PEUR SUR LE PAYS

by admin

J’aimerais donner à lire ces lignes avant d’aller plus loin : ‎

‎« Il n’y a pas qu’en Algérie que le pouvoir est la réalité et l’Etat la fiction. Un livre récent ‎d’Anthony Summers (« Official and confidential : the secret life of John Edgar Hoover », ‎traduit en français sous le titre de « Le plus grand salaud d’Amérique ») décrit ‎l’incroyable pouvoir dont a disposé le patron du FBI durant quarante-huit ans (de 1924 ‎à sa mort en 1972) dans la plus grande et la plus transparente démocratie du monde. ‎
Ayant survécu à huit présidents des Etats-Unis dont le premier souci en arrivant était de ‎le limoger, il était plus puissant qu’eux, contrôlant les membres du Congrès, les ‎ministres, les élus, les universités, les juges, les journaux, les commissions d’enquêtes, les ‎foules, la mafia… Ce que relate le livre défie l’imagination et bouleverse l’entendement, ‎tant l’image donnée d’eux par les Etats-Unis d’Amérique contraste avec la série de faits ‎crapuleux et de preuves accablantes exposés par l’auteur… »(Cf. N. Boukrouh, « L’Algérie ‎entre le mauvais et le pire », Ed. Casbah, 1997).‎

Les sentiments sont partagés au sein de la population algérienne après la décision prise par ‎le président Bouteflika de mettre fin aux fonctions du général de corps d’armée Toufik à la ‎tête du DRS et de le mettre à la retraite.

Grosso mode, deux courants se dégagent : ceux qui y voient un « bien », et ceux qui y voient ‎un « mal ».‎

Les premiers trouvent naturel qu’un responsable, quel qu’il soit, doive quitter un jour ou ‎l’autre son poste, et que le Président exerce l’intégralité et la plénitude des pouvoirs que la ‎Constitution lui confère, considérant que le « bicéphalisme » a empêché le développement ‎et la modernisation politique de l’Algérie, et qu’il est temps que le pouvoir devienne ‎réellement et entièrement civil. ‎

Ceux-là n’ont pas vu dans les mesures qui ont affecté le DRS depuis deux ans un ‎démantèlement, mais une « restructuration » ayant pour finalité sa sortie du jeu politique et ‎son investissement à l’avenir dans les missions de sécurité intérieure et extérieure qui ‎justifient son existence et exigent une concentration sur son métier de base. Ils ne veulent ‎pas croire à la théorie de l’affrontement, et inclinent vers une réorganisation du DRS venue ‎en son temps et pilotée par son chef sur instruction du Président.

Mais ne font-ils pas l’impasse sur quelques « couacs », quelques anomalies ?‎
Les seconds y voient, pour leur part, le dénouement d’un bras de force entre le général ‎Toufik et le président Bouteflika apparu avec la révélation dans la presse de plusieurs ‎affaires de corruption touchant les hautes sphères de l’Etat, révélations dont le but aurait ‎été d’entraver le quatrième mandat et dont un des dommages collatéraux aurait été l’AVC ‎qui a frappé le Président en avril 2013. ‎

C’est dans ce courant que se recrutent ceux qui nourrissent une grande peur pour le pays et ‎son avenir, d’autant que la crise économique est déjà parmi nous. ‎
Une peur fondée sur une vieille vision binaire selon laquelle le pays étant « bicéphalement » ‎dirigé, l’armée ne laissera jamais faire un Président tenté par le despotisme familial, la ‎subordination à des intérêts étrangers ou la prédation des richesses nationales. Or, estime-t-‎on dans ce courant, l’armée a été « neutralisée ».

Le « clan présidentiel » aurait réussi à éliminer Toufik qui « ne commandait plus qu’un ‎secrétaire et deux femmes de ménage », les grosses affaires de corruption ont été passées ‎par pertes et profits au su et au vu de tous, plus personne n’est en mesure de s’opposer à ses ‎desseins, et il faut s’attendre à ce qu’il s’empare à brève échéance du pays pour en faire ce ‎qu’il voudra : le saigner ou le vendre.

Ceux-là n’ont pas été au bout de leur logique car si tel avait été le cas il y aurait eu du ‎grabuge, quoique…‎

Qui des deux courants est dans le vrai ? Laquelle des deux thèses correspond à la vérité, tant ‎est que ce mot ait un sens ou une application en politique ?

Sans oublier que nous ne sommes pas au pays de la transparence et de la rationalité, mais ‎en plein imbroglio algérien où l’art de la politique tient en quelques formules du genre : « Je ‎te tiens, tu me tiens par la barbichette » ou « Jouons à nous embrouiller mutuellement… » ‎

Normalement, sur deux hypothèses, si ce n’est pas la première qui est la bonne, ce devrait ‎être la seconde.‎

Mais chez nous les choses ne sont pas aussi simples, droites et carrées.

La vérité n’est pas toujours du côté qu’on suppose, ni celui que suggère la logique. Elle peut ‎être dans l’une et l’autre à la fois ou dans aucune, confirmant que le « dribblage » est la ‎meilleure façon de garder un secret. Le nombre de ceux qui savent vraiment ce qui se trame ‎ne doit pas dépasser quatre ou cinq.

La thèse du premier courant l’aurait emporté si elle n’avait été entachée de « couacs » ‎attirant sur elle des questions qui mettent en doute sa cohérence. Dès qu’on cherche à ‎répondre à ces questions, on se retrouve en train de glisser dans la seconde thèse : pourquoi ‎a-t-il fallu que les seules attaques publiques et frontales jamais menées contre le chef du ‎DRS viennent d’un homme qui venait d’entrer par effraction sur la scène politique (Saâdani) ‎‎?

Un homme sans fonctions officielles, qui n’a de « pouvoir » que celui de la parole, rare et ‎brève chez lui, et qui constitue une cible idéale pour les critiques. Était-il nécessaire de ‎procéder de la sorte ? N’y avait-il que cet homme et cette façon d’opérer ?

Elle l’aurait emporté si, par ailleurs, une anomalie outrageusement choquante ne ‎discréditait, vidait de tout sens, les notions de « droits régaliens » et de « prérogatives ‎constitutionnelles » du président. ‎

Cette anomalie qu’on a en apparence acceptée comme si elle était naturelle et qu’on fait ‎mine de trouver « normale », c’est que l’homme qui se prévaut de cette qualité, de cette ‎fonction et de ces droits, n’en remplit plus les conditions et les devoirs depuis longtemps. ‎

Il ne devrait même pas se trouver là car il n’avait pas le droit de se présenter à son âge et ‎dans sa condition d’handicapé à un quatrième mandat alors que la Constitution, avant qu’il ‎ne la viole en 2008, n’en permettait que deux.

Tous ses actes devraient être frappés de nullité et dénoncés comme des atteintes à l’intérêt ‎national et à la sécurité interne et externe du pays, et pourtant personne ne le fait, ‎préférant voir couler le pays.‎

En réexaminant à la lumière du point de vue que je veux développer les faits ayant marqué ‎la vie nationale ces dernières années, on ne peut nier les traces d’un désaccord qui, à un ‎moment ou un autre, a été surmonté par un compromis qui a libéré la voie au quatrième ‎mandat et à ce qui se profile derrière les chamboulements en cours.

Le redéploiement du DRS, le remplacement de hauts responsables par leurs adjoints ‎‎(Boustila et Toufik) et la suite, une suite qu’on ne connait pas mais qui a forcément à voir ‎avec la succession de Bouteflika, attestent qu’un plan a été convenu et qu’il est en cours ‎d’application… ‎

A mon avis, il n’est pas possible de détacher les mesures ayant touché le DRS et son chef de ‎l’agenda convenu avant le quatrième mandat. Ni le Président ni le général Toufik n’aurait ‎accepté qu’un « autre » héritât, avec ou sans eux, des pouvoirs réunis par l’ex-chef du DRS ‎au cours de sa carrière et en raison de circonstances exceptionnelles. Un peu comme ‎Hoover aux Etats-Unis pendant la guerre froide. ‎
Tout comme il ne faut pas confondre entre mise à la retraite et mise en retrait définitif des ‎affaires publiques.

Un homme comme l’ex-chef du DRS ne peut pas être jeté comme un citron pressé ou une ‎vieille chaussette, et il ne serait pas surprenant de le retrouver un jour dans un rôle civil en ‎vertu de son capital-expérience auquel est en train de s’ajouter un capital-sympathie depuis ‎qu’il passe pour un « mahgour ». Surtout en cas de gros problème.‎

LES DERNIERES FIGURES DE LA GENERATION DE LA REVOLUTION QUITTENT LE POUVOIR ‎L’UNE APRES L’AUTRE, CONTRAINTES PAR L’AGE OU LA MALADIE.

LE TOUR DES RETARDATAIRES ENCORE EN POSTE ARRIVERA INÉLUCTABLEMENT, MAIS ‎ON NE SAIT PAS S’ILS CONTINUENT A NE PENSER QU’A EUX-MEMES, A LEURS PROCHES ‎ET A LEURS INTÉRÊTS COMME ILS NOUS ONT HABITUES, OU S’IL LEUR ARRIVE DE PENSER ‎A L’ALGERIE APRES EUX, UNE ALGÉRIE QU’ILS SONT EN TRAIN DE QUITTER EN LA ‎LAISSANT SANS RELÈVE, SANS ELITE, SANS SOCIÉTÉ, SANS ECONOMIE, DANS UN MONDE ‎OU ON VOIT DE PLUS EN PLUS DE PEUPLES DISLOQUES FUIR LEURS PAYS POUR ALLER LA ‎OU ON VEUT CHARITABLEMENT D’EUX. ‎

CE QUI ETONNERAIT UN NON-ALGERIEN DANS CETTE REPRESENTATION DE LA REALITE ‎ALGERIENNE, C’EST L’ABSENCE AHURISSANTE, INEXPLICABLE, DE LA SOCIETE DU JEU ‎POLITIQUE, SA SOUMISSION AUX JEUX DE COULISSES, SA RESIGNATION AU SORT QU’ON ‎LUI FAIT. L’ASSISTANAT APPELLE LA DICTATURE COMME LE CLOU QUI DEPASSE APPELLE ‎LE MARTEAU.

SI NOTRE DESTIN EST DE VIVRE DANS N’IMPORTE QUEL ETAT, A N’IMPORTE QUELLE ‎EPOQUE, INDEPENDANTS OU COLONISES, MENDIANTS ET ORGUEILLEUX, « MA ‎ANDNACH WMA IKHASSNACH », DE MOURIR INDIFFEREMMENT SUR TERRE OU EN MER, ‎DE NOUS ENTRETUER PAR HAINE OU PAR FANATISME, SI VRAIMENT TOUT SE VAUT, LA ‎VIE COMME LA MORT, ALORS TANT PIS POUR NOUS CAR NI DIEU NI PERSONNE NE ‎POURRA RIEN POUR NOUS.

‎(« Le Soir d’Algérie » du 17 septembre 2015)‎

You may also like

Leave a Comment