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PENSEE DE MALEK BENNABI ‎ » VOCATION DE L’ISLAM « 

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En mars 1950 éclate à Tébessa une grave affaire qui a été retenue par l’histoire sous le nom ‎de « complot ». La police coloniale procède sur dénonciation à l’arrestation de plusieurs ‎centaines de membres de l’Organisation spéciale (OS), organe paramilitaire du PPA-MTLD, ‎à travers le territoire national. Son chef, Ahmed Ben Bella, ainsi que des personnages qui ‎joueront un rôle important dans le déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954 ‎sont incarcérés.

Bennabi, quoique n’ayant aucun lien avec l’affaire, a lui aussi été arrêté à Tébessa, interrogé ‎puis libéré.

Ce n’était pas ses premiers démêlés avec la police française. Lui et sa femme ‎avaient été arrêtés en France le 18 août 1944 et placés dans un camp de concentration dans ‎le Loiret jusqu’au 16 avril 1945, puis emprisonnés une seconde fois à Chartres du 10 octobre ‎‎1945 au 10 mai 1946. Depuis, la police n’a cessé de le harceler jusqu’à son départ en exil en ‎Egypte début 1956.‎

Bennabi travaille à un nouveau livre, « Vocation de l’islam », qu’il désigne comme « l’œuvre ‎qui devait être mon meilleur cru ». Entre avril 1950 et octobre 1951, il donne quelques ‎bonnes feuilles à la publication dans « La République algérienne ». C’était pour sauver ce qui ‎lui paraissait « essentiel » dans son livre dans le cas où il venait à mourir (l’idée est ‎récurrente chez lui ; on en connaîtra les raisons plus tard).

En fait, il le publie pratiquement dans son intégralité si l’on ajoute ce qui a été publié ‎par « Le jeune musulman »‎ ‎, hebdomadaire francophone de l’Association des oulamas ‎algériens. Le livre devait s’intituler « Infrastructure du monde musulman moderne » puisque ‎c’est sous ce titre générique que les extraits ont été publiés.

C’est son ami et préfacier des ‎‎« Conditions de la renaissance », le Dr Abdelaziz Khaldi, qui lui a proposé le titre final du ‎livre. Il est dédicacé « A si Mohammed Khettab, en témoignage de gratitude ; à mon frère le ‎Dr Khaldi à qui l’ouvrage doit le titre et l’auteur beaucoup ».

Les Editions du Seuil, en possession du manuscrit depuis près de trois ans, ne le publient qu’en ‎septembre 1954.

L’ouvrage se compose d’un avant-propos et de six parties intitulées : La ‎société post-almohadienne, La renaissance, Le chaos du monde musulman moderne, Le ‎chaos du monde occidental, Les voies nouvelles, Les prodromes du monde musulman et, en ‎conclusion, Le devenir spirituel de l’islam.

Si les « Les conditions de la renaissance » (1949) a été écrit « pour faire ressortir les ‎conditions que l’individu doit offrir au développement d’une civilisation », « Vocation de ‎l’islam» se propose d’ « étudier l’évolution moderne du monde musulman en signalant les ‎rapports effectifs ou possibles de cette évolution avec le mouvement général de l’histoire ‎humaine ».

L’auteur se demandait dans les derniers paragraphes des « Conditions de la renaissance » : ‎‎« Notre époque peut-elle enfanter une civilisation qui soit celle de l’humanité et non celle ‎d’un peuple ou d’un bloc ? »

Il répond ici avec la certitude que c’est l’unique alternative ‎restant à l’humanité qui a échappé par deux fois à la catastrophe en un quart de siècle mais ‎ne survivra pas à une troisième où sera forcément utilisé l’arsenal nucléaire.

Il écrit : « La ‎technique a aboli l’espace, il n’y a plus entre les peuples que la distance de leurs cultures… ‎La science a aboli les distances géographiques entre les hommes, mais des abîmes ‎subsistent entre leurs consciences. Ainsi, les faits et les idées se contredisent. La terre est ‎devenue une boule exiguë, extrêmement inflammable, où le feu qui prend à un bout peut se ‎propager instantanément à l’autre bout. Il n’est plus possible de diviser les problèmes et les ‎solutions, de faire de l’européanisme d’une part, et du colonialisme de l’autre… Ainsi ‎commence une page nouvelle de l’histoire qui a pour titre : l’humanité doit être une ou ‎cesser d’être ».‎

Dans un article daté 11 novembre 1949, « Ruptures et contacts nécessaires », il écrivait cinq ‎ans avant la parution du livre : « Désormais notre pensée est en contact avec deux axes : ‎celui le long duquel s’écoule la spiritualité islamique, et celui le long duquel circule la ‎technicité cartésienne. Il faut faire les évaluations nécessaires à notre renaissance sur ces ‎deux axes à la fois… Sans doute, une plus large synthèse s’imposerait encore quand on ‎trouvera un axe commun pour la pensée humaine. Car notre destin doit se réaliser ‎désormais dans un sens planétaire, chacun devant réaliser en lui « l’omni-homme » selon le ‎mot de Dostoïevski, ou le « citoyen du monde » selon la formule de Garry Davis ».

Le titre de l’ouvrage soulève beaucoup de questions, celles-là mêmes qui se posent à nous ‎trois-quarts de siècles plus tard : quelle place pour l’islam et les musulmans dans le monde ? ‎Comment être musulman et vivre en harmonie avec les autres nations, cultures et religions ‎‎? L’islam est-il condamné à n’être que vainqueur ou vaincu ? N’y a-t-il pas pour lui d’autre ‎sort que de poursuivre son chemin en solitaire en attendant que les autres se soumettent à ‎son culte et adoptent sa vision du monde ? Le problème n’est-il pas dans cette vision elle-‎même ?‎

Bennabi ne pose pas littéralement ces questions dans ce livre, mais elles sont sous-jacentes. ‎On devine qu’il se les a souvent posées. L’échec de la « Nahda » a achevé de le convaincre ‎qu’un sort isolé n’est plus possible pour le monde musulman. D’un autre côté, le désordre ‎moral de l’Occident n’appelle à aucun compromis. L’homme occidental lui apparaît comme ‎inachevé spirituellement et l’homme musulman comme inachevé sociologiquement.

Il est devant une thèse et une antithèse dont il veut faire surgir une synthèse qui serait la ‎perspective mondialiste, mot qu’il est peut-être le premier à employer et dont a dérivé le ‎concept de mondialisation. Il emploie d’ailleurs l’expression « processus de mondialisation » ‎dès 1949.

Celle-ci ne lui apparaît pas comme une gigantesque opération de fusion-‎absorption des nations, mais un système multilatéral à inventer collégialement. Nous en ‎sommes toujours loin.‎

Pour lui les musulmans ne peuvent pas espérer concurrencer l’Occident dans les domaines ‎de la science, de la technologie ou de la puissance. Ils doivent trouver dans une sorte de ‎division historique du travail leur spécialisation.

Or, au regard de leurs « avantages ‎comparatifs révélés », cette spécialisation ne peut trouver à s’appliquer que dans le ‎domaine de la spiritualité, de la morale, des valeurs humaines. Cette mission est toutefois ‎incompatible avec l’état de leur développement social et politique. Ils doivent au préalable ‎se réformer mentalement, politiquement et économiquement pour se hisser au rang de ‎nations développées et espérer devenir des exemples à suivre.

Ce rôle spirituel, c’est d’abord celui du « témoignage ». La mission de témoigner est la ‎première à être assignée à l’islam et aux musulmans, et Bennabi lui-même ne s’est défini ‎que comme tel.

Toute son œuvre se veut une souscription à cet impératif moral et c’est ‎pourquoi, notamment, il a donné à son autobiographie le titre de « Mémoires d’un témoin ‎du siècle »
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Il écrit : « L’histoire commence avec l’homme intégral, adoptant constamment son effet à ‎son idéal et à ses besoins, et accomplissant dans une société sa double mission d’acteur et ‎de témoin… Le monde musulman n’est pas un groupe social isolé, susceptible d’achever son ‎évolution en vase clos. Il figure dans le drame humain à la fois comme acteur et comme ‎témoin. Cette double participation lui impose le devoir d’ajuster son existence matérielle et ‎spirituelle aux destinées de l’humanité. Pour s’intégrer effectivement, efficacement à ‎l’évolution mondiale, il doit connaître le monde, se connaître et se faire connaître, procéder ‎à l’évaluation de ses valeurs propres et de toutes les valeurs qui constituent le patrimoine ‎humain ».

Ils sont rares les penseurs musulmans à avoir tenté d’analyser en profondeur la civilisation ‎occidentale, se répandant pour la plupart en jugements d’ensemble approximatifs ou en ‎anathèmes dévalorisants. Beaucoup de figures musulmanes ont, au cours des deux derniers ‎siècles, résidé un temps plus ou moins long en France, en Grande Bretagne, en Allemagne ‎ou aux Etats-Unis. ‎

On peut citer Rifaa Tahtaoui , Ayyad at-Tantawi , Djamel-Eddine al-Afghani, Mohamed ‎Abdou, Mustapha Kamel Pacha, Taha Hussein, Mohamed Iqbal, Sayed Qotb… Ils ne sont pas ‎revenus de leur séjour avec les mêmes conclusions, ni tiré les mêmes enseignements que ‎Bennabi.

Aucun Oriental n’a mieux que lui saisi la mesure de l’âme occidentale, compris ses ‎ressorts internes ou en a parlé comme il l’a fait. Parmi ceux qui ont relaté leur expérience ‎dans des livres on peut évoquer les Egyptiens Rifaâ at-Tahtawi ‎ et Ayyad at-Tantawi ‎, le ‎Syrien Faris ach-Chidiyaq ou encore le Tunisien Kheireddine Pacha ‎. ‎

Bennabi est celui qui aura le mieux connu l’Occident parce qu’il l’a « éprouvé » et non ‎côtoyé un temps ou contemplé de l’extérieur. Il est entré profondément dans ses entrailles ‎par ses études, son mariage, ses fréquentations, ses lectures et la durée de son séjour en ‎France. ‎

Les deux civilisations l’ont interpellé par leurs implications sur sa vie et sa pensée puisqu’il a ‎évolué constamment en elles et entre elles. « Vocation de l’islam » est, dans l’œuvre ‎bennabienne, le lieu de comparaison par excellence des deux civilisations. ‎

On le voit dès son arrivée en France en 1930 sonder l’âme française, analyser ses idées et ‎réfléchir sur son attitude à l’égard des musulmans : « En s’implantant dans le monde ‎musulman vers le début du siècle dernier, l’Européen n’apportait de la morale chrétienne ‎que certaines dispositions de son âme, de cette âme belle pour qui la regarde de l’intérieur, ‎du point où convergent ses vertus centripètes, mais qui restera fermée et imperméable aux ‎musulmans. En effet, du dehors, c’est-à-dire dans ses contacts réels avec le monde ‎musulman, l’âme chrétienne est surtout celle du colonisateur qui, avant d’embarquer pour ‎les côtes barbaresques, les Indes ou les îles de la Sonde, a entendu parler au cours des ‎veillées familiales au coin du feu d’Eldorados fabuleux ». ‎

Il reproche à la civilisation européenne d’avoir arriéré les peuples placés sous sa ‎domination. Malgré leur infériorité militaire, économique, scientifique et sociale, les ‎musulmans ne se sont pas résignés à admettre la supériorité morale de l’Occident : « Il n’y ‎avait pour le monde musulman sur ce plan aucun complexe d’infériorité, c’est-à-dire aucune ‎provocation à se ressaisir, à repenser sa foi. Et il semble qu’on puisse attribuer l’apathie ‎morale des peuples musulmans méditerranéens en grande partie à cette sorte d’orgueil ‎béat, à cette suffisance concernant leur religion qu’ils mettaient implicitement en ‎comparaison avec une espèce colonialiste du christianisme ».‎

Le monde musulman et l’Europe sont d’anciens voisins. Ni le premier ne s’est converti au ‎christianisme (avant l’apparition de l’islam) ni la seconde n’a accepté la présence de l’islam ‎chez elle. Ils se sont affrontés dans la Reconquista, les Croisades et durant la colonisation. La ‎civilisation occidentale a voulu imposer son hégémonie au monde musulman qui n’avait à lui ‎opposer qu’une « renaissance » illusoire. ‎

Le contact entre les deux entités culturelles a été renoué au moment où l’une était à son ‎apogée et l’autre à son périgée, au moment où l’une était devenue colonisable et l’autre ‎colonisatrice. De ce nouveau face-à-face est sortie l’histoire du XX° siècle avec son cortège ‎de douleurs, d’incompréhensions et de drames.‎

Bennabi a réalisé l’essentiel de son œuvre entre 1947 et 1962, c’est-à-dire sous l’occupation ‎coloniale. C’est donc en connaissance de cause qu’il parle de la « mission décivilisatrice » du ‎colonialisme dont il a pâti dans sa vie personnelle, familiale et intellectuelle. Il a vécu ‎dramatiquement la condition d’« indigène » qui lui était faite, lui l’esprit remarquable et, ‎ayant vécu de l’intérieur le phénomène colonial, il ne pouvait que le décrire et le ‎condamner. ‎

Dans les « Conditions de la renaissance », il récuse la comparaison fréquemment faite par ‎les orientalistes entre les conquêtes musulmanes et le colonialisme : « Historiquement, la ‎colonisation est une régression dans l’histoire humaine. C’est un retour à l’âge romain après ‎l’expansion de l’Empire musulman qui fut cependant une expérience d’un nouveau genre ‎dans l’histoire. En effet, ni le Sud de la France, ni l’Espagne, ni l’Afrique du Nord n’ont été les ‎‎« colonies » de l’Empire musulman mais ses provinces, au même titre que la Syrie ou ‎l’Irak. Partout les chrétientés et les juiveries locales ont quand même subsisté librement, ‎même avec toute la latitude pour un moine comme Gerbert de se former à la science ‎musulmane, de devenir le pape Sylvestre II et le promoteur de la première croisade »‎ ‎. ‎

Dans un article de 1953 intitulé « L’anti-islam » il écrit: « Toute l’histoire de l’expansion ‎musulmane ne comporte pas un seul ratissage ou un seul meurtre d’enfant ordonné par une ‎autorité supérieure.‎ ‎ » ‎

Dans deux autres, publiés sous le titre de « La troisième perspective » (1 et 2)‎ ‎, il explique ‎qu’il existait jusque-là deux perspectives pour un pays qu’une armée étrangère envahit : ‎l’occupation temporaire qui cesse avec la fin de l’état de guerre, et l’annexion pure et ‎simple.

Dans le premier cas le pays garde sa personnalité et ses biens ; dans le second il est fondu ‎sur des bases égalitaires dans la communauté que le vainqueur et le vaincu finissent par ‎former. La colonisation est par contre une « troisième perspective » que l’histoire doit ‎essentiellement à l’Europe. Elle consiste en « une mise sous séquestre de toutes les ‎ressources au projet du seul colon. L’habitant du pays, comme cela s’est vu en Algérie, est ‎spolié de ses biens, déchu de sa nationalité perdue, soumis à une juridiction spéciale qui ‎restreint sa vie dans tous les domaines ».‎

Il dévoile le machiavélisme du colonialisme qu’il montre en action en Algérie à l’instigation ‎d’hommes comme Louis Massignon, un personnage auquel sera consacré un épisode de ‎cette série en raison du rôle qu’il a joué dans la vie de Bennabi : « En face du modernisme – ‎du tajdid – il va dresser un archaïsme artificiel comme une scène de théâtre où les figurants, ‎marabouts, pachas, alems ou universitaires truqués, devront jouer la scène de la « tradition ‎islamique », tradition qui devient le mot d’ordre de toute la politique coloniale… En face de ‎l’effort réformiste, on voit se dresser un obscurantisme tapageur et des mythes disparus. ‎Parce que le colonialisme veut inlassablement réédifier le panthéon ruiné du maraboutisme, ‎on promènera dans certaines capitales des figurines momifiées, tirées du moyen-âge post-‎almohadien pour figurer dans la scène rétrospective de la politique indigène l’« islam ‎traditionnel »… Quoiqu’il en soit, c’est par de tels moyens de déviation, de corruption, de ‎falsification, que le colonialisme entend faire de la « politique coloniale » et se rend ainsi ‎responsable d’une grande part du chaos du monde musulman… L’œuvre coloniale est un ‎immense sabotage de l’histoire».‎
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Bennabi n’a jamais douté de la fin inéluctable du colonialisme qu’il entrevoyait ‎indépendamment de ce qui se passait dans le monde : « Le monde actuel est un produit de ‎l’inévitable désintégration du monde colonialiste et colonisable que nous connaissions il y a ‎dix ans… Le colonialisme n’est plus compatible avec les conditions d’une existence ‎internationale qui ne saurait avoir pour base la force. La conscience universelle le ‎condamnera solennellement comme cause de troubles, de régression et de guerre ».

Il ne dénie pas néanmoins tout rôle positif à la civilisation occidentale : « En faisant craquer ‎de toutes parts l’ordre social dans lequel végétait l’homme post-almohadien, en lui ravissant ‎les moyens de végéter paisiblement, l’activisme de l’Européen lui donnera une nouvelle ‎révélation de sa valeur sociale. L’homme de l’Europe a joué à son insu le rôle de la dynamite ‎qui explose dans un camp de silence et de contemplation. L’homme post-almohadien, ‎comme le bouddhiste de Chine et le brahmaniste de l’Inde, s’est senti secoué et finalement ‎réveillé ».

Bennabi n’a pas pensé les seuls problèmes du monde musulman, mais ceux du monde en ‎voie de globalisation qu’il voyait sortir de la deuxième guerre mondiale avec ses promesses ‎et ses contradictions.

Il voyait le dénouement de ces dernières dans la mise en place d’une ‎‎« convivencia » (ce mot n’est pas de lui) universelle où cohabiteraient dans un cadre global ‎les différentes cultures, nations et religions. S’il n’est pas le premier à déceler dans le ‎travail de l’histoire la tendance au mondialisme, il est par contre le premier à situer l’islam ‎dans cette perspective et à vouloir l’y installer. ‎

‎« Vocation de l’islam » est reçu dans les milieux universitaires français comme une ‎importante contribution à la connaissance du monde musulman. Des revues et des ‎signatures prestigieuses lui consacrent des présentations et des analyses. L’essai ‎impressionne par la rigueur des vues, la puissance du verbe, la nouveauté de l’approche et ‎surtout le ton serein. C’est, de tous les livres de Bennabi, celui qui sera le plus traduit dans le ‎monde et le plus cité dans les travaux sur l’islam.‎

André Robert écrit dans la revue « Esprit » de décembre 1954 : « Le livre de M. Bennabi est ‎plus riche que du seul savoir bien présenté. C’est un effort probe et clairvoyant pour ‎décanter la problématique interne de l’islam, un examen de conscience mené avec le ‎regard du chirurgien et qui répond à un pressant souci d’efficacité… savoir façonner la ‎matière en s’appropriant la technique de l’Europe sans jamais renier les dimensions ‎humaines qui se trouvent au-delà du chiffre, telle est la synthèse que l’auteur assigne ‎comme devoir du monde musulman… » ‎

Dans la « Revue de Science Politique » l’historien Roger Letourneau note : « Vocation de ‎l’islam », écrit en 1950 et publié en 1954, montre son caractère intemporel… Le trait qui ‎domine est l’effort loyal et courageux vers une vue objective de la situation. Bennabi a ‎l’immense mérite de considérer les choses telles qu’elles sont et non pas telles qu’il voudrait ‎qu’elles soient, et de répudier la psychologie émotive ». ‎

Jean-Marie Domenach trouve Bennabi « admirable en ce qu’il s’élève constamment au-‎dessus des cris et des lamentations sur les souffrances immédiates ». ‎

Un professeur d’économie, Jacques Austruy, publie dans la « Revue de l’Institut de sciences ‎économiques appliquées » une étude sous le titre de « Vocation économique de l’islam » ‎dans laquelle il reprend les thèses développées par Bennabi et cite abondamment son ‎ouvrage. Cette étude deviendra plus tard un livre, « L’islam face au développement ‎économique » (Ed. Ouvrières, Paris 1961). ‎

Dans un numéro de la revue « Communauté algérienne », un article élogieux est publié où ‎on peut lire : « Ainsi se marque un véritable tournant peut-être dans l’histoire de la pensée ‎musulmane. L’œuvre de Bennabi n’est pas en effet le fruit d’une méditation repliée sur elle-‎même ; elle témoigne d’une noble disposition de l’esprit qui le pousse à étudier de ‎l’intérieur et avec lucidité aussi bien la société musulmane que la société occidentale, et à ‎chercher à établir entre elles des rapports nouveaux mais serrés. Je crois qu’une ouverture ‎d’une pareille ampleur ne se retrouve guère que chez Iqbal et Bennabi. Cette attitude ‎commune aux deux musulmans, le philosophe indien et le penseur algérien, est due à leur ‎profonde religiosité ainsi qu’à leur double culture ». ‎

Plus tard, l’orientaliste Louis Gardet, abondant dans le même sens, écrira : « Sa célèbre ‎‎« Vocation de l’islam » le rattachait d’abord au réformisme contemporain, et surtout peut-‎être au réformisme musulman indo-pakistanais » (in « Les hommes de l’islam », Ed. ‎Hachette, Paris 1977). ‎

Quand l’éminent historien français Jacques Benoist-Méchin lira en 1960 le livre, il se ‎procure l’adresse de Bennabi au Caire auprès des Editions du Seuil et lui écrit une lettre que ‎j’ai trouvée dans les archives bennabiennes où il lui dit : « Je ne puis vous dire combien je ‎trouve votre ouvrage remarquable et combien il a élargi ma connaissance du monde ‎islamique. Je l’ai trouvé à la fois clair, émouvant et convaincant. Il m’a donné une très ‎grande envie de lire vos autres ouvrages, notamment « Le phénomène coranique » et « Les ‎conditions de la renaissance »… Je vous serais très obligé de me dire si on peut encore se ‎procurer ces ouvrages et, dans ce cas, où il faut s’adresser… » ‎

Une dizaine d’années plus tard Benoist-Méchin, qui aura entre-temps connu ‎personnellement Bennabi, lui écrira en date du 28 août 1969 pour lui avouer « le plaisir et ‎l’enrichissement que (j’ai) tirés de (vos) ouvrages et de nos entretiens. Je considère votre ‎œuvre comme une étape de tout premier ordre dans la rénovation de la pensée islamique… ‎Il m’arrive souvent de relire et de consulter vos livres ; j’y trouve chaque fois des ‎profondeurs et des résonnances insoupçonnées. C’est pour moi un honneur de pouvoir ‎compter sur l’estime d’un esprit comme le vôtre ».‎

On l’ignore en général, mais « Vocation de l’islam » devait être complété par une deuxième ‎partie dont j’ai trouvé le manuscrit dans les archives léguées par Bennabi sous le nom de ‎‎« Vocation de l’islam II ».

Les plus attentifs à son œuvre peuvent se rappeler avoir lu dans le ‎premier paragraphe de la conclusion de « Vocation de l’islam » ces lignes : « Au terme de ‎cette étude, il m’apparaît clairement qu’il y manque une seconde partie dont le rôle eût été ‎d’éclairer certains aspects essentiels que j’ai cru devoir laisser de côté ». Il a secrètement ‎comblé ce manque en rédigeant ce texte de 136 pages commencé au Luat-clairet le 5 ‎décembre 1951 et achevé le 22 janvier 1952. ‎

Le manuscrit comporte une introduction de 11 pages, deux parties principales (« Esotérisme ‎du monde moderne » et « Le monde nouveau ») et une conclusion de deux pages. ‎

La première partie se subdivise en seize chapitres intitulés : Arcanes du monde moderne, ‎Sens de la diaspora, Le Juif en Europe, La légende du Juif errant, Le Juif intellectuel, Le Juif ‎citoyen, Le Juif « moderne », Le Juif doctrinaire, Le Juif mondial, Le Juif jette le masque, La ‎fin d’une époque, La guerre, Stratégie de la prochaine guerre, Neutralisme musulman, ‎Neutralisme musulman et diplomatie occidentale et Conséquences internationales du ‎neutralisme musulman. ‎

La seconde partie, beaucoup plus courte (30 pages sur 136) se subdivise, elle, en cinq ‎chapitres : Le problème d’une civilisation, Choc en retour de la guerre, Planisme et ‎prosélytisme, Le plan musulman et Fraternité et fraternisation. ‎

Nous avons donc affaire à un livre complet, écrit en six semaines, qui pourrait être, compte ‎tenu de son sujet, celui annoncé par Bennabi sous le titre de « Le problème juif ». ‎

Dans cet inédit, il estime que les facteurs qui ont conduit le monde aux deux guerres ‎mondiales, à la création de l’Etat d’Israël et à la guerre froide ne sont pas tous connus des ‎hommes.

Les facteurs « ésotériques » doivent être révélés aux générations futures afin qu’elles ‎édifient le monde nouveau sur des bases saines : « Pour comprendre un monde, il ne s’agit ‎pas de le saisir dans ses apparences, mais dans son âme. Ses manifestations apparentes ne ‎sont le plus souvent que les effets d’une lampe magique qui projette sur l’écran de l’histoire ‎des scènes apprêtées. Ce qui importe, c’est l’intelligence et la main qui font cette histoire ‎factice. Ce qui importe, c’est la force créatrice qui est derrière ces manifestations, la cause ‎de ces effets : la force qui ramène la multiplicité apparente que nous constatons à une unité ‎fondamentale imperceptible au regard commun, invisible à l’œil intelligent, inaccessible à ‎la pensée qui ne sait pas penser. »

Cet homme, ces pensées, ces propos sont de ceux pour qui l’histoire « officielle » n’est ‎souvent qu’un maquillage de la réalité et de la vérité. Bennabi plaint les ‎‎« innocents historiens qui ne voient dans le monde que ce qui est visible, luisant et bruyant, ‎c’est-à-dire toutes ses apparences, mais rien de sa réalité qui est plutôt ombre et silence… ‎L’histoire réelle du monde moderne reste à faire car on n’a fait jusqu’ici que son histoire ‎apparente ».

S’agissant de la vocation de l’islam, il précise nettement sa pensée dans ce manuscrit : « Il ‎ne s’agit pas de dominer le monde, mais de le sauver… Il ne s’agit pas de vaincre les ‎hommes, mais de les convaincre… Jusqu’ici, l’islam a gagné du terrain à la manière du ‎chiendent, comme une plante sauvage. Mais il a mis quatorze siècles pour occuper l’espace ‎qu’il occupe actuellement. Dans l’avenir il s’agirait au contraire de le planter ‎soigneusement, scientifiquement, afin qu’il rayonne selon un processus déterminé, tenant ‎compte de tous les facteurs favorables et défavorables liés à ce rayonnement. »‎

NOTES :‎
‎ Ces articles seront pour les uns remaniés et pour les autres réécrits avant de devenir les chapitres que l’on connaît de ‎‎« Vocation de l’islam ». Ils ont été publiés par la RA sous le titre de « Avant-propos à « Infrastructure du monde musulman ‎moderne » (14.04.1950), « L’exemple des précurseurs de la renaissance » (10.11.1950 ; 17.11.1950 ; 01.12.1950 et ‎‎08.12.1950), et « A la veille d’une civilisation humaine ? » (06.04.1951 ; 13.04.1951 ; 01.06.1951 et 29.06.1951), et « Le ‎devenir spirituel de l’islam » (19 et 26.10.1951). Les chapitres publiés par le « JM » sont : « Les voies nouvelles » ‎‎(29.05.1953), « Le phénomène cyclique » (12.06.1953) et « Premier contact Europe-Islam » (18.06.1954). ‎
‎2« Takhlis al-Ibriz fi talkhis Bariz » (1834).‎
‎3 « Tuhfat al-adhkiya bi akhbar bilad Russya » (1850).‎
‎4 Auteur d’un livre sur l’Angleterre en 1855 et d’un autre sur Malte en 1899.‎
‎5 Auteur d’un livre sur la France édité en 1867.‎
‎6 Gerbert d’Aurillac, pape français, est le premier à avoir introduit les chiffres arabes en Europe au X° siècle.‎
‎7 La RA du 11 septembre 1953.‎
‎8 La RA des 13 et 20 novembre 1953.‎

Le soir d’Algérie du 05 novembre 2015‎
Oumma.com du 31 janvier 2016‎

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