, comme disent les Français, « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », il est plus urgent ‎de combattre un ennemi proche qu’un ennemi lointain qui, en l’espèce, n’existe pas.

L’Iran n’a d’ennemis que ses voisins musulmans. C’est à cette logique et à ces objectifs que ‎semblent correspondre les nouveaux choix stratégiques iraniens dont nous avons vu au cours ‎de la dernière décennie les signes avant-coureurs au Liban, en Irak et en Syrie.

Lorsque Barak Obama est arrivé à la Maison blanche en 2008, un de ses objectifs majeurs ‎était de réaliser un rêve qu’aucun président avant lui n’a réalisé, l’indépendance ‎énergétique. Avec l’accord sur le nucléaire iranien et la liquidation physique d’Oussama Ben ‎Laden, c’est ce que l’histoire retiendra de ses deux mandats.

Les Etats-Unis sont devenus l’un des principaux producteurs mondiaux énergétiques grâce au ‎développement des technologies d’extraction du pétrole et du gaz de schiste qui les ont ‎placés dans le rôle de régulateur de l’offre et de la demande à leurs conditions. ‎

Qui dit indépendance énergétique américaine dit autonomie de son principal fournisseur ‎traditionnel, la monarchie saoudienne avec laquelle le président Roosevelt a passé en ‎février 1945 à bord du croiseur « Quincy » sur les eaux du canal de Suez un Pacte en cinq ‎points pour soixante ans : énergie à « prix modéré », en échange d’une clause affirmant que ‎‎« la stabilité de la péninsule arabique fait partie des intérêts vitaux des Etats-Unis ». ‎

Ce pacte qui a résisté à tous les chocs et contre-chocs pétroliers a connu sa première fêlure ‎en 2001 lorsqu’il s’est avéré que la majorité des terroristes à l’origine des attentats du 11 ‎septembre étaient des Saoudiens. La confiance n’était plus étanche. ‎
Les services de renseignement américains et occidentaux se sont mis à s’interroger sur le ‎double jeu saoudien vis à vis du terrorisme avant et après le 11 septembre, et sur les liens ‎de la famille régnante avec le mouvement salafiste inspirant le djihadisme.

A partir de là, ce pays qui rebutait déjà pour le statut fait à la femme et les exécutions au ‎sabre sur la place publique, passe pour une couveuse d’idées terroristes, et donc une ‎menace internationale plus ou moins avouée. Dès lors, pour les Américains comme pour le ‎reste de l’Occident, le problème de la dépendance énergétique se compliquait d’un ‎problème sécuritaire auquel il fallait trouver discrètement mais rapidement une parade.‎

Au regard de l’opinion publique occidentale la théocratie iranienne, héritière d’une vieille et ‎respectable civilisation, est plus présentable et fréquentable que la théocratie saoudienne ‎devenue difficilement compatible avec les valeurs universelles.

Elle n’est plus vue comme un régime islamique mais comme un régime archaïque, ‎fonctionnant au profit d’une famille régnante sans base sociale. Un Etat tribal et non un ‎peuple moderne à l’instar de la société iranienne corsetée mais vivace, dynamique et ‎pratiquant une certaine démocratie. Elle repose essentiellement sur les pétrodollars et ‎l’activisme d’un corps d’ « hommes de religion » inféodé à la dynastie régnante et véhiculant ‎des idées d’un autre âge.

Elle ne saurait représenter l’islam sunnite dans une stratégie mondiale. Ce rôle serait mieux ‎tenu par la Turquie.‎

En diplomatie, il est parfois recommandé de ne pas faire le simple geste suffisant à montrer ‎l’oreille, mais d’effectuer délibérément le long détour reproché aux imbéciles pour brouiller ‎les pistes.

Le recours à l’option militaire contre l’Iran a été étudié sous tous les angles par ‎l’administration Obama, puis abandonné car les évolutions stratégiques souhaitées ‎impliquaient un Iran fort, viable et à même de remplir le rôle attendu de lui pour faire d’une ‎pierre cinquante coups : être le principal protagoniste de la guerre mondiale intra-‎islamique qui introduirait le chaos dans la cinquantaine de pays à majorité ou à forte ‎minorité islamique. ‎

Quel meilleur casting pour arriver aux buts visés par la stratégie de reformatage du Moyen-‎Orient et, au-delà, que les deux théocraties respectivement chef de file du sunnisme et du ‎chiisme pour entraîner l’ensemble du monde musulman dans une mêlée qui engloutira les ‎uns et les autres ?

Les musulmans ont été au siècle dernier les supplétifs inconscients des guerres décidées à ‎leur insu par les puissances qui présidaient à l’ordre mondial. Ils sont en ce début de ‎troisième millénaire les exécutants inconscients de leur autodestruction.‎
‎ IL N’Y A PLUS QU’EUX AU MONDE POUR S’ENTRE-TUER EN SE PRÉVALANT CHACUN DU ‎SOUTIEN DE LEUR DIEU COMMUN.

A peine l’imam chiite et non moins sujet saoudien Nimr a-t-il été exécuté par les autorités ‎saoudiennes sous l’accusation de « terrorisme », que le guide suprême de la révolution ‎iranienne, l’ayatollah Khamenei, a déclaré devant un parterre de religieux, d’autant plus sûr ‎d’être exaucé qu’il est censé être infaillible : « Sans aucun doute, le sang de ce martyr versé ‎injustement portera ses fruits et la main divine le vengera des dirigeants saoudiens ».

La « fitna-l-kobra » de Siffin qui a divisé les rangs de l’islam en chiites et sunnites est en train ‎de se réveiller après un sommeil de quatorze siècles. Dans les mosquées chiites on maudit ‎de nouveau le « gardien des lieux saints de l’islam », et dans les mosquées sunnites le ‎‎« guide suprême » iranien, chacun tenant l’autre pour un authentique kafer (apostat). ‎

Et comme il y a presque partout des chiites et des sunnites, les haines vont se propager ‎dans les populations, les pays, les quartiers et susciter de nouvelles et durables haines.‎

L’Arabie Saoudite, Bahreïn et le Soudan ont déjà rompu leurs relations diplomatiques avec ‎l’Iran. Des bombes ont explosé à Bagdad dans deux mosquées sunnites. D’autres bombes, ‎véhicules piégés et attentats-suicide ne tarderont pas à suivre dans les prochains mois dans ‎d’autres pays, conduisant à des affrontements récurrents entre chiites et sunnites comme on ‎s’y est habitué en Irak, au Pakistan, en Afghanistan, au Liban et en Syrie. La Turquie n’y ‎échappera pas.

L’ensemble du monde musulman sera pris dans une spirale d’autodestruction sous le regard ‎et avec les encouragements discrets d’Israël et de l’Occident, sans oublier la Russie. Ce sera ‎le chaos, la destruction des infrastructures et la consolidation de haines stupides qui ‎dureront tout au long du nouveau millénaire.‎

Ce sera une guerre moyenâgeuse sans enjeux, sans objectifs et sans résultats positifs pour ‎aucune partie, une guerre d’extermination réciproque menée par des clergés avec des ‎armes de destruction modernes.‎

On va s’entre-tuer, se détruire mutuellement avec des armes occidentales, israéliennes, ‎russes ou chinoises et des crédits alloués par les banques des mêmes pays ; ce sera une ‎guerre religieuse aveugle, impitoyable, raciale, ethnique et tribale.‎

Une guerre de gueux, de faux dévots, de bigots, d’arriérés économiques et culturels ; une ‎guerre qui ne sera gagnée par personne car les mêmes fournisseurs veilleront à ce ‎qu’aucun belligérant ne manque d’armes et de munitions autant d’années ou de décennies ‎qu’il le faudra.

L’Iran et l’Irak se sont fait la guerre pendant huit ans (de 1980 à 1988) entraînant la mort ‎d’un million de personnes de chaque côté, sans qu’aucun des deux ne l’ait formellement ‎gagnée ou perdue.‎

Les chefs de file du sunnisme et du chiisme qui prétendent tous deux descendre du Prophète ‎par Ali et Fatima implorent chacun Allah de détruire l’autre.

Chacun croit ingénument que Dieu est à ses côtés car tous deux ont été nourris par le « ilm ‎al-kadim » dont la vision de Dieu, bâtie sur les données remontant aux premiers temps de ‎l’apparition de l’islam, postule qu’Allah est derrière toute « kabira » et « saghira » (grand ‎ou petit avènement).‎

Que va-t-il se passer concrètement ? Comment Dieu va-t-il faire ? Sur la base de quels ‎critères va-t-il décider de pencher d’un côté ou de l’autre car ils ne peuvent pas avoir raison ‎tous les deux. L’un est forcément dans son droit et l’autre dans son tort. ‎
Le plus probable est que tous les deux soient dans leur tort. Mais celui qui gagnera pensera ‎naturellement tenir la victoire d’Allah, plaçant l’autre dans une posture embarrassante.

En mars 2006 j’écrivais en conclusion à mon livre « L’islam sans l’islamisme » ces lignes ‎‎(début de citation) :‎

‎ « L’actualité mondiale est dominée en ce début d’année par les remous qui agitent le ‎monde musulman : affrontements sanglants entre chiites et sunnites en Irak, images ‎télévisées montrant des foules musulmanes défilant dans les rues pour dénoncer les ‎caricatures du Prophète, interrogations soulevées par la victoire électorale de Hamas en ‎Palestine, déclaration d’officiels iraniens faisant savoir qu’en cas d’agression contre leurs ‎installations nucléaires ils perturberaient le marché pétrolier et utiliseraient leurs missiles ‎de longue portée, pressions sur la Syrie, refus du Hezbollah libanais de renoncer à ses ‎moyens militaires, dopage moral du mouvement islamiste embusqué dans les pays arabo-‎musulmans dans l’attente d’élections régulières qui lui donneraient imparablement la ‎victoire…

Ces événements sont-ils les signes patents d’une « renaissance » ou une fois ‎encore la désolante étendue séparant « l’infini du désir » du « très fini de la réalité » dont ‎parle Nietzsche ? Annoncent-ils un islam en symbiose avec le monde ou les signes avant-‎coureurs d’un affrontement généralisé entre lui et l’Occident ?

Les musulmans doivent ‎prendre conscience que leurs faiblesses sont en eux et qu’ils ne les surmonteront que par ‎une profonde et réelle réforme intellectuelle et politique. Ce dont ils manquent avant tout, ‎c’est d’une très forte résolution d’être, d’une puissante détermination à devenir quelque ‎chose qui compte, d’une volonté civilisationnelle comme celle qu’affichent avec intelligence ‎le Japon, la Chine et l’Inde.

C’est cette volonté qui, lorsqu’elle repose sur la légitimité ‎politique, le consensus social et des méthodes rationnelles, est à la base du succès. Au lieu ‎de se cacher à tout propos derrière Dieu ou de l’impliquer dans leurs maladresses et leurs ‎erreurs de jugement selon le modus operandi de la pensée traditionnelle, au lieu de ‎déverser leurs émotions et leurs impuissantes colères sur les plateaux de télévision ou de ‎chauffer à blanc les foules par les procédés habituels de la « boulitique », les musulmans en ‎général et les Arabes en particulier devraient se dépêcher d’engager ces réformes qui ‎feraient enfin d’eux ici-bas des nations respectables à tout point de vue.

Et ces réformes ne ‎doivent pas consister à passer des pratiques despotiques tramées dans le secret des palais à ‎l’ « anarchie hurlante de la rue » (p. 526-527).‎

‎ « Le Soir d’Algérie » du 06 janvier 2016‎

You may also like

Leave a Comment