A VOUS LA PAROLE, GENERAL !

by admin

Apparemment, c’est dans l’année où Bouteflika a perdu les trois-quarts de ses capacités ‎physiques qu’il a récupéré la totalité de ses pouvoirs politiques. ‎
Ses incessantes récriminations pour recouvrer le quart manquant retenu par les militaires ‎comme une caution de garantie remontent aux premiers mois de son arrivée à la ‎présidence de la République. On se souvient de la mémorable colère de l’été 1999 où il a ‎utilisé le langage des fractions pour réclamer en public qu’on lui restitue le ¼ sans lequel il ‎se sentait un roi nu.

La présidence bicéphale qui prévalait depuis le départ de Chadli Bendjedid en janvier 1992 ‎semble avoir connu son épilogue avec le départ du chef du DRS.

Désormais Bouteflika peut, dans les conditions que l’on sait, suspendre le cours de l’histoire ‎du pays comme il le fait depuis cinq ans avec le projet de révision de la Constitution, ou ‎couper la respiration à ses habitants quand bon lui semble.‎

N’est-on pas finalement passé, au vu de son état de santé, d’une direction bicéphale à une ‎direction mi-céphale ? (Le terme n’existe pas mais on aura compris). ‎
La logique aurait voulu qu’il s’entoure des meilleures compétences pour gérer les affaires de ‎l’Etat devenu « civil » et, du coup, compenser l’amoindrissement de ses propres capacités.

C’est, paradoxalement, la sénilité, la débilité et la servilité qui ont été mises à l’honneur ‎comme ce que l’Algérie possède de mieux et l’exemple à offrir aux générations ‎montantes pour les exalter. C’est la fourberie, la roublardise et l’affairisme que ces ‎dernières vont apprendre en cours accélérés à la suite de ce choix.

A quoi bon, en effet, perdre le tiers de sa vie à étudier pour finir dans la file d’attente d’un ‎autobus infect pour rentrer chez soi dans une cité de recasés, ou comme employé chez un ‎vaurien de « chkariste » parlementaire ?

Il vaut mieux s’inscrire dès l’enfance sur les listes des partis où on apprend le retournement ‎de veste ultra-rapide, où on s’initie aux ficelles de la trahison comme on apprend chez les ‎scouts à faire les nœuds marins et où on attend patiemment son heure, assuré de devenir ‎avec le temps député ou ministre-multimilliardaire.

C’est à croire qu’on a cherché avec la lanterne de Diogène le cynique dans les bas-fonds ‎du pays ce qu’il y avait de plus laid, d’ignare et de sans scrupule pour leur confier ‎pouvoir, puissance et richesse.

Comme si l’intention était de signifier aux Algériens qu’ils ne méritent pas mieux. Et c’est ‎peut-être vrai : « Tels vous êtes, tels vous serez gouvernés » a dit notre Prophète longtemps ‎avant l’apparition du clan qui nous gouverne.

Si nous avons le type d’hommes que nous avons à la tête de nos institutions et de nos ‎symboles historiques, c’est que le « moudjahid » Bouteflika a jugé dans sa mystérieuse ‎machinerie cérébrale qu’ils étaient soit les meilleurs d’entre nous, soit les plus utiles à ses ‎fins. Sinon pourquoi les a-t-il sélectionnés avec tant de minutie et de cohérence ? ‎
Colonisables, nous avons été colonisés. Encanaillables et despotisables à merci, nous le ‎serons jusqu’au jour où nous deviendrons des citoyens à la place du tas de ‎croyants « mselmin mketfin » que nous sommes dans l’ensemble.‎

On peut se demander s’il y a dans ces choix de la provocation contre le bon sens ou du ‎machiavélisme revanchard envers ceux qui, depuis Boudiaf, ont entravé les présidents ‎successifs dans l’exercice de leurs prérogatives.

Le traitement réservé au général Toufik par le secrétaire général du FLN semble confirmer ‎la deuxième piste. Les vainqueurs agissent avec lui comme s’ils avaient retourné la terre sur ‎plusieurs milliers de kilomètres carrés à la recherche de l’aiguille spéciale qui ferait, comme ‎dans les séances de torture, le plus de mal à l’homme devenu honni. ‎

Cela me rappelle une conversation que j’ai eue avec lui dans les années 1990 où il me disait ‎son attachement au FLN.

La fiction artificiellement maintenue en vie par le « système », donc par lui-même, est ‎devenue le Frankenstein entre les mains desquels il est tombé au plus mauvais moment ‎de son existence, c’est-a-dire au soir de sa vie.‎

Une autre fois, en 1994, il a laissé tomber, épuisé peut-être par la longue tirade sur les ‎performances des nations dans l’Histoire dans laquelle je m’étais lancé pour lui faire ‎apparaître la différence avec sa conception des choses : « Vous êtes le seul à avoir une ‎vision ».

Inestimable hommage de la part de quelqu’un dans sa position mais, dans les faits, c’est ‎l’engeance à laquelle appartiennent Sâadani et consorts qu’il a favorisée pour les ‎besoins du « système » au détriment de la nouvelle génération politique dont j’étais. Ils ‎le lui rendent bien aujourd’hui.‎

Dans ma fragilité de « roseau pensant », je pensais Algérie. Dans sa toute-puissance de « rab ‎Dzaïr », il pensait « système ». J’ai gardé mes idées sur les nations dans l’Histoire, lui vient ‎de perdre ses illusions sur le FLN.

Double et cruelle solitude que d’être chassé du monde des personnes auquel on a ‎appartenu, et de voir s’effondrer son monde d’idées fausses.

Je ne m’en réjouis pas et compatis à sa peine car je témoigne que cet homme est l’un des ‎plus intelligents qu’il m’a été donné de rencontrer parmi les dirigeants du pays. ‎
Un général algérien discutant d’Histoire, de pensée, de philosophie pendant des heures alors ‎que le terrorisme ravageait le pays, cela ne s’est pas vu depuis l’époque de Juba II. On ‎l’oublie, mais il y a toujours un rapport entre terrorisme et idées.‎

N’est-ce pas le pire des châtiments qui pouvait être infligé au général Toufik que d’être ‎vulgairement insulté par un personnage qu’il a contribué à mettre en selle à un moment ou ‎un autre ?

Désormais il doit rédiger lui-même ses lettres, fermer l’enveloppe avec sa salive, se plier ‎aux procédures « régulières » comme les milliers de citoyens quotidiennement entassés ‎devant les guichets de l’administration aux employés absents ou pleins de mauvaise ‎volonté, et compter sur la presse pour faire parvenir ses doléances à « qui de droit ».

Il doit ressentir dans l’isolement de pestiféré où il a été confiné la blessure de l’injustice, ‎l’amertume de l’ingratitude et la morsure de l’humiliation.

Elles ne sont que les sécrétions naturelles du « système » qui est un mode de ‎gouvernement bâti sur des antivaleurs : la raison du plus fort, le culte hypocrite du ‎‎« wakaf », le mépris impitoyable du « tayah », la cooptation, les trafics de toute sorte, ‎le mensonge, la flagornerie, l’impunité, attirail du mal évoquant les orgues de Staline ‎qu’on vient de régler sur lui comme objectif à détruire.‎

Compterais-je parmi ceux que je dénonçais dans ma dernière contribution et qui, lorsque le ‎taureau est à terre, accourent les premiers armés de couteaux bien affutés ? ‎
Loin de là, de moi et du général Toufik, mais les enseignements à tirer des circonstances que ‎nous vivons doivent l’être malgré leur cruauté dans l’espoir d’une rupture définitive avec ‎un « système » aussi malfaisant que stupide.

AUSSI FORTS ET PROTEGES QU’ILS ESTIMENT ETRE DANS LA HIERARCHIE DU POUVOIR, LE ‎TOUR DES BANDITS, DES VALETS ET DES ESCOBARS QUI OFFICIENT AVEC INSOLENCE AUX ‎POSTES CIVILS OU MILITAIRES ARRIVERA INELUCTABLEMENT.

Escobar n’est pas un nom de famille comme dans le cas de Pablo, le célèbre trafiquant de ‎drogue colombien, mais un terme par lequel on désigne en français correct ceux qui ‎retournent leur veste en trouvant toujours des justifications. Pablo Escobar avait plus de ‎courage et d’honneur que ceux-là.‎

Le cas du général Toufik est spécifique. Il ne ressemble à aucun autre, civil, militaire, ‎ministre ou ancien chef d’État. Il en sait plus que n’importe qui d’autre en vie sur le pays et ‎l’étranger.

Il n’est pourtant plus rien, plus qu’un naufragé, un zéro de chez zéro, selon la ‎description de Sâadani. Si un pareil profil peut devenir en très peu de temps un « rien », ‎que dire de Sâadani lui-même, de ceux qui le manipulent et de ceux qui suivent ses pas ‎comme les péripatéticiens suivaient Aristote dans l’ancienne Grèce pour ne rien perdre ‎de ses paroles, quand leur tour de tomber viendra ? Il n’y aura pas de mots pour eux. Ni ‎en français, ni en arabe, ni en amazigh, ni en grec.‎

Un homme de ce profil, égal en grade au chef d’état-major et à qui le président de la ‎République a décerné en juillet dernier la médaille de la bravoure ne se jette pas à la ‎poubelle ou aux chiens, on le juge s’il a fauté, on l’assassine si on a peur de lui, ou on assure ‎et garantit son respect par les moyens du droit. Un seul homme peut le faire, rien qu’en ‎remuant le petit doigt. S’il ne le fait pas, c’est soit parce qu’il n’existe pratiquement plus, soit ‎parce qu’il est le commanditaire de toutes ces vilénies.

GENERAL TOUFIK ! EN VERTU DES RESPONSABILITES QUI ONT ETE LES VOTRES ET DE ‎L’IDEE QU’ONT DE VOUS VOS COMPATRIOTES, VOUS ETES TENU D’ECLAIRER LES ‎ALGERIENS NON PAS SUR LES SECRETS DE L’ETAT OU VOS ACTIVITES PASSEES, MAIS SUR ‎LA NATURE DU SYSTEME, LES RAISONS DE SON MAINTIEN, L’ECHEC DE L’EXPERIENCE ‎DEMOCRATIQUE ALGERIENNE… VOUS ETES REDEVABLE DE CE LOYAL ET ULTIME SERVICE ‎NON PAS AU « SYSTEME », MAIS A LA NATION.

Sâadani vous a mis au défi de créer un parti, de sortir de l’ombre, de faire de la politique… ‎Pourquoi pas ? ‎

Faites-le, montrez-vous sur les chaines de télé, écrivez, témoignez, prouvez que votre ‎attachement à l’Algérie est supérieur à votre attachement au « système » et à votre ‎confort personnel ! ‎

Nous sommes écœurés de vous voir malmené par ceux que vous avez promus socialement, ‎économiquement ou politiquement. C’est la lâcheté et la trahison des pseudos élites qui a ‎fait le lit de la colonisabilité tout au long de notre histoire.‎
L’article 21 de la Constitution stipule que « les fonctions au service des institutions de l’État ‎ne peuvent constituer une source d’enrichissement, ni un moyen de servir des intérêts ‎prives », et pourtant nous ne voyons plus que cela.

Vous êtes aujourd’hui en état de mieux comprendre mon acharnement de jadis à vous ‎convaincre, quand vous étiez l’homme le plus fort du pays, à réfléchir à l’avenir, aux ‎générations futures, à l’intérêt d’installer un ordre démocratique réel et des institutions ‎fiables au lieu de construire sur les accointances, les conciliabules, la fraude électorale et ‎l’art de « dribbler ». ‎

Il n’y a pas mieux, il n’y a pas plus sûr que les valeurs démocratiques pour garantir le ‎bien des hommes et leur dignité en tout temps et tout lieu, quand ils sont en fonction ‎ou à la retraite.‎

Ces valeurs ne reposent ni sur la force brute qui peut passer de l’un à l’autre, ni sur les ‎allégeances aux personnes qui sont très souvent versatiles, mais flottent au-dessus de ‎tous, accessibles au commun, opposables à chacun et inscrites dans le marbre des lois ‎inviolables.‎

On lit dans le Coran : « Nous leur montrerons Nos signes dans l’univers et en eux-mêmes, ‎jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est cela la vérité… » (Fussilat, v.53). ‎

‎(« Le Soir d’Algérie du 12 décembre 2015)‎

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